Jacques Pessis reçoit Elisabeth Barillé. Cette romancière a fait scandale avec son premier livre corps de jeune fille avant de voyager de l'Inde à la Russie en écrivant des livres couronnés par l'Académie Française. Un parcours qu'elle poursuit avec la publication d'un texte particulièrement intime.
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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-11-28##
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PersonnesTranscription
00:00Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:04Sud Radio, les clés d'une vie, celle de mon invité.
00:06Vous avez beaucoup voyagé et fait voyager vos lecteurs
00:09dans des romans toujours très personnels et résolument novateurs.
00:13C'est encore le cas aujourd'hui avec un roman en forme d'exobiographie.
00:17Bonjour Elisabeth Barillet.
00:18Bonjour Jacques Pessis.
00:19Alors, on connaît vos livres, on vous connaît moins,
00:21mais vous avez un parcours tellement fourni qu'on va l'évoquer,
00:24c'est le principe des clés d'une vie.
00:26Vous sortez un livre « Les sœurs et autres espèces vivants »
00:29chez Arlea La Rencontre, et ça on va en parler aussi
00:33parce que c'est un livre étonnant.
00:35Et le principe des clés d'une vie, donc, c'est de raconter votre parcours
00:38à travers des dates clés.
00:39Donc on va y aller avec une première date,
00:41alors que vous n'avez pas oublié, le 25 juillet 1986.
00:44Écoutez.
00:50Apostrophe, et vous êtes invité dans la dernière émission avant l'été
00:54intitulée « Des romans pour vos vacances »
00:56et vous sortez votre premier roman « Corps de jeune fille ».
00:59Vous vous en souvenez de cette émission ?
01:01Je me souviens très très bien de l'émission, évidemment.
01:04Je me souviens aussi du lendemain de l'émission,
01:06ce qu'on appelait l'effet pivot.
01:08Le lendemain de l'émission, je passe devant les Gary Lafayette.
01:12A l'époque, il y avait encore une librairie au Gary Lafayette.
01:15C'est vous dire que ça remonte quand même à loin.
01:17Et le livre était en vitrine des Gary Lafayette.
01:21Donc ça, c'était assez étonnant.
01:23Je me souviens très bien.
01:24Je me souviens en partie du même du plateau des écrivains.
01:26Il y avait Amine Malouf.
01:27Oui, et c'était sa première télé.
01:29Exactement.
01:30Et Amine Malouf, dont c'était aussi la première télévision et le premier roman.
01:33Il y avait Barjavel qui était là.
01:35Vous voyez, je n'ai pas révisé, mais je me souviens très très bien.
01:39Non, c'était formidable.
01:40Moi, je ne me rends pas du tout compte,
01:42pas du tout du tout du tout compte
01:44le privilège d'être invitée sur le plateau d'Apostrophe.
01:47C'est-à-dire que Pivot choisissait lui-même ses invités,
01:49il faisait des piles chez lui de livres
01:51et quand on était invité, on allait dans son bureau, via son livre.
01:55Comment vous aviez été invitée ? C'était venu comme ça ?
01:58Je ne peux pas vous dire.
02:00C'était mon attaché de presse qui un jour m'appelle
02:03complètement extatique et excité en me disant
02:08tu vas faire Pivot, tu vas faire Pivot.
02:10Et il y a eu des grèves, je me souviens,
02:11il y a eu quelques grèves à la même époque
02:13et je pense qu'on était suspendus.
02:16Est-ce que ça va se faire ou ça ne va pas se faire ?
02:18Non, ça s'est fait très naturellement
02:21mais j'ai des images très précises.
02:23Je me souviens même de la manière dont j'étais vêtue.
02:26Oui, c'est clair.
02:28Vous aviez une sorte de décolleté ?
02:31J'avais une robe noire à poids blanc,
02:33une robe un peu d'ingénue.
02:35Ce n'était pas du tout voulu,
02:37mais c'est l'inconscient qui parfois nous souffle
02:41des bonnes ou parfois des mauvaises idées aussi.
02:46J'arrivais pas du tout innocente,
02:48je n'étais pas innocente,
02:49mais j'arrivais fraîche si je puis dire.
02:52Et Pivot vous présente et dit immédiatement
02:54cinq ans plus tôt votre roman aurait fait scandale,
02:57Elisabeth Barillet.
03:00Oui, mais il a fait scandale quand même,
03:02même en 86.
03:03Ce qui était très amusant,
03:05c'est que j'étais une étudiante en lettre,
03:09j'avais préparé Normal Soup, Hippocane, Cagne
03:12et je me situais,
03:14pour moi la littérature,
03:16ça devait être la grande aventure de ma vie,
03:18ce qu'elle sera d'ailleurs,
03:19c'est assez merveilleux,
03:21et je me situais dans la lignée d'un Rousseau,
03:24de Georges Jacques Rousseau.
03:25Pour moi, c'était mes confessions,
03:27et pas du tout faire le récit de la jeune ingénue
03:32qui va parler de sa vie amoureuse et sexuelle.
03:35Non, non, pour moi c'était vraiment
03:37se mettre en danger,
03:38c'était ça.
03:39Et donc évidemment,
03:41l'accueil qu'a reçu le livre,
03:43un accueil qui était énorme,
03:45mais en même temps,
03:46avec tous les malentendus que cela peut engendrer,
03:49m'a blessée.
03:52Pour moi, ça a été assez terrible.
03:55Ça s'y ajoutait évidemment,
03:58tout le physique,
04:00tout le package, si je puis dire,
04:04était parfait.
04:05Donc, c'est la raison pour laquelle
04:08après, quelques temps plus tard,
04:11je suis partie aux Pays-Bas.
04:12Enfin, ça a été vraiment assez dur.
04:15Mais en même temps,
04:17avoir un premier roman qui a un tel succès,
04:21ça vous propulse,
04:23ça vous donne une confiance,
04:24ça vous propulse.
04:25Alors aujourd'hui encore,
04:26plus de 30 ans après,
04:2735 ans,
04:28on me parle encore de ce roman.
04:31Alors je pense à François Sagan,
04:34la pauvre,
04:35on lui parlait toujours de bonjour de tristesse.
04:36Alors je me dis, bon, c'est pas si mal quand même,
04:38ça veut dire qu'on a fait un livre qui reste.
04:42François Sagan avait écrit ce livre
04:44dans l'appartement familial pendant l'été.
04:46Vous l'aviez écrit, vous, entre deux cours ?
04:48Non, moi je l'ai écrit dans la maison de campagne
04:51de mes parents.
04:52Vous voyez, c'est presque le même,
04:53au bord de la Loire,
04:55près de Saumur.
04:56Je me souviens très très bien,
04:58vraiment un endroit totalement idyllique.
05:00Je faisais des grandes balades en bicyclette
05:02le long de la Loire très tôt le matin
05:04et j'écrivais le texte.
05:06Et je me revois encore écrivant les premières lignes.
05:10Avec un point d'interrogation,
05:12je me revois écrivant cette phrase.
05:14Comme ça, d'un coup.
05:16Et ça, c'est assez merveilleux, je dois dire.
05:18Et vous, qui rêviez de Jean-Jacques Rousseau,
05:20vous écrivez ce livre sans vous rendre contre,
05:22Elisabeth Barillé, de ce que ça va donner ?
05:24Non, non, non, franchement.
05:25Non, non, moi je voulais...
05:26Jean-Jacques Rousseau fait ses confessions,
05:28se dénude.
05:29C'était l'exergue des confessions,
05:32c'est une cutusse sous la peau.
05:34Et moi je me dénude, c'est-à-dire
05:35je parle de masturbation,
05:37je parle de choses qui...
05:38A l'époque, on n'en parlait pas du tout.
05:40C'était bien avant,
05:41c'était dix ans avant Virginie Despentes.
05:43Non, non, non, je suis...
05:45De ce point de vue-là,
05:46je ne mesure pas du tout le...
05:48Alors il est vrai que Pivot...
05:50Pivot en a fait un peu beaucoup,
05:52sur l'émission.
05:54Bon, voilà, c'était...
05:56Je pense qu'il était un petit peu...
05:58On dirait quoi ?
05:59On dirait un peu émoustillé.
06:00Exactement.
06:01Je rappelle que le roman,
06:03c'était l'histoire d'une jeune fille
06:04qui se laisse aborder par un monsieur plus âgé
06:06qui veut faire d'elle l'héroïne de son prochain roman.
06:08Tout à fait, oui.
06:09C'était un sujet fictif au départ, c'était une idée ?
06:11Oui, oui, c'était un sujet fictif.
06:13Ce qui m'intéressait, c'était la mise en abîme, évidemment.
06:15Encore une fois, les littératures...
06:17J'aimais beaucoup Monterlant.
06:18Vous voyez, j'étais une grande lectrice
06:19et de Monterlant et de Rousseau
06:20et je crois que, justement,
06:22les célibataires,
06:24les livres de Monterlant
06:27qui sont, justement,
06:28avec plein de mise en abîme,
06:30m'intéressaient.
06:31Donc voilà, c'était pas...
06:33C'est venu comme ça et ça a marché
06:35à tel point que vous avez eu un prix
06:36qui n'a rien à voir avec le sujet émoustillant,
06:39ce qui est un prix littéraire,
06:40le prix contrepoint,
06:41où des jeunes romanciers récompensent
06:44une auteure un peu intellectuelle.
06:46Oui, oui, oui, oui, oui.
06:47Oui, sûrement.
06:48Enfin, voilà.
06:49Non, mais c'est...
06:50En même temps, ça me paraît très, très loin,
06:52mais la jeune femme que j'étais,
06:54elle est encore très proche de moi.
06:55D'accord.
06:56On vous traite, à l'époque,
06:57j'ai vu des articles d'intellectuelle sulfureuse.
06:59Oui, oui, tout à fait.
07:00Oui, oui, oui.
07:01Et j'ai même entendu,
07:02« Pourquoi tu es trop glamour pour les intellectuels
07:05et trop intellectuel pour les glamours ? »
07:09Comment vous avez fait ?
07:11Je me dis que c'est pas mal d'être ni-ni,
07:14de ne pas être...
07:15Impossible de mettre dans une case, en fait.
07:17C'est pas mal.
07:18Mais le livre a eu du succès,
07:19non seulement en France, mais ailleurs.
07:20Oui, oui, oui, oui.
07:21Il a été traduit à l'étranger.
07:23D'ailleurs, c'est comme ça que j'ai pu rencontrer
07:25mon mari, qui était éditeur,
07:27qui a édité ce roman.
07:29Oui, oui.
07:31Il y en a quelqu'un aussi qui remarque ce livre
07:34et qui vous téléphone ?
07:35C'est Jean-Édernalier.
07:36Oui, tout à fait.
07:37Oui, oui, oui.
07:38Il me dit, « C'est une écriture cristalline ! »
07:42Oui, oui, il était assez admiratif
07:45de l'audace du livre.
07:48Ça vous a surpris que Jean-Édernalier,
07:49parce que c'est pas encore une fois,
07:50on est loin de Rousseau...
07:53Non, ça ne m'a pas surprise.
07:54Mais vous savez, là, tout m'arrivait
07:56d'une façon tellement...
07:58Heureusement que c'était avant les réseaux sociaux,
08:00avant toutes ces choses-là.
08:01Il y avait encore une sorte de privauté,
08:03d'intimité, quand même, dans les vies.
08:05Non, ça ne m'a pas surpris.
08:08Non, je vivais ma vie
08:10sans me poser trop de questions,
08:12si je puis dire.
08:13Et Jean-Édernalier, vous en parlez,
08:14parce que c'est un personnage très mystérieux.
08:16Vous en parlez dans une émission de télévision.
08:18Vous dites que c'était quelqu'un
08:19qui ne s'aimait pas, Élisabeth Barillé.
08:20Ah oui, tout à fait.
08:21Oui, oui, oui.
08:22Oui, oui, oui.
08:23C'était un homme qui ne s'aimait pas,
08:27donc il avait du mal à aimer les autres aussi.
08:30Mais avec une forme de folie
08:33que je trouvais, moi, plutôt rafraîchissante.
08:37Surtout pour une jeune femme
08:39qui était très sérieuse, je parle de moi, là.
08:41Oui, il était carrément de toutes les folies, lui.
08:43Oui, oui, complètement de toutes les folies.
08:45Donc, c'était plutôt...
08:49En plus de Monterland,
08:51je lisais aussi Georges Bataille, vous voyez.
08:53Tout me revient comme ça un peu.
08:55Donc, pour moi, c'était un peu l'aspect transgressif,
08:59Jean Hédernalier.
09:00Il osait transgresser beaucoup de choses.
09:02Ah bah oui, mais moi, je lui dois d'être sur la liste
09:04des écoutes de l'Élysée.
09:05Quand je n'avais rien à dire dans ma chronique du Figaro,
09:07j'appelais Jean Hédernalier,
09:08il avait toujours une invention.
09:09Oui, oui, oui.
09:11Il était très fier d'être sur Écoute.
09:13Ça lui plaisait beaucoup.
09:14Et un matin, il m'appelle à 7h30,
09:16tu m'as vu chez Pivot, justement, hier.
09:18Oui, c'était bien.
09:19Non, non, j'étais très mauvais, je prépare un coup.
09:21Et il a préparé ce fameux enlèvement
09:23qui était totalement bidon.
09:24Tout à fait.
09:25Vous avez suivi cet enlèvement ?
09:27Un petit peu, comme ça, oui.
09:29Moi, je suivais d'une façon un peu lointaine.
09:32Quand ça me paraissait trop foutraque,
09:35je décrochais, j'avoue.
09:36Voilà, c'était assez fou.
09:37Et c'était loin de votre univers de départ.
09:39Oui, complètement.
09:40Parce que dans votre famille,
09:41je crois que votre père était inquiet
09:42de votre succès au départ, Isabelle Barrière.
09:45Peut-être, oui, il était peut-être inquiet.
09:49J'avais des parents qui étaient
09:51d'une bienveillance extrême.
09:53Quand je leur avais dit,
09:54quand j'étais très jeune,
09:55que je voulais être écrivain,
09:56ils ne m'ont pas du tout découragée.
09:57Ils m'ont dit, ça ne va pas être facile.
09:59Mais pourquoi pas ?
10:00Ce n'était pas leur univers, au départ ?
10:01Non, pas du tout.
10:02Ce n'était pas du tout leur univers.
10:03On lisait quand même dans la famille.
10:06Mais aussi petite, je me souviens toujours
10:10d'avoir eu qu'un rêve,
10:11c'était être écrivain.
10:13Et d'ailleurs, mes premiers textes,
10:16j'écrivais des poèmes à la Vierge Marie,
10:19qu'on lisait à la messe.
10:22J'ai eu mon premier auditoire.
10:26Non, je n'imaginais rien d'autre.
10:28J'ai même aussi,
10:29quand j'étais encore plus petite,
10:30je ne sais pas, 10 ans,
10:32j'écrivais des romans policiers
10:34sur des cahiers.
10:35Ensuite, je faisais des livres avec les cahiers.
10:37Je les cousais, je faisais des couvertures.
10:39Voilà, donc aujourd'hui,
10:41je ne peux être qu'heureuse
10:42parce que je vis ma vocation.
10:44Et votre mère était fière de vous aussi ?
10:46Oui, oui, ma mère était fière de moi.
10:50Après, c'était plutôt l'entourage de mes parents
10:52qui étaient un peu jaloux.
10:58Ils étaient très...
11:00Parce que ce n'était pas évident non plus.
11:02D'ailleurs, au tout début,
11:03je me disais, est-ce que je vais faire un pseudo ?
11:05Est-ce que je vais prendre un pseudo ou pas ?
11:07Non, ce n'est pas évident pour des parents
11:09de lire le premier livre de leur enfant
11:13dans lequel l'enfant se met à nu quand même.
11:15Oui, ce n'était pas évident.
11:16Enfin, ça a marché et ça a continué.
11:18Et il y a une autre date importante dans votre parcours,
11:21c'est le 7 mars 2012.
11:23A tout de suite sur Sud Radio avec Elisabeth Barillet.
11:26Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
11:29Sud Radio, les clés d'une vie,
11:31mon invité Elisabeth Barillet.
11:33Pour ce livre, les sœurs et autres espèces du vivant
11:35chez Arlès à la rencontre,
11:37on va en parler tout à l'heure
11:38parce qu'on revient à votre parcours.
11:39Donc, il y a eu Pivot,
11:40ce premier livre qui a très bien marché.
11:42Et puis, le 7 mars 2012 est sorti un autre livre
11:45qui s'appelle Une légende russe
11:47et qui est le résultat d'un voyage de 8 semaines
11:49dans l'ouest de la Russie
11:51où votre grand-père est né.
11:53Oui, tout à fait.
11:54Alors, je ne me souvenais plus de la date,
11:56mais le voyage, évidemment, comment ne pas m'en souvenir,
11:59ce n'est pas le premier voyage en Russie.
12:01Donc, pour faire l'histoire très très longue,
12:03plus courte, format radio,
12:05j'ai eu la chance d'avoir un grand-père,
12:09ce qu'on appelait les Russes blancs,
12:11donc qui a quitté Koursk,
12:13sa ville natale en 1919.
12:15Il est arrivé après Sébastopol,
12:18après Constantinople, après la Roumanie.
12:20Il est arrivé en France.
12:21Et autre élément déterminant de ma carrière,
12:25enfin de ma vie d'écrivain,
12:26c'est une vie, ce n'est pas une carrière,
12:28c'est d'avoir eu un grand-père
12:31qui venait d'un autre endroit,
12:32qui venait d'un autre siècle,
12:33qui venait d'une autre histoire
12:35et qui m'en a raconté beaucoup.
12:37Et moi, dans cette maison de banlieue
12:40où j'habitais,
12:41il habitait aussi dans une autre maison à côté,
12:43d'entendre des récits de chasse à loup.
12:47Pour l'imagination, c'était formidable.
12:49Et je me disais parfois,
12:50est-ce qu'il n'est pas un peu mythomane ?
12:52Parce qu'il vivait d'une façon assez simple.
12:55Mais quand il me parlait de son enfance,
12:57c'était quand même assez grandiose,
12:59si je puis dire.
13:00C'était des très grands bourgeois.
13:03Ses parents étaient des propriétaires terriens.
13:05Son grand-père avait été le maire de Koursk.
13:09Donc une vie assez luxueuse,
13:12avec chevaux, avec tout ça.
13:14Et donc je me dis, il est mythomane,
13:15ce n'est pas possible.
13:16Bref, le premier voyage que j'ai fait en Russie,
13:18c'était avec lui.
13:19C'était encore l'Union Soviétique.
13:20C'était dans les années 1970, sous Brezhnev.
13:23Et là, mon grand-père se sentant mourir,
13:25veut revoir des anciens amis qu'il a eus.
13:29Et je l'accompagne.
13:30Et là, c'était formidable aussi pour moi.
13:32Parce que c'était le cercle des...
13:35j'allais dire des potes disparus,
13:37mais c'était le cercle d'une certaine intelligentsia
13:40qui aujourd'hui, évidemment, est décédée.
13:43Bref.
13:44Et puis, en 2010, je décide de...
13:48Alors, mon grand-père était mort depuis pas mal de temps, évidemment.
13:51Je décide de retourner en Russie.
13:53C'est bien après la peste troïka.
13:54C'est bien après...
13:55Alors, j'ai vu les images de la Nouvelle-Russie.
13:58J'ai vu Poutine, les Nouveaux-Riches.
14:00Et je n'ai pas trop envie.
14:02J'ai ce souvenir très romanesque, très romantique
14:05de l'Union soviétique, de Moscou grise.
14:09Vraiment, j'ai connu ça.
14:10Les rendez-vous dans les cabines téléphoniques.
14:13Les écoutes dans la chambre d'hôtel.
14:16On ne pouvait pas...
14:17On a toujours un clic.
14:18Et je me disais, non, il faut que je garde ça.
14:20Puis finalement, je pars.
14:21Et là, en effet, je suis partie huit semaines.
14:24Et j'ai fait à peu près 6000 kilomètres en train.
14:27Bon, je parle le russe, ça aide quand même.
14:29Jusqu'à la maison que mon grand-père avait quittée à Koursk.
14:34J'ai pu voir qu'il n'était pas mythomane.
14:36La maison était devenue le conservatoire de musique de la ville.
14:38Et bon, là, c'était très, très, très émouvant.
14:42Et Koursk, il faut savoir, c'est la plus grande bataille de chars de toute l'histoire.
14:46Tout à fait.
14:47Le 5 juillet 43.
14:48Quand les Allemands attaquent et les Russes vont...
14:50Tout à fait.
14:51Ça a été...
14:52Koursk, c'est la bataille qui a déterminé le sort de la Deuxième Guerre mondiale.
14:57C'est vraiment à partir de Koursk que l'armée allemande,
15:01on sent qu'elle est fragilisée.
15:03Et à Koursk, il y a évidemment un musée, comme dans beaucoup de villes russes,
15:07un musée de la grande guerre patriotique, comme disent les Russes.
15:11Et d'ailleurs, j'étais étonnée que la maison de mes grands-parents existe toujours.
15:15Parce que ça a été bombardé.
15:17C'est une ville qui a été rebombardée avec le conflit en Ukraine.
15:22Bien sûr, parce qu'elle est près de la frontière d'Ukraine.
15:24Tout à fait, elle est très proche.
15:25Et vous avez conservé, je crois, dans vos archives,
15:28une photo prise dans la dacha familiale avant la révolution de 1917.
15:32Oui, c'est la photo de couverture du livre, d'ailleurs.
15:36Oui, c'est Tchékov.
15:38On est complètement...
15:39C'est totalement Tchékov.
15:40Ce qui est très émouvant, c'est que je vois mon grand-père qui tient un fusil.
15:43D'ailleurs, il est très jeune.
15:44Il doit avoir une dizaine d'années avec les roubashkas, les chemises.
15:48Non, non, c'est très beau.
15:50Et je suis très proche de ces gens-là.
15:54Parfois, les gens me disent
15:55« Oui, tu te tiens très droit, tu fais un peu comme ça, un peu madame la baronne. »
15:59Mais je ris parce que c'est...
16:02Mais je pense que c'est un atavisme, si je puis dire.
16:05J'ai été élevé d'une façon un peu...
16:07J'ai été élevé avec beaucoup de...
16:09Une sorte de rigueur de mon grand-père.
16:11D'ailleurs, il y a une scène dans le roman dont on parlera
16:14où le grand-père nous attache.
16:16Enfin, attache ma sœur, en l'occurrence.
16:18Mais ça, c'est totalement autobiographique.
16:20On va en parler tout à l'heure.
16:21Quand on se tenait mal à table, il nous attachait avec une corde.
16:23Je reviens, parce que quand on voit cette photo de la Dacha,
16:27on pense à la Russie du temps d'Etzar.
16:30Et moi, je me souviens d'une photo de Fréhel en 1915
16:33qui se retrouve en Russie, dans des scènes de cabarets humongéantes.
16:38On lui jette un bouquet de fleurs, il y a un immense diamant au milieu.
16:40C'était un autre pays.
16:42Oui, c'est vrai, c'est vrai.
16:44Alors, votre grand-père a vécu modestement.
16:47En France...
16:49Modestement, pas trop modestement.
16:51C'était un français moyen.
16:53Voilà, mais en fait, vous avez le souvenir de l'odeur
16:57qui s'échappait d'une petite cuisine, Elisabeth Barillet.
16:59Ah oui, oui, oui.
17:01Oui, en effet, j'ai fait un livre qui s'appelait « Les rois des blinis ».
17:04Oui, en fait, mon grand-père contenait,
17:08retrouvait son pays à travers la cuisine.
17:10Et donc, c'était un très, très bon cuisinier.
17:13Il avait aussi un jardin potager dans lequel il faisait pousser,
17:16en particulier, l'aneth, c'est « ukrop ».
17:18« Ukrop » en russe, c'est l'aneth.
17:20Et donc, ils en mettent partout, dans tous les plats, tout ça.
17:23Et donc, pour lui, voyager, retourner dans son pays natal,
17:27c'était faire la cuisine.
17:29Et là, c'était des moments absolument dantesques,
17:34parce qu'évidemment, il ne fallait surtout pas toucher aux plats.
17:37Mon grand-père était un personnage, oui.
17:39Alors, ça, c'était un premier voyage.
17:41Il y en a eu d'autres.
17:42Il y a un voyage aussi et un long séjour qui est lié à une chanson.
17:46Dans le port d'Amsterdam,
17:49Il y a des marins qui meurent
17:52Pleins de bières et de drames
17:55Au port miel
17:56C'est une chanson d'extraordinaire parce que, je ne sais pas si vous le savez,
17:58ils les aimaient de bariller.
17:59Jacques Brel se retrouve l'été sur la côte d'Azur,
18:02en fin d'après-midi, au soleil couchant.
18:04Il écrit cette chanson en disant « mais elle ne marchera jamais ».
18:07Il la met en troisième position sur sa rentrée à l'Olympia.
18:10Le public se lève, il l'abisse.
18:12Elle a été enregistrée à l'Olympia et plus jamais enregistrée ensuite.
18:15Ah oui, ça j'ignorais.
18:16C'est extraordinaire.
18:17Et c'est vrai qu'à Amsterdam, ça vous a marqué aussi.
18:22C'est une période de ma vie.
18:25Je suis partie à Amsterdam par amour, si je puis dire.
18:28Ce qui était amusant, c'est dans les années 90,
18:31ce qui était amusant, pour vous dire,
18:33les préjugés des gens et des Parisiens en particulier,
18:38ils me disaient « mais qu'est-ce que tu vas faire à Amsterdam ?
18:40Tu vas vivre en sabot ? »
18:42C'était assez fou.
18:44Il est vrai qu'à l'époque, Amsterdam, c'était encore…
18:47Aujourd'hui, toutes les grandes capitales se ressemblent, j'ai envie de dire.
18:50Il y a des lofts, des lunch bars.
18:54L'époque, c'était quand même très spécifique encore.
18:58Le quartier Rouge existait, il n'avait pas été rénové.
19:01Et là, je trouve un exotisme, un pays merveilleux.
19:06Le pays d'or et de songe.
19:09Songe à la douceur, il évoque évidemment Amsterdam.
19:13Ça a été très fécond aussi pour mon écriture.
19:17Et ça a été fécond pour ma liberté intérieure.
19:21Je sortais d'un environnement parisien,
19:24où il y a ce qu'on appellerait aujourd'hui le dress code.
19:27Un certain code sur la féminité, encore une fois,
19:31il y a une trentaine d'années.
19:34Et puis moi, j'étais certainement pas tout à fait libre.
19:37Je vivais à l'époque avec un monsieur qui était très à cheval sur ce genre de choses.
19:41Et là, soudain, j'arrive à Amsterdam,
19:44et je découvre qu'on peut s'habiller n'importe comment.
19:47Alors moi, je mettais encore du rouge à lèvres en bonne parisienne.
19:50Et je vois que les femmes là-bas sont hyper nature.
19:54Et ça a été très très libérateur pour moi.
19:57Ça a été formidable.
19:58Et vous avez fait deux livres sur Amsterdam,
20:00dont un livre qui s'appelle Amsterdam Maggis.
20:02Vous ne racontez pas l'Amsterdam des touristes ?
20:05Non, non, non.
20:07Puisque j'y ai vécu une quinzaine d'années.
20:09Je partageais mon temps entre Paris et Amsterdam.
20:11Je faisais l'alternance.
20:13Après, j'ai pu connaître pas mal de gens,
20:16parce que mon mari était éditeur, donc il connaissait beaucoup de monde.
20:18J'ai pu, par exemple, faire une soirée chez Xaviera Hollander.
20:22C'était une call girl très très connue dans les années 70,
20:28qui avait fait des livres que les parents cachaient dans leurs armoires,
20:34de peur que leurs enfants le lisent.
20:37C'était Madame, je crois que le titre c'était Madame.
20:40Je l'ai interviewée un jour.
20:42Et donc, on allait chez elle.
20:44Elle faisait des grandes surprises parties.
20:46C'était très très joyeux.
20:47C'était vraiment une très bonne période.
20:49Et en même temps, vous avez écrit un livre
20:51qui est un recueil autour de la littérature Amsterdam.
20:56Ça s'appelait Le Goût d'Amsterdam.
20:58Oui, puisque c'est une ville qui se prête à la poésie, à la littérature.
21:03On ne peut que rêver de vouloir écrire.
21:07Et puis en plus, il y a les cafés, les petits cafés.
21:09Bah, une café, donc c'est des cafés bruns,
21:11parce qu'il y a toute la fumée de nicotine qui noircit les murs.
21:16Et c'est des endroits qui sont comme des cocons.
21:19Et quand on aime écrire au café, c'est assez merveilleux.
21:22Il y a les canots aussi.
21:24Et ce qu'on ne sait pas, c'est qu'il y a 2500 kilomètres de canots.
21:28Et notamment, les coffres de la Banque Nationale des Pays-Bas
21:31se trouvent au fond d'un canal.
21:33Oui, tout à fait.
21:34Il y a des secrets comme ça dans toutes les villes.
21:37Voilà. Et d'autres villes, vous en avez connu beaucoup.
21:39Et on va évoquer ces autres villes à travers encore une autre date plus récente,
21:43le 12 novembre 2020.
21:45A tout de suite sur Sud Radio avec Elisabeth Barillet.
21:48Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
21:51Sud Radio, les clés d'une vie. Mon invité Elisabeth Barillet.
21:54On a évoqué vos débuts à travers ce roman qui vous a permis de débuter
21:59grâce à Bernard Pivot.
22:01On a évoqué Amsterdam, où vous avez vécu.
22:03Et puis, j'ai trouvé une date récente.
22:05C'est le 12 novembre 2020.
22:07Vous êtes l'une des 62 lauréates des grands prix de l'Académie française
22:11pour l'ensemble de votre œuvre.
22:13Vous recevez le prix de la Fondation Henri Galles
22:17pour l'ensemble de votre œuvre.
22:19Ça, c'est un événement.
22:21J'avais reçu quelques années auparavant le prix.
22:24J'avais eu le prix Maurice Genevoix de Garches,
22:26mais j'avais aussi le prix Maurice Genevoix de l'Académie française.
22:29Donc, ça avait été la première fois à l'occasion de ce prix,
22:32Maurice Genevoix de l'Académie française, d'aller sous la coupole,
22:35d'entendre mon éloge, c'est le mot, par Jean-Marie Rouard.
22:40Je me souviens très bien.
22:42Mes parents étaient décédés malheureusement.
22:45Et ça, c'est terrible parce que j'aurais tellement aimé qu'ils fussent là.
22:48J'avais convié une très vieille amie, une de leurs amies d'ailleurs,
22:51pour qu'il y ait quelque chose d'eux, qu'ils soient sous cette coupole.
22:56Voilà, donc là, ça a été pour moi, c'est très, très émouvant.
23:03Alors, le prix Henri Galles, malheureusement,
23:05ça a été décerné pendant le Covid.
23:09Et donc, il n'y a pas eu de cérémonie sous la coupole, il n'y a rien eu.
23:14Donc, comme beaucoup d'auteurs et d'artistes,
23:16j'ai été pas mal privée de l'événement.
23:19Mais que vous dire ?
23:23Oui, c'est une reconnaissance de ses pères, comme on dit.
23:27Et le discours prononcé par le directeur de l'Académique,
23:30Sir Michael Edwards, expliquait justement qu'il regrettait
23:33que les auteurs ne soient pas là.
23:35Oui, c'était comme ça.
23:37Mais être récompensé, quand on est encore très jeune,
23:39et vous l'êtes toujours, par l'ensemble de son œuvre,
23:41c'est quand même étonnant, non ?
23:43Vous ne pensiez pas faire ça en débutant ?
23:46Non, mais moi, je conçois chaque livre comme...
23:50Moi, je pense en termes d'œuvres.
23:53Je ne pense jamais en termes de produits.
23:56Chaque livre, pour moi, est une...
24:00Allez, je vais m'employer une métaphore un peu...
24:02est la perle d'une couronne, ou la perle d'un collier.
24:06Et c'est peut-être lié à mes jeunes années,
24:12Rousseau, Monterland, qui avaient...
24:15Je m'inscris dans cette histoire de la littérature
24:19avec beaucoup de patience, d'obstination, d'abnégation.
24:24Je ne suis pas une sainte,
24:26mais ma forme de sainteté, c'est la littérature.
24:30Quand je veux dire sainteté, c'est qu'il y a une discipline totale.
24:34J'ai vraiment orienté ma vie autour de cela.
24:38Et quel que soit le succès ou le pas-succès d'un livre,
24:42peu importe, je suis portée.
24:45Quand un livre naît en vous, il faut avoir l'idée,
24:49ensuite, ce sont des mois de travail ?
24:51Oui, c'est des années de travail.
24:55Là, j'ai commencé un autre livre que je porte depuis pas mal de temps.
24:59Et là, il y a cette joie, il y a quelque chose qui vous porte.
25:02Soudain, tout s'anime autour d'un projet d'écriture.
25:07Oui, c'est du travail, mais encore une fois,
25:11c'est mon action de grâce.
25:15Tous les matins, quoi qu'il arrive,
25:18même si on n'a pas d'inspiration, je ne crois qu'à l'obstination.
25:23Quand des gens me disent qu'ils aimeraient bien écrire,
25:25je leur dis qu'ils doivent s'asseoir, prendre une feuille ou un cahier,
25:29et commencer.
25:31Brel disait que le génie s'y croit pas, c'est 5% de génie et 15% de travail.
25:36C'est évident, c'est évident.
25:38Et ça veut dire des mois pendant lesquels vous vivez avec votre personnage et vos personnages ?
25:42Ah oui, oui, oui.
25:46Avec mon mari éditeur, justement, on en riait,
25:48parce que j'invitais presque les personnages à la table.
25:51Je lui disais, tiens, aujourd'hui, Hugo, il m'a donné du fil à retordre.
25:55Mais ça, je pense que c'est propre à tous les romanciers.
25:58Oui, à tous les vrais romanciers.
26:00Alors, le prix Maurice Genevoix, justement, qui vous avait été décerné.
26:03Le prix Maurice Genevoix, qui est d'ailleurs au Panthéon,
26:06juste en face de Josephine Becker, dans la crypte numéro 13.
26:10C'est assez étonnant, c'est comme ça.
26:12Ce prix Maurice Genevoix, ça vous avait été accordé pour un livre
26:15qui s'appelait L'oreille d'or, et qui avait surcrit aussi beaucoup de gens,
26:18Elisabeth Barillé.
26:20Oui, c'est un récit.
26:22Alors là, c'est le livre, peut-être, que j'ai écrit le plus rapidement,
26:25puisque c'était le plus proche de moi.
26:27Ça traite de la sourdité.
26:29Je suis sourde à 100% d'une oreille,
26:31version que personne ne peut le voir.
26:33J'ai été atteinte de cette sourdité à cause d'une maladie infantile.
26:37Donc, j'avais 6 ans.
26:40Et j'ai toujours considéré que cette sourdité,
26:43qui est réelle, si je mets le doigt là,
26:46sur l'oreille que j'entends, j'entends rien,
26:48était une chance.
26:50Les anglais parlent de blessing in disguise,
26:52une bénédiction cachée.
26:54Et c'est vraiment ça.
26:56Ça m'a forgé mon caractère.
26:58Ça m'a rendu peut-être un petit peu sauvage.
27:00Mais en même temps, ça m'a peut-être aidée
27:02à être plus proche de mon intériorité.
27:04Et ça, c'est formidable.
27:06Donc, j'ai voulu faire ce livre.
27:08Alors, évidemment, c'est pas un handicap aussi lourd
27:10que la tétraplégie.
27:12Mais néanmoins, pour montrer,
27:15quand on est différent,
27:17quand on a quelque chose en moins,
27:19avoir quelque chose en moins, c'est aussi quelque chose en plus.
27:21Mais il faut encore l'avouer,
27:23parce que personne ne le savait au départ, avec vos premiers livres.
27:26Peut-être que je suis une de ces écrivains,
27:30comme Rousseau,
27:32de l'écriture de l'aveu.
27:34Vous savez, c'est peut-être
27:36un des terreaux les plus riches,
27:38en tout cas de la littérature française,
27:40de l'aveu.
27:42Moi, je me sens assez proche
27:44de cette littérature-là.
27:46Vous avez pu aussi vous isoler
27:48et ne pas être dans certains groupes à l'école.
27:50Ça vous a aidé ?
27:52Oui, aujourd'hui encore.
27:54Je ne fais partie d'aucun groupe.
27:58J'ai eu une très belle chronique
28:00de Frédéric Beigbeder dans le Figaro Magazine
28:02il y a quelques semaines.
28:04Il disait qu'on pourrait l'appeler
28:06la discrète, comme le film de Christian Vincent.
28:08Et ça m'a touchée, parce que oui,
28:10je tiens, pour être heureux,
28:12vivons cachés. Je tiens à cela.
28:14Aujourd'hui, on vous dévole un petit peu.
28:16Oui, mais assez peu.
28:18Je n'ai aucun réseau social.
28:20D'ailleurs, oui, quand j'ai appris
28:22que ça serait une heure en travers
28:24quatre questions sur ma vie,
28:26après, il y a votre bienveillance
28:28qui est là et qui fait qu'on passe un très bon moment.
28:30Mais c'est vrai que ce n'est pas naturel pour moi.
28:32J'imagine. Vous avez dit un jour,
28:34Elisabeth Barillet, que la surdité
28:36vous a condamné à l'aventure de la profondeur.
28:38Oui.
28:40C'est peut-être une phrase un peu
28:42prétentieuse, j'avoue.
28:44C'est une phrase un peu prétentieuse,
28:46parce qu'on peut être
28:48profond sans être obligatoirement
28:50sourd.
28:52Parfois, je commets
28:54quelques formules, comme ça,
28:56qui sont peut-être un peu
28:58redondantes.
29:04Ça pourrait être plus subtil.
29:06C'est une belle formule, en tout cas.
29:08L'oreille d'or, c'est le titre de votre livre,
29:10mais c'est aussi dans le jargon militaire,
29:12celui qu'on surnomme, c'est l'officier marinier
29:14qui est chargé d'écouter, de reconnaître
29:16les bruits de cachalots, notamment
29:18dans un sous-marin.
29:20C'est tout à fait ça.
29:22D'ailleurs, l'expression est la même en russe.
29:24En russe,
29:26ça veut dire aussi écouter
29:28dans les sous-marins.
29:30Ça m'a vraiment plu.
29:32Je n'ai appris qu'après avoir fait le livre.
29:34C'est aussi le terme désigné
29:36par les personnes qui contrôlent les infrastructures
29:38du métro à Paris.
29:40Ça me va très bien.
29:42Il y a eu ce livre-là.
29:44Ce qui me fascine, c'est que chacun de vos livres,
29:46il a eu un prix, aussi modeste soit-il.
29:48Oui, il faut croire
29:50que les livres sont singuliers.
29:54Ça vous touche à chaque fois d'avoir un prix ?
29:56Bien sûr, ça touche.
29:58Encore une fois, j'essaie à chaque fois
30:00de me surprendre.
30:04La mort d'un écrivain
30:06et de tout artiste, c'est de se répéter.
30:08En tout cas, de se copier.
30:12J'ai un exemple en tête, par exemple,
30:14qui est un peu banal,
30:16c'est Botero qui fait
30:18des grosses dames à un moment.
30:20Ça répète, ça répète.
30:22C'est quelque chose
30:24dont j'essaie
30:26de me prémunir.
30:28À chaque fois, à chaque nouveau livre,
30:30j'essaie d'inventer une forme.
30:34C'est peut-être pour ça que les livres
30:36sont remarqués.
30:38C'est à cause de ça.
30:40Ça ne veut pas dire qu'ils font des grosses ventes
30:42parce que c'est des livres qui sont écrits.
30:44On m'a déjà dit, tu as un vocabulaire.
30:46Tu es très littéraire.
30:48Oui, c'est vrai.
30:50Je soigne mon écriture.
30:52C'est tout à votre honneur aujourd'hui.
30:54Et sans faute d'orthographe,
30:56je le précise.
30:58Vous avez fait des études, mais il y a eu des études
31:00aussi très particulières, en dehors de NormalSup.
31:02Ce sont les études de journalisme
31:04qui vous ont mené à adhérer au journalisme.
31:06Oui. Comme je voulais
31:08de toute façon écrire et être écrivain,
31:10je me disais, être écrivain comme ça,
31:12pour gagner ma vie, ce n'est pas évident.
31:14Et puis je voyais autant Colette
31:16que Mingouet, tous avaient quand même fait
31:18du journalisme.
31:20J'ai fait des études.
31:22J'étais à l'Institut Pratique de Journalisme
31:24à Paris, c'était rue de Turène.
31:26J'ai passé deux ou trois merveilleuses années.
31:28C'était vraiment très stimulant.
31:32Je pense que ça m'a permis,
31:34ça m'a guéri d'une sorte de timidité.
31:36On avait des exercices.
31:38Il fallait dans la rue interviewer des gens.
31:40Et ça me sert
31:42aujourd'hui de porter,
31:44d'écouter
31:46les autres, comme vous faites
31:48vous tous les jours.
31:50Le journalisme m'a beaucoup ouvert.
31:52Et en même temps,
31:54le journalisme vous a permis d'écrire des journaux de voyage.
31:56Et il y a un voyage dans un pays
31:58et dans une ville que les Beatles
32:00ont rendu célèbres.
32:08C'est vrai que cette ville,
32:10c'est une ville qui vous a marqué.
32:12C'est Rishikesh.
32:14Rishikesh.
32:16Où les Beatles sont allés pour faire
32:18une sorte de recueillement
32:20avec un yogi.
32:22Ça s'est mal terminé parce qu'ils ont traité le yogi d'escroc.
32:24Mais vous connaissez bien cette ville.
32:26Oui, c'est une bourgade
32:28au bord du Gange.
32:30Aujourd'hui, on l'appelle la capitale
32:32du yoga parce qu'en effet,
32:34il y a eu quelques grands maîtres du yoga
32:36qui sont installés. Maintenant, il y en a énormément.
32:38C'est une des villes
32:40nombreuses d'Inde
32:42que je parcours depuis
32:4430 ans. Pour moi, c'est un chaudron.
32:46Je suis tombée dans le chaudron indien.
32:48D'ailleurs, je sors un livre
32:50dans quelques mois, en avril
32:522025.
32:54Et si je commençais par une absurdité,
32:56l'Inde est mon maître.
32:58Et c'est mon maître parce que
33:00quand on est un peu timoré,
33:02quand on va en Inde,
33:04on est guéri de tout.
33:06En tout cas, on affronte ses peurs,
33:08on affronte un tas de choses.
33:10Et pourquoi cet amour de l'Inde ?
33:12Est-ce qu'on dirait que l'amour est sans pourquoi ?
33:14Oui.
33:16C'est la réponse que je vais vous faire.
33:18Sait-on pourquoi on aime ?
33:20Sait-on pourquoi on aime cet homme ou cette femme ?
33:22Non, je suis tombée.
33:28Je pense qu'en effet, cette accumulation
33:30de contradictions,
33:32de paradoxes,
33:34d'oxymores,
33:36de peurs à dompter,
33:38de vies folles...
33:40Je pense que ça m'a parlé.
33:42Je suis quelqu'un d'assez raisonnable
33:44au profondément
33:46et j'ai toujours essayé dans ma vie
33:48de transgresser ces limites de raisonnable.
33:50Donc l'Inde m'y aidait.
33:52Vous avez fait un roman qui s'appelle « Singe ».
33:54Et « Singe », en fait, ce sont nos pensées
33:56chez les hindous, je crois.
33:58Les hindous disent
34:00que nos pensées sont
34:02comme les singes.
34:04Nous ne cessons de sauter dans notre tête
34:06et la méditation a pour but
34:08justement de calmer les singes
34:10et de les faire en sorte qu'ils se mettent sur une branche
34:12et qu'ils se calment un peu.
34:14Ça vous a permis de beaucoup méditer en Inde ?
34:16Pas simplement en Inde.
34:18Je médite tous les matins,
34:20encore ce matin,
34:22sur mon petit tapis.
34:24Oui, c'est une discipline.
34:26C'est comme l'écriture.
34:28De ma part.
34:30Et qui fait la femme que je suis.
34:32C'est-à-dire une femme bien dans ses bottes.
34:34Et vous auriez pu rester en Inde ?
34:36Vivre en Inde, Elisabeth Barillé ?
34:38Non.
34:40C'est ce que Dalida a fait aussi.
34:42Elle est partie pour suivre son maître
34:44qui était Arnaud Desjardins.
34:46Que j'ai connu un peu.
34:48J'ai lu ses livres.
34:50Je l'ai même écrit.
34:52On n'a pas la place pour dire pourquoi.
34:54Ma mère est morte quand j'étais en Inde.
34:56Et je lisais un livre d'Arnaud Desjardins
34:58quand j'ai appris qu'elle venait de mourir.
35:00Donc tout ça, c'était assez troublant.
35:02Mais en effet, Dalida était très proche
35:04d'Arnaud Desjardins.
35:06Elle l'avait vue dans une émission de télévision.
35:08Ça avait été le choc.
35:10Elle est partie en Inde.
35:12Mais le yogi qu'elle a rencontré
35:14lui a fait écouter des cassettes.
35:16Il lui a dit de revenir en France
35:18et de continuer à chanter.
35:20Je crois que ça a rendu service à Dalida
35:22plus fort qu'elle d'ailleurs à l'époque.
35:24Vous savez, aujourd'hui,
35:26quand vous dites que vous méditez
35:28chaque matin, vous pouvez
35:30vous récolter aussi des sourires entendus.
35:32En tout cas, nous n'allons pas méditer.
35:34Nous allons évoquer dans quelques instants
35:36votre nouveau livre à travers la date de sortie
35:38le 29 août 2024.
35:40A tout de suite sur Sud Radio avec Elisabeth Barillé.
35:52C'est un mot qui a été salué par l'Académie française.
35:54On a évoqué vos débuts,
35:56vos parcours en Inde et Amsterdam.
35:58Et là, le 29 août 2024,
36:00est sorti un livre
36:02aux éditions Arlès à la rencontre
36:04Les sœurs et autres espèces vivants.
36:06C'est déjà un titre étonnant
36:08puisqu'on va beaucoup plus loin qu'un roman.
36:12Oui, le titre,
36:14c'est mon éditrice qui l'a trouvé.
36:16À chaque fois,
36:18je lui rends grâce
36:20parce que c'est très difficile
36:22de trouver un titre de roman.
36:24Et là, ce qui est formidable,
36:26c'est que le titre allie les deux aspects du livre.
36:28C'est-à-dire une réflexion
36:30sur qu'est-ce que c'est
36:32avoir une sœur.
36:34En l'occurrence, ça peut être un frère,
36:36mais là, c'est une sœur.
36:38Comment se fait-il que, quand on est dans une même famille,
36:40on a eu la même éducation,
36:42on peut, en grandissant,
36:44prendre des chemins tellement différents
36:46qu'on en devient des étrangers.
36:48Autre espèce du vivant,
36:50il se trouve que dans le film narratif,
36:52la narratrice
36:54est une écrivain,
36:56suivez mon regard,
36:58qui s'intéresse à une peintre naturaliste
37:00du XVIIIe siècle
37:02dont l'ambition était de peindre
37:04toutes les espèces du vivant.
37:06Le titre éclaire
37:08les deux aspects du roman.
37:10Il se trouve que
37:12ce sont deux dessins croisés,
37:14puisqu'il y a votre sœur, Lucie,
37:16qui existe,
37:18et en même temps,
37:20vous vous interrogez parce qu'elle est
37:22votre antithèse,
37:24votre personnage.
37:26C'est ce que je vous ai dit,
37:28c'est tout le propos
37:30du livre.
37:32Moi, j'aime bien,
37:34vous savez, il y a des romanciers
37:36qui proposent des réponses.
37:38Moi, je crée
37:40mes romans, je bâtis mon oeuvre
37:42peut-être autour de questions.
37:44Et cette question,
37:46c'était ça, comment se fait-il que
37:48ma sœur,
37:50puisque c'est en grande partie
37:52autobiographique, mais évidemment,
37:54après il y a tout un enrobage,
37:56un habillage romanesque,
37:58il ne s'agit pas pour moi de...
38:00Je ne suis pas un vampire,
38:02je ne vais pas utiliser mes proches
38:04de telle sorte qu'ils vont se reconnaître,
38:06être blessés. Pour moi, il y a des limites.
38:08Donc, j'ai
38:10pris
38:12de l'histoire de ma sœur ce qu'il me
38:14semblait possible de prendre pour
38:16un roman. Évidemment, il y a des choses
38:18que je ne dis pas.
38:20Mais en même temps, cette histoire
38:22entre deux sœurs, c'est un sujet
38:24universel, qu'on ne traite jamais en roman,
38:26Elisabeth Barillet. Tout à fait.
38:28C'est amusant, parce que d'ailleurs, je pense que
38:30le roman est très remarqué.
38:32J'en suis ravie, mais au-delà
38:34de là, je pense que c'est le thème
38:36qui fait que le roman est remarqué.
38:38Parce qu'en effet, c'est pas...
38:40Mais c'est assez peu abordé
38:42d'une façon romanesque.
38:44Mais là,
38:46encore une fois, je ne me suis pas dit
38:48un matin, tiens, je vais traiter,
38:50qu'est-ce que je vais faire comme roman.
38:52Ah bah tiens, ça, ça n'a pas été traité,
38:54je vais faire sur les sœurs. Non, c'est la vie qui a fait
38:56que j'ai été amenée à...
38:58Voilà.
39:00Un matin, l'idée est venue.
39:02Non, non, non. Un matin,
39:04parlons vrai,
39:06comme sur SIDRADIO.
39:08Non, je travaillais sur cette
39:10artiste
39:12du 18ème siècle,
39:14Françoise Madeleine Basseport,
39:16quand ma sœur, dans la vie réelle,
39:18m'annonce qu'elle
39:20vend son petit studio
39:22et qu'elle part à Dubaï.
39:24Sans rien, avec une valise.
39:26Et là, c'était tellement énorme,
39:28tellement incroyable,
39:30que ça m'a secouée beaucoup.
39:32Après, il y a tout un arrière-fond,
39:34évidemment, que je ne dévoile pas.
39:36Et ça m'a tellement secouée
39:38que je ne peux plus écrire.
39:40Et soudain, j'avais le sentiment que ma vie de romancière
39:42était une vie tellement
39:44banale, tellement
39:46morne, tellement sage,
39:48et que ma sœur,
39:50qui a 60 ans,
39:52qui n'est pas de première jeunesse,
39:54rebattait les cartes de sa vie
39:56d'une façon absolument
39:58audacieuse, et que la véritable aventurière,
40:00ce n'est pas l'écrivain dont vous avez parlé,
40:02qui part en Inde,
40:04la véritable aventurière,
40:06c'est cette Lucie.
40:08Après, tout l'enjeu
40:10du roman et du livre,
40:12et du travail romanesque,
40:14ça a été de faire se croiser,
40:16de construire, dans un même espace
40:18qui est l'espace du livre,
40:20deux histoires totalement différentes.
40:22On commence par Lucie,
40:24parce qu'elle va à Dubaï,
40:26et Dubaï, pour vous, c'est la capitale de la vulgarité.
40:28Je ne pense pas être la seule.
40:30C'est un préjugé,
40:32c'est un préjugé
40:34de bourgeois, je pense.
40:36C'est un préjugé de bourgeois éduqués,
40:38qui détestent
40:40tout ce qui brille, les paillettes,
40:42la vie facile, l'argent facile.
40:44J'en ai bien conscience.
40:46Nous ne réfléchissons
40:48que dans l'orbe
40:50de nos préjugés.
40:52En tout cas, oui, pour moi,
40:54il faudrait me payer, et encore,
40:56ça ne m'intéresse pas.
40:58Peut-être en tant que journaliste,
41:00quelques jours,
41:02alors que pour elle, c'était
41:04la promesse d'une vraie vie.
41:06Et la preuve,
41:08elle vous envoie des photos sur Whatsapp
41:10qui ne manquent pas de vous surprendre.
41:12Oui, oui, mais ça, ça, ça...
41:14Oui, oui, bien sûr.
41:16C'est des photos
41:18de ma sœur
41:20triomphante,
41:22si je puis dire, triomphante dans son aventure.
41:26Tout ça, ça a beaucoup nourri,
41:28ça a nourri le roman.
41:32C'est vrai qu'il y a une photo, je crois,
41:34dans une piscine à débordement,
41:36c'est assez étonnant.
41:38Oui, c'est Dubaï.
41:40Après, je ne suis pas allée à Dubaï,
41:42je préférais rester, justement,
41:44que l'héroïne ne décrive Dubaï
41:46que par rapport aux images
41:48et aux préjugés qu'elle s'en faisait.
41:50Ça me paraissait plus intéressant.
41:52Je me souviens d'être allée à Dubaï
41:54quelques jours, et ce qui m'a marquée
41:56en France, à l'intérieur, il y avait
41:58une piste de ski
42:00pour les gens
42:02qui vivaient là-bas.
42:04On voyait des femmes en turban et voilé
42:06faire du ski sur des remontes-pentes
42:08minuscules.
42:10Oui, et ça, je pense que
42:12ça plaisait beaucoup
42:14à mon aventurière
42:16de sœur.
42:17Il se trouve aussi que ce livre, c'est l'occasion pour vous
42:19d'évoquer les souvenirs de la jeunesse et de revenir,
42:21comme vous le disiez, à votre grand-père.
42:23Oui, dans l'interrogation
42:26de savoir comment se fait-il
42:28qu'on peut devenir
42:30tellement étranger dans ses goûts,
42:32évidemment, tout part de l'enfance.
42:34L'enfance, c'est quand même un humus.
42:36J'ai essayé vraiment de chercher
42:38ce qui s'est passé dans la vie de ma sœur
42:40pour que, soudain,
42:42elle ait tellement besoin
42:44de liberté, de révolte
42:46et de provocation.
42:47Et c'est vrai que, peu à peu,
42:49j'ai réalisé que l'éducation
42:51qu'on avait reçue,
42:53l'éducation qu'elle avait reçue, elle,
42:55parce que moi, j'étais la bonne élève, vous savez,
42:57j'étais celle sur qui il fondait les espoirs,
42:59et elle, malheureusement,
43:01elle était plus jeune,
43:03elle était la cadette,
43:05et c'était un pas le vilain petit canard.
43:07Mais elle se sentait peut-être un peu comme ça.
43:09Oui, elle n'aimait pas la langue de bœuf
43:11et votre grand-père l'obligeait à la manger jusqu'au bout.
43:13Oui, il fallait évidemment finir son assiette,
43:15quoi qu'il arrive.
43:17Donc, lorsqu'elle part,
43:19Elisabeth Barillé, vous êtes en train de travailler
43:21avec Françoise Bassport. Pourquoi ce sujet ?
43:23Pourquoi ce sujet ? Très simplement
43:25parce que je rentrais d'Inde,
43:27je terminais
43:29un livre sur l'Inde,
43:31qui est paru aux éditions
43:33des clés de bourrée sur les pas de Shiva,
43:35donc ça, j'étais en train de terminer.
43:37Le confinement arrive,
43:39et je comprends, je réalise,
43:41que les grands voyages
43:43vont certainement être suspendus pendant pas mal de temps.
43:45J'étais assez pessimiste, et je me disais
43:47si jamais on ne peut plus du tout voyager,
43:49parce que le voyage pour moi,
43:51c'est un moteur.
43:53Que vais-je devenir ?
43:55En gros, c'était un peu ça.
43:57Et tiens, mais à défaut de voyager dans l'espace,
43:59pourquoi ne pas voyager dans le temps ?
44:01Et j'ai commencé cette réflexion,
44:03il se trouve que j'habite pas très loin du Jardin des plantes,
44:05je me suis dit que le Jardin des plantes, c'est un univers en soi,
44:07non seulement parce qu'il y a toutes ces
44:09essences d'arbres
44:11qui ont été trouvées au XVIIIe,
44:13XIXe siècle,
44:15aux quatre coins de la planète,
44:17qui ont vécu.
44:19Donc je commence une biographie de Buffon,
44:21je la lis, et dans cette biographie
44:23de Buffon, je tombe sur ce personnage,
44:25dont on ne sait pas grand-chose.
44:27Alors moi, je ne prétends pas avoir une érudition extraordinaire,
44:29mais enfin, une petite érudition, et je n'avais jamais
44:31entendu parler de cette femme.
44:33Et ce qui m'intéressait, c'est qu'elle couvrait
44:35sa vie, elle est née en 1700, elle est morte en 1780,
44:37sa vie couvrait le XVIIIe siècle.
44:39Vous savez, Talleyrand
44:41qui disait qu'il n'a pas connu le XVIIIe siècle,
44:43n'a jamais connu la douceur de vivre.
44:45Donc ça, ça m'intéressait aussi.
44:47Il y avait plein de pistes, soudain, qui s'ouvraient,
44:49et donc, voilà, je m'étais lancée.
44:51Et c'est au moment où je commence
44:53à travailler que ma sœur part à Dubaï.
44:55Donc si vous voulez, la dichotomie
44:57entre les deux univers,
44:59soudain, a été très romanesque, pour le coup.
45:01Voilà. Et en plus, cette femme,
45:03qui a été proche de Louis XV, et je crois
45:05qu'elle a appris la peinture à ses enfants,
45:07on ne savait rien sur elle. Vous avez dû aller en Bretagne,
45:09retrouver un vieux monsieur qui connaissait le sujet,
45:11et qui vivait de façon très particulière.
45:13Oui, alors là, c'est totalement inventé.
45:15Voilà. Alors ce qui est très amusant,
45:17c'est qu'on me dit, ah, mais alors,
45:19ce chercheur que tu as retrouvé,
45:21c'est très sympathique à lui.
45:23Mais ça, c'est un personnage inventé.
45:25Et ça, c'est toute, j'ai envie de dire, la jouissance
45:27du roman, justement.
45:29C'est ce que disait, vous savez, Ragon,
45:31de mentir vrai. Oui.
45:33C'est totalement ça, c'est le menti-vrai.
45:35On ment, mais on ment tellement d'une façon
45:37assez astucieuse, diabolique, peut-être
45:39que les gens pensent que c'est vrai. Exactement, on y croit.
45:41Alors, en tout cas, ça marche très bien. Il y a des personnages secondaires
45:43aussi, qui sont inventés aussi ?
45:45Oui, oui, toutes, oui, oui. Parce que vous parlez
45:47des liaisons sapphiques de votre
45:49personnage ? Oui, oui, oui, oui, oui,
45:51de l'ami
45:53de mon personnage, de Martine,
45:55qui est une amie de la narratrice.
45:57Oui, tout ça, c'est inventé, mais vous savez,
45:59on invente avec des petits
46:01morceaux de vérité,
46:03et c'est un peu à la Archimboldo,
46:05vous voyez, avec les portraits faits de légumes,
46:07nous, on fait des portraits faits de plusieurs
46:09portraits. D'ailleurs, j'ai vu une critique
46:11où on vous a comparé en disant que vous étiez la nouvelle
46:13Colette, ce qui est un beau compliment. Oui, oui, justement,
46:15c'est Frédéric Péglédé qui me dit, et si, Elisabeth
46:17Barillet était la nouvelle Colette
46:19de nouvelles années folles.
46:21J'étais très
46:23contente, évidemment, parce que
46:25Colette, c'est un très, très grand écrivain.
46:27Et qui a commencé aussi en faisant scandale
46:29au Moulin Rouge, puisqu'elle a fait
46:31un numéro qui s'appelait Rêves d'Egypte, où elle était déguisée,
46:33il y avait une momie et elle.
46:35Il y avait Morni, il y avait sa grande
46:37amie qui était sa maîtresse
46:39à l'époque, Morni.
46:41Et elle, en effet, Morni faisait
46:43l'archéologue, elle était en costume
46:45d'archéologue, puisque Morni faisait partie
46:47de ces lesbiennes qui s'habillaient en
46:49hommes. Et Colette,
46:51alors elle était en colle en chair,
46:53elle n'était pas entièrement nue, mais en tout cas,
46:55elle faisait comme si elle était nue. Le spectacle a duré une soirée,
46:57après le préfet de police a interdit tout ça.
46:59Mais ça a marqué Colette à vie.
47:01Il se trouve aussi, alors ce livre, et je l'ai dit tout à l'heure,
47:03c'est une exobiographie. C'est un
47:05mot qu'on emploie peu, finalement,
47:07Elisabeth Barillet.
47:09Elisabeth Barillet se l'a employé.
47:11Moi je ne l'emploie pas trop non plus, mais oui,
47:13c'est parler de
47:15quelqu'un d'autre pour parler
47:17en creux de
47:19soi-même aussi.
47:21Oui, je suis
47:23pas très à l'aise avec tous les termes
47:25techniques, si je puis dire.
47:27De même, avec les termes d'aujourd'hui, vous êtes
47:29un écrivain et pas une écrivaine.
47:31Ah oui, j'aime beaucoup.
47:33Pour moi, l'écrivain transcende
47:35le sexe, transcende
47:37le genre,
47:39transcende le genre.
47:41Franchement,
47:43Madame Bovary,
47:45c'est la tarte à la crème comme exemple,
47:47celui qui me vient là tout de suite.
47:49Est-ce que c'est écrit par un homme ? Est-ce que c'est écrit
47:51par une femme ? Tout ça, c'est
47:53un petit peu
47:55énervant quand c'est réducteur.
47:57Je ne dis pas qu'évidemment
47:59on écrit à partir de son corps.
48:01Non, j'aime bien
48:03le terme écrivain. Il faut le garder.
48:05Je suis d'accord avec vous.
48:07Est-ce que votre sœur a lu le livre ? Bien sûr qu'elle l'a lu.
48:09Et alors ?
48:11Ça n'a pas été facile.
48:13Mais vous savez,
48:15je pense que personne n'aime
48:17se retrouver dans un livre.
48:19Personne.
48:21Parce qu'on
48:23se voit dans un miroir qui n'est pas
48:25forcément le miroir qu'on aimerait
48:27contempler.
48:29Est-ce que c'était une souffrance pour vous d'écrire ce livre ?
48:31Non, c'est du travail.
48:33Ce n'est pas de la souffrance.
48:35Non, pas du tout. Jamais.
48:37Et vous allez continuer à travailler de cette façon ?
48:39Tout à fait, puisque là, ce matin,
48:41j'étais avec beaucoup
48:43d'enthousiasme et d'excitation en train
48:45d'écrire le prochain.
48:47Ça ne s'arrêtera jamais ? C'est votre vie ?
48:49C'est votre rêve ? Vous l'avez concrétisé ?
48:51Tout à fait. Mais là, j'en ai
48:53conscience, pas tous les jours,
48:55mais très souvent. On a tous
48:57nos passages à vide, évidemment.
48:59Moi, je me dis, attends, n'oublie pas.
49:01N'oublie pas l'enfant que tu étais
49:03à 10 ans. Qu'est-ce que tu veux faire,
49:05ma petite ? Je veux être écrivain.
49:07N'oublie pas cet enfant-là.
49:09Et nous, on ne va pas oublier de conseiller à celles et ceux qui nous écoutent
49:11de lire Les Sœurs et Autres Espèces
49:13de Vivants, La Rencontre chez Arléa,
49:15parce que c'est un livre en plus passionnant
49:17et émouvant. Merci d'avoir écrit.
49:19Merci, j'apprécie.
49:21C'est terminé pour aujourd'hui. On se retrouve bientôt.
49:23Restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.