• le mois dernier
Jacques Pessis reçoit Emma Becker. Ses passions, l’amour, l’érotisme et la littérature. Elle signe des romans d’auto -fiction qui séduisent les lecteurs. Elle publie « Le mal joli », l’histoire d’une passion fusionnelle.

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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-10-10##

Category

Personnes
Transcription
00:00Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:03Sud Radio, les clés d'une vie, celle de mon invité.
00:05La romancière que vous êtes signe des histoires d'amour passionnées
00:09qui passionnent aussi vos lecteurs.
00:11Vous vous demandez souvent pourquoi vous les écrivez.
00:13A moi aujourd'hui de vous interroger sur ce sujet
00:16en évoquant un parcours où tout roule pour vous
00:19grâce à vos autofictions.
00:20Bonjour Emma Becker.
00:21Bonjour.
00:22Alors, vous avez signé un livre,
00:24Le Mal je lis, chez Alba Michel.
00:26On va en reparler tout à l'heure,
00:27mais le principe des clés d'une vie, c'est d'évoquer votre parcours
00:30à travers des dates clés.
00:31Et votre parcours est assez atypique
00:33pour que je vous interroge à travers ces dates.
00:36Alors, la première date vous concerne directement,
00:39mais c'est un moment important de votre vie,
00:41le 26 mars 2010 s'ouvre le Salon du Livre de Paris
00:44pour six jours.
00:45Effectivement, je pense que ce jour-là,
00:47vous êtes allé au Salon du Livre
00:49et vous n'avez pas perdu votre temps.
00:50Exactement, je ne sais pas comment vous avez trouvé ça,
00:52mais c'est effectivement le jour où je me rends
00:55avec un ami très cher au Salon du Livre
00:58et où je fais la connaissance d'Olivier Rubinstein,
01:00qui est à l'époque le directeur général des éditions de Noël,
01:06à qui je réussis à refourguer mon manuscrit,
01:08mon énorme premier roman
01:11qu'il ne voulait pas prendre au début
01:12et qu'il a fini par prendre.
01:14Et c'est comme ça que tout a commencé pour moi dans l'écriture,
01:17enfin dans la publication en tout cas.
01:18En tout cas, le Salon du Livre, c'est une immense machine
01:21qui a commencé en 1981
01:23à l'initiative de Jérôme Lindon et de Claude Gallimard.
01:26Et à l'époque, c'était de défendre la passion française
01:29pour les rencontres et les livres.
01:31Et on a vu ce que ça donnait,
01:32puisque ce salon marche toujours aussi bien.
01:34Alors, à l'époque, quand vous y arrivez,
01:36on entre quand même plus facilement qu'aujourd'hui.
01:38Vous avez pu vous faufiler jusqu'au stand de Noël, Emma Becker.
01:41Je me suis faufilée avec la compagnie de cet ami
01:44qui s'appelle Laurent Binet
01:45et qui publiait à l'époque son premier roman,
01:47HHH, aux éditions Grasset.
01:49Il avait rencontré Olivier Rubinstein
01:51et il lui a parlé de moi de manière suffisamment flatteuse
01:55pour qu'Olivier se laisse convaincre
01:57et me prenne mon manuscrit.
01:58Alors, il y avait beaucoup de monde.
01:59Il y avait Frédéric Mitterrand qui était là cette année-là.
02:02Il était ministre de la Culture
02:04parce qu'il lançait des chèques livres de 7 euros
02:07offerts aux enfants pour inciter les enfants à lire.
02:10C'est une très bonne initiative.
02:11Alors, il y a quand même 1000 maisons d'édition
02:14qui sont représentées au Salon du Livre
02:16et il y a une seule qui vous intéresse,
02:17c'est De Noël, Emma Becker.
02:19Ce n'est pas que c'était De Noël qui m'intéressait,
02:22c'était que je n'avais encore envoyé mon manuscrit nulle part
02:24et donc toutes mains tendues étaient bonnes à prendre,
02:27même les mains qui ne m'étaient pas tendues
02:29puisque j'admets avoir un peu fait du forcing
02:31auprès d'Olivier Rubinstein
02:33et je ne sais toujours pas à quoi je dois cette largesse
02:36d'avoir pris mon manuscrit
02:37mais je crois qu'on s'est compris tout de suite, lui et moi.
02:40Alors, il se trouve aussi que la lecture et l'écriture
02:42ont toujours été votre passion ?
02:44Tout à fait, oui, oui.
02:45J'ai toujours adoré lire et puis inventer des histoires.
02:48C'est le parcours assez classique, je pense, des écrivains.
02:50Depuis l'enfance ?
02:51Depuis l'enfance, oui.
02:53Depuis que je sais former des lettres,
02:55j'ai toujours aimé écrire des histoires sur moi,
02:59dans d'autres personnages.
03:00Alors, vous êtes née, vous avez grandi à Fresnes.
03:03Bon, il n'y a pas que la prison, je crois.
03:05Ah non, il y avait aussi ma maison.
03:06Oui, et Alain Delon qui a grandi à Fresnes
03:08et le groupe Trio, célèbre,
03:10qui a été formé à la MJC de Fresnes.
03:12Ah, vous voyez comme quoi,
03:14on est plusieurs pointures à avoir grandi à Fresnes.
03:16Votre nom, c'est Emma Durand.
03:18Tout à fait.
03:18C'est un nom banal, grâce à Tintin.
03:21Vous êtes franco-allemande ?
03:22Oui, ma grand-mère est allemande
03:25et c'est son nom de jeune fille
03:26dont je me suis servie pour mon pseudonyme.
03:28Elle s'appelle Pannon Becker
03:30et j'ai juste pris le Becker de la fin.
03:31Je trouvais, en tout cas,
03:33ma mère trouvait qu'Emma Becker,
03:34ça sonnait très bien et c'est vrai.
03:35Et c'est vrai que ça sonne bien.
03:37Il y a eu quelques Becker célèbres.
03:38Il y a eu Jacques Becker
03:39et puis il y a eu la dernière descendante du Titanic
03:43qui s'appelle Becker.
03:44C'est la dernière personne vivante
03:46qui a échappé au naufrage du Titanic.
03:48Très bien.
03:48Je ne sais pas quoi faire de cette information.
03:50Non, c'est une information pour votre culture personnelle.
03:52Alors, votre père n'est pas dans l'écriture
03:54mais il est quand même dans l'événementiel.
03:56Tout à fait.
03:56Mon père, quand j'étais petite,
03:58dessinait des stands pour les expositions,
04:01les grands salons comme ceux à la porte de Versailles.
04:04Effectivement.
04:05Et je crois que l'événementiel,
04:07c'est quelque chose qui n'est pas d'hier.
04:09On en parle beaucoup aujourd'hui.
04:10Mais déjà, autant des Égyptiens,
04:12les événements, on les appelait des événementiels.
04:14Ah, je ne savais pas non plus.
04:17Votre mère est psychologue,
04:18ça n'a rien à voir avec l'événementiel.
04:19Tout à fait.
04:20Et vous avez de la famille de médecins.
04:23Oui, mon grand-père maternel
04:25était un chirurgien orthopédiste
04:29auquel je dois beaucoup,
04:30notamment la rencontre de l'homme
04:32qui m'a inspiré mon premier livre,
04:34Monsieur, qui était chirurgien.
04:36Dont on va reparler.
04:37Alors, vos parents se séparent
04:38et ça, c'est une chose qui a marqué votre vie, Emma Becker.
04:42Oui, à tel point que...
04:44J'avais 11 ans quand mes parents ont divorcé.
04:46J'ai cru que tout se passait bien
04:48jusqu'au moment d'avoir 22 ans.
04:51Et là, j'ai ressenti le besoin d'écrire là-dessus.
04:54J'ai toujours aimé passionnément mes parents.
04:58Parfois avec une ardeur
05:01que je peinais à éprouver pour des hommes.
05:03J'ai aimé mes parents comme j'ai pu aimer des amants.
05:06Et j'ai voulu écrire sur eux
05:08parce que je n'arrivais pas à faire sens de cet amour
05:11qui m'empêchait de vivre à une époque.
05:13Oui, et en même temps,
05:14être séparée de ses parents qu'on aime,
05:16ce n'est pas facile à vivre.
05:18Non, mais je crois que mes parents
05:22se sont très bien entendus jusqu'à un certain point
05:25et ensuite, ils se sont complètement perdus de vue.
05:26Et c'est ça que j'ai eu beaucoup de mal à comprendre.
05:29Et je crois que j'ai écrit mon deuxième roman
05:31parce que j'essayais de leur pardonner
05:34et j'essayais d'avancer.
05:36Et aujourd'hui, je pense qu'ils sont fiers
05:37de ce que vous avez fait, non ?
05:39Ben, j'espère.
05:40Je crois qu'ils sont fiers.
05:42Mon père a plus de mal à l'exprimer que ma mère,
05:45mais je sais que dans son silence,
05:48il y a aussi de la fierté.
05:49Alors, il y a aussi vos études.
05:51Vous les faites dans une ville qu'on connaît,
05:53mais dont on ne parle pas forcément
05:55pour les collèges ou les lycées.
05:57Mais à travers une chanson,
05:58vous allez la reconnaître.
05:59Chérie, viens vite, viens à nos gens.
06:03Tu nous invites, c'est le printemps.
06:06C'est vrai que Noa Jean-sur-Marne,
06:07Annie Cordy chante cette ville.
06:09C'est connu pour ses guinguettes.
06:11Oui, alors moi, je l'ai connu
06:12pour son institut Montalembert,
06:15où j'ai fait toute ma scolarité jusqu'au bac
06:18et dont je garde des souvenirs émus.
06:21Mais pourquoi ?
06:22Parce que j'aimais beaucoup,
06:24j'ai toujours souhaité un cadre très rigide
06:26que je n'avais pas du tout chez moi.
06:28Et j'aimais cette idée d'être élevée
06:30dans un établissement catholique
06:32parce que je venais d'une famille
06:33qui n'avait pas beaucoup d'intérêt
06:35pour la religion.
06:36Et moi, j'avais très envie de ce cadre-là
06:38et j'avais très envie de quelque chose de sacré,
06:41d'une idée de communauté.
06:43Et puis, très rapidement,
06:44c'est un établissement dans lequel
06:46j'ai appris aussi une forme de subversion
06:50parce que quand on est dans un établissement catholique,
06:52il est facile de détonner un peu.
06:54Et je suis devenue cette espèce
06:57d'élément provocateur.
06:58Et j'ai beaucoup appris de cet établissement-là.
07:01Oui, je crois que vous avez surpris les élèves
07:04et les professeurs par vos tenues au départ.
07:06Par mes tenues ?
07:07C'est-à-dire que je crois qu'un jour,
07:09un professeur vous a dit
07:10si vous voulez vous habiller comme ça, mademoiselle,
07:12durant aller sur le trottoir d'en face.
07:14Oui, tout à fait.
07:15J'ai une petite idée
07:16d'où vous avez attrapé cette information.
07:18Effectivement, très tôt,
07:20pour les jeunes filles,
07:21on regardait beaucoup
07:22si elles portaient un soutien-gorge.
07:24A postériori,
07:25je trouve ça forcément un petit peu malsain.
07:27Mais c'est vrai qu'à l'époque,
07:28on était souvent interrompus en cours
07:30par le pion qui venait vérifier
07:32que nos seins ne pointaient pas sous nos t-shirts.
07:35Et je crois que cette injonction de ma prof
07:37d'aller travailler sur le trottoir,
07:39si j'ai tellement envie de ne pas mettre de soutien-gorge,
07:40c'est que j'en ai fait quelque chose de bien.
07:43Alors, il y avait aussi une photo d'Yves Saint-Laurent,
07:45je crois.
07:46Oui, tout à fait.
07:48J'avais ce qu'on appelait à l'époque un sky-blog.
07:51Certains doivent s'en souvenir.
07:53Impossible de les supprimer
07:54parce qu'ils sont toujours en ligne,
07:55mais plus personne n'a les identifiants
07:57pour s'y connecter.
07:57Et c'était effectivement un blog
07:59où j'avais partagé des choses qui me plaisaient,
08:02notamment cette photo d'une campagne de Saint-Laurent
08:05où un homme nu s'étendait en noir et blanc.
08:09Tout était visible.
08:10J'étais très troublée par cette photo.
08:12Et le directeur de Montalembert m'avait convoquée
08:16pour me faire la leçon sur le peu de moralité
08:19de ce sky-blog
08:21parce que c'est vrai que j'y indiquais
08:22que j'étais élève au lycée Montalembert
08:24et c'est une photo qui m'a valu d'être renvoyée
08:26trois jours.
08:27Trois jours seulement, oui.
08:28Trois jours seulement, il ne faut pas exagérer.
08:30Non, mais en même temps, cette photo avait fait le tour du monde
08:32et Yves Saint-Laurent, qui est un garçon timide,
08:35l'avait imaginée pour le lancement de son parfum.
08:38Oui, tout à fait.
08:39Moi, je n'y voyais pas de...
08:39Enfin, pour moi, c'était un nu académique, cette photo.
08:42Mais simplement, dans le clair obscur,
08:44on devinait la forme de ce sexe masculin.
08:47J'étais très troublée.
08:49Et c'était Jean-Louis Sieuf, qui est un photographe célèbre,
08:51qui avait réalisé ce cliché.
08:52Alors, il se trouve qu'il y a aussi, à cette époque-là, les rallies.
08:56Et ça, ce n'est pas quelque chose qui vous passionne ?
08:58Non, ce n'est pas quelque chose que je connaissais, non.
09:01Je n'ai jamais fait de rallye.
09:02J'étais fascinée par cette...
09:05Par ces... Je ne sais pas comment décrire ça.
09:08Pour moi, c'était quelque chose de très exotique.
09:11En fait, les rallies, ça consistait à présenter des jeunes gens
09:14et des jeunes filles de bonnes familles pour qu'il y ait des mariages.
09:17Tout à fait, mais je n'étais pas de bonne famille
09:18et je n'avais pas beaucoup d'envie de me marier.
09:21Donc, ça tombe bien.
09:22Donc, voilà, exactement.
09:23Alors, il se trouve, malgré tout ça,
09:25vous êtes une excellente élève à l'école, Emma Bickert.
09:28Je fais partie des élèves qui arrivaient à s'en sortir sans trop bosser.
09:31Mais c'est vrai qu'on m'a rappelé toute ma scolarité
09:33que si seulement je voulais fournir un petit effort,
09:35j'aurais pu être une des meilleures élèves de ma classe.
09:38Mais j'avais mes passions.
09:39Et mes passions, c'était les langues et c'était le français.
09:42Et je détestais tout ce qui sortait de ce cadre.
09:45En même temps, il y a eu à l'Institut Montalemberg, il y a quelques années,
09:48un cours spécial d'allemand à partir de la 5e et la 6e,
09:52ce qui n'était pas le cas avant.
09:53Je ne sais pas si vous le savez.
09:54Non, il y avait des classes européennes, effectivement,
09:56où on pouvait commencer à apprendre une deuxième langue
09:59plus tôt que les autres.
10:00Mais pour ça, il fallait avoir un niveau que je n'avais pas.
10:02Vous avez quand même eu le bac avec une mention, non ?
10:04J'ai eu une mention, bien.
10:06Je ne comprends toujours pas à quoi je la dois,
10:07mais j'étais très contente.
10:09Et ensuite, des études de lettres ?
10:10Ensuite, des études de lettres.
10:11J'ai commencé une hippocagne, effectivement, au lycée Lamartine.
10:15Mais on faisait de la littérature quelque chose de tellement clinique
10:19et de tellement scientifique que j'ai très vite été dégoûtée.
10:21Et puis, j'avais d'autres centres d'intérêt.
10:24Les hommes m'intéressaient plus que les études.
10:26Voilà. Et puis, votre première publication,
10:28c'est dans une revue qui s'appelait Stupre, je crois.
10:30Tout à fait. C'était une revue qui était montée par un ami à moi
10:32et ça a été l'occasion de publier mon premier texte érotique.
10:35Et c'était la première fois que je voyais mon nom imprimé dans des pages
10:38et j'en avais été très impressionnée.
10:40Et cette revue, elle existe toujours ?
10:43Non, elle n'existe plus, je pense, par manque de fonds, d'investissement.
10:47Mais ça reste pour moi, voilà, ma première,
10:49ma toute première publication sous le nom d'Emma Baker.
10:52Mais en même temps, votre ami l'avait acceptée.
10:54Comment a été né ce projet ?
10:56C'était un libraire à l'époque qui était très intéressé
11:00par la littérature érotique et la BD.
11:02Il avait décidé de monter une revue qui se dédierait,
11:05qui était dédiée à ce genre de littérature.
11:07Et il avait publié, je crois, Wendy Delorme,
11:10enfin d'autres autrices et auteurs
11:13qui, après, ont un peu fait parler d'eux quand même.
11:15Oui, et vous avez aussi fait parler de vous.
11:17Et on va en reparler, justement, avec une date, le 28 mars 2011.
11:20A tout de suite sur Sud Radio avec Emma Baker.
11:26Sur Sud Radio, l'écrit d'une vie, mon invité Emma Baker
11:29pour son livre Le Mal joli chez Albert Michel.
11:31On a commencé à parler de votre parcours un peu sage au début,
11:34mais ça a évolué avec l'écriture et on va en parler.
11:37Alors, il y a une date que j'ai trouvée qui est le 28 mars 2011.
11:41C'est votre première télé avec cette émission.
11:47Ce soir ou jamais de Frédéric Taddeï,
11:50où vous êtes là pour parler, donner votre avis sur la téléréalité.
11:53Oui, alors ça fait partie des plateaux qu'on vous propose
11:56quand vous publiez un premier roman.
11:57Ça n'avait aucun rapport avec la choucroute,
11:59mais je n'avais absolument pas le cœur de refuser une télé.
12:02J'allais où on me proposait d'aller.
12:03Alors, vous êtes en bout de rang.
12:05Il y a tout un rang et vous parlez de cet univers
12:08que vous ne connaissiez pas forcément, la téléréalité.
12:10Non, j'ai grandi à cette époque.
12:12C'est-à-dire que j'avais dix ans quand Love Story est sorti,
12:14mais ça n'a jamais été vraiment ma cam.
12:16Non, vous dites que les intervenants parlent
12:19et puis vous dites que la téléréalité, pour vous,
12:20ce sont des membres de la famille dont on a un peu honte.
12:24Ah non, j'étais déjà bien investie quand même.
12:26J'avais dû essayer de me trouver une parade.
12:28Oui, c'était ça.
12:29Moi, je n'ai jamais vu l'intérêt de la chose,
12:32mais ça fait de moi une vieille boumeuse, j'imagine.
12:34Non, mais vous n'êtes pas la seule.
12:36Il y avait quand même Pierre Belmar et Francis Lalanne
12:38qui donnaient leur avis.
12:39Certes, c'est vrai.
12:41Je m'étais bien entendue avec Francis Lalanne.
12:43Oui, qui était un peu fou, mais sympa.
12:45Oui, très sympa.
12:48Il se trouve qu'entre Belmar et Lalanne,
12:50il faut quand même trouver la place pour parler
12:53parce qu'ils parlent beaucoup.
12:54Ils parlent beaucoup et puis surtout,
12:55ce n'est pas un sujet que j'avais vraiment à coeur
12:58de défendre ou alors de démonter.
13:00Moi, j'étais là parce qu'on m'avait dit d'y aller.
13:02C'est-à-dire quand vous publiez un premier roman,
13:04vous êtes un peu déplacé comme un pion
13:06et vous êtes d'ailleurs très content de l'être.
13:08Ce premier roman qui est sorti chez De Noël,
13:11grâce au directeur que vous avez rencontré au sein du livre,
13:14il s'appelle Monsieur, mais MR.
13:16Oui, ça a été un peu un drame pour nous
13:18parce que le titre Monsieur nous plaisait beaucoup.
13:21Mais Jean-Philippe Toussaint en avait sorti
13:23quelques années auparavant.
13:24Donc, il a fallu qu'on rétropédale
13:25et qu'on trouve une parade qui n'était certes pas la bonne
13:29parce que MR, effectivement, ça ne marche qu'en anglais,
13:31mais M. ça ne marchait pas du tout.
13:33MR, en fait, c'est Mister en anglais.
13:35C'est ça, oui.
13:36Et le mot Monsieur à l'origine qui s'écrivait Monsort,
13:38je ne sais pas si vous le savez,
13:40c'est la contraction de l'adjectif mon et du nom sieur
13:42qui a une abrévation de seigneur.
13:44Et c'est comme ça que le mot Monsieur est né.
13:46Oui, d'ailleurs, ça colle tout à fait avec le livre.
13:49Alors, il se trouve que ce livre,
13:50c'est ce que vous appelez une autofiction.
13:51Et à l'époque, les autofictions ne sont pas si fréquentes,
13:54Emma Baker.
13:55À l'époque, je crois que l'autofiction,
13:56enfin, pour moi, le terme est inconnu.
13:58Quand on parle plus tard d'autofiction,
14:01je pense à Dubrovski, à Philippe Forest,
14:04à des autorités avec lesquelles,
14:06moi, j'avais l'impression de n'avoir rien à faire.
14:09Oui, mais Dubrovski, d'ailleurs, c'est lui
14:10qui est le premier ami dans un livre autofiction en 77.
14:14Il était critique des rares romanciers.
14:17Oui.
14:17Et donc, c'est une histoire vraie.
14:19Vous inspirez d'une histoire vraie.
14:20Effectivement, c'est une rencontre que vous avez eue
14:23grâce à votre oncle médecin.
14:25Grâce à mon grand-père.
14:27C'est vrai que dans le livre, il s'est transformé en oncle.
14:29Mais c'est vrai que c'est un homme que j'avais vu,
14:31en fait, toute mon enfance,
14:32mais sans savoir, évidemment, ce qu'il adviendrait de nous.
14:36Et c'est un homme que j'ai contacté
14:37parce qu'on m'avait dit qu'il s'intéressait beaucoup
14:39à la littérature érotique.
14:40Et c'était le moment où je commençais à lire
14:42Calafert et Bataille.
14:43Et c'est comme ça que mon intérêt pour cet homme avait débuté.
14:47Et comment est né votre amour de la littérature érotique ?
14:51En shippant des livres dans les bibliothèques de mes parents
14:54qui ne lisaient pas beaucoup d'érotisme.
14:56Enfin, qu'est-ce qu'on appelle l'érotisme ?
14:57Moi, ce que j'aimais, c'était trouver des scènes de sexe
14:59comme ça, au hasard,
15:01des livres que je chopais sur leur table de nuit.
15:04Mais j'ai commencé avec de la BD, en fait.
15:06J'ai commencé avec les BD un peu porno de mon oncle.
15:10Et ce que ça déclenchait en moi
15:12m'a tout de suite paru très intéressant.
15:15J'avais envie d'écrire la même chose.
15:17J'avais envie de susciter le même effet
15:18chez les gens qui me lisaient.
15:19Oui, mais en même temps, à l'époque,
15:21il y avait un gros parfum de scandale
15:22qui a un peu disparu.
15:24À l'époque, en 2011, vous voulez dire ?
15:26C'est vrai qu'on en parlait différemment.
15:27Enfin, il y avait Catherine Millet
15:30qui avait sorti son livre pas très longtemps avant, je crois.
15:34Mais c'était toujours le même amalgame.
15:36C'est-à-dire qu'une femme qui écrivait
15:38des choses vaguement érotiques
15:39devenait une autrice érotique.
15:41Ça, ça n'a pas changé.
15:42Non, mais moi, je me souviens des années 70-80, à mes débuts,
15:46il y avait des théâtres dans Paris un peu érotiques.
15:48Il y avait le théâtre des deux boules
15:49où il y avait deux femmes qui faisaient l'amour
15:51sur une sorte de drap au-dessus du public.
15:54Eh bien, les vieux messieurs venaient
15:56avec le Figaro dans la main et un chapeau
15:58et ils rentraient discrètement.
15:59Avec le Figaro à la main.
16:01Je note, je note.
16:02Alors, il se trouve que, donc,
16:04vous rencontrez cet homme
16:05et il y a d'abord des échanges épistolaires.
16:07Mais oui, tout à fait, parce que cet homme,
16:09cet homme au début n'a pas du tout,
16:11n'imagine pas du tout que je puisse en vouloir à autre chose
16:14qu'à ses connaissances.
16:14Donc, on se parle, on se parle beaucoup comme ça par mail.
16:17Et puis, je décide d'initier une rencontre.
16:20Et comme il se trouve que nous parlons beaucoup d'érotisme,
16:24donc beaucoup de nous à travers les littératures érotiques,
16:27je lui donne rendez-vous dans un hôtel.
16:30Et ça a commencé comme ça, avec des mots soigneusement choisis,
16:33car c'est votre marque de fabrique, Emma Becker.
16:36C'est-à-dire, c'est quand même quelque chose,
16:38un dialogue érotique.
16:39Et peut-être qu'il faut écrire soi-même pour s'en rendre compte.
16:42Mais le monde dans lequel ça vous enferme d'échanger
16:45avec un homme, des mails, des lettres, c'est miraculeux.
16:50C'est de l'ordre du pouvoir magique.
16:51Oui, mais en même temps, ces mots, il faut les trouver.
16:53Ce n'est pas simple parce qu'en général, l'érotique,
16:56il y a des mots assez vulgaires.
16:58Oui, mais ces mots vulgaires, ils parlent de nous.
17:00Enfin, c'est les mots qu'on utilise.
17:01Je ne connais pas une seule personne dans la vie courante
17:03qui dit ce pénis à la place de bite.
17:05Exactement, ça serait plutôt rare.
17:08Alors, il se trouve que les critiques sont excellentes
17:10et que du jour au lendemain, on découvre que vous avez créé votre style.
17:14Je le découvre en même temps que tout le monde.
17:17C'est-à-dire, moi, quand je publie ce livre,
17:20je dois avoir 21 ans, 22 ans.
17:22Donc tout de suite, on fait de moi la jeune autrice sulfureuse.
17:26Et j'essaie de coller un peu à ce mot-là.
17:29Mais déjà, le terme de littérature érotique me gênait un peu aux entournures.
17:33Il me semblait que je ne parlais pas d'érotisme,
17:35je parlais d'une histoire d'amour.
17:36Et dans une histoire d'amour, qu'est-ce qu'on fait ?
17:38Je pense qu'on baise, non ?
17:39Enfin, c'est un peu l'intérêt.
17:40Voilà, donc vous le dites dans le livre.
17:43Alors, c'est aussi une description, ce livre, de la traversée du fantasme.
17:47Oui, c'est-à-dire, quand on pense trop à un homme,
17:51c'est-à-dire quand on écrit à un homme, on ne fait que fantasmer sur lui.
17:54Alors forcément, quand on se retrouve face à cet homme,
17:56il y a tout un ajustement à faire.
17:58Et moi, je crois que j'ai tellement, tellement pensé au sexe,
18:01j'ai tellement imaginé ce que ça pouvait être,
18:03j'ai tellement imaginé ce que ce serait de me donner à un homme
18:06qu'imaginer la déception,
18:08quand soudain, je m'aperçois qu'en fait, le sexe, c'est que ça.
18:12Le sexe, ce n'est pas grand-chose, c'est ce qu'on y met,
18:15c'est de quoi, c'est comment on l'enrobe qui est passionnant.
18:18Voilà, en même temps, vous écrivez tout haut
18:21ce que d'autres n'osent pas dire tout bas.
18:22Bah oui, mais parce que moi, je trouve ça tellement précieux
18:25que je n'ai pas envie d'en perdre la trace.
18:27Une scène de sexe, une scène de rencontre,
18:29ce n'est pas tellement les gestes qui comptent,
18:32c'est tout ce qui s'est passé avant et tout ce qui se passera après.
18:34Et moi, je n'ai pas envie d'en perdre la trace,
18:36et je plains un peu les gens qui s'imaginent
18:38qu'il ne faudrait pas en parler,
18:40que ça ne dure qu'un quart d'heure et que c'est fini.
18:41Moi, ça crépite en moi des semaines durant.
18:44Alors, vous dites aussi que ce livre,
18:46c'est le désenchantement d'une Lolita contemporaine.
18:49Alors ça, ce n'est pas moi qui le dis,
18:50parce que certainement, jamais, je n'aurais dit de moi que j'étais Lolita.
18:53J'ai lu ça quelque part.
18:54Oui, bien sûr, mais c'est ce que je vous disais,
18:55c'est-à-dire que c'était très facile de dire,
18:58ah, M. Becker, 20 ans, livre de cul, Lolita.
19:02S'il y a un point de vue qui est intéressant
19:05dans cette comparaison avec Lolita,
19:06c'est que, pour une fois,
19:08c'est la petite gamine naïve qui s'exprime.
19:11En l'occurrence, la gamine, elle n'est pas si naïve que ça.
19:14J'ai quand même un bagage littéraire derrière moi
19:17qui fait que je sais à quoi m'attendre.
19:19Je sais ce qu'est le sexe.
19:20Je sais ce que les hommes ont voulu que ce soit.
19:22Mais le désenchantement, je le porte en moi.
19:25Les hommes ont toujours été mieux dans ma tête qu'en vrai.
19:27Il se trouve aussi que Lolita Nabokov a fait scandale à sa sortie
19:31et qu'aujourd'hui, il est dans toutes les bonnes bibliothèques.
19:34Oui, on essaye de temps en temps de le désinguer.
19:36On essaie de trouver des intentions dans ce que Nabokov a voulu écrire.
19:39Pour moi, ça a toujours été très clair.
19:41En revanche, ce qui est peut-être difficile à admettre,
19:43c'est qu'Humbert Humbert puisse être un personnage tellement intéressant.
19:46C'est-à-dire, ce serait facile d'en faire un monstre.
19:48Mais non, c'est un homme normal.
19:49C'est un homme bourré de contrastes.
19:51Et dans cet amour qu'il a pour Lolita,
19:55il y a toute une fresque sur le regard que les hommes portent sur les femmes.
19:59Et puis, il y a aussi la différence d'âge.
20:01Aujourd'hui, on a eu d'autres exemples avec Céline Dion, René Angélil,
20:05Brigitte Emmanuel Macron.
20:06Mais à l'époque, ce n'est pas si fréquent, Emma Wecker.
20:09Non, et pourtant, je crois que toutes les jeunes filles
20:12ont voulu un homme plus vieux qui leur apprenne ce que c'est vraiment l'amour.
20:16C'est-à-dire, pas ce que c'est dans les livres
20:18et pas la déception que ça peut être en vrai,
20:20mais quelque chose qui soit entre les deux.
20:22Il me semble que c'est tout à fait normal de vouloir chercher quelqu'un
20:25qui vous guide dans cet espèce de jeu de massacre que la sexualité peut être
20:29pour vous apprendre ce que peut être la douceur et la tendresse
20:33et le fait de se retrouver soi-même.
20:35Ce n'est pas facile pour les filles d'entrer dans la sexualité.
20:38Mais là aussi, il y a eu de gros progrès.
20:40Aujourd'hui, les mœurs sont évoluées
20:42et l'écart moyen des couples est entre 20 et 30 ans
20:45et beaucoup plus courant qu'hier.
20:48Et il y a 8% des couples aujourd'hui
20:50qui ont au moins 10 à 15 ans de différence d'âge.
20:53Oui, je ne sais pas s'il faut en tirer une conclusion générale.
20:56La différence d'âge, pour moi, n'a jamais été un truc crucial.
20:59Quand j'étais petite, évidemment, oui, je devais rechercher
21:02une espèce de figure de mentor, une espèce de figure paternelle.
21:05Maintenant, j'aime les hommes qui ont du répondant.
21:08J'aime les hommes qui ont des choses à m'apprendre.
21:09Et je pense que ça, on peut en trouver dans n'importe quelle classe d'âge.
21:14Et il se trouve que ce livre a eu du succès.
21:15Je crois qu'il a été traduit en 14 langues.
21:17Oui, oui. Et c'est intéressant de voir que,
21:20c'est-à-dire qu'il y a 15 ans, on traduisait les livres
21:23beaucoup plus facilement et avec beaucoup moins de problématiques
21:27de qu'est-ce que ça va dire ? Est-ce que ça va faire scandale chez nous ?
21:30La Maison, par exemple, ça a été très, très long
21:32pour trouver une traduction anglaise.
21:33La Maison, on va justement en reparler à travers une autre date,
21:36le 21 août 2019.
21:38A tout de suite sur Sud Radio avec Emma Baecker.
21:40Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
21:43Sud Radio, les clés d'une vie.
21:45Mon invité, Emma Baecker, romancière,
21:47auteure d'un livre, Le Mal joli, chez Albin Michel,
21:50qu'on va évoquer dans quelques instants.
21:51On a évoqué vos débuts, votre premier livre érotique
21:54qui est traduit en 14 langues.
21:56Et puis, le 21 août 2019 est sorti un livre
22:00qui pourrait être lié à cette chanson des années 60.
22:03Rouvrez les maisons, rouvrez les maisons,
22:05rouvrez les maisons, qu'on dérouille !
22:08Rouvrez les maisons, rouvrez les maisons,
22:11rouvrez les maisons, qu'on dérouille !
22:13Jean-Yann, dans les années 60, qui chantait
22:15« Rouvrez les maisons » dans les cabarets.
22:16Je ne pense pas qu'aujourd'hui, ce serait accepté de la même façon.
22:19Non, je pense que les tentatives des hommes
22:22pour parler de prostitution se soldent toujours
22:24par une levée de bouclier.
22:26Voilà, exactement.
22:27Il se trouve que, pourquoi j'ai cité cette chanson,
22:30totalement oubliée aujourd'hui,
22:31mais qui a fait rire beaucoup de gens à l'époque,
22:33c'est que le 21 août 2019 est sorti La Maison,
22:37votre roman, et qui est encore une autofiction,
22:39mais inspirée par une expérience plutôt rarissime.
22:42Oui, c'est-à-dire que j'ai déménagé à Berlin en 2013
22:47et que je venais de publier mon deuxième livre,
22:50« Alice », toujours chez De Noël,
22:51et puis, d'un seul coup, m'est apparu
22:54qu'à Berlin, les bordels étaient légaux,
22:56les bordels et les maisons closes.
22:58Et c'était un moment où je voyais mes fonds
23:01s'amenuiser doucement, gentiment.
23:03Je me disais qu'il serait peut-être temps de trouver un boulot,
23:05histoire de rembourrer un petit peu mon compte en banque.
23:08Et je me suis dit, qu'est-ce que je fais à ce moment-là ?
23:10Je pouvais être serveuse, je pouvais être fleuriste,
23:12il y a plein de choses que je pouvais faire,
23:13mais je pouvais surtout, enfin, aller voir
23:16à quoi ressemblait l'intérieur d'une maison close.
23:18Je n'avais pas mes parents avec moi,
23:19j'habitais avec mes sœurs, c'était la liberté totale.
23:22Et donc, vous êtes allée vous présenter dans une maison close ?
23:25Tout à fait, j'ai commencé par travailler dans une maison close
23:28dans le quartier de Wilmersdorf, qui était très, très chic,
23:30et c'était une maison close absolument abominable,
23:33dont j'ai fini par partir au bout de 15 jours,
23:35le temps d'amasser le loyer qui me faisait défaut.
23:38Ça s'appelait Le Manège, je crois.
23:39Ça s'appelait Le Manège, en vrai, ça s'appelait autrement,
23:41mais c'était le nom que j'avais trouvé.
23:42Et ensuite, je me suis dit, bon,
23:45alors soit tous les bordels sont comme ça,
23:47et ça sert à rien d'écrire un livre là-dessus parce que tout ça, on le sait,
23:50soit il y a des exceptions, il faut que je m'accroche.
23:52Et c'est à ce moment-là que j'ai trouvé cette maison qui s'appelait Camilla
23:55et qui a été une expérience formidable.
24:00Vous arrivez là-bas, on vous engage sans problème ?
24:02Non, en fait, j'ai envoyé un email et j'ai eu un rendez-vous avec une dame
24:06qui travaillait dans cette maison et qui m'a parlé pendant une heure
24:09pour essayer de dresser un profil, le profil d'une femme,
24:12une page internet sur laquelle serait expliqué qui était Justine,
24:16puisque c'était le nom que je m'étais trouvée.
24:18Et j'ai senti de cette dame une telle bienveillance.
24:22Elle m'a fait visiter la maison qui m'a au début un peu déçue,
24:25je trouvais ça un peu de mauvais goût.
24:27Et puis immédiatement, je m'y suis sentie bien.
24:29Mais en même temps, elle savait que c'était pour écrire un livre ou pas du tout ?
24:32Non, c'est-à-dire je ne me privais pas de dire à mes collègues que j'écrivais,
24:35que j'avais déjà sorti deux bouquins,
24:36mais je ne commençais pas à raconter que j'écrivais sur cette expérience-là
24:40parce que je ne voulais pas leur donner l'impression que je les observais,
24:43d'autant que je n'avais pas tellement besoin d'elles puisque je m'observais moi.
24:46Oui, mais en même temps, vous avez dans ce livre expliqué
24:49que finalement, les femmes ont un pouvoir de citoyenne en Allemagne plus qu'en France.
24:54C'est-à-dire que ce n'était pas la prostitution qui m'intéressait,
24:57ça ne s'intéressait pas tellement.
24:58Moi, je voulais savoir comment cette activité complètement décriée en France
25:02était mise en place en Allemagne dans un cadre légal.
25:04Comment est-ce que c'est la prostitution quand ça devient un métier ?
25:07Comment est-ce qu'on le pratique ?
25:10Et c'est pour ça que j'ai choisi de travailler dans une maison close
25:12et non pas comme indépendante parce que toute cette petite économie interne
25:16m'intéressait beaucoup.
25:17Et vous parliez allemand, bien sûr ?
25:18Je ne parlais pas allemand au début,
25:20c'est-à-dire que j'avais fait dix ans d'allemand à l'école,
25:21mais ça, ça ne vous sert à rien quand vous arrivez à Berlin
25:23et que vous vous retrouvez face à des messieurs de 70 ans
25:26qui parlent le berlinois, qui est absolument incompréhensible.
25:29Donc, j'ai tout réappris en travaillant.
25:33Il se trouve qu'en France, il y a un film qui a rendu les maisons close célèbres,
25:36c'était le One to Two avec Nicole Calfant,
25:39qui était adaptée de Fabienne Jamais,
25:41qui était la patronne de cette maison close rue de Provence
25:43qui a eu beaucoup de succès dans les années 50
25:46et qu'on a un peu oublié parce qu'on a toujours parlé de Mme Clos,
25:48donc qui n'avait rien à voir.
25:49Et alors, il se trouve que finalement,
25:52cette expérience était sympathique, mais elle aurait pu être dangereuse.
25:54On ne sait jamais ce qui peut se passer.
25:56Oui, mais vous savez, on ne sait jamais ce qui peut se passer
25:58dans la compagnie des hommes d'une manière générale,
26:01c'est-à-dire que je ne veux pas être de mauvaise foi,
26:03mais enfin, il m'est arrivé des expériences beaucoup plus déplaisantes
26:06avec des hommes qui ne me payaient pas,
26:08dans la rue ou alors chez eux,
26:10que dans ce cadre-là où il y avait quand même
26:12une certaine cellule de protection,
26:15c'est-à-dire nos collègues n'étaient jamais loin,
26:17si quelqu'un poussait un cri, on l'entendait immédiatement.
26:21Je n'ai jamais eu vraiment peur,
26:23sauf dans ce premier bordel que je décris
26:25et dont je me suis barrée immédiatement.
26:27Mais n'importe quel boulot où on est en rapport avec de la clientèle
26:31comporte ses risques, surtout quand on est une femme.
26:33Vous avez travaillé effectivement sur le désir féminin en même temps ?
26:37Oui, évidemment, c'est-à-dire que c'était mon désir à moi
26:41et ma capacité à me donner comme ça,
26:43sans en concevoir de mépris pour moi-même
26:47ou de haine pour les hommes,
26:48ça m'intéressait beaucoup.
26:49Il me semblait que c'était lié à une division
26:51que j'avais opérée très tôt dans ma tête
26:53entre mon esprit et mon corps.
26:55Et je me disais, si je suis capable de baiser comme ça
26:58sans haine ou alors sans en retirer un véritable plaisir,
27:02pourquoi est-ce que je ne serais pas payée pour ça ?
27:04Pour moi, c'était le deal parfait.
27:06Oui, mais peu de gens pensent ça en général.
27:08C'est vu d'un mauvais oeil.
27:10C'est-à-dire que ça m'énervait de voir
27:12que la sexualité féminine était toujours conçue
27:14comme quelque chose de sacré,
27:16qui devait être reliée à des sentiments
27:18uniquement valables dans un cadre conjugal
27:21ou lié à la procréation.
27:24Je trouvais ça très hypocrite
27:25dans le sens où la sexualité pour les jeunes filles,
27:28pour les jeunes femmes,
27:30a toujours été...
27:32C'est l'adversité pure.
27:34On est toujours en train de se demander
27:36qui va gagner à la fin.
27:38Et je me disais,
27:39quitte à donner toute cette énergie,
27:41mon Dieu, autant que je reçoive un salaire pour ça
27:43et que je me pose la question
27:46de comment fonctionne mon désir.
27:48Et il y avait aussi la détresse sexuelle masculine.
27:51Oui, évidemment,
27:52mais ça, la détresse sexuelle masculine,
27:53je n'étais pas très surprise.
27:54Ce qui m'a surprise, c'est la solitude des hommes,
27:57c'est-à-dire le nombre d'hommes qui venaient
27:59non pas tant pour le rapport sexuel
28:01que pour l'heure de discussion qui s'en suivrait.
28:04C'est-à-dire des hommes dont on sentait bien
28:06qu'on était leurs seules interlocutrices
28:08jusqu'au prochain rendez-vous.
28:09Alors, tout ça a fait que vous avez pris des notes chaque jour
28:12et qu'au bout d'un an, vous avez continué,
28:14vous avez fait deux ans.
28:15J'ai même fait, on va dire, trois ans.
28:18C'était très compliqué pour moi d'arrêter.
28:20Et non pas parce qu'il me manquait du matériel pour le bouquin.
28:23Je n'arrivais pas à partir de cet endroit.
28:25J'aimais cet endroit.
28:26J'aimais être Justine dans cet endroit.
28:29J'aimais sortir du boulot.
28:31Et j'aimais la hauteur que je prenais en sortant du boulot
28:34avec les poches pleines de fric,
28:35parce que c'est une différence essentielle.
28:37Et c'est vrai que je n'en ai pas souvent parlé,
28:39mais la hauteur qu'on prend quand on sait
28:41qu'on n'a pas de soucis à se faire,
28:42quand on n'aura pas besoin de compter,
28:44quand on n'a pas besoin de se demander
28:45comment on va payer son loyer.
28:47Et je me sentais une impératrice.
28:50J'avais l'impression de tenir le monde dans mes mains.
28:52Vous avez finalement arrêté quand même.
28:54J'ai arrêté parce que la maison a fermé.
28:55Et encore aujourd'hui, je ne sais pas tellement
28:57je m'y serais prise autrement,
28:58parce que quitter cette maison,
29:00c'était comme me quitter moi.
29:02C'était quitter une partie effervescente de moi-même,
29:04incandescente.
29:06Et c'était quitter toutes ces femmes
29:08pour lesquelles je m'étais prise d'amitié.
29:10Et puis cette patronne qui était extraordinaire,
29:12qui avait inventé cet endroit de ses mains
29:14depuis les années 70, avec ses deniers.
29:17Non, c'était très dur de quitter cet endroit.
29:19Et la maison a fermé par manque de clients ?
29:21Non, pas du tout.
29:23On ouvrait une porte, il y avait des clients qui en sortaient.
29:26Non, c'était pas ça.
29:27C'était qu'à ce moment-là,
29:28des nouvelles lois sont passées à Berlin
29:30pour repousser les bordels du centre-ville en périphérie.
29:32Parce que les lois commençaient à se durcir
29:34et ça ne faisait aucun sens pour nous
29:36de rouvrir ailleurs avec des nouvelles lois.
29:38Il se trouve aussi qu'en France,
29:40on a souvent parlé de la légalisation des maisons closes.
29:42Ça ne se fait toujours pas.
29:44C'est un sujet qui revient sur le tapis régulièrement.
29:46Oui, mais c'est un sujet avec lequel on s'amuse
29:48comme si c'était un vaste débat de philosophie.
29:50Comme s'il n'y avait pas dedans des vies en jeu.
29:52Et des femmes et des hommes, d'ailleurs,
29:55qui essayent de survivre,
29:57qui essayent de vivre un peu mieux qu'avec le boulot
29:59qu'on les laisse exercer dans un cadre
30:01socialement acceptable.
30:03On n'en parle jamais, vraiment.
30:05On s'amuse avec.
30:06Il y a une maison close qu'Édith Piaf a rendue célèbre,
30:08c'était celle de sa grand-mère à Bernay,
30:10où elle a été élevée à 3 ans
30:12quand son père l'a abandonnée.
30:13Et là-bas, il y a eu un client
30:15qui a vécu l'amour pour la première fois.
30:18C'était Gaston Le Nôtre.
30:20Ah, très bien. Je ne savais pas.
30:22Pour votre culture.
30:23Naturellement, vous avez fini par écrire le livre et il est sorti.
30:25Et là, ça a été aussi un événement.
30:27Oui, et c'est-à-dire
30:29quand j'ai commencé à l'écrire, je me disais
30:31ça peut être intéressant pour un public français
30:33parce que moi, j'ai grandi dans ce pays
30:35où on a quand même des figures
30:37littéraires de prostituées
30:40très impressionnantes.
30:41Nana, Boules de Suif,
30:43La Maison Tellier, je pourrais en citer
30:45tant d'autres.
30:46Et je me disais,
30:48parce que ce sont des bouquins écrits par des hommes,
30:50alors qu'est-ce que c'est la vérité ?
30:51Parce que les femmes n'ont jamais
30:53voix au chapitre.
30:54Et je me disais, ce serait intéressant d'aller voir
30:56comment ce boulot est pratiqué
30:58et voir jusqu'à quel point
31:00le fantasme de l'homme sur le bordel
31:02est vrai, où sont les limites
31:04de ce fantasme.
31:05Et en même temps,
31:07ce livre a eu du succès.
31:09On ne vous a pas tellement critiqué.
31:10Encore une fois, les critiques ont été formidables pour vous.
31:12Vous avez même failli avoir des prix.
31:14Oui, j'ai bien failli. Je ne suis pas passée loin.
31:16Non, alors les critiques étaient bonnes
31:18et j'ai été très honorée de la quantité
31:20de presse sur ce livre.
31:22Mais je me suis quand même fait étrier
31:24par un certain nombre de féministes.
31:26Ça n'a pas été simple.
31:27Oui, qui parlaient d'une vision édulcorée
31:29et joyeuse de la prostitution.
31:30Oui, mais c'est marrant d'entendre ces femmes-là
31:32trouver ma vision édulcorée
31:34quand elles-mêmes n'ont jamais foutu les pieds dans un bordel
31:36et n'auraient aucun intérêt à le faire
31:38parce que brusquement, ce fantasme de la pute
31:40qui n'est qu'une victime, qui est manipulée par le patriarcat,
31:42manipulée par elle-même
31:44au point de croire qu'elle choisit librement cette activité,
31:46c'est un fantasme.
31:48Mais en même temps, on a parlé de votre écriture
31:50qui est à la fois humaine, délicate et élégante.
31:53Oui, ça m'a fait très plaisir, je dois dire.
31:55Je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet.
31:57Non, mais c'est vrai que ce n'était pas facile
31:59de faire ça sur un sujet aussi complexe.
32:01Mais je crois que ce n'est pas compliqué
32:03d'écrire tendrement quand on a aimé passionnément quelque chose.
32:06Et ce n'était pas de prostitution que je voulais parler.
32:09Je voulais faire de cette maison un personnage
32:11parce que c'est ce qu'elle a été dans ma vie.
32:13Ça a été le grand amour de mes 25 ans.
32:15Et effectivement, vous avez été sélectionnée
32:17et ça aurait pu vous être passé très près.
32:19Je n'ai pas passé loin, oui.
32:21J'aurais dû mettre un coup de langue sur le prix,
32:23on me l'aurait peut-être donné de force.
32:25Mais ce n'est pas grave, au moins j'étais sur la liste.
32:27Il ne faut pas se leurrer avec ce genre de jeu.
32:29En plus, il y a eu une autre consécration,
32:31c'est que le film a été adapté au cinéma.
32:33J'ai eu une certaine quantité d'idées à la con dans ma vie.
32:36Mais il me semble que celle-ci a toujours été là,
32:38plus ou moins consciente.
32:40La Maison est sortie en 2022.
32:42Anissa Bonnefond, une généralisatrice, je crois,
32:45qui s'est installée à Los Angeles
32:47pour faire des clips sur Céline
32:49et qui a en même temps ouvert une pâtisserie.
32:51Ah, écoutez, comme quoi les films
32:53n'étaient peut-être pas son fortet.
32:55Elle fait les deux en même temps.
32:57Comment s'est né ce film ?
32:59Le film est né plus ou moins sans moi.
33:01C'était un processus assez long, assez complexe
33:03et je n'ai envie d'accabler personne.
33:05Mais moi, je n'ai pas du tout retrouvé mon livre
33:07ou l'ambiance.
33:09J'ai trouvé que c'était un fantasme
33:11de mon fantasme.
33:13Vous avez écrit un livre, vous pourriez parfaitement
33:15l'adapter, vous, au cinéma, faire des dialogues,
33:17des scénarios et aller vers le cinéma.
33:19Oui, mais je ne suis pas homme orchestre,
33:21c'est-à-dire que je n'ai jamais eu la prétention
33:23de tenir une caméra.
33:25Je suis tout à fait contente que quelqu'un
33:27le fasse pour moi, c'est-à-dire
33:29que quelqu'un s'intéresse à mon livre
33:31au point de vouloir le mettre en image.
33:33Je n'ai pas tellement de fierté là-dessus.
33:35En revanche, je trouve que quand on s'empare
33:37d'un sujet comme la prostitution,
33:39qui est tout de même un sujet politique,
33:41de débat de société,
33:43c'était déjà dur pour moi de le défendre
33:45pendant trois ans alors que je savais de quoi je parlais.
33:47L'idée de s'approprier
33:49mon histoire sans avoir
33:51soi-même bossé,
33:53ce n'était pas évident.
33:55Je ne sais pas trop
33:57comment elle s'en est tirée, mais j'avais beaucoup
33:59de peine pour elle.
34:01En même temps, la consécration, je crois,
34:03c'est un prix que vous avez reçu,
34:05décerné par 1100 étudiants français
34:07issus de 24 universités.
34:09C'est un prix France Culture, Télérama.
34:11Oui, qui est un vrai prix de lecteur.
34:13Dans ce cas, c'est sûr qu'on se sent
34:15autrement honoré que
34:17par un prix parisien
34:19dont on sait très bien comment ça se passe.
34:21Donc vous n'avez aucune illusion
34:23de ce côté-là ?
34:24Je n'en ai pas trop, mais vous savez,
34:25quand vous commencez à jouer à ce jeu,
34:27c'est difficile de ne pas vouloir en être.
34:29C'est compliqué de sortir en septembre
34:31et de se dire
34:33que les prix, on s'en fout.
34:35En tout cas, vous vous êtes sortis, et non pas en septembre
34:37mais en août, le 22 août.
34:39Et on va en parler dans quelques instants sur Sud Radio
34:41avec Emma Becker.
34:43Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
34:45Sud Radio, les clés d'une vie.
34:47Mon invité, Emma Becker.
34:49On a parlé de votre parcours
34:51avec vos jeunes années, avec vos premiers
34:53romans érotiques, avec La Maison
34:55où vous avez passé trois ans dans un bordel
34:57à Berlin, et le livre a été un succès.
34:59Et vous revenez aujourd'hui avec
35:01un nouveau livre, Le Mal joli, qui est sorti
35:03le 22 août 2024
35:05chez Albin Michel.
35:07Et là encore, c'est une histoire d'amour,
35:09c'est de l'autofiction.
35:11Oui, et ça n'est encore pas un roman érotique.
35:13Je le précise,
35:15c'est un roman d'amour dans lequel, effectivement,
35:17il y a certaines scènes où font
35:19ce que font généralement les gens amoureux.
35:21Mais vous le racontez
35:23à votre manière, encore une fois, c'est-à-dire
35:25avec élégance, et des mots que vous avez choisis.
35:27C'est pas facile de trouver ces mots ?
35:29Je sais pas.
35:31Moi, ces mots, ils font partie
35:33de mes couleurs. Enfin, ils font partie
35:35des couleurs que j'utilise avec plaisir
35:37et qui me semblent beaucoup moins
35:39délicats à utiliser
35:41que d'autres mots sur
35:43d'autres sujets. Pour moi, c'est un
35:45vrai plaisir d'écrire des scènes de sexe.
35:47Alors, il se trouve que ça s'écrit
35:49Le Mal joli, M-A-L, mais vous auriez pu
35:51l'écrire M-A-L-E. Oui, alors je l'aurais pas fait
35:53parce que vraiment, le mot de mal, je le déteste.
35:55Pourquoi Le Mal joli ?
35:57J'ai appelé ça Le Mal joli
35:59parce que Le Mal joli, c'est
36:01le terme par lequel on désigne
36:03les douleurs de l'accouchement,
36:05du travail. Et je trouvais,
36:07pour avoir connu l'accouchement
36:09par deux fois, qu'il y avait
36:11finalement un peu
36:13la même extrême solitude
36:15dans la douleur, c'est-à-dire
36:17l'impression que c'est peut-être la fin,
36:19c'est peut-être comme ça que tout se termine.
36:21Mais cette douleur-là n'est pas
36:23dépourvue d'intérêt parce que soudainement,
36:25on se retrouve face à soi.
36:27Et il me semble que la passion, c'est un peu la même chose.
36:29Alors, cette histoire, c'est celle d'un coup de foudre
36:31que vous n'imaginez pas
36:33à Paris.
36:35Exactement. J'habite à ce moment-là dans le Var
36:37avec mon mari et mes deux enfants et je retourne
36:39à Paris pour la promotion d'un livre.
36:41Et là, je rencontre
36:43un collègue écrivain
36:45avec qui
36:47nous nous entendons de façon tacite
36:49sur le fait que nous allons nous permettre
36:51un petit pas de côté par rapport à nos conjoints
36:53respectifs. Et très rapidement,
36:55je perds complètement
36:57le contrôle de cette histoire et je m'aperçois
36:59que je suis bel et bien en train de tomber
37:01amoureuse. Comme j'ai un tempérament
37:03amoureux, au début, j'ai tendance à me dire
37:05que cette passion, c'est une
37:07illusion. Je suis en train de tomber amoureuse
37:09de moi-même. Je suis en train
37:11de n'écouter que mon corps
37:13qui a vibré et qui du coup s'imagine que c'est
37:15de l'amour. Et donc, je décris cette histoire
37:17au début comme un empoisonnement.
37:19Après, je m'aperçois que c'est une histoire d'amour
37:21et je change mon fusil d'épaule.
37:23En même temps, au départ, c'était pas forcément
37:25une histoire d'amour. Quand vous vous rencontrez pour la première fois,
37:27rien ne se passe. Non, c'est vrai.
37:29La première fois qu'on se rencontre, c'était une soirée
37:31chez Castel où je
37:33suis censée avoir un prix qu'en réalité
37:35je n'ai pas. Et je suis dans
37:37un état de déprime absolu
37:39et quand je rencontre cet homme-là,
37:41c'est assez étrange pour moi. Je n'ai même pas
37:43la tentation de lui plaire parce que je suis
37:45tellement au 36e
37:47dessous que je me dis
37:49mon Dieu, je pourrais être un paillasson.
37:51C'est exactement la même chose. Mais n'empêche que
37:53mon attaché de presse,
37:55pour me remonter le moral, me raconte une histoire
37:57intrigante sur cet homme-là et
37:59d'un seul coup, ça me remet
38:01du cœur au ventre et je me dis, tiens, ce serait peut-être
38:03intéressant de le rencontrer. Pour le rencontrer,
38:05vous lui envoyez un livre dédicacé ? Ah, bah écoutez,
38:07on ne change pas une méthode qui gagne.
38:09C'est-à-dire
38:11qu'évidemment, envoyer
38:13un livre dédicacé à un homme,
38:15c'est déjà retirer un vêtement
38:17lequel je ne sais pas, mais c'est retirer un vêtement.
38:19Donc il a répondu immédiatement et...
38:21Oui, il a répondu
38:23immédiatement et je pense qu'on s'est
38:25entendus tout de suite sur le fait que c'était
38:27avant tout autre chose
38:29un plaisir d'écrivain que de s'écrire
38:31comme ça inlassablement
38:33en faisant des pirouettes, en faisant des numéros
38:35de claquettes derrière lequel
38:37se cachait la vérité toute nue
38:39qui était quand est-ce qu'on se rencontre et quand est-ce
38:41qu'on se touche. Il se trouve aussi
38:43que cet écrivain, sans donner son nom,
38:45il est venu deux fois dans les clés d'une vie, donc je le connais
38:47bien. C'est un excellent écrivain,
38:49un excellent journaliste et
38:51il se trouve que
38:53c'est un univers tout à fait différent de celui
38:55que vous connaissiez jusque-là.
38:57Oui et au début c'est ça qui m'intrigue
38:59parce que cet homme-là ne vient pas du tout
39:01du même monde que moi, c'est quelqu'un
39:03qui est présent depuis un certain temps déjà
39:05dans ce petit bouillon de
39:07Saint-Germain-des-Prés et au début moi j'ai l'impression
39:09de visiter un pays
39:11que je n'ai jamais connu et je crois que lui aussi
39:13parce que je me doute bien de ce que
39:15je représente.
39:17Quand on sait les livres que j'écris et la vie
39:19que j'ai pu mener, on était pour tous les deux
39:21une sorte d'exotisme
39:23et quand on a commencé à tomber amoureux, pour moi
39:25c'est devenu presque un drame parce que
39:27je me disais, ça nous amuse
39:29maintenant mais si on voulait en faire une vraie
39:31histoire d'amour, mais tout nous en empêcherait.
39:33En même temps, ces histoires d'amour
39:35que vous racontez et que vous vivez,
39:37tout le monde en rêve.
39:39Je crois, enfin
39:41moi j'ai l'impression à bien des égards
39:43d'avoir été frappée par une grâce
39:45qui est que
39:47j'arrive à éprouver ce genre de choses. Je crois que
39:49malheureusement, il y a des gens qui ne
39:51tomberont jamais passionnément amoureux
39:53comme ça, qui ne se laisseront jamais détourner de leur chemin
39:55par un embrasement
39:57qu'on ne peut pas ignorer.
39:59Je crois qu'il y a des gens qui sont capables de sentir la passion
40:01et d'autres non, et effectivement
40:03ce livre ne parlera pas aux gens
40:05qui ne sont pas tombés passionnément amoureux.
40:07Ou parlera aux gens qui rêveraient de tomber amoureux
40:09et qui n'osent jamais, Emma Becker.
40:11Et peut-être que ce livre leur apprendra comment faire
40:13parce que ce n'est pas si compliqué en fait.
40:15Il suffit de s'écouter attentivement.
40:17Alors il se trouve que lorsque vous arrivez chez lui
40:19pour la première fois, vous entendez une musique
40:21que vous ne connaissiez pas.
40:27Ça c'est l'ambiance de l'appartement
40:29de votre amoureux. Gymnopédie
40:31et gnocienne
40:33par Eric Satie, compositeur
40:35du club des 6
40:37qui est fan de Debussy,
40:39était son meilleur ami, et qui a débuté comme pianiste au Chat Noir
40:41ce qui est assez
40:43paradoxal.
40:45Je nuance quand même,
40:47je connaissais Satie, parce que mon père
40:49est un grand pianiste, capable de jouer
40:51n'importe quoi par oreille, et donc
40:53ce sont des musiques que j'avais entendues toute mon enfance
40:55et tout comme les livres que je voyais
40:57dans ses bibliothèques étaient des livres que j'avais vus
40:59toute ma vie dans la bibliothèque de mes grands-parents.
41:01Paul Laurent, Braziac...
41:03Exactement, et c'est cette odeur
41:05de maison de famille
41:07qui tout de suite m'a étourdie.
41:09Je me suis dit, mais il ne peut pas,
41:11un homme ne peut pas transporter ces odeurs
41:13qui me parlent, s'il n'est pas fait pour être
41:15dans mes vies.
41:17Sauf qu'à l'époque, vous aviez une autre passion musicale.
41:19Come on Eileen
41:21Oh, I swear I'm ready
41:23At this moment
41:25Come on Eileen, par les Dexys de Midnight Runner
41:27qui est la première
41:29qui a été numéro 1
41:31au hit parade britannique, et qui a été
41:33utilisé par l'équipe de football de Grande-Bretagne
41:35à l'Euro 2004 pour tenter de gagner
41:37mais ils n'ont pas gagné.
41:39Avec une chanson pareille, c'est quand même dommage.
41:41C'est vrai que cette chanson vous a fascinée ?
41:43J'ai des goûts qui ne sont pas tellement
41:45de mon époque. J'écoute
41:47beaucoup de musique des années 60-70
41:49et je remonte
41:51doucement le temps dans les années 80-90
41:53mais je fais ça à mon rythme.
41:55Et je crois qu'Antonin et moi
41:57enfin Antonin mon personnage,
41:59elles ont tous les deux des goûts de vieux d'une manière ou d'une autre
42:01c'est juste pas les mêmes. Moi je suis quelqu'un de très rock
42:03lui il est plutôt classique mais je crois que
42:05c'est pas un véritable clivage.
42:07Le roman, il faut savoir
42:09que du jour au lendemain
42:11vous tombez amoureuse d'Emma Baker
42:13et que finalement vous êtes écartelée entre
42:15le mari et les enfants qui sont dans le Var
42:17et cet amour.
42:19Quand on a 800 kilomètres entre
42:21soi et l'homme qui occupe
42:23désormais toute la place, on peut difficilement
42:25se sentir autrement qu'empêchée.
42:27Et c'est vrai
42:29qu'à ce moment-là a commencé un espèce
42:31de déchirement mais que je vivais
42:33déjà en micro-doses depuis que j'avais eu
42:35mon premier petit garçon. C'est-à-dire la vie
42:37d'une mère c'est quand même le déchirement en permanence
42:39parce que quand vous prenez une heure
42:41de liberté pour vous, vous vous en sentez coupable
42:43mais quand vous êtes avec vos enfants
42:45vous n'avez envie que d'une chose
42:47c'est de cette heure de liberté et vous vous sentez coupable
42:49quand même. Donc ça n'était jamais
42:51qu'un microscope sur l'état
42:53de maternité. Oui, en même temps
42:55les enfants ils n'ont que nous, il faut
42:57veiller sur eux. Exactement et c'est
42:59une partie de ma culpabilité, c'est-à-dire c'est
43:01enfin la culpabilité d'une mère.
43:03Évidemment les adultes
43:05comme vous et moi, on a mille sources de bonheur
43:07différentes, c'est-à-dire n'importe quoi peut nous mettre
43:09en joie. Il y a toujours une raison de se réjouir
43:11mais les enfants n'ont rien d'autre que nous comme repères
43:13et quand vous avez en face de vous
43:15une mère qui n'est jamais là, même quand
43:17elle est là, parce qu'elle est en train de penser
43:19à un homme, et quand on
43:21en parle autour de vous, c'est-à-dire vous mettez en balance
43:23un homme et vos enfants
43:25et on vous fait bien sentir que les deux
43:27ne devraient jamais être en comparaison.
43:29Qu'est-ce que c'est tomber amoureuse d'un homme ?
43:31C'est brusquement redevenir soi
43:33quand on est la plupart du temps
43:35qu'une mère et qu'une épouse et être soi
43:37pour une femme, c'est le
43:39travail d'une vie.
43:41Oui et en même temps c'est le travail d'une vie
43:43complexe à gérer.
43:45Bien sûr que c'est complexe à gérer mais je crois
43:47que les vies simples ne sont pas intéressantes.
43:49La vie c'est
43:51un contraste permanent, c'est se
43:53battre contre soi-même et ça recommence
43:55comme ça tous les jours.
43:57Il n'y a pas d'autre vie que celle-là.
43:59Oui, c'est un sujet universel que vous traitez
44:01parce que finalement beaucoup de femmes sont dans votre cas
44:03mais n'en parlent jamais.
44:05Mais beaucoup d'hommes aussi je pense, c'est-à-dire que moi
44:07j'aime beaucoup les retours des femmes, mais j'ai eu
44:09quelques retours d'hommes qui m'ont énormément touchée,
44:11c'est-à-dire que, brusquement,
44:13je n'écris plus des livres
44:15pour femmes. Très longtemps
44:17on m'a dit que ça c'était écrit
44:19par une femme donc c'est pour les femmes.
44:21Je crois que ce que je décris,
44:23la passion, l'état d'amour,
44:25on n'est plus ni homme ni femme quand on est dedans,
44:27on est juste des êtres humains
44:29tiraillés par des inclinations
44:31contraires.
44:33Ça va au-delà du genre.
44:35Les hommes qui se retrouvent dans ce que je décris,
44:37dans ce déchirement-là,
44:39ce sont des hommes qui ont compris qu'il n'y avait pas
44:41que les hommes qui pouvaient écrire sur eux.
44:43Et en même temps dans les salons de livres
44:45vous le constatez, vous avez des jeunes,
44:47des hommes, des femmes et des femmes assez mûres
44:49parfois. J'ai beaucoup de femmes
44:51assez mûres et c'est quelque chose qui
44:53n'en finit pas de me surprendre parce que
44:55j'ai longtemps cru que c'était typiquement
44:57le genre de femme qui allait
44:59complètement mépriser mes livres et il s'avère
45:01que ce que j'ai pu dire dans
45:03La Maison, sur la prostitution larvée au sein
45:05du couple ou sur la passion
45:07amoureuse et l'horrible culpabilité
45:09de ne plus réussir à être
45:11là où on devrait être, c'est-à-dire avec ses enfants,
45:13c'est quelque chose qui parle aux femmes
45:15qui ont vécu 50 ans avec le même homme.
45:17Et moi je trouve ça merveilleux de voir ces femmes
45:19plus âgées que moi arriver
45:21avec en elles l'affleurement
45:23de souvenirs, de vies parallèles qu'elles ont eues
45:25dont elles n'ont jamais parlé à personne.
45:27C'est un cadeau d'entendre des femmes me dire
45:29j'en ai jamais parlé à personne
45:31mais votre livre ça m'a ramené 30 ans en arrière.
45:33C'est pour ça que j'écris.
45:35Il se trouve, Emma Becker,
45:37que le roman vous l'avez situé en 3 parties
45:39sur 3 saisons. Pourquoi ?
45:41Pourquoi 3 saisons ?
45:43Pourquoi pas 4 ? C'est vrai, peut-être que
45:45la saison que je cache, c'est la saison
45:47où cette histoire de passion devient une histoire
45:49d'amour avec tout ce que ça demande
45:51d'organisation,
45:53de compromissions,
45:55d'aveux désagréables.
45:57J'avais envie de décrire les frémissements
45:59de la passion. C'est-à-dire que
46:01la passion quand elle est officialisée,
46:03ça devient autre chose. Ce qui est intéressant
46:05c'est le moment où vous n'y voyez plus clair.
46:07On va dire que vous voyez très clair
46:09mais la seule chose qui soit claire dans ce brouillard, c'est l'autre.
46:11Et tout le reste se fond
46:13dans une masse d'emmerdements
46:15qui sont absolument impossibles
46:17à différencier les uns des autres.
46:19La vie quotidienne
46:21est un emmerdement et la seule lumière au bout du tunnel
46:23c'est cette autre personne.
46:25Et ça, ça n'a rien de rationnel et c'est pour ça qu'il faut l'écrire.
46:27En même temps, il y a un problème
46:29dans les emmerdements, c'est que
46:31l'entendu en question, il a eu quelqu'un dans sa vie.
46:33Oui, mais
46:35tous les gens qui ont vécu des histoires parallèles
46:37me donneront raison. Quand on a
46:39soi-même un mari, c'est super
46:41d'avoir en face de soi un amant qui est marié aussi
46:43parce que du coup ça vous permet de ne pas
46:45prendre de décisions trop rapides.
46:47Le problème, c'est quand l'autre
46:49commence à quitter sa conjointe ou son conjoint
46:51et que là vous vous dites, ok, alors qu'est-ce que je fais ?
46:53Parce que tout dépend de moi. Est-ce que j'arrête ?
46:55Mais arrêter, c'est renoncer
46:57à un soi dont on est tombé
46:59follement amoureux en même temps que l'autre.
47:01Ou est-ce que je continue ? Mais alors dans ce cas
47:03comment faire ? Parce qu'on ne peut pas mentir
47:05éternellement. C'est horriblement épuisant de mentir.
47:07Et ce qui est horriblement épuisant
47:09c'est de se mettre à détester
47:11son conjoint ou sa conjointe
47:13qui ne vous déteste pas, qui ne vous vole aucun mal
47:15qui vous aime. C'est ça qui est atroce.
47:17C'est de se dire, ok, alors
47:19encore un an à mentir comme ça
47:21à cette personne que j'aime profondément.
47:23Sur la couverture, ce qui est étonnant en général
47:25c'est qu'il y a une photo ou rien du tout
47:27et là il y a un texte de vous, Emma Becker
47:29Pourquoi j'écris ? Avec un point d'interrogation.
47:31Oui, et c'est un texte que j'avais
47:33écrit en plein...
47:35Lorsque j'étais en plein dans les affres
47:37de cette passion justement, j'allais
47:39chez Rebecca Manzoni dans son émission
47:41Totemic et il fallait que j'écrive
47:43une petite carte blanche sur pourquoi j'écris
47:45et à ce moment-là, c'était le lendemain
47:47d'un soir
47:49que j'avais passé avec Antonin
47:51et je savais que je n'allais pas le revoir avant 15 jours
47:53et j'étais... je vivais
47:55je tenais vraiment par la peau des dents
47:57et ma seule raison d'écrire à ce moment-là
47:59c'était de lui tenir ce dialogue ininterrompu
48:01c'était pour ça que j'écrivais, je n'écrivais pas
48:03pour autre chose, j'écrivais parce que
48:05c'était atroce de devoir vivre
48:07sans lui et d'écrire
48:09c'était le moment où j'arrivais à être avec lui
48:11où il n'y avait personne d'autre.
48:13Et on a l'impression d'être dans un roman à l'ancienne
48:15car il y a une correspondance permanente
48:17entre votre personnage et vous, Emma Becker.
48:19Oui, peut-être à l'ancienne parce qu'on se vouvoie
48:21et qu'on a ce pli de se vouvoyer
48:23mais moi je trouve ça
48:25d'un charme et d'un érotisme absolument
48:27enfin...
48:29je ne sens même pas le besoin
48:31de m'expliquer ce vouvoiement
48:33qui reprend aussitôt que vous vous êtes
48:35habillée, moi je trouve ça miraculeux
48:37parce que c'est la promesse de se découvrir
48:39encore comme si on ne s'était jamais connue
48:41et le moment où on passe au tu
48:43alors, un côté sacrilège qui est vraiment
48:45le piment de l'amour.
48:47En tout cas, le piment de l'amour
48:49il est présent dans ce livre, le Mal joli
48:51chez Albin Michel, que je recommande à celles et ceux
48:53qui nous écoutent, qu'ils aient vécu
48:55ou n'ont eu une histoire d'amour, en tout cas
48:57c'est parfaitement écrit et c'est plein
48:59de bonheur et de votre bonheur de vivre.
49:01Merci beaucoup. Merci Emma Becker, l'écrit d'une vie
49:03c'est terminé pour aujourd'hui, on se retrouve bientôt
49:05restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.

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