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Xerfi Canal a reçu Jean-Noël Kapferer, professeur émérite à HEC Paris, pour parler de la désirabilité du luxe.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Jean-Noël Capferrer.
00:09Bonjour.
00:10Jean-Noël Capferrer.
00:11Est-ce qu'on vous présente encore Jean-Noël Capferrer ?
00:14Il faut toujours se souvenir qu'il y a des nouveaux venus.
00:16Vous êtes professeur émérite à HEC Paris, vous êtes la référence en France, mais
00:22au-delà de la France, sur les questions de management de la marque.
00:26Et du luxe.
00:27Et du luxe.
00:28La désirabilité, le nouvel impératif du luxe, c'est l'article que vous avez publié
00:34dans Conversation France qui est extrêmement intéressant.
00:37Alors d'abord, pourquoi vous nous parlez de désirabilité ? De quoi c'est le symptôme
00:41?
00:42Alors j'en parle parce que les PDG des maisons de luxe en parlent.
00:45Actuellement, je focalise mes recherches sur le discours de management au sein des entreprises
00:52de luxe, des groupes de luxe, des conglomérats, etc.
00:55Or, qu'il s'agisse de François Pinault, ou bien de Bernard Arnault, ou bien de la
01:04maison Dumas chez Hermès, etc., le mot clé c'est « désirabilité ». Nous devons
01:10développer la désirabilité, il faut renforcer la désirabilité, je félicite mes équipes
01:15qui ont créé la désirabilité.
01:16Et je me suis dit, c'est intéressant cette excitation sur la désirabilité, parce que
01:21quand j'ai commencé à travailler sur le luxe, on n'en parlait pas, on parlait du
01:25rêve.
01:26Nous sommes là pour créer le rêve.
01:27Et je me suis dit, comme les mots sont des concepts et que le management, quand il utilise
01:32des mots, c'est pour faire passer des concepts, il se passe quelque chose dans le monde du
01:36luxe.
01:37Que se passe-t-il ?
01:38C'est là l'énigme.
01:39Que se passe-t-il ? Il se passe, la chose suivante, c'est que le rêve peut attendre,
01:45et les résultats trimestriels ne peuvent plus.
01:48Donc, le luxe qui s'est construit sur une histoire de rêve, d'accès à un rêve,
01:53les voitures de rêve, les bateaux de rêve, les villas de rêve, etc., est désormais
01:59confronté à un problème, c'est la hausse des coûts fixes.
02:02Le fait que certes, il y a de l'e-commerce, mais 75% des ventes se passent encore dans
02:08des magasins, qui doivent être des magasins de plus en plus chers, de plus en plus beaux,
02:13etc.
02:14Et donc, quelque part, il faut que les clients, non seulement visitent les magasins, mais
02:21en plus soient mûs par une pulsion d'achat et reviennent.
02:26Or, le rêve peut attendre, on peut toujours dire « un jour, j'en aurais eu une, etc.
02:33Puis si je ne l'ai pas, ce n'est pas très grave.
02:34Le désir doit être immédiatement satisfait, et il se satisfait par l'acte et il se recrée
02:41plus tard.
02:42Donc, il y a une course à l'heure actuelle, au désir, qui nous amène très loin du discours
02:48originel.
02:49On va se rappeler rapidement quelque chose, c'est que le luxe fonctionne sur 4 mots
02:54« besoin, envie, désir, rêve ». On n'est pas dans le domaine des besoins, le luxe c'est
03:00le dépassement du besoin par l'art, l'esthétique, l'artisanat, l'élégance, etc.
03:05C'est un dépassement du besoin.
03:07Il y a ensuite l'envie, l'envie c'est j'ai envie de chocolat, j'ai envie de fraises,
03:13j'ai envie d'une belle voiture, j'ai envie de partir à l'étranger, etc.
03:17Ça c'est le marché primaire et le désir se focalise sur une marque, un produit, etc.
03:23Et le rêve c'est un jour je me dépasserai, j'aurai autre chose.
03:28Actuellement, l'obsession c'est, on pourrait dire, le désir, et le désir nous rapproche
03:32de la mode.
03:33Or, jusqu'à présent, la mode et le luxe c'étaient deux secteurs séparés, parce
03:37que la mode c'est un business model qui consiste à dire dans trois mois ça sera
03:41démodé.
03:43Le hit bag, vous évoquiez le hit bag.
03:45Voilà, le hit bag, et dans trois mois ça sera démodé, ils reviendront, alors que
03:50le luxe disait c'est éternel, c'est intemporel, vous le gardez, c'est la fameuse publicité
03:54Patek Philippe, cette montre vous la passerez à vos enfants, vous ne la possédez pas,
03:59vous la passerez de génération en génération.
04:00On est à l'opposé de la notion de mode, et donc il y a une modification, une modification,
04:08c'est que la pression des coûts, la pression des coûts fixes, la pression des magasins,
04:12la pression du commerce traditionnel, etc. amène à mettre le paquet sur faire revenir
04:17les gens pour qu'ils rachètent autre chose, ce qui est assez contradictoire avec la notion
04:21de luxe traditionnel.
04:22Tout le monde n'est pas là-dedans, c'est en gros l'opposition entre Vuitton et Hermès.
04:27Hermès est encore dans une logique d'intemporalité, et un mot qui est banni chez Hermès, c'est
04:33le mot à la mode.
04:34Si quelque chose devient à la mode, il devient dangereux parce qu'il sera démodé, et
04:38l'idée qu'Hermès soit démodé va tuer la valeur d'Hermès.
04:41Vuitton est beaucoup plus dans un système du genre, il faut qu'il revienne, et il
04:45faut qu'il soit toujours contemporain.
04:47Et donc, ce passage à la modification, ce passage à la désirabilité, est beaucoup
04:55plus qu'un changement de mot, c'est un changement de paradigme.
04:57C'est passionnant.
04:58Merci Jean-Noël Kepferer.
04:59Le luxe, c'est plus ce que c'était.
05:02Merci à vous.

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