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Xerfi Canal a reçu Pierre Veltz, ancien Président-Directeur Général de l'Etablissement public Paris-Saclay, pour parler du déficit de récit.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Pierre Veldt, on ne vous présente plus, on ne perd plus de temps à vous présenter
00:12maintenant, il faut vous écouter. Bifurcation, prix du livre à la tribune, ça fait longtemps
00:20que vous nous le dites, il faut que l'économie devienne désirable. Ce n'est pas un oxymore
00:25pour une économie désirable, et le cœur pour que l'économie devienne désirable
00:30c'est qu'il nous faut un grand récit. Et aujourd'hui, on est en déficit de grands
00:34récits. Oui, je crois que c'est un des problèmes fondamentaux de nos sociétés
00:39modernes, c'est vrai pas seulement pour la France, mais on n'a plus de grands récits
00:45auxquels se référer. Un grand récit ce n'est pas forcément consensuel, on a eu
00:50longtemps un récit on va dire de la modernisation économique, le récit de la sociale-démocratie
00:57etc. Il n'était pas consensuel. La gauche, les syndicats disaient oui mais il n'y a
01:04pas de bon partage de la valeur, on parlait des dégâts du progrès etc. Mais il y avait
01:10un récit quand même, on était dans une histoire qui était en gros celle de la modernisation
01:15de la société. Aujourd'hui, les récits sont totalement éclatés. Il y a un récit
01:19technocratique de la bifurcation, de la transition qui avec la techno a tout réglé. Il y a
01:25des gens qui disent en dehors de la permaculture et du off-grid, pas de salut. Il y a des gens
01:34pour qui l'industrie reste majeure, il y a des gens que le mouffe horrifie. Et même
01:40dans les sphères éduquées de la société, on n'arrive pas à avoir une représentation
01:47commune. Alors on dit souvent qu'il faut que ce récit soit positif. Oui et non. On critique
01:55souvent l'écologie en disant qu'elle est punitive. Moi ce n'est pas exactement ça que je dis. C'est
01:59vrai qu'elle est essentiellement punitive aujourd'hui, c'est moins de ceci, moins de cela.
02:03Mais on ne se projette pas. Par exemple dans l'imaginaire, on n'a pas de
02:09vision. Tous les films, toutes les fictions, etc. sont dystopiques. Sauf quelques exceptions
02:18avec des trucs un peu, on va dire, gentillets, babacous, verdoyants, néoruraux et tout. Le reste
02:26est dystopique. On n'arrive pas à avoir une image, on ne travaille pas sur une image motrice de ce
02:33que pourrait être la société de demain. Avec ces problèmes, avec ces difficultés, mais aussi
02:38ces choses en enthousiasme. Et là où ça devient extrêmement urgent et important, c'est qu'il y a
02:44une forme de backlash écologique aujourd'hui. C'est-à-dire que faute de récits, on en vient
02:49finalement avec cette image de l'écologie punitive à dire l'écologie ralentie. Oui,
02:54oui. Il y a des enquêtes extrêmement inquiétantes. L'une qui a été publiée notamment par la
03:01Fondation Jean Jaurès avec Jean-Yves Dormagin, qui est un prof de Bordeaux. On pose des questions,
03:06on dit que les élites veulent une dictature climatique. Le nombre de Français qui adhèrent
03:11à ça est impressionnant. À peu près la moitié. Incroyable. La question c'est la voiture électrique
03:18est une arnaque. Il y a la moindre, 60%, même plus je crois, des gens qui sont d'accord avec
03:22l'idée que la voiture électrique est une arnaque. Ça veut dire qu'on n'a pas su raconter. C'est pas
03:27seulement une question de pédagogie. C'est aussi parce qu'on a mis l'écologie d'un côté,
03:31l'économie de l'autre, la société de l'autre. On n'a pas été capable d'intégrer personne. Les
03:38gouvernements, les intellos, d'avoir un récit un peu cohérent et un peu mobilisateur. Et donc
03:44les gens, qu'est-ce qu'ils ressentent ? Ils disent « ça parle, on nous emmène ». Et surtout,
03:48finalement, on remet en cause notre mode de vie de base. La sensibilité à la voiture,
03:52par exemple, est incroyable. Et ça, nous, les élites, on ne l'avait pas bien compris. On s'est
03:59dit « bon ben, on a vu à quel point c'est… ». Alors les discours qui disent « il faut arrêter la
04:03maison individuelle, il faut tous venir au vélo », ça exaspère les gens parce qu'ils disent
04:07« mais comment on fait ? ». Donc il y a cette dimension-là. Et ce qui est encore plus inquiétant,
04:14c'est que quand on regarde qui sont les gens qui tiennent ce discours maintenant assez négatif,
04:21voire très négatif, par rapport à l'écologie, c'est les mêmes que les identitaires. C'est-à-dire
04:27qu'il y a une coïncidence extrêmement forte entre les mouvements populistes identitaires
04:30et ce mouvement anti-écologique. Alors ça, c'est vraiment problématique.
04:36Sujet absolument majeur au cœur de l'actualité. Donc l'urgence de penser,
04:42de repenser un grand récit.
04:44Alors il y a une chose qu'il faut dire, c'est que c'est compliqué. Parce qu'on ne peut pas
04:50balancer ce grand récit d'en haut, si vous voulez, que l'État nous sorte de l'état de vision assez
04:58technologique. Le secrétariat général de la planification écologique a fait un excellent
05:02boulot, mais leur powerpoint, franchement, ils sont formidables pour les experts,
05:06mais c'est incommunicable. Il faut dire que c'est compliqué de communiquer sur les sujets
05:10écologiques. Parce que c'est compliqué en soi, de la physique, de la chimie, de la biologie.
05:15C'est Paul Valéry qu'il faut méditer.
05:17Paul Valéry, c'est ça. Il disait, je crois, tout ce qui est simple est faux,
05:20tout ce qui est complexe est inutilisable. Je mets souvent sur mes transparences.
05:25Et c'est ça, et on est de plus en plus là-dedans.
05:28Merci Pierre-Venz.

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