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Xerfi Canal a reçu Armand Hatchuel, professeur émérite à Mines Paris PSL et membre de l’Académie des technologies, pour parler de la responsabilité écologique des entreprises.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Armand Hachuel.
00:15 Bonjour Jean-Philippe.
00:16 Armand Hachuel, professeur émérite à Mines Paris PSL,
00:19 membre de l'Académie des technologies.
00:21 Armand Hachuel, entreprise responsable des civilisations écologiques.
00:27 Dans l'avant-propos, vous nous dites "attention, amplification, aggravation".
00:33 Ce sont les deux mots que vous retenez pour qualifier la situation actuelle.
00:37 Oui, ce sont aussi les deux écueils, les deux horizons qui menacent quoi ?
00:48 Une action collective qui se transforme.
00:51 Au fond, si les sociétés humaines baignaient dans une nature à peu près stable,
00:59 si tout cela s'était en quelque sorte congelé dans un équilibre constant,
01:04 nous ne serions probablement pas là pour en discuter,
01:08 parce qu'au fond, il n'y aurait ni histoire, ni tradition, ni répétition,
01:11 et la mémoire serait à la fois le passé, le présent et le futur.
01:14 Mais nous appartenons à des sociétés qui justement se projettent dans le futur,
01:20 et cette projection-là peut être destruction,
01:22 elle peut être aussi, au contraire, enrichissement.
01:26 Elle peut être ossification, rigidification,
01:30 mais elle peut être aussi enrichissement, émancipation.
01:32 Et d'où vient cette...
01:36 Pourquoi... Quelle est la raison profonde de cela ?
01:40 On ne peut la chercher que dans l'action collective.
01:42 C'est l'action collective qui possède cette propriété fondamentale
01:47 de provoquer, d'avoir cette espèce d'ubiquité, d'indécidabilité intrinsèque
01:52 d'aller dans ces deux directions.
01:56 Pourquoi cela ?
01:57 Parce que l'action collective, c'est aussi ce qui produit la connaissance sur elle-même.
02:01 Et là, vous voyez, dès que je commence à dire ça,
02:03 vous pouvez retrouver quasiment un des vieux principes de la gestion,
02:07 construire une action réflexive,
02:10 se doter de modèles qui permettent de comprendre le rapport à son environnement.
02:14 Donc vous allez retrouver des mécanismes,
02:17 qui sont les mécanismes de normativité de l'action.
02:20 Et au fond, le pragmatisme bien pensé,
02:26 ce n'est pas de dire que l'action résout tout,
02:30 ou que c'est dans l'action que l'on comprend tout.
02:33 Tous les jours, nous constatons que nous avons beau tenter d'apprendre,
02:37 d'agir en apprenant, on n'y arrive pas.
02:39 Il faut quelqu'un d'autre.
02:41 Il faut l'expertise d'autrui pour apprendre.
02:43 Et ce mécanisme collectif, si vous voulez,
02:47 qui à la fois produit des connaissances,
02:49 mais ensuite renvoie ces connaissances au fonctionnement lui-même.
02:54 Nous sortons d'un siècle, le XXe siècle,
02:56 qui a été particulièrement odieux sur de nombreux plans.
02:59 Nous sommes à nouveau dans la guerre.
03:02 On peut se demander, au fond, qu'est-ce qui n'a pas été compris ?
03:05 Quels sont les mécanismes qui n'ont pas été compris ?
03:08 Et l'intérêt de réfléchir, si vous voulez, à l'entreprise,
03:12 ce n'est pas pour dire que tout doit devenir une entreprise.
03:15 C'est simplement pour analyser les lieux où il y a une intensification très grande
03:19 de ce retour de l'action collective sur elle-même.
03:22 Et au fond, aujourd'hui, lorsque nous disons
03:26 "attention, l'ensemble des systèmes de normes de l'entreprise
03:30 nous mènent par exemple à des crises économiques gravissimes,
03:33 nous mènent à de l'injustice sociale",
03:35 nous pouvons dire de la même manière
03:37 "les mécanismes de construction de l'État
03:40 ou les mécanismes de construction des rapports internationaux
03:43 ont peut-être aussi manqué de normes génératives".
03:47 Cette notion de normes génératives,
03:49 c'est au fond la voie dans l'entreprise.
03:52 On voit très bien par exemple que je peux avoir un code
03:56 mais qui n'empêche absolument pas la diversité des actions.
04:00 Je suis dans un département de recherche
04:03 où on est à peu près tous d'accord, par exemple,
04:05 sur un certain nombre de principes de l'objet que l'on doit concevoir.
04:09 Mais il peut y avoir une myriade d'objets
04:11 qui vont surgir de ce principe-là.
04:14 La nature nous montre toujours ce que c'est qu'une norme générative.
04:18 Le code, l'ADN, ne détermine pas un seul type de vivant.
04:23 C'est peut-être la même structure d'ADN, peut-être,
04:27 mais ce que l'on constate, c'est une variété extraordinaire du vivant.
04:32 Et vous voyez que dans la crise dans laquelle nous sommes aujourd'hui,
04:36 cet ensemble de crises-là,
04:39 l'intérêt de passer par la réflexion sur l'entreprise,
04:42 ce n'est pas pour dire qu'il faut garder les entreprises telles qu'elles sont,
04:45 mais c'est pour conserver cette puissance créatrice
04:49 et la doter de nouvelles normes génératives.
04:53 Et vous voyez que ce n'est pas tout à fait ce que,
04:56 dans nos traditions, on a appelé la régulation.
04:59 La régulation, c'était quoi ?
05:00 Arrêter la domination, par exemple,
05:02 ou arrêter la défaillance de marché.
05:04 Mais ni l'une ni l'autre de ces actions
05:07 ne portent sur la capacité à générer et à inventer
05:10 de nouveaux rapports entre les humains ou entre les humains et la nature.
05:13 Et donc c'est là, c'est dans ce vide
05:16 qu'est la construction d'actions collectives créatrices.
05:19 On peut analyser ce qui s'est passé
05:22 là où ça a été le plus puissant, le plus fort.
05:26 Et évidemment se projeter maintenant,
05:28 à travers un effort théorique,
05:30 dans ce que vont être demain,
05:31 ce qu'on pourrait appeler les collectifs écologiques,
05:34 ou les civilisations écologiques,
05:36 mais ces civilisations, il leur faudra des normes.
05:39 Alors vous voyez, l'intérêt de ce détour,
05:42 c'est de désigner très clairement
05:47 où le travail concret doit se faire.
05:51 Alors par exemple,
05:52 aller travailler aujourd'hui sur les normes de droit
05:55 qui constituent l'entreprise ou le travail.
05:57 Aller travailler aujourd'hui, par exemple, sur les normes de la connaissance.
06:01 L'écologie, ça nous impose
06:04 une révision de la division des sciences.
06:08 Et ça aussi, c'est une norme générative.
06:10 Si je dis qu'il y a la physique et la chimie,
06:12 j'espère que ce n'est pas une norme destructrice.
06:15 Ce n'est pas une dénomination qui va empêcher
06:19 chimistes et physiciens de travailler ensemble.
06:21 Grâce au ciel, ils le font remarquablement bien.
06:24 Mais vous voyez, ce que veut dire une norme générative,
06:26 c'est plutôt de permettre l'invention
06:29 sans briser la solidarité.
06:32 C'est absolument passionnant.
06:34 La crise sanitaire a montré que du jour au lendemain,
06:36 tout pouvait s'arrêter et qu'il fallait inventer de nouvelles normes.
06:39 Absolument.
06:39 Le télétravail, etc.
06:41 Donc, tout redevient possible.
06:43 Mais il y a aussi beaucoup d'inquiétude dans votre ouvrage.
06:46 Et vous les avez partagées.
06:49 L'inquiétude devant la tâche à accomplir.
06:52 Devant la tâche à accomplir.
06:53 Ce qui est certain, c'est que la civilisation écologique
06:56 se fera par ce regard des sciences de gestion.
07:00 Plusieurs décennies de travail.
07:02 On sait que pendant une décennie,
07:04 vous avez travaillé avec les Bernardins pour produire la loi Pacte.
07:06 Que tous les décideurs se plongent et rattrapent leur retard.
07:10 Il y a un héritage à mettre au travail tout de suite
07:13 pour l'action collective dans l'inconnu.
07:15 Merci.
07:16 Merci beaucoup, Jean-Philippe.
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