Dans son édito du 07/01/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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00:00Alors, je prendrais le relais de ce que disait Charlotte,
00:02une chose qui m'a fasciné, moi, aujourd'hui,
00:04regardant ce qui se disait et ce qui s'écrivait,
00:07c'est que la plupart des journalistes et commentateurs politiques,
00:10dont c'est le métier de commenter la vie politique, de l'éclairer,
00:14ne connaissent à peu près rien à l'histoire de leur propre pays.
00:17Moi, ça me fascine.
00:19Je me demande, parmi tous ceux qui commentaient la vie politique de Jean-Marie Le Pen aujourd'hui,
00:22qui a pris la peine de lire ses mémoires ?
00:24C'est important, quand même !
00:25Qui a pris la peine de lire les livres qu'il a écrits au fil de sa vie ?
00:27Qui sait que sa vie ne se réduit pas aux quelques déclarations,
00:31sans cesse répétées, qui sont à ce point répétées
00:34qu'on croit que sa vie se réduit à ces déclarations ?
00:36Donc ça, je pense qu'il y a une nécessité élémentaire,
00:38pour bien comprendre le sujet,
00:40de faire un travail élémentaire de connaissance du sujet
00:44qui échappe, je suis obligé de le dire, à beaucoup de commentateurs,
00:48à beaucoup de gens qui reviennent, reprennent toujours les mêmes formules.
00:51Il y a quelque chose d'assez inquiétant là-dedans.
00:53Je note, par ailleurs, qu'encore aujourd'hui, à sa mort,
00:55vous avez présenté des scènes, des espèces de petits barbares
00:59qui décident de célébrer la mort d'un homme, comme on le voit,
01:01quel qu'elle soit, je trouve ça odieux.
01:03Si on avait, avec la mort, imaginons que demain, Jean-Luc Mélenchon meurt,
01:06si les gens avaient la même réaction à sa mort, à droite, entre guillemets,
01:10je trouverais ça odieux, mais absolument odieux.
01:12Cela dit, je note qu'aujourd'hui, la figure de Le Pen
01:14demeure une figure que l'on scrute,
01:16même dans la réaction au moment de sa mort.
01:18Manuel Bompard, mais ce n'est pas le seul,
01:20disait aujourd'hui, ceux qui disent qu'il s'est engagé pour son pays,
01:23ceux qui disent qu'il aimait la France,
01:25ce sont les héritiers de l'homme toxique, fasciste,
01:28et ainsi de suite, que l'on a dénoncé, que l'on a combattu.
01:30Donc, même rendre hommage, aujourd'hui,
01:32est un marqueur d'infréquentabilisation, un marqueur de diabolisation.
01:36Alors, que retenir du personnage?
01:38Je pense qu'il faut d'abord se dire que c'est un homme...
01:40Et que, si vous permettez, même, on commence déjà à se demander
01:43qui sera aux funérailles.
01:45Vous savez, il y a des journalistes, dans certains journaux de gauche,
01:48des spécialistes qui vont dans les funérailles des hommes politiques
01:51ou des intellectuels dits de droite,
01:53et ils font la liste des gens qui étaient aux funérailles.
01:55Non, mais c'est quand même...
01:57Ces gens-là, c'est une psychologie de chacal.
01:59Je peux me permettre. Je vous respecte.
02:01Ensuite, je pense que...
02:03Le propre de la pensée de Le Pen, si on cherche à y voir un héritage,
02:07c'est d'avoir voulu penser la politique comme un moment de l'histoire.
02:10Donc, penser la question, par exemple, du choc des civilisations,
02:13penser le choc démographique,
02:15penser non pas seulement l'horizon de la prochaine élection,
02:17mais penser l'époque qui est la nôtre.
02:19Jean-Marie Le Pen, quoi qu'on pense de ce qu'il en pensait,
02:22a compris le choc des civilisations et la submersion migratoire.
02:26Et aujourd'hui, si plusieurs personnes ne se laissent pas intimider
02:29seulement par les discours,
02:31regardez les déclarations odieuses qu'il a tenues.
02:33Parce qu'il y a eu des déclarations odieuses.
02:35Personne ne dit le contraire.
02:37Si on ne le réduit pas à ça, c'est parce qu'on lui reconnaît
02:39une lucidité que d'autres n'ont pas eue sur le grand enjeu de notre temps.
02:42Ensuite, sur le plan des traits de personnalité,
02:44je pense qu'une chose importante,
02:46il y avait chez lui une capacité à tenir tête à la meule.
02:48Ça, vous savez, c'est probablement la chose la plus difficile qui soit.
02:51Dans une époque qui pousse,
02:53la pression médiatique et politique
02:55pousse à répéter toujours ce que dit son voisin,
02:57de peur d'être pris en train de dire autre chose que l'orthodoxie.
03:00Quelqu'un qui est capable de tenir tête à la meute,
03:02c'est une qualité.
03:04Est-ce qu'il poussait cela exagérément?
03:06Très probablement, il y avait chez lui l'amour du paria,
03:08il y avait l'amour du transgressif.
03:10Il n'en demeure pas moins qu'il y avait chez lui
03:12cette vertu de courage qu'on ne lui contestera pas, je crois.
03:15Et par ailleurs, lorsqu'on parle de son héritage,
03:17je reviens sur la question élémentaire, me semble-t-il, de l'histoire.
03:20Si on décide de vouloir comprendre son héritage,
03:24pourquoi certains s'en réclament, même si on est en désaccord avec eux?
03:27Ça implique de faire le travail élémentaire de connaissance
03:29qui manque aujourd'hui dans la vie médiatique française,
03:31qui aurait pu pourtant se préparer à la mort de cet homme.
03:33Tout le monde savait qu'il était en mauvais état.
03:35Aujourd'hui, je suis étonné de voir à quel point ça peut se sont préparés
03:38pour nous laisser expliquer son parcours
03:40et ce dont il est symbolique dans l'histoire de France.
03:43Et sait-on ce que Jean-Marie Le Pen lui-même voulait laisser comme héritage?
03:48Ça, c'est une question absolument fondamentale.
03:50Il a répondu à quelques reprises.
03:52D'abord, l'idée qu'il a dit la vérité, dans son état d'esprit.
03:55Il dit « j'ai dit la vérité, on a voulu me forcer à dire autre chose,
03:58à répéter ce que disait le voisin, j'aurais pu faire une belle carrière
04:01si j'avais été occupé à répéter ce que disait le voisin.
04:03Non, j'ai dit ce que je croyais être la vérité. »
04:05Autre chose qui est intéressante, il avait dit ça
04:07dans un de ses anniversaires il y a quelques années.
04:09Il dit « l'essentiel n'est pas de gagner ou de perdre immédiatement,
04:12c'est de s'engager dans un combat qui transcende notre existence
04:15et quelquefois le résultat, on le verra après notre mort, en quelque sorte.
04:18Donc, qui sait si Marine Le Pen l'emporte en 2027,
04:21ou j'ignore qui l'emportera, mais imaginons que quelqu'un de ce camp l'emporte,
04:24mais c'est une conséquence lointaine d'un engagement
04:27qui remonte à il y a plusieurs décennies,
04:29et sans cet engagement, la suite n'aurait pas été possible.
04:31Deux dernières choses, dans ses mémoires, il le disait, ce n'est pas un détail,
04:34il était attaché au catholicisme traditionnel,
04:37alors que ce n'était pas exactement un dévot.
04:39Donc, qu'est-ce que je vois là-dedans ?
04:41C'est un homme qui était attaché à la continuité profonde de la civilisation européenne
04:44et qui savait l'importance de la liturgie, de l'héritage, des racines profondes.
04:50Et je terminerai tout simplement avec la dernière page de ses mémoires,
04:53donc le dernier passage qu'on a déjà cité ici il y a trois ans,
04:56mais je me permets de le faire aujourd'hui parce qu'il donnait le sens de son engagement.
04:59« Si j'ai eu un sens, c'est de crier la vérité à temps et contre temps,
05:04comme fit mon saint patron, Jean-Le Baptiste,
05:07d'être la voix qui refuse de mensonges,
05:09la voix qui réconforte et redresse le peuple des malades, des humiliés, des offensés.
05:14La politique, après tout, ce n'était peut-être pas absolument mon truc.
05:17J'étais plutôt, comment dire, une vigie, une sentinelle, un lanceur d'alerte,
05:22un chien de tête qui flaire la crevasse au cours de l'attelage,
05:25un emmerdeur, un prophète, une voix qui crie dans le désert jusqu'à ce qu'il se remplisse.
05:30Ainsi se voyait Jean-Marie Le Pen.
05:32On peut l'apprécier ou non, mais sachons qu'il se voyait ainsi. »
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