Jacques Pessis reçoit Jean Christophe Rufin : il a été médecin humanitaire, et ambassadeur. Académicien français, il se consacre à l’écriture. Son nouveau roman « D’or et de jungle », une histoire d’amour au cœur d’un coup d’état pas comme les autres
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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-03-18##
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00:00 Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:03 Sud Radio, les clés d'une vie, celle de mon invité.
00:06 Vous avez connu la chaleur de l'Afrique avant de découvrir la froideur de montagne
00:10 qui vous ont conduit vers d'autres sommets,
00:12 ceux du classement des meilleures ventes dans les librairies.
00:15 Si votre nouveau roman parle d'or, votre parole demeure d'argent.
00:20 Bonjour Jean-Christophe Ruffin.
00:21 Bonjour Jacques Pessis.
00:22 Alors, on se retrouve avec ce nouveau livre,
00:25 "D'or et de jungle" chez Calman Levy,
00:27 qui est un roman dont on va parler, qui est un roman étonnant,
00:30 presque de science-fiction, et ça c'est pas votre habitude.
00:34 Mais le principe des clés d'une vie, et vous êtes déjà venu il y a bien longtemps,
00:38 c'est d'évoquer votre carrière à travers des dates clés.
00:41 Donc j'en ai trouvé certaines, et j'ai trouvé le 14 novembre 1986,
00:46 votre première télé, "La vie à plein temps sur Midi-Atlantique"
00:49 avec un certain Pierre Nicolas,
00:51 qui vous interroge sur votre premier livre "Le piège humanitaire".
00:54 Vous vous souvenez de cette télé ?
00:55 Pas du tout.
00:56 Et ça a duré un quart d'heure, et vous évoquez ce livre
01:00 qui n'est pas un roman, qui est un essai.
01:02 Oui. Non, non, j'ai aucun souvenir, mais on est très ingrats.
01:06 Parfois on oublie ceux qui vous ont tiré, j'allais dire, de l'ombre.
01:11 Et à l'époque, c'était pas si courant d'être invité comme ça pour une télé.
01:16 Surtout que c'était un livre difficile, c'était un livre technique.
01:20 C'était un essai, c'était pas un roman.
01:22 Vous vouliez partager votre expérience des missions dans le Tiers Monde
01:27 que vous aviez accomplies.
01:28 C'est ça. En fait, il y avait une thèse qui consistait à dire
01:31 que l'humanitaire n'était pas quelque chose qui pouvait être envisagé
01:36 en dehors de la politique, mais que, sans être forcément engagé soi-même,
01:42 il fallait tenir compte des contextes politiques.
01:44 A l'époque, c'était une idée relativement nouvelle,
01:46 puisque la charité était considérée comme hors du champ politique.
01:51 Et d'ailleurs, cette télévision qui est sur FR3 local, c'est même pas national,
01:55 vous expliquez que l'aide humanitaire, on ne sait pas très bien ce que c'est à cette époque-là.
01:59 Oui, parce qu'au fond, on s'est confondu avec la charité,
02:03 c'est-à-dire la petite pièce qu'on donne aux pauvres à la sortie de l'église.
02:07 Tout ça dans un genre de geste un petit peu pour se rassurer soi-même,
02:12 parce qu'on ne sait pas très bien ce que ça devient.
02:14 Et moi, ce que j'ai essayé de montrer à l'époque,
02:16 c'est que tout ça représente quand même des moyens importants,
02:24 ils le sont de plus en plus d'ailleurs,
02:26 et que tout ça, quand ça se déverse sur une zone en crise,
02:29 sur un pays en guerre, ça a des influences politiques très fortes, très profondes.
02:34 Et vous rassurez le public dans ce premier livre à cette télévision,
02:38 Jean-Christophe Ruffin, en expliquant que les détournements sont faibles,
02:41 ce qu'on ne sait pas à l'époque non plus.
02:43 Oui, les détournements sont faibles,
02:45 ce n'est pas tellement le problème des détournements,
02:47 parce que souvent les gens disent "ah oui, qu'est-ce qui arrive en finale,
02:51 au bout de course de ce qu'on a donné".
02:53 Ce n'est pas tellement ça le problème,
02:55 le problème c'est ce qu'on fait de ce qui arrive,
02:57 c'est-à-dire qui s'empare de cette manne,
03:00 parce que dans une situation de guerre ou de révolution,
03:02 prendre le contrôle de l'humanitaire, c'est très important.
03:06 On le voit avec toutes les polémiques autour de Gaza aujourd'hui,
03:09 de l'UNRWA et tout ça,
03:11 l'aide humanitaire c'est un enjeu politique.
03:14 Les détournements c'est finalement marginal.
03:17 - Et vous évoquez aussi les premières opérations humanitaires,
03:20 qui ont commencé en 1812.
03:22 - Oui, on peut faire remonter même à l'Arche de Noël,
03:26 c'est une sorte de grande opération humanitaire,
03:29 mais non, l'humanitaire moderne, 1812,
03:33 il y a eu le tremblement de terre de Caracas,
03:38 il y a eu un grand élan d'aide humanitaire nord-américain vers le Venezuela,
03:44 qui n'était pas tout à fait désintéressé d'ailleurs,
03:46 c'était déjà un mélange politique.
03:48 - Alors vous évoquez aussi votre parcours de médecin humanitaire,
03:51 et la médecine, l'origine de votre vocation,
03:54 Jean-Christophe Rupin, c'est votre grand-père.
03:57 - Oui, parce que, disons, les particularités de ma famille,
04:02 qui a été très divisée,
04:04 j'ai été élevé les 10 premières années de ma vie par mes grands-parents,
04:09 donc mon grand-père, c'était pas une figure lointaine,
04:12 c'était vraiment la personne que je voyais tous les jours,
04:15 et qui me tenait lieu peu de père, si vous voulez,
04:18 donc avec une forte influence forcément sur moi,
04:21 et c'était un médecin à l'ancienne,
04:24 il avait été diplômé au début du XXe siècle,
04:27 et il avait fait les guerres, les guerres successives,
04:29 de façon très engagée.
04:31 - Il avait même été déporté à Buchenwald.
04:33 - Oui, pendant deux ans, entre 1943 et 1945,
04:38 parce que notre ville bourge,
04:42 étant située sur la ligne de démarcation entre zone libre et zone occupée,
04:46 il faisait partie d'un réseau qui protégeait les personnes,
04:51 ça pouvait être des juifs, des sécurité,
04:53 ça pouvait être des aviateurs anglais,
04:55 enfin, tous ceux qui voulaient passer en zone libre,
04:57 venaient chez nous, et des passeurs leur faisaient passer la ligne.
05:01 Alors il a été dénoncé, et pauvre,
05:03 il s'est retrouvé deux ans en camp de concentration,
05:06 mais il est revenu, et moi quand je l'ai connu,
05:09 c'était évidemment après la guerre.
05:11 - Alors il se trouve que vous êtes devenu médecin,
05:13 mais curieusement vous faites vos études à la Pitié-Saint-Pétrière,
05:16 Jean-Christophe Ruffin, et en même temps,
05:18 vous faites l'Institut de Sciences Politiques.
05:20 - Oui, un peu après, c'est-à-dire que j'ai commencé par la médecine,
05:23 j'ai fait ça jusqu'à l'internat,
05:26 qui à l'époque était l'internat napoléonien,
05:28 vous savez, il n'y avait pas encore eu la réforme de Simone Veil,
05:32 c'était un internat par ville,
05:34 moi j'ai fait l'internat de Paris,
05:36 et à ce moment-là, en effet,
05:38 j'étais sans doute un peu déçu de ne pas retrouver
05:42 dans les grands hôpitaux parisiens, la médecine de mon grand-père.
05:45 Donc j'avais envie de la retrouver peut-être autrement et ailleurs.
05:49 C'est le moment où Bernard Kouchner et quelques autres
05:52 fondaient Médecins Sans Frontières, que j'ai rejoint à ce moment-là.
05:55 - Voilà, alors il se trouve que la première fois qu'on parle de vous
05:57 dans les journaux, c'est en France Soir,
05:59 parce que vous avez dérobé la moitié de la tête de Ravachol.
06:02 - Oui, oui, alors ça, je revendique le droit à l'oubli,
06:07 qui n'existe pas de nos jours,
06:10 mais oui, ça c'est un truc de potage.
06:12 Enfin, on était un soir avec un ami chez lui,
06:16 et il était amoureux d'une jeune femme
06:21 qui était une descendante de Marx,
06:25 et il ne savait pas quoi lui offrir.
06:27 Alors on avait un peu bu, j'ai dit,
06:29 moi je connais un objet qui pourrait peut-être lui faire plaisir,
06:32 parce que je savais que la tête de Ravachol,
06:35 qui après avoir été décapitée, pauvre Ravachol,
06:38 il a été donné à la faculté de médecine sa tête,
06:40 et on l'a coupée en deux, de façon à instruire sur le cerveau
06:44 les étudiants médecins.
06:45 Donc moi je savais où était cette tête,
06:46 elle était dans le bureau d'un de mes professeurs.
06:48 Donc en pleine nuit, on est allé, on a grattouillé une serrure,
06:51 on a pris cette tête, et il est allé l'offrir à cette pauvre fille,
06:54 qui évidemment, immédiatement l'a mise à la porte.
06:57 Et on s'est retrouvé que cette tête en était bien embêtée.
07:00 Et finalement on l'a remise au Panthéon,
07:03 parce que c'était une façon potache aussi de finir l'affaire.
07:08 - Alors, vos études de médecine vous conduisent à la neurologie presque naturellement,
07:13 parce que finalement la fac où vous étiez était des spécialistes.
07:16 - C'est ça, moi j'ai fait mes études à la salle Pétrière,
07:19 alors c'est le temple, c'est Pinel, Charcot,
07:24 enfin tous les grands neurologues qui ont marqué cette faculté, cet hôpital.
07:33 Alors tout naturellement, évidemment, je fais la neurologie,
07:38 mais je l'ai complétée, parce qu'à l'époque on ne pouvait pas exercer uniquement la neurologie,
07:43 il fallait compléter soit par la rhumatologie, soit par la psychiatrie.
07:46 Moi j'ai fait aussi la psychiatrie, j'ai fait neuro-psychiatrie, comme on disait à l'époque.
07:51 - Et ensuite, deux rencontres qui marquent votre vie,
07:54 c'est la rencontre avec Bernard Kouchner et avec Claude Maluret.
07:57 - C'est ça, mais plus avec Maluret d'ailleurs,
08:00 parce que j'ai rencontré tous ces personnages au moment de la scission.
08:06 Il y a eu, dans l'histoire de l'humanitaire, il y avait toujours des grosses bagarres.
08:10 C'était des 68 arts qui ne pouvaient pas s'empêcher de se disputer entre eux,
08:15 et la première réunion à laquelle j'ai pris part, c'était le jour où Maluret a pris le pouvoir,
08:21 en évinçant Kouchner, qui par la suite a créé "Médecins du monde".
08:26 Moi je me suis retrouvé avec Maluret, et j'ai fait partie de cette aventure.
08:34 - Maluret qui est devenu sénateur ensuite, et qui est, on oublie, le co-fondateur de Doctissimo,
08:39 qui est bien utile aujourd'hui.
08:40 - C'est ça, il a alors été médecin aussi, bien sûr, il avait été président de Médecins sans frontières,
08:46 il a été ministre très jeune, il était secrétaire d'État au droit de l'homme,
08:50 ce qui n'était d'ailleurs pas facile, parce qu'il était dans un même gouvernement que Pasquoix,
08:54 alors ce n'était pas toujours facile pour les deux.
08:58 Et puis, effectivement, après il a été maire de Vichy, aujourd'hui il est sénateur,
09:04 et comme il était ses amis avec Alexandre, il a créé Doctissimo.
09:13 Enfin, il a co-fondé, enfin sa vraie vocation à lui c'est la politique.
09:21 - Voilà, alors vous c'est la médecine et les missions humanitaires,
09:24 alors il y en a eu une première en Érythrée, et puis il y en a eu une seconde
09:27 qui est évoquée par une chanson que tout le monde connaît.
09:30 "J'ai envie de mourir"
09:35 - "Éthiopie, chanteurs sans frontières", au départ c'est Renaud qui l'a écrite,
09:38 mais c'est une idée de Valérie Lagrange, comédienne, qui appelle Renaud et qui lui dit
09:41 "Est-ce que tu pourrais pas faire une chanson ?"
09:43 - Ah oui ? - Et il a fait, il a changé dix fois les paroles
09:45 et ça a été un immense succès, c'était le "We are the world" français.
09:48 - C'est ça. - Et l'Éthiopie pour vous, ça signifie quelque chose.
09:52 - Oui, parce que c'était une époque, vous savez, quand on s'engage dans ces missions humanitaires,
09:58 la plupart du temps, en tout cas c'est ce que j'ai constaté avec mes amis,
10:01 on reste très attaché à la première mission, c'est-à-dire à l'endroit où on a commencé.
10:06 Alors j'ai connu des fous comme ça d'Afghanistan, parce que c'était le...
10:10 Voilà, et puis d'autres du Cambodge par exemple, et moi c'est vrai que l'Éthiopie a été un peu
10:15 mon premier contact avec ce monde de l'humanitaire, avec l'Afrique aussi,
10:21 et j'y ai gardé évidemment beaucoup de... je vais garder beaucoup de liens avec ce pays.
10:26 - Oui, il y a eu aussi "Action contre la faim" dont vous avez été directeur, c'est une autre...
10:30 - J'étais président, oui, j'étais président, alors ça a été créé un petit peu après,
10:35 par une sorte de groupe d'amis dont je faisais pas partie d'ailleurs,
10:40 c'est autour de François Giroud, Jacques Attali, etc. qui avaient créé cette organisation.
10:47 J'en suis devenu après le président, et c'est vrai que ça m'a ramené aussi vers l'Éthiopie.
10:53 - Oui, en même temps c'était des risques à chaque fois.
10:56 - Oui, mais je pense qu'à l'époque, si vous voulez, les risques étaient beaucoup moins importants,
11:00 le monde était beaucoup plus structuré, parce qu'il y avait la guerre froide,
11:03 et il y avait des zones d'influence, ce qui faisait que finalement,
11:08 quand vous... admettons que vous vous fassiez prendre en otage par exemple,
11:11 bon, c'est pas très agréable, mais enfin on savait où vous alliez ressortir,
11:14 parce qu'on avait des gens en face avec qui discuter.
11:17 Il y avait les soviétiques qui tenaient un certain nombre d'alliés,
11:20 d'autre côté les américains avec un certain nombre d'alliés.
11:23 Au fond, le monde avait cet ordre, qui n'était pas forcément meilleur,
11:27 mais enfin il était plus clair.
11:29 Et puis ensuite, tout ça s'est terminé avec la fin de la guerre froide,
11:34 et tous ces conflits ont commencé à tomber en quenouille,
11:37 c'est-à-dire que c'est la situation à laquelle on assiste aujourd'hui,
11:41 des groupes armés que personne ne contrôle, etc.
11:43 Et aujourd'hui c'est devenu beaucoup plus dangereux qu'à l'époque.
11:46 - Oui, et vous avez bifurqué vers d'autres choses,
11:48 on va remarquer une autre date très importante pour vous,
11:51 le 5 novembre 2001.
11:53 A tout de suite sur Sud Radio avec Jean-Christophe Ruffin.
11:56 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessus.
11:59 - Sud Radio, les clés d'une vie, celle de mon invité Jean-Christophe Ruffin.
12:03 Nous parlerons tout à l'heure d'Or et de Jungle,
12:05 votre nouveau roman passionnant chez Calman Levy, et très original.
12:10 Et on revient au 5 novembre 2001, vous n'avez pas oublié cette date bien sûr,
12:14 puisque c'est le jour où vous avez le prix Goncourt pour Rouge Brésil.
12:17 Ça a été une surprise, vous vous attendiez à ça ?
12:19 - Ah oui, c'est une surprise complète parce que déjà, vous savez,
12:23 les gens ont toujours des martingales et vous expliquent qui va voir machin,
12:26 et moi on m'avait dit, Gaynor l'a eu l'année d'avant,
12:29 donc il n'y a aucune chance qu'il l'ait deux années de suite, etc.
12:33 Et mon éditrice m'avait dit "pars en vacances, comme ça tu ne seras pas invité".
12:38 Donc j'étais parti en vacances, je ne pensais plus à tout ça.
12:41 Et le matin, j'étais même allé, il y avait des bouteilles vides dans mon entrée,
12:47 je suis allé les porter dans un conteneur, vous savez, pour mettre les bouteilles vides,
12:51 et c'est là que je me suis dit "Voilà, maintenant tu as le prix Goncourt".
12:55 Alors je suis arrivé un peu en dessus-dessous,
13:00 parce qu'après évidemment le Goncourt c'est une espèce de rouleau compresseur,
13:04 surtout que j'ai eu la chance de faire un prix Goncourt qui a très très bien marché.
13:10 Vous savez, il y a des prix Goncourt qui correspondent plus ou moins au goût du public,
13:14 le mien a vraiment été un très grand succès,
13:16 et donc j'ai enchaîné des dizaines de rencontres comme ça dans toute la France,
13:20 ça a changé ma vie.
13:22 Parce qu'en plus vous avez été élu au dixième tour, je crois,
13:26 parce qu'il y avait Michel Houellebecq, Karine Thuil, Eric Manuel Schmit,
13:29 parce qu'il y avait un monde fou, et c'est un peu, ce n'est pas un miracle,
13:32 mais quand vous l'avez appris et que vous êtes arrivé...
13:34 Si, si, c'était un miracle.
13:35 Je pense qu'il y a eu un ange gardien quelque part qui a dû bourrer les urnes pour moi, je ne sais pas.
13:41 Non, en fait, je pense qu'il y avait un moment où le jury Goncourt,
13:49 qui était présidé à l'époque par François Norissier,
13:52 avait très envie d'un retour au romanesque, vous savez,
13:57 parce que périodiquement le Goncourt se dirige vers des livres plus de recherche, un peu formels, etc.
14:04 Et puis ils reviennent périodiquement.
14:06 Et moi, au fond, je leur ai offert la possibilité de revenir à Dumas,
14:11 comme disait Dominique Fernandez, "Retour à Dumas".
14:16 C'est une espèce de bain de jouvence de temps en temps de revenir à Dumas,
14:20 de revenir au récit, quoi.
14:22 Et ils avaient envie de ça cette année-là.
14:24 - Alors c'était un épisode méconnu de notre histoire,
14:27 c'est-à-dire que les Français au Brésil au temps de la naissance,
14:30 c'était un sujet que personne n'avait traité, Jean-Christophe Ruffin.
14:33 - Non, enfin, il y avait eu des historiens, des historiens avaient écrit là-dessus,
14:38 mais c'est un sujet qui m'était apparu comme très romanesque,
14:42 parce qu'au fond, c'est une occasion manquée, quoi.
14:47 On n'a rien tiré, on n'a rien gardé de cet épisode.
14:53 Et on n'a gardé aucune conquête, rien du tout.
14:56 Les Français se sont fait mettre dehors.
14:58 Et pourtant, comme un des rescapés de cette expédition est devenu le secrétaire de Montaigne,
15:05 Montaigne dans les Essais a écrit ce chapitre célèbrissime des cannibales,
15:11 dans lequel il crée cette notion du bon sauvage,
15:14 et tout ça est né là, pendant cet épisode.
15:17 Alors je croyais que c'était très riche.
15:19 - Et le Brésil, vous le connaissez bien, puisque vous avez vécu à deux reprises,
15:22 je crois d'abord comme attaché culturel et de coopération,
15:25 et ensuite comme attaché culturel à Récif.
15:28 - Oui, j'étais à Récif.
15:31 Bon, je n'étais pas surchargé de travail, parce que c'est un tout petit poste,
15:35 et ça m'a donné l'occasion surtout d'apprendre le portugais,
15:39 de voir un peu le pays, sans le connaître encore très bien,
15:43 parce que c'est un pays tellement grand.
15:45 À l'époque, j'ai surtout connu le Nord-Est,
15:48 sur toute cette zone fascinante qui va de Fortaleza à Salvador de Bahia.
15:55 Et en effet, je voulais écrire sur le Brésil,
15:58 c'était après mon retour d'ailleurs, j'étais revenu en France,
16:01 et quand j'ai abordé ce sujet,
16:05 j'ai eu le bonheur, si vous voulez, en écrivant le livre,
16:07 de me retrouver dans la chaleur et dans la couleur de Rio,
16:11 j'étais vraiment très heureux.
16:12 - Il y a un babe très célèbre à Récif, je ne sais pas si vous le savez,
16:16 face au Palais de Gouverneur, il aurait servi d'inspiration
16:19 en tant que Saint-Exupéry de passage pour le Petit Prince.
16:23 - Ah, je ne savais pas.
16:24 - Et il est très visité aujourd'hui.
16:25 Mais comment vous retrouvez, vous médecin, médecin immunitaire,
16:28 comme attaché culturel au Brésil ?
16:29 - C'est assez simple, c'est qu'à la fin du gouvernement Chirac,
16:33 à l'époque dans lequel Claude Maluret était secrétaire d'État,
16:36 droit de l'homme, moi je l'avais rejoint dans son cabinet,
16:39 on n'était pas surchargés de boulot,
16:42 c'est non plus là, parce que le pauvre Maluret n'avait à cette époque-là
16:45 pas beaucoup de pouvoir dans ce gouvernement.
16:48 Et je l'avais accompagné pendant cette période,
16:51 et puis à la fin on m'a dit, voilà, est-ce qu'on peut te remercier
16:56 d'une certaine manière, est-ce que tu souhaites...
16:58 Et moi je voulais avoir une expérience aussi, pas seulement des ONG,
17:02 mais de la fonction publique, je voulais voir un peu
17:05 ce que c'était que la coopération côté public.
17:07 Alors on m'a nommé au Kenya, comme conseiller culturel,
17:11 l'ambassadeur n'a pas voulu, parce qu'il ne voulait pas d'un médecin,
17:14 surtout d'un psychiatre, mais quand je l'ai rencontré,
17:17 j'ai compris pourquoi d'ailleurs.
17:19 Et donc on m'a dit, bon, écoute, il ne veut pas,
17:22 alors choisis ce qui reste, en quelque sorte,
17:24 et c'est là que, un peu par défaut, mais je ne l'ai pas regretté du tout,
17:28 je suis allé au Brésil.
17:29 Et les Français ont connu une danse brésilienne très célèbre,
17:33 juste après la guerre, grâce à cette chanson.
17:36 Aïe aïe aïe, Maria, Maria de Bahia,
17:39 qui menait le baïon de la France.
17:41 Je ne sais pas si vous connaissez Maria de Bahia de Reventura,
17:43 en fait, l'orchestre s'exile pendant la guerre en Amérique du Sud au Brésil,
17:47 et Paul Misraki, le compositeur, entend la samba brésilienne,
17:51 et c'est comme ça qu'il imagine la première samba brésilienne en France.
17:55 Je ne savais pas.
17:56 C'est assez étonnant.
17:57 Alors, finalement, le roman est venu après,
18:01 mais romancier, ce n'était pas du tout votre vocation au départ, Jean-Christophe Ruffin.
18:04 Non, enfin, peut-être qu'inconsciemment, ça l'était quand même,
18:09 parce que j'ai toujours aimé raconter des histoires,
18:11 j'ai surtout toujours aimé lire des histoires.
18:14 Et donc, moi, dans mon enfance, si vous voulez,
18:17 il n'y avait pas beaucoup d'autres éléments pour s'évader.
18:23 Si vous voulez, moi, j'étais dans une ville,
18:25 le cinéma, la télévision, ça n'existait pratiquement pas.
18:30 Le livre et le roman, ça restait vraiment le seul espace d'évasion pour moi.
18:34 Donc, c'est assez logique que je me sois dirigé vers ça.
18:38 Oui, mais en même temps, tout en faisant des romans,
18:40 vous avez eu d'autres activités.
18:42 Par exemple, vous parliez de libération.
18:44 Vous avez un jour fait libérer des otages au Kosovo, je crois.
18:48 Oui, mais alors, ça, si vous voulez, c'est parce qu'une fois que j'ai eu cette activité
18:53 au cabinet de Claude Maluray,
18:56 moi, j'ai connu, c'est comme ça que j'ai connu François Léotard,
19:00 que j'aimais beaucoup.
19:02 Et vous avez travaillé, d'ailleurs, au ministère de la Défense ?
19:04 Voilà, c'est lui qui m'a appelé à ce moment-là, à son ministère,
19:07 pour m'occuper des opérations de maintien de la paix.
19:10 Là, il y avait ces histoires d'otages.
19:12 Et on m'a dit, puisque tu as l'habitude de ces zones de conflit,
19:17 ces zones un peu troubles, vas-y.
19:19 Et donc, là, j'ai fait une série de missions comme ça, un peu secrètes,
19:23 si vous voulez, pour libérer des otages
19:25 ou pour négocier des choses qui ne pouvaient pas être faites,
19:29 disons, par la diplomatie officielle.
19:31 Et en même temps, vous avez fait un jour une conférence,
19:33 un séminaire à l'école de guerre, sur le thème "ONU et maintien de la paix".
19:37 Oui, parce que les militaires ont un peu découvert,
19:42 si je puis dire, après la fin de la guerre froide,
19:44 ces nouvelles opérations de maintien de la paix.
19:46 Parce que c'est devenu, j'allais dire, dans les années 90,
19:50 c'est devenu une espèce de mode.
19:52 Il y en a eu partout.
19:54 Et c'est vrai que nous, avec l'Humanitaire, on a eu une expérience de ça,
19:58 que les militaires, assez intelligemment, ont essayé de confronter à la leur.
20:04 Au fond, il fallait rapprocher ces deux mondes,
20:07 ce monde de l'Humanitaire, ce monde des militaires.
20:09 Et mon séminaire, qui a duré plusieurs années,
20:12 j'ai fait ça plusieurs années, était très fructueux.
20:16 D'ailleurs, après, j'ai découvert un certain nombre de mes anciens élèves
20:19 qui sont chefs d'état-major des armées,
20:23 le grand chancelier de la Légion d'honneur,
20:25 je l'ai connu dans ces circonstances, etc.
20:27 Ils ont pris du galon, moi pas,
20:30 mais finalement, au fond, on a créé une sorte de lien qui n'existait pas.
20:35 Parce que les Humanitaires, ils sont méfiés, beaucoup,
20:38 les militaires disaient que les Humanitaires, c'est des chevelus, anarchistes, etc.
20:43 Et les Humanitaires, les militaires, les voyaient comme des espèces de type au crâne rasé, etc.
20:48 Alors moi, j'ai rapproché un peu les deux mondes.
20:50 - Et quand vous parlez de la médecine, qui est quand même votre base,
20:52 vous dites "la médecine m'a permis de m'ouvrir à l'école de la vie".
20:56 - Oui, mais ça c'est vrai.
20:58 Parce que, si vous voulez, je crois qu'il y a peu de formations
21:00 qui vous mettent aussi tôt et aussi intensément en contact avec la vie,
21:06 mais pas ce qu'elle a de superficiel,
21:08 mais la vie dans ce qu'elle a de terrible,
21:10 c'est-à-dire la souffrance, la mort, la maladie, le deuil,
21:14 les séparations, la violence, enfin tout ça.
21:17 Bon, comme vous êtes médecin,
21:19 moi j'ai été interne des hôpitaux de Paris à 23 ans,
21:21 alors je recevais le police secours,
21:25 les policiers m'amenaient tous les drames qu'ils avaient trouvé dans la rue autour,
21:31 et puis débrouillez-vous.
21:33 Donc c'est une école extraordinaire.
21:36 - Il y a eu d'autres choses, justement,
21:38 c'est un rapport à l'école qu'on va évoquer à travers une autre date,
21:42 le 4 novembre 2016.
21:44 A tout de suite sur Sud Radio avec Jean-Christophe Prufat.
21:47 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
21:50 - Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Jean-Christophe Prufat.
21:54 Nous parlerons tout à l'heure d'Or et de Jungle,
21:56 ce roman chez Kalman Levy que vous publiez,
21:59 et le 4 novembre 2016, ça vous intrigue.
22:02 En fait, je crois que c'est votre postérité,
22:04 votre nom est attribué à l'école élémentaire de Vignoux-Subarrangeon,
22:08 et vous venez à l'inauguration.
22:10 - Ah oui, oui, oui, ça m'a beaucoup touché,
22:12 parce que c'est vrai que je reste très attaché à ma région du centre,
22:17 et Vignoux c'est à côté de Vierzon, c'est entre Bourges et Vierzon.
22:21 Voilà, et en effet, de savoir que c'est ces enfants qui étudient...
22:26 Moi j'ai aussi une médiathèque à Sens qui porte mon nom,
22:29 et c'est très, voilà, c'est très très touchant.
22:32 C'est inquiétant aussi, parce que les gens,
22:35 la première question qu'on vous dit, c'est...
22:36 On vous pose, c'est "Ah bon, mais vous êtes toujours vivant ?"
22:39 Donc il faut s'habituer à avoir son nom sur un fronton comme ça.
22:44 - Je crois que ce sont les élèves de CM2 qui vous avaient choisi.
22:47 - C'est possible, en tout cas c'est pour...
22:50 C'est un groupe scolaire, moi, c'est...
22:52 Je sais pas exactement qui a fait le choix de m'attribuer ce nom,
22:59 mais enfin je vais les voir régulièrement, et je les aime beaucoup.
23:02 - Ah, je sais, en fait, vous avez été choisi parce que vous incarnez
23:05 les valeurs de l'école, le goût des mots, la solidarité et la paix.
23:09 Ce sont les raisons qui ont fait que vous avez été choisi.
23:11 - Bah écoutez, c'est un manor, en tout cas.
23:13 - Alors quand vous êtes arrivé là-bas, vous avez le souvenir
23:15 de ce qui s'est passé ce jour-là ?
23:16 - Oui, oui, il y a eu tout un...
23:19 C'était toute une réception avec les corps constitués,
23:23 il y avait les représentants des préfets, des vachins, voilà.
23:28 Et puis les enfants, les enfants surtout, et le corps enseignant, bien sûr.
23:33 Mais les enfants, c'est très très touchant parce que...
23:37 Imaginez, nous, dans nos générations, on ne donnait pas les noms
23:42 de personnes vivantes.
23:44 Donc je pense qu'ils sont encore un peu dans cette idée-là,
23:47 c'est-à-dire que s'ils sont au collège Victor Hugo,
23:51 ils ne s'attendent pas à avoir arrivé Victor Hugo.
23:54 - Vous savez, la première des Misérables au Palais des Sports,
23:57 je me souviens très bien, il y a un vieux monsieur qui arrive
23:59 sur le plateau à la fin du spectacle, et j'ai entendu "à côté de moi,
24:02 c'est l'auteur".
24:04 - Oui, ben voilà.
24:06 - Mais en même temps que les CM2 vous choisissent,
24:09 vous ne faites pas vraiment des romans pour les CM2,
24:11 Jean-Christophe Rumin ?
24:12 - Non, mais je pense que les enseignants ont dû leur tenir un peu la main.
24:15 Mais cela dit, moi j'ai des romans, comme par exemple "Le Collier Rouge",
24:18 qui sont beaucoup étudiés par les professeurs, d'ailleurs il y a
24:22 une édition scolaire qui va paraître, parce que c'est un texte relativement court
24:28 et qui est l'interface de la littérature et de l'histoire.
24:32 Et donc, comme les professeurs sont maintenant obligés de faire des groupes
24:36 de travail communs, si vous voulez, entre ces différentes disciplines,
24:39 ben c'est pas mal, et ils se servent de certains livres.
24:43 Alors, évidemment les plus gros livres, les plus compliqués, c'est difficile,
24:47 mais ces livres-là, je veux dire, ils sont accessibles aux jeunes lecteurs.
24:55 - "Le Collier Rouge", si mes renseignements sont exacts, c'est un film de Jean Becker,
24:58 et je crois que c'est la seule fois où vous avez participé à un scénario,
25:01 Jean-Christophe Ruffin.
25:03 - Avec Jean-Louis Dabadie, que j'aimais beaucoup, Jean Becker aussi,
25:09 et on a travaillé sur ce scénario qui était très proche du livre,
25:16 qui restait très proche du livre.
25:17 François Cluzet, donc, qui a été le personnage principal,
25:23 et puis deux chiens, parce qu'on m'a expliqué qu'au cinéma,
25:27 quand il y avait un chien dans le film, il en fallait deux,
25:30 parce que ça se fatigue, les chiens, et qu'en plus ils ont un rôle différent,
25:33 il y avait un méchant et un gentil, qui était d'ailleurs le père et le fils,
25:37 et c'est très amusant de suivre ce tournage.
25:40 - Vous auriez pu faire beaucoup plus de scénarios de cinéma, finalement ?
25:44 - Oui, mais alors, bon, j'ai déjà fait pas mal de métiers dans ma vie,
25:48 si vous voulez, ça c'est un métier que je ne maîtrise pas,
25:51 et en effet, c'est une très bonne école, le scénario, par exemple,
25:56 Pierre Lemaitre a commencé par les scénarios avant de faire des livres,
26:00 j'ai beaucoup d'amis, comme Marc Dugain, qui font les deux,
26:04 moi, je ne me suis jamais vraiment aventuré dans cette direction,
26:09 je reste lié au livre, quand même.
26:11 - Oui, et avec des livres qui n'ont rien à voir,
26:13 qui sont aux antipodes de votre vie de médecin,
26:15 puisque vos livres respirent le bonheur, la joie de vivre, le positif.
26:19 - Oui, ça c'est un choix que j'ai fait très tôt,
26:22 c'est-à-dire qu'au départ, je ne savais pas que je finirais par en vivre,
26:27 je ne savais pas que ça deviendrait mon métier,
26:29 alors pour moi, l'écriture, c'était un espace, au contraire, intime,
26:34 dans lequel je recherchais le contraire de ce qu'était ma vie de tous les jours,
26:39 comme cette vie de tous les jours, quand j'étais médecin,
26:42 était quand même liée beaucoup à la tragédie, à la souffrance, à la mort, etc.
26:48 J'ai recherché le contraire, comme vous le dites, dans mes livres,
26:52 et j'y ai mis des personnages solaires, derrière lesquels on a envie de vivre,
26:57 tout simplement, et ils m'ont fait du bien,
26:59 et je me suis rendu compte qu'ils faisaient aussi du bien aux lecteurs.
27:02 - Et du bien à la langue française, car vous veillez à ce que chaque mot compte dans vos livres.
27:07 - Oui, je fais attention, alors après, tout dépend de l'histoire qu'on raconte,
27:10 c'est-à-dire qu'on ne peut pas raconter une histoire qui se passe au XVe siècle de la même manière,
27:15 c'est un peu difficile qu'une histoire très actuelle, si vous voulez, on est obligé...
27:20 Moi, j'aime ça aussi, d'ailleurs, parce que j'apprécie ça chez les auteurs,
27:24 par exemple, j'aime Jeunot, parce que c'est quelqu'un qui a su adapter sa langue aux histoires qu'il raconte.
27:29 Mais, quelle que soit la langue qu'on choisit,
27:34 effectivement, il faut essayer de la parler, de l'écrire le mieux possible.
27:39 - C'est peut-être aussi pour cela que vous avez été élu Académie française,
27:42 je crois que vous avez été le Benjamin de l'Académie.
27:45 - Oui, mais ça c'est un titre, malheureusement, qu'on ne garde pas longtemps,
27:50 surtout à l'Académie, et donc en attendant d'être le plus vieux, j'ai été en effet le plus jeune.
27:56 - C'est une surprise aussi, vous songiez à l'Académie française.
27:59 - Non, pas du tout, j'étais à l'époque ambassadeur de France au Sénégal,
28:03 quand Hélène Cardenco s'est évoquée mon nom dans un article,
28:08 et puis je suis passé la voir, et elle m'a dit "oui, oui, je voudrais en effet peut-être vous proposer".
28:17 Et puis, comme elle m'a dit, je cherche des gens plus jeunes, en bonne santé, etc.
28:23 Et au cours de l'entretien, j'ai été pris d'un limbago terrible,
28:27 qui fait que j'ai terminé l'entretien pratiquement à genoux, enfin à quatre pattes, quoi.
28:31 Et je me suis dit "c'est foutu, je cherche des gens en bonne santé, c'est pas moi".
28:35 Voilà, j'ai pratiquement pas pu ressortir de mon fauteuil,
28:38 mais bon, ils ne m'ont pas voulu, ils m'ont élu quand même.
28:41 - Et Hélène Cardenco, ce que vous avez reçu en éclat d'une vie, a été jusqu'au bout d'une jeunesse incroyable.
28:46 - Incroyable. Mais parce qu'elle avait compris une chose que je pense chacun de nous devrait comprendre,
28:53 c'est que ça n'est pas le travail qui fatigue, c'est le repos.
28:58 Et que finalement, elle est restée active, elle est restée présente,
29:03 elle savait tout, elle écoutait tout, elle écrivait ses livres,
29:07 elle écrivait ses discours, elle était présente dans l'académie, jusqu'au bout.
29:11 Et voilà, et le bout a été très loin finalement.
29:15 - Je crois que c'est 94, non ?
29:17 - Oui, mais sans un moment de défaillance.
29:21 Les dernières réunions que nous avons faites ensemble au match-main,
29:24 elle était parfaite et nous a quitté pendant l'été.
29:28 - D'ailleurs, quand vous voyez des médecins que vous avez connus jeunes
29:31 et que vous traitez aujourd'hui, vous êtes toujours étonné.
29:34 - Ben oui, parce que finalement, je les envis pas.
29:39 À un moment donné, je les ai enviés parce que je me suis dit, au fond,
29:42 ceux qui ont gardé une rectitude dans leur carrière, comme ça,
29:45 qui sont toujours... Ah, finalement, leur vie est plus simple que la mienne.
29:49 Et aujourd'hui, finalement, je suis assez heureux d'avoir un peu déraillé.
29:53 En quittant les rails que m'offrait la médecine,
29:56 je suis entré dans quelque chose de beaucoup plus libre
30:00 et sans fin, finalement.
30:03 - Oui, parce que vous êtes, c'est ce qu'on dit de vous,
30:06 Jean-Christophe Ruffin, dans la tradition des écrivains diplomates.
30:09 Il y a eu Romain Garry, il y a eu Paul Claudel,
30:13 d'ailleurs qui s'est converti au catholicisme,
30:15 qui pensait entrer dans les ordres et qui finalement a choisi la diplomatie.
30:19 - Oui, alors, diplomate ou écrivain médecin aussi,
30:23 moi je crois pas beaucoup à ces prédestinations de fonction, si vous voulez.
30:27 Je pense que c'est un peu une coïncidence qu'il y a quand même
30:30 une immense majorité de diplomates qui ne sont pas écrivains
30:32 et qui ne le seront jamais, et inversement.
30:35 Mais je me reconnais dans certains parcours,
30:39 par exemple, évidemment, celui de Romain Garry,
30:43 enfin, je me reconnais, en tout cas, j'ai beaucoup d'admiration pour lui.
30:47 Mais il y en avait d'autres que j'ai connus, comme Pierre-Jean Rémy, par exemple,
30:50 Jean-Pierre Angrémy, qui était un diplomate de talent et de carrière,
30:55 et qui a aussi suivi la voie littéraire.
31:00 Donc, c'est... En fait, je pense que tous ces métiers
31:05 qui vous mettent en contact avec le monde, finalement,
31:08 que ce soit la médecine ou la diplomatie, vous fournissent une matière.
31:12 Alors cette matière, on arrive à la travailler ou pas,
31:14 on peut en faire autre chose, on peut en faire un livre.
31:17 Et ceux qui y arrivent, évidemment, ils ont un gisement à leur disposition.
31:21 - Pierre-Jean Rémy, je me souviens, il travaillait tout le temps.
31:23 Quand tu es allé l'interviewer au bord de sa piscine l'été,
31:25 il était en train d'écrire un livre.
31:27 - Oui, oui, c'était presque de la graphomanie.
31:30 Alors, évidemment, avec une rançon, qui était que c'était très inégal, ce qu'il faisait.
31:34 C'est-à-dire qu'il y a eu de très bons livres, très forts,
31:39 notamment le premier, "Le sac du palais d'été",
31:41 l'un des premiers qui l'a valu, je ne sais plus si c'est le prix Femina ou le Renaudot, je ne sais plus,
31:47 qui était un très, très beau livre.
31:49 Mais voilà, ça faisait partie de ces gens qui ne pouvaient pas vivre autrement
31:54 qu'avec une espèce de cape sur le dos et un écrit.
31:58 - Vous, vous aviez d'autres occupations aussi.
32:01 Il y a une chanson qui résume l'un de vos voyages, l'une de vos missions.
32:05 - Je vais aller m'éclater au Sénégal !
32:09 - Martin Circus, "Je m'éclate au Sénégal".
32:12 Vous êtes éclaté au Sénégal, vous avez été aussi diplomate là-bas.
32:15 Je crois que c'est le premier succès de Martin Circus, d'ailleurs, du groupe.
32:18 Et vous avez été, je crois, ambassadeur de France au Sénégal.
32:21 - Oui, oui, j'ai été ambassadeur pendant trois ans,
32:24 c'est ce qu'est à dire la durée normale d'un séjour d'ambassadeur.
32:28 C'est un poste passionnant, dans un pays passionnant, très difficile,
32:35 parce que les liens avec la France sont très étroits, évidemment.
32:38 C'était le pays peut-être le plus proche, le pays d'Afrique le plus proche de la France.
32:44 C'était là où était le haut commissariat pour l'Afrique occidentale française.
32:51 Et il y a des liens tellement proches, il y a tellement de Sénégalais ici,
32:55 il y a tellement de Français là-bas que l'ambassadeur est évidemment
32:59 dans une situation presque parfois de préfet vis-à-vis des Français qui sont là-bas.
33:03 On lui demande de représenter tous les services de l'État.
33:06 Et puis pour les Sénégalais, il y a toute cette question de la circulation des visas, etc.
33:11 Tout ça est très sensible, très lourd, très difficile, mais passionnant.
33:14 - En même temps, je crois que vous avez traqué les fuyards d'Al-Qaïda là-bas.
33:19 - Oui, parce qu'un soir, en effet, la première année de mon arrivée en poste,
33:25 il y a eu un attentat en Mauritanie.
33:27 Des Français qui étaient en voyage se sont fait mitrailler comme ça.
33:31 Un survivant que j'ai fait venir à Dakar, parce que c'était plus proche,
33:35 pour le faire opérer.
33:37 Et en effet, on a repéré les assassins.
33:43 On les a fait suivre et on a réussi à les capturer en Guinée-Bissau.
33:49 Guinée-Bissau, où je n'étais pas ambassadeur.
33:51 J'avais un confrère là-bas qui était aussi un écrivain,
33:54 qui s'appelait Jean-François Parrault, qui avait écrit la série Nicolas Le Floc,
33:58 tout ça, qui a été adapté sur France 2.
34:01 C'est drôle parce qu'il y avait deux ambassadeurs côte à côte.
34:04 Mais Parrault avait d'autres méthodes.
34:07 Il ne fallait pas le réveiller, par exemple, la nuit.
34:09 Donc les policiers qui traquaient ces coupables,
34:13 tant que Parrault dormait, m'appelaient moins,
34:16 parce que lui était en majesté dans son poste.
34:20 Enfin bref, on s'y est mis tous les deux et on a fini par les arrêter.
34:23 – Ce sont des souvenirs fabuleux tout ça.
34:25 Il y a matière à chaque fois des livres, non ?
34:27 – Pas toujours, mais en tout cas, ça peuple les livres.
34:30 Moi, je ne peux pas écrire sans peupler mes livres de choses vécues.
34:35 – Alors, il y a aussi du vécu, justement, dans votre nouveau livre
34:39 qu'on va évoquer à travers la date du 7 février 2024.
34:43 A tout de suite sur Sud Radio avec Jean-Christophe Ruffin.
34:46 – Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
34:49 – Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Jean-Christophe Ruffin.
34:52 On a évoqué votre parcours de médecin, d'ambassadeur,
34:56 tout ce que vous avez pu faire jusqu'à aujourd'hui, y compris des livres.
34:59 Et le 7 février 2024 est sorti ce roman "D'or et de jungle".
35:04 Alors, ce qui est étonnant, c'est que vous avez aussi écrit beaucoup de livres sur le passé.
35:08 Et là, on est carrément dans l'anticipation, l'histoire d'un coup d'État
35:12 sans la moindre arme à feu par la technologie.
35:15 – Oui, alors c'est une anticipation proche, parce que je pense que tout ce qui est raconté,
35:21 si ça n'a pas déjà eu lieu, peut en tout cas survenir très très vite.
35:27 C'est-à-dire que j'aime bien cette idée, si vous voulez, de poser une loupe sur la réalité
35:32 et de grossir un tout petit peu des choses qui ne sont pas encore visibles,
35:36 mais qui sont déjà là.
35:37 – Oui, l'idée de départ, bon, il y a un mot que l'académie 5, vous êtes,
35:40 ne devrait pas employer, mais pourtant il faut l'employer, c'est "fake news".
35:44 Car tout est parti de là.
35:45 – C'est ça, alors je crois que les Québécois parlent d'un "fox",
35:49 mais on a du mal à remplacer cette...
35:52 Oui, c'est-à-dire que l'idée qui sous-tend le livre, c'est qu'en effet,
35:59 aujourd'hui, les coups d'État, la technique de coups d'État,
36:04 s'emparer d'un pays, c'est une technique qui a changé, qui va changer,
36:09 qui est en train de changer, qui peut changer grâce aux nouvelles technologies.
36:13 C'est-à-dire que, prenons un exemple, dans le coup d'État classique,
36:17 qu'on connaît depuis toujours, une des premières choses consiste
36:21 à s'emparer de la radio-télévision locale pour pouvoir prendre le micro
36:25 et communiquer à la population.
36:28 Bon, ça c'est pas la peine aujourd'hui, vous n'avez pas besoin de prendre d'assaut.
36:31 Vous pouvez inonder les réseaux sociaux,
36:35 voire même prendre le contrôle de cette radio sans tirer un coup de feu,
36:38 simplement par l'utilisation des moyens numériques.
36:42 – Le piratage, c'est ça, c'est le principe.
36:45 Et je crois qu'il y a un cas qui s'est produit,
36:47 c'est évoqué dans la post-phase du livre, c'est en Californie.
36:51 – Oui, en Californie, les grandes entreprises du numérique
36:58 ont très envie de devenir le plus indépendantes possible
37:04 parce qu'elles arrivent à faire des choses aujourd'hui
37:07 qui ne leur sont pas toujours possibles.
37:09 Par exemple, mettons le clonage humain,
37:12 qui est une possibilité technique, il a été interdit.
37:15 Il y a des tas de choses comme ça, quand on touche le transhumanisme, etc.,
37:18 qui ne sont plus possibles.
37:20 Donc les grandes entreprises du numérique ont envie de sortir un peu
37:24 de la contrainte qui leur est imposée, finalement, par l'État fédéral,
37:29 et certains ont proposé l'indépendance de la Californie.
37:33 Ce qui n'est évidemment pas possible,
37:35 parce que les États-Unis ont connu la guerre de sécession
37:38 et ne laisseront jamais un morceau partir comme ça.
37:41 Mais ça montre qu'en tout cas, ils peuvent avoir envie un jour
37:45 d'avoir leur propre État, de façon à avoir leur propre liberté.
37:49 – Surtout qu'ils en ont les moyens.
37:51 – Ils en ont les moyens parce qu'aujourd'hui,
37:53 quand vous regardez les États dans le monde,
37:55 il y en a plus de 200, vous en avez une grande majorité
37:58 qui sont pauvres, qui sont petits, qui sont mal défendus.
38:02 Et quand vous comparez leur budget à celui des grandes entreprises de la tech,
38:07 Google, Amazon, Facebook, etc.,
38:10 c'est de l'ordre de 1 à 300.
38:12 Google, je crois, a 300 fois le budget d'un pays comme la Barbade, si vous voulez.
38:19 – Alors, il se trouve aussi que l'idée de ce roman est née,
38:22 je crois, lors d'une conversation il y a bien longtemps, Jean-Christophe Ruffin.
38:25 – Oui, c'était avec le président du Sénégal qui m'avait raconté ça,
38:29 qui m'avait raconté que lorsqu'il était dans l'opposition,
38:32 on lui avait proposé, une entreprise était venue lui proposer
38:35 de le mettre au pouvoir et de lui organiser, au fond,
38:39 un coup d'état clé en main.
38:40 Disons, écoutez, on s'occupe de tout, on vous met au pouvoir,
38:43 et puis vous nous opérez après.
38:45 Évidemment, il avait refusé, mais ça montre que c'est un peu
38:50 l'un des arguments du livre, mais qui est un roman, je rassure les auditeurs,
38:54 là on en parle de façon un peu technique, mais c'est un roman,
38:57 c'est-à-dire que tout ça se déploie, j'allais dire,
39:00 en suivant des personnages, bien sûr, mais c'est l'argument du livre,
39:05 c'est un coup d'état clé en main, suivi, pas à pas,
39:08 comment on prend le pouvoir dans un pays.
39:10 - Alors, il y a une société de sécurité privée qui s'en mêle,
39:13 et dans cette société, il y a une jeune femme, Fiona,
39:16 qui va être l'héroïne du livre.
39:17 - C'est ça, alors elle, elle est un peu en décalage,
39:19 c'est-à-dire que c'est une femme qui a une passion,
39:25 c'est la mer, c'est la plongée, etc., mais elle a aussi une famille
39:28 qui est un peu divisée, et l'image au-dessus d'elle,
39:32 comme ça, toujours flottant, d'un grand-père qui a été justement
39:36 un de ces mercenaires de type Bob Denard, si vous voulez, des années.
39:39 Cette idée un peu romantique est toujours restée en elle,
39:43 ce qui fait que par rapport aux autres personnages qu'elle va croiser,
39:46 et qui, eux, sont plus investis, je dirais, directement
39:50 dans des jeux de pouvoir ou d'argent, elle, elle est plus motivée
39:55 par une forme de romantisme, et donc elle permet de raconter
39:59 cette histoire en suivant ces personnages plus durs,
40:05 mais aussi en prenant de la distance par rapport à eux,
40:08 et c'est un personnage assez riche, et en tout cas suffisamment riche
40:12 pour que ce soit à travers elle que j'ai eu envie de raconter l'histoire.
40:16 - Oui, au départ, elle est serveuse dans un café,
40:18 et puis elle va suivre ces mercenaires par amour et par passion.
40:22 - Oui, alors elle est serveuse parce qu'elle attend,
40:25 en fait, elle est surtout, comme c'est une ancienne championne de plongée,
40:28 elle encadre des... - Elle est plongeuse, c'est bon !
40:31 - Elle n'est pas plongeuse dans les cafés, mais elle est plongeuse
40:33 sur un bateau de croisière où elle entraîne des croisiéristes
40:37 à faire des ploufs dans l'eau, et puis elle perd son boulot
40:41 à un moment donné, elle se retrouve là, et en effet,
40:44 ça c'est le début du livre, elle se retrouve engagée dans cette affaire.
40:48 - Alors, le pays que vous visez, vous avez cherché un petit pays,
40:52 vous allez sur place voir un pays tout à fait petit,
40:57 le sultanat de Brunei.
40:59 - Oui, je vais toujours sur place, de toute façon,
41:01 quand je parle d'un pays, il faut toujours que j'aille sur place.
41:04 Le sultanat de Brunei, c'est un pays fascinant parce qu'il est situé
41:07 dans cette immense île de Borneo, il y a deux fois la France,
41:10 qui est une île couverte de jungle, qui est partagée entre la Malaisie
41:14 et l'Indonésie. Brunei, c'est de tout petits confettis,
41:18 c'est grand comme un département français, si vous voulez,
41:21 avec une très petite population, mais très riche.
41:23 Ce qui fait qu'au fond, c'est un terrain de narratifs extraordinaires,
41:28 vous pouvez raconter une histoire sur une espèce d'unité de lieux,
41:33 comme une scène, si vous voulez, et c'est cette scène que j'ai choisie.
41:37 Alors évidemment, je suis allé voir.
41:39 - Vous êtes allé, vous avez été frappé par le côté chope de plomb
41:42 qu'on a à l'intérieur.
41:44 - Oui, parce que le sultan est enfermé dans son palais,
41:48 il fait un peu ce qu'il veut à l'intérieur,
41:51 il y a eu pas mal de scandales autour de lui,
41:53 il meurt, et de suite son frère surtout d'ailleurs,
41:56 mais le retour dans le pays, il serre la vis,
42:00 parce que c'est une façon de calmer les plus fondamentalistes,
42:04 donc il impose la charia intégrale, c'est assez rigoureux.
42:08 Et c'est vrai que c'est un pays où il n'y a pas de spectacle,
42:12 il n'y a évidemment pas d'alcool, il y a peu de distraction,
42:17 et c'est assez oppressant.
42:19 - Je me suis un peu renseigné, il a un palais de 1788 pièces,
42:23 il a 7000 voitures de luxe recouvertes d'or,
42:26 et une vingtaine d'avions privés.
42:28 - Oui, alors les voitures de luxe, il y a des Ferrari,
42:31 il aime beaucoup les Ferrari,
42:33 il a une Rolls couverte d'or en effet,
42:36 avions bien sûr, des yachts aussi.
42:40 - Il n'y a pas qu'à faire.
42:42 - Vous l'avez rencontré je crois ?
42:44 - Alors je l'ai croisé quand il est venu au Sénégal,
42:47 je ne veux pas dire que je sois intime avec lui,
42:49 mais j'étais là comme ambassadeur,
42:51 et il conduisait sa délégation, donc je l'ai vu à ce moment-là.
42:57 - Et il a pas mal de problèmes, mais il a quand même un psy que vous avez rencontré.
43:01 - C'est probablement le psy de son père,
43:04 ça c'est dans une autre ville,
43:06 bien auparavant j'avais rencontré à Hong Kong ce psychiatre allemand
43:10 qui m'avait dit qu'il était le psychiatre du Sultan de Brénail,
43:13 et ce psychiatre allemand avait un peu un trou dans sa biographie,
43:18 entre 1945 et 1955,
43:21 donc on pouvait se demander un peu ce qu'il avait fait pendant la guerre.
43:24 Enfin je ne me le demandais pas, j'en étais à peu près sûr.
43:28 Qu'est-ce qu'il faisait à Brénail ?
43:30 Je ne sais pas, mais je l'ai imaginé quand même dans le livre.
43:32 - Alors il y a toute une histoire bien sûr,
43:34 une fiction qui se passe et qui se développe,
43:37 mais il y a quand même des techniques que vous avez utilisées par rapport au passé,
43:41 notamment vous êtes inspiré de Malaparte et de sa technique sur le coup d'état.
43:47 - Oui, alors le coup d'état, la notion de coup d'état,
43:50 ça a toujours été un sujet littéraire,
43:53 depuis Cicéron, la conjuration de Cathélina,
43:56 Machiavel, le prince, au fond c'est une partie de son sujet.
44:02 Bon, "Techniques du coup d'état" de Malaparte,
44:05 ça a été vraiment un livre fondateur qui lui a attiré beaucoup d'ennuis,
44:09 il s'est retrouvé d'ailleurs en exil à cause de ça, Mussolini...
44:13 - Oui, je crois que même Hitler a demandé qu'on brûle son livre en place publique.
44:17 - Oui, oui, ça a été vraiment un livre qui l'a à la fois rendu célèbre,
44:22 mais en même temps avait eu plein d'ennuis.
44:25 Il y a des livres plus récents, un livre d'Edvard Ludvig qui est une sorte de manuel,
44:29 c'est un peu le coup d'état pour les nuls,
44:31 si vous voulez un truc à prendre dans ses valises,
44:33 Jacques, si vous voulez faire un coup d'état, n'oubliez pas d'emporter ce livre.
44:37 Voilà, mais donc finalement, moi je n'ai fait que prolonger ça
44:42 en essayant d'apporter une autre pierre,
44:44 un autre type de coup d'état, plus inspiré par les techniques d'aujourd'hui,
44:48 le numérique, etc. Mais sauf que moi, je l'ai écrit sous forme de roman.
44:52 - Oui, avec beaucoup de rebondissements,
44:54 et pour que ces rebondissements puissent être crédibles,
44:56 il a fallu aussi vous informer, c'est pas votre univers au départ la technologie ?
45:00 - Non, mais c'est ça qui est le bonheur d'écrire des livres,
45:03 c'est que ça vous fait entrer en premier, si je puis dire,
45:06 dans des univers dans lesquels on introduit ensuite les autres.
45:09 Mais c'est pas un livre non plus, il faut pas que les lecteurs soient inquiets,
45:13 il n'y a pas de technologie au-dessus, c'est pas la peine de connaître tout ça.
45:17 De façon, je veux dire, il n'y a pas de jargon,
45:21 d'ailleurs moi ça ne m'intéresse pas, c'est pas du tout cet aspect-là.
45:24 Ce qui m'intéresse, c'est de savoir un petit peu qui sont les gens,
45:27 les personnes qui sont derrière toutes ces découvertes.
45:30 Qui sont par exemple ces grands patrons du numérique, ça, ça m'intéresse.
45:33 - Le méchant, c'est un génie de la technologie dans votre livre.
45:36 - C'est ça, enfin le méchant, le commanditeur de tout ça.
45:39 Mais c'est un commanditaire qui est très très proche, on pourrait dire,
45:45 des grands patrons du numérique, que ce soit Elon Musk, Jeff Bezos ou Larry Page,
45:52 par exemple, créateur de Google, voilà, c'est un peu un mélange de ça.
45:56 Donc, est-ce qu'ils sont méchants ? Je ne sais pas, mais en tout cas,
46:00 ce sont des ados un peu attardés, c'est-à-dire des gens qui étaient des fous de technologie,
46:08 puis leurs découvertes les ont rendus richissimes,
46:11 mais au fond ils n'ont pas fait grand-chose pour ça,
46:13 ce n'est pas des industriels, ce sont des découvreurs.
46:16 Et dans les autres secteurs technologiques, le chercheur, l'ingénieur ne fait pas fortune,
46:22 c'est le patron qui fait fortune, là c'est les mêmes, voilà.
46:25 Et donc ils ont toujours ce côté ado qui fait qu'ils peuvent se lancer dans n'importe quelle aventure.
46:31 - Alors, il y a bien sûr une histoire d'amour dans le roman,
46:34 et finalement vous êtes plus que jamais un disciple de vos deux maîtres,
46:38 qui sont Dumas et John le Carré.
46:40 - Oui, ben écoutez, je trouve que c'est sans... il y a pire,
46:45 je pense que Dumas doit nous rappeler toujours cette nécessité de divertissement,
46:51 c'est-à-dire que là, un roman pour moi, un roman d'aventure,
46:55 c'est une page qui doit tourner à toute vitesse,
46:58 et c'est l'envie qui doit être donnée au lecteur de savoir la suite.
47:01 Et John le Carré, c'est que cette narration puissante soit mise au service,
47:08 finalement, d'une compréhension du monde.
47:10 - Oui, alors je précise que dans ce roman, le suspense dure jusqu'à la dernière page,
47:15 mais il y a de l'action, beaucoup d'action, mais en même temps,
47:17 et c'est votre marque de fabrique, il y a la réflexion.
47:20 - Oui, parce que les deux, à mon avis, doivent aller ensemble.
47:24 L'action pour l'action, c'est du... je vais dire...
47:29 c'est du Bob Moran, on aurait peut-être lu ça quand on était gamin.
47:33 - Et Borneo est une ville phare d'Henri Verne pour les aventures de Bob Moran.
47:37 - C'est ça. Donc voilà. Mais si on veut aller un peu plus loin,
47:41 et si on ne veut pas que cette agitation de l'action soit gratuite,
47:47 il faut qu'elle soit basée, enfin, appuyée sur une réflexion
47:52 et que le lecteur sorte de là en se disant "j'ai découvert des choses
47:58 que je n'avais pas imaginées sans ça".
48:01 - Alors ce livre, vous l'avez écrit entre la montagne, entre Bourges,
48:04 parce que vraiment, vous ne pouvez écrire que tranquille, loin du monde.
48:07 - Oui, je l'ai écrit surtout à Bourges, parce que c'est la ville où j'aime garder du temps
48:14 et c'est une ville qui est située un peu hors du monde finalement,
48:20 enfin elle est tout à fait dans son époque.
48:22 D'ailleurs elle est maintenant capitale européenne de la culture pour 2028,
48:26 mais il y règne une espèce de climat comme ça un peu intemporel
48:31 qui est très propice à l'écriture.
48:33 - Alors ce livre justement, il faut le lire justement, même si on n'habite pas à Bourges,
48:39 et si on aime la culture et l'aventure, parce que c'est vraiment de l'aventure
48:42 telle qu'on a envie de la lire, ça s'appelle "Dor et de jungle",
48:46 c'est chez Calman Levy.
48:48 J'espère que vous en écrirez d'autres aussi passionnants, vous continuerez.
48:51 - Merci beaucoup Jacques, avec plaisir.
48:53 - Merci, "Les clés d'une vie" c'est terminé pour aujourd'hui,
48:55 on se retrouve bientôt, restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.