Dans ses interviews, Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, se met dans la peau des patrons...
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00:00Jacques Garcia, merci, mon invité exceptionnel, qui donne l'oeuvre à une émission exceptionnelle.
00:06C'est la deuxième partie de notre conversation qui était trop courte.
00:09Et vous veniez de terminer sur effectivement votre sens.
00:14Vous avez repéré l'art contemporain avant tout le monde et a commencé un peu votre carrière à ce moment-là.
00:21Mais comment on arrive à faire fortune, disons-le quand même, de façon à pouvoir investir et être le bâtisseur que vous avez été ?
00:31Comment ça s'est passé ?
00:33L'idée de faire fortune, ce n'est pas la bonne idée.
00:36Je pense que, si vous voulez, le succès, c'est une chose très particulière.
00:43J'avais beaucoup de succès, mais un succès qui ne rapportait pas.
00:48Quel genre de succès ?
00:49Faire des appartements pour des gens qui étaient de mon niveau, de mes moyens.
00:54C'est très charmant, on fait des choses délicieuses, mais pour autant, ça ne rapporte rien.
01:00Et puis, c'est une amie, Diane Barrière de Seigne, qui avait le groupe Barrière et qui venait d'hériter de son père.
01:06Et elle me dit, Jacques, arrête les privés, fais les hôtels.
01:10Parce qu'au moins, au lieu de faire une chambre où on attend pendant des heures pour un bout de tissu,
01:15là, tu vas faire 100 chambres et tu vendras 100 fois plus de tissu.
01:19C'est une image, bien sûr, mais ça ne me plaisait pas au départ.
01:23C'est pour ça que je n'ai jamais arrêté de faire des clients privés,
01:26parce que j'ai une passion pour l'art et c'est quand même là qu'on met les objets d'art.
01:30Et finalement, elle avait raison.
01:32J'ai développé à travers un hôtel, deux hôtels.
01:36Je ne peux pas citer parce qu'on n'a pas le droit de citer, mais des hôtels extraordinaires.
01:39Connus dans le monde entier ?
01:42Dans le monde entier, quand le projet est partout, c'est pas le sujet.
01:47Donc là, il y a la vraie entreprise qui se crée ?
01:50Non, et surtout, ça vous crée une marque.
01:52Quand vous faites une maison très bien pour quelqu'un de très sympathique,
01:55si c'est divin, normal et à juste titre, la cliente essaie de se mettre en avant
01:59et dire que c'est elle qui l'a fait, ce que je peux comprendre.
02:02Si c'est raté, c'est le décorateur, ça c'est clair.
02:04Mais un hôtel, non, ils veulent votre marque.
02:07Donc ils veulent à tout prix que ce soit un tel qui l'a fait.
02:10Et ça, évidemment, un, deux, dix, cent, mille, c'est comme ça.
02:14La multiplication des petits pains, c'est comme ça.
02:16Quand commence l'aventure inouïe ?
02:18Justement, j'ai fait cette aventure uniquement parce que j'avais Champs de bataille.
02:24Je veux vous parler de ça.
02:26C'est une œuvre du dépassement.
02:28Peu de gens peuvent faire ça, peu de gens ont le pouvoir de se dépasser.
02:33Dépasser, ça veut dire passer outre tout.
02:36C'est ce que j'ai fait pendant 30 ans pour créer quelque chose.
02:39Vous avez racheté Champs de bataille.
02:41J'ai racheté Champs de bataille dans un état épouvantable.
02:44La tempête s'en est mêlée.
02:46J'ai créé là le plus grand jardin privé d'Europe, ça je tiens à le préciser,
02:50dans lequel j'ai enfoui ces collections dont vous parlez que j'ai pu acheter,
02:54mais qui ne sont pas l'essence même de la chose.
02:56L'essence, c'est d'avoir un lieu qui est mythique,
02:59qui est le château de Champs de bataille, construit par Levaux avant Versailles.
03:03Donc ça, c'est fondamental de l'avoir remeublé, digne de ce nom,
03:07comme la France était meublée au XVIIIe siècle,
03:09c'est-à-dire le pays que tout le monde visitait parce que nous étions dominants.
03:13Et de créer là, la troisième chose fondamentale,
03:16un jardin dominant, puisque c'est le plus grand jardin privé d'Europe.
03:19Mais vous êtes le nôtre aussi ?
03:21Je ne suis pas le nôtre.
03:23Non, parce qu'être le nôtre, ça voudrait dire que je suis dans un...
03:27Je voudrais capter le jardin.
03:29Ce n'est pas vrai.
03:30Le jardin, c'est une communion des jardiniers.
03:33Et je ne suis que celui qui commandite le nôtre.
03:36C'est ce que je voulais dire.
03:37Et ça, c'est très important, parce que c'est ces gens qui sont dans le jardin.
03:40Oui, mais c'était quand même votre regard.
03:42C'est un regard parce que je suis un architecte.
03:44Donc mon regard sur le jardin est un regard d'architecte.
03:48Et ce qu'avait reproché d'ailleurs le nôtre à Mansart,
03:52quand Louis XIV lui avait demandé de faire la fameuse retonte, le jardin d'eau,
03:56et le nôtre, qui n'était pas Mansart, évidemment, avait dit
03:59« Cyr, c'est très beau, mais il vous a fait un jardin d'architecte. »
04:02Eh bien, moi aussi, j'ai fait un jardin d'architecte.
04:04Mais je me suis adressé à le nôtre pour m'aider à ce que ça devienne le nôtre.
04:08C'est-à-dire les jardiniers et le chef jardinier.
04:10Le plus beau jardin d'architecte qui existe.
04:12Et alors vous, vous n'êtes pas arrêté là parce que le champ de bataille est un enchantement.
04:15Combien de visiteurs d'ailleurs ?
04:17Alors, le problème, c'est que nous sommes en plein développement.
04:20Nous savons, c'est enfin fini, c'est 30 ans de travaux.
04:23Déjà pendant 20 ans, on dit « Ah, tu crois, tu sais pas, tu sais, tu arraches des arbres, tu plantes. »
04:29Rien va. Rien va dans un jardin.
04:32Il faut 20 ans.
04:33Quand vous voulez avoir une charmille qui fait 20 mètres de haut, il faut 20 ans.
04:37Mais...
04:38Et quand vous la plantez à 3...
04:39Je vais vous raconter une anecdote de ma mère qui n'aimait pas le champ de bataille.
04:42Et un jour, elle vient, on s'est réconciliés, tout ça, voilà.
04:45J'avais mis des belles statues dans le parc magnifique que j'avais déjà d'avant.
04:50Puis j'avais planté les charmilles derrière.
04:52Les petites charmilles qui faisaient 60 centimètres de haut, les statues 4 mètres.
04:55C'était abominable.
04:57L'idée que les charmilles fassent 10, 15 mètres.
05:00Et elle vient, elle me fait « Ah, mais finalement, tu vois, j'ai eu tort. »
05:02Je la félicite, je lui dis « Merci, c'est trop gentil que vous ayez m'aidé à ce point-là.
05:07Enfin, vous accédez à mon point de vue. »
05:09Et elle me fait « Oh, c'est formidable. »
05:11Je dis « Mais quel est le ressenti ? »
05:13Et elle me fait « Je vais te dire, Jacques, voilà ce que je ressens. Blanche neige et les sept nains. »
05:19Voyez l'encouragement, je dis « Ça va, de votre propre mère. »
05:22Donc il faut dépasser tout ça, c'est abominable.
05:25Alors là, parce qu'on n'a malheureusement pas de temps,
05:27mais justement, champ de bataille, certes,
05:29mais la Sicile, Noto, c'est aussi une pure merveille.
05:34Comment vous êtes passé à Noto, en deux mots ?
05:37Non, en deux mots, j'ai passé, quand je suis passé à Noto,
05:41déjà pour me faire un point de fuite.
05:43C'est comme une prison, un endroit comme ça.
05:47Alors on me dit « Oh, la chance, la chance. »
05:49Mais quelle chance, tu ne penses qu'à ça, du matin au soir, c'est obsédant.
05:52Quand je pars à Noto, je suis comme tout le monde, tranquille.
05:55Ça, c'est déjà pas mal.
05:57Enfin, quand on voit la propriété, on se dit
05:59« Vous n'avez pas été tranquille tout le temps. »
06:01Non, non, non, non.
06:02Ce que j'ai fait à un rythme qui me convenait,
06:04ce que je ne pouvais pas faire, je ne le sais pas.
06:06Donc c'est ça.
06:07Et alors, pour finir, juste, quel est votre rêve ?
06:09Vous avez une baguette magique.
06:11Une baguette magique.
06:12Créer que le champ de bataille se perdure jusqu'au bout.
06:15Je n'y crois pas.
06:17Parce que j'ai vu démolir les Halles de Baltar,
06:19alors je ne crois à rien, moi.
06:21À partir du moment où on a démoli les Halles de Baltar,
06:23on peut tout démolir.
06:24Pourquoi pas la tour Eiffel ?
06:25Non, mais je ne crois pas.
06:27J'ai vu vider la roche Guyon,
06:29qui était le centre où j'ai passé ma jeunesse.
06:31Hallucinant qu'on ait laissé vider un château pareil.
06:34C'est dingue.
06:35Qui est daté de l'an 1000,
06:36rempli de chefs-d'oeuvre depuis l'an 1000.
06:38Tout ça pour pas grand-chose.
06:40Donc j'ai vu tout ça.
06:41Je ne juge pas tout ça.
06:43Mais la seule chose que je peux juger,
06:45c'est que je ne crois pas à la pérennité, malheureusement.
06:48Et je fais tout pour essayer de faire la pérennité.
06:50Alors écoutez, c'est le mot de la fin.
06:52On a été enchanté de vous avoir,
06:54mais je ne suis pas d'accord avec vous.
06:56Je crois dans la pérennité.
06:58C'est la seule chose dans laquelle je crois.
07:01C'est parfait.
07:02Merci infiniment.
07:03A bientôt.