Xerfi Canal a reçu Pierre-Jean Benghozi, Directeur de recherche émérite au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), pour parler de l'économie de l'abondance.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour Pierre-Jean Bengozy.
00:10 Bonjour Philippe Denis.
00:11 Pierre-Jean Bengozy, directeur de recherche scientifique émérite au CNRS et à l'école
00:15 polytechnique. Pierre-Jean Bengozy, vous êtes un spécialiste de tous les sujets ayant trait à la
00:20 culture, au modèle économique dans la culture et finalement, j'ai envie de vous dire, l'économie
00:28 c'est la science de la rareté. C'est la science de l'allocation des ressources rares. Vous nous
00:32 dites non, en fait ça dépend comment on regarde. Oui l'économie elle s'est construite sur une
00:36 économie de la rareté puisque les ressources naturelles sont des ressources limitées, on le
00:40 voit bien avec les enjeux du développement durable, la biodiversité etc. Or finalement,
00:45 l'économie des contenus, l'économie de la culture, c'est au contraire une économie de l'abondance,
00:50 presque par nature, parce que pour créer, il faut, on peut créer autant qu'on veut,
00:54 il n'y a pas de limitation, heureusement, à la créativité humaine, à l'intelligence humaine.
01:00 Et en même temps, quand on observe ce qui se passe aujourd'hui, a fortiori avec le numérique,
01:06 j'y reviendrai, on est dans des situations d'hyper-offre. Avant, quand on allait dans une
01:10 librairie, une grande librairie parisienne, c'est 50 000 ouvrages. Sur Amazon, c'est plusieurs
01:17 millions d'ouvrages qui sont disponibles dans toutes les langues etc. et livrables rapidement.
01:20 L'exemple que je vous ai pris sur le livre, on pourrait le démultiplier. Donc en fait,
01:24 l'hyper-offre aujourd'hui, c'est un constat. On peut voir tous les films qu'on veut, quasiment,
01:29 toutes les séries etc. en quelques clics, en quelques secondes, avec un accès. Le problème,
01:34 ce n'est donc plus l'accès aux ressources, c'est la dysmonimité de ces ressources,
01:40 c'est la capacité d'avoir même qu'elles existent et de savoir les trouver. Et donc, par rapport à
01:44 ça, alors ça, ça résulte du fait que la multiplicité de la créativité, le numérique
01:49 a permis de stocker presque sans limite, alors que dans une librairie physique, on a des espaces
01:54 qui sont forcément restreints. On peut retravailler les œuvres, ce qu'on appelle les covers, les
01:59 remixes etc. permettent de retravailler, de faire du sampling etc. Donc on a une démultiplication
02:04 de la création et par rapport à ça finalement, les conséquences sont une multiplicité des sources
02:10 de créativité, amateur, professionnel, n'importe qui chez soi devient créateur. Voilà, tout le
02:17 monde se sent. Et puis les outils permettent, les home studios, les caméras numériques etc. permettent
02:23 assez facilement de produire. La démultiplication des moyennités d'accès avec internet, on a accès
02:31 à tous les produits du monde. Et donc la question, c'est comment cognitivement avoir la connaissance
02:38 de ces œuvres disponibles, et savoir celles qui vont nous intéresser, celles vers lesquelles on
02:43 va se tourner plus volontiers etc. Et donc on voit bien que par rapport à ça, la contrepartie de
02:50 cette hyper-offre, de cette abondance, c'est un poids grandissant des plateformes, des prescripteurs,
02:55 des distributeurs. Non pas simplement d'un point de vue économique, comme on peut l'avoir dans la
03:01 plupart des secteurs économiques guidés par la rareté, pensons à l'agroalimentaire, pensons à
03:06 l'énergie etc. mais du fait de leur capacité à traiter l'information, ce qu'on appelle parfois
03:11 l'économie de la tension, qui leur donne un poids tout à fait prépondérant dans cette nouvelle
03:19 forme d'économie. Et de ce point de vue là, finalement les principes, les modèles qu'on a
03:23 en tête pour penser la chaîne logistique, pour penser l'organisation des secteurs, pour penser
03:28 même la concurrence, elles sont complètement décalées, puisque c'est des principes qui ont
03:31 été développés depuis le 19e siècle sur la banque classique de la rareté, et qu'on arrive
03:38 à une situation où ce n'est plus ça, ce n'est plus ça qui est en cause, ce n'est plus le coût
03:43 de production qui devient important, puisque en fait on a une production qui est absolument
03:47 pléthorique, mais c'est les modalités de distribution, d'accès, d'information qui
03:51 deviennent centrales et qui expliquent le poids aujourd'hui des grandes plateformes qui se
03:55 contentent d'aller faire du picking, éventuellement de produire un peu, mais l'essentiel n'est pas là pour eux.
04:02 Bien sûr, avec un sujet de winner take all évidemment, c'est-à-dire qu'une fois qu'une
04:06 plateforme a pris le lead, le distributeur est installé, le déloger est quasiment impossible.
04:11 Tout à fait, mais c'est aussi un vrai challenge pour les chercheurs, pour les anciens chercheurs,
04:15 c'est-à-dire sur le fond, quels sont les principes, les modèles, les modèles d'interprétation de la
04:21 rareté pour rendre compte, y compris en termes stratégiques, en termes de positionnement et en
04:25 termes d'économique, de cette nouvelle forme d'économie. Bien sûr, l'intérêt d'un regard
04:29 de longue vue, voilà, pour savoir comment appréhender le monde actuel, avec parfois des
04:34 mots qui viennent du passé et des représentations qui viennent du passé qu'il faut savoir remettre
04:37 en cause. On a toujours les mots du passé qui gardent leur trace. Merci Pierre-Jean Bengozy.
04:43 Merci Jean-Philippe Denis.
04:44 Merci.
04:45 [Musique]