Le ROI est-il le meilleur ennemi de la création et de l'innovation [Sylvain Bureau]

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Xerfi Canal a reçu Sylvain Bureau, professor à l'ESCP Business School, Scientific Director of the Improbable Chair by Galeries Lafayette, Head of the Art Thinking Network, pour parler des créations de ChatGPT.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Sylvain Bureau. Bonjour. Sylvain Bureau, professeur SCP Business School,
00:12séminaire improbable, c'est dans le cadre de la chaire improbable Galerie Lafayette dont vous
00:17êtes le directeur scientifique. Bravo aux Galeries Lafayette. Qu'est-ce qu'on fait
00:24quand le ROI devient notre meilleur ennemi ? Alors effectivement aujourd'hui on le ROI est un peu
00:29la norme, le dogme, il est partout dominant et si vous regardez tout un tas d'histoires
00:33d'innovation en fait le ROI a été mis de côté et donc je pense l'exemple le plus emblématique
00:38contemporain c'est le cadre de ChadGPT dont tout le monde parle et quand vous regardez en fait en
00:432015, décembre 2015, on crée aux Etats-Unis une fondation, une organisation qui n'a absolument pas
00:49de vocation de rentabilité. C'est constitué essentiellement par deux réseaux, l'un qui est
00:54issu en fait de ce qu'on a appelé la Paypal mafia, donc des cofondateurs de Paypal, en particulier
00:59les plus connus dont Peter Thiel, Elon Musk et Reid Hoffman, qui a ensuite cofondé LinkedIn,
01:05et puis ceux qui ont confondé le Y Combinator, un accélérateur extrêmement important aux Etats-Unis
01:11dans le monde, et donc il se donne ce contexte de on va créer de l'IA génératif sans ambition à
01:17court terme de profit et donc on se donne le temps, on recrute les meilleurs chercheurs qui
01:21ont cette envie de travailler pour un projet ambitieux dans de bonnes conditions et puis on
01:26va créer à partir de 2018 ou 19 je sais plus, une entreprise à profit limité et donc dans ce cadre
01:33là en fait la règle, les profits doivent être inférieurs à 100 fois la somme qu'on met dans
01:40l'entreprise et donc c'est que récemment en fait que ça devient une entreprise à vocation de
01:44rentabilité et donc cette logique du don c'est au coeur de la création, c'est le premier actif et
01:50d'ailleurs si vous avez lu « Les yeux de Mona » de Thomas Schlesser dont j'en parle aujourd'hui,
01:56le premier chapitre c'est sur les trois grâces de Botticelli où le coeur de l'oeuvre parle du don
02:00et donc si on pense d'un point de vue plus gestionnaire en fait et dans l'histoire de l'art,
02:05les acteurs en fait donnent parce qu'ils ne peuvent pas compter, parce qu'en fait on est
02:09dans un contexte où on ne peut pas savoir qu'est-ce qui va réussir et quand les premières
02:13oeuvres émergent on ne sait pas ce qui va devenir rentable ou pas, évidemment les cubistes,
02:19les impressionnistes au départ ne sont pas « bankable », il y a 150 ans on avait cette première
02:25exposition créée par tout un réseau, tout un club en fait d'impressionnistes, on peut citer
02:30Monet, Renoir, Sisley, Cézanne, ils se mettent ensemble, deux gars, et puis ils exposent chez
02:37Nadar près de 200 oeuvres, presque aucune ne sera vendue. Il n'y a même pas de titre à l'exposition.
02:42Voilà, il n'y a pas de titre à l'exposition et finalement ce sont les critiques et le temps
02:47qui va connaître l'évolution de ce projet, mais on voit bien qu'à ce moment-là si on avait
02:51une logique financière à court terme, ce projet aurait été tué dans l'œuf. Donc la question
02:57c'est comment on crée dans les domaines de la création un temps pour faire naître ces relations
03:04entre des acteurs complémentaires. C'est comment on guide la trajectoire aussi. Voilà, donc ça ne veut pas dire
03:09qu'il n'y a pas de pilotage, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas évaluer une production parce
03:13que là par exemple les impressionnistes, ils ont fait l'expo, ils ont produit, ils ont créé des
03:17partenariats, ils ont mis en scène un travail, et donc il faut faire confiance et avoir les
03:23ressources pour avancer dans ce projet-là. Et donc ces acteurs de la création vont à la fois
03:28beaucoup donner de leur temps, de leur énergie, et en même temps ils vont beaucoup détourner.
03:32Et donc c'est aussi ça qui est intéressant, c'est ce balancement, parce que les grands créateurs
03:36en fait détournent des idées, des symboles, des matérialités allègrement, et donc dans les projets
03:41que je viens d'évoquer, ils ont aussi cette capacité à récupérer beaucoup de contenus, d'actifs,
03:47et c'est cette contradiction, cette tension, d'où va naître la force de la création. Et c'est ça
03:55qu'on essaye d'enseigner et de faire pratiquer lors des séminaires improbables et autour de cette
04:00méthode qu'on a appelée Art Thinking. L'inverse des préjugés, voilà, c'est plutôt le sens critique,
04:06l'inverse des préjugés, le ROI c'est toujours un préjugé, puisqu'on attend quelque chose, on préjuge.
04:10Et puis c'est fondamentalement irrationnel dans un contexte d'émergence où le prédictif n'a pas
04:15de sens, donc ça peut avoir une logique de communication éventuellement, mais le cœur
04:22de l'enjeu de la création c'est de fabriquer du lien, ou si on reprend le terme de Brian Eno,
04:27le compositeur musicien, c'est de fabriquer un cénus. Alors je ne sais pas si vous connaissez
04:31ce terme, mais qui est le néologisme qui vient du lien entre une scène physiquement située et du
04:38génie en fait. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, dans ce monde numérique, on a l'impression qu'on
04:41peut rester en ligne et tout va bien se passer. Je vous invite à retrouver du lien avec le réel
04:46physique, et on voit bien que les grands projets, y compris dans le digital, en fait, naissent dans
04:51des territoires. Donc quand vous voulez créer un projet ambitieux dans le numérique, vous allez
04:54dans la Silicon Valley, vous allez peut-être à la Station F si vous êtes en France, et vous
04:58rencontrez des gens physiquement, et c'est ça qui fabrique le cénus qu'on a connu régulièrement
05:03dans l'histoire de l'art en France, avec des quartiers comme Montparnasse, comme Montmartre,
05:06et c'est déterminant. On finit toujours par retomber dans le réel. Effectivement. Merci à vous Sylvain.

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