• il y a 2 ans
Xefi Canal a reçu Franck Aggeri, professeur à Mines Paris PSL, pour parler de l'innovation comme mythe économique, social et managerial.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour, Franck Agéry.
00:01 Bonjour, Jean-Philippe.
00:11 Franck Agéry, professeur à Mines Paris PSL.
00:14 Franck Agéry, auteur aux éditions du Seuil de l'Innovation,
00:18 mais pourquoi faire ?
00:20 Pourquoi faire ? Vous posez tous une question.
00:22 Pourquoi avoir choisi d'abord ce titre ?
00:26 Alors, le choix de ce titre est lié au fait que l'innovation
00:30 est devenue une sorte de religion moderne qui a remplacé celle du progrès
00:34 et qui se traduit par une injonction que nous vivons tous.
00:39 On nous demande d'innover toujours plus et toujours plus vite.
00:42 Et cette injonction s'applique aux individus,
00:46 aux entreprises, aux organisations publiques, aux États.
00:49 Et en fait, elle est impensée dans ses fondements et dans ses conséquences.
00:54 L'innovation, qui au départ était un moyen au service de finalité,
00:58 est devenue une fin en soi.
00:59 Ce qui est passionnant dans votre ouvrage, dans le chapitre 2,
01:04 comment l'innovation est-elle devenue une culture ?
01:06 C'est qu'en fait, on est face à un système total.
01:08 C'est ce que vous nous expliquez, c'est-à-dire que vous repartez de Philippe
01:12 Agion sur le modèle darwinien,
01:16 pour faire simple, cette espèce de fascination pour l'innovation.
01:20 Vous évoquez le fait qu'on accélère tout le temps parce que finalement,
01:24 l'objectif, c'est de ne pas tomber. Si on s'arrête, on va tomber.
01:27 Et en même temps, ça pénètre les entreprises et les individus.
01:31 Vous faites référence à Michel Foucault.
01:33 Les individus, tous entrepreneurs, tous fans de l'innovation.
01:38 Alors, j'ai fait une sorte d'histoire du mot innovation,
01:43 qui est un mot qui a une histoire très ancienne, qui remonte à l'Antiquité,
01:47 mais qui avait un sens très différent de celui qu'il a aujourd'hui.
01:50 C'était associé au changement dans l'ordre politique.
01:55 Et pendant très longtemps, on n'utilisait pas le terme innovation, très peu.
01:58 Par exemple, pendant la révolution industrielle,
02:00 on utilisait les termes d'industrie, de progrès, de science,
02:04 mais pas d'innovation.
02:06 Alors, tout le monde connaît l'ouvrage de Joseph Schumpeter,
02:09 qui a écrit au début du 20ème siècle, en 1911,
02:12 qui a conceptualisé l'innovation,
02:15 mais il n'a pas cherché à influencer les pouvoirs publics.
02:18 Donc, pendant une trentaine d'années, en fait, le terme est resté sous le radar.
02:23 Et s'est popularisé après la Seconde Guerre mondiale.
02:26 D'abord, très centré, avec une problématisation
02:31 très centrée sur la R&D, la technologie, etc.
02:35 Et ce qui est fascinant, c'est que les sens du mot innovation
02:38 se sont transformés au fil du temps.
02:40 Dans les années 80, on a redécouvert les districts industriels
02:45 sur lesquels Alfred Marshall avait travaillé.
02:48 On a dit, il y a la Silicon Valley, voilà, l'innovation,
02:51 c'est en fait une agglomération de start-up
02:55 soutenues par la puissance publique.
02:57 Ensuite, il y a de nouveaux épithètes
03:01 qui ont été accolés à l'innovation.
03:03 Donc, aujourd'hui, on parle d'innovation sociale,
03:05 dont l'objectif n'est pas le profit, mais plutôt de générer
03:10 un progrès social au sens large.
03:12 On peut penser, par exemple, au microcrédit inventé par Mohamed Younous,
03:18 qui a obtenu le prix Nobel de la paix pour cela,
03:20 aux innovations vertes, aux innovations publiques,
03:23 aux innovations managériales, aux innovations financières,
03:26 aux innovations pédagogiques, etc.
03:28 Et donc, il y a une sorte de langage de l'innovation, une oeuvre langue,
03:32 avec effectivement, on associe à l'innovation
03:35 l'idée d'entrepreneuriat, de créativité, qui s'est diffusée
03:38 dans l'ensemble de la société et qui est enseignée à peu près
03:42 à tous les niveaux, depuis le lycée
03:47 jusqu'aux études supérieures et bien au-delà.
03:50 Et donc, effectivement, il y a cette idée que finalement,
03:54 l'innovation, c'est devenu un concept dépolitisé.
03:57 La croyance que c'est la promesse d'un monde meilleur
04:04 et qui n'est plus questionné.
04:06 Et donc, c'est ça qui est tout à fait fascinant.
04:09 Alors, la raison pour laquelle l'innovation a remplacé le progrès,
04:13 c'est que le progrès avait un défaut.
04:15 C'est un terme qui vient des lumières,
04:18 mais qui était, disons, impulsé par une élite éclairée
04:22 qui était capable de désigner quel serait le futur souhaitable de nos sociétés.
04:27 L'innovation, c'est le contraire.
04:28 L'innovation, ça vient du bas, de l'initiative d'entrepreneurs.
04:32 Et donc, c'est la promesse d'une société en transformation, en mouvement.
04:38 Voilà.
04:39 Alors, il y a également dans mon ouvrage un sous-titre,
04:42 comme vous l'avez noté, c'est "Amit économique, sociale et managériale".
04:47 Alors, le choix de mythe, c'est précisément,
04:51 c'est qu'il n'y a pas de démonstration.
04:53 C'est un système de croyance.
04:54 Alors, c'est un mythe économique parce que Schumpeter avait dit
04:58 "l'innovation est le moteur de la croissance".
05:00 Et donc, ça, c'est un thème qui est notamment repris
05:02 par les économistes comme Philippe Aguillon.
05:05 Donc, il dit voilà, si on veut avoir des économies compétitives,
05:10 il faut mettre en place des systèmes d'incitation
05:13 pour que les acteurs soient toujours plus innovants.
05:16 C'est un mythe social parce que c'est le récit,
05:19 la promesse d'une émancipation des individus
05:22 qui vont devenir entrepreneurs de soi,
05:25 qui vont développer des projets épanouissants.
05:27 Et puis, c'est un mythe managérial parce que c'est la promesse
05:31 pour les entreprises de rester compétitives et d'être prospères.
05:34 Merci, Franck Agéry.
05:36 Merci, Jean-Philippe.
05:37 Merci à tous.
05:38 [Musique]

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