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Xerfi Canal a reçu Jean-Philippe Bouilloud, professeur à ESCP Business School, pour parler de l'obsession de la rationalité.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Jean-Philippe Bouilloux.
00:09 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:10 Jean-Philippe Bouilloux, pouvoir faire un beau travail, une revendication professionnelle,
00:15 édition RS.
00:16 Vous êtes professeur à l'ESCP Business School.
00:18 Pouvoir faire un beau travail, un beau travail.
00:21 Ce n'est pas si évident que ça, parce que tout a concouru finalement, et c'est
00:27 ce que vous dénoncez un peu dans cet ouvrage, à un culte de la rationalité qui nous a
00:32 fait disparaître la question du beau.
00:34 Oui, c'est ce que je montre.
00:35 C'est-à-dire qu'en fait il y a eu tout un processus que l'on connaît bien avec
00:40 la révolution industrielle où finalement on est passé peu à peu à un monde du travail
00:45 qui est un monde rationalisé, rationalisé dans les modes de production et rationalisé
00:49 aussi dans son rapport entre l'individu et le travail.
00:52 C'est-à-dire que même la perspective marxienne est une perspective qui rationalise le rapport
00:57 au travail.
00:58 Et donc on a perdu toute une dimension qui existait auparavant d'un rapport à la fois
01:03 esthétique mais aussi sensoriel au travail.
01:05 Et c'est ça que j'essaye d'explorer dans cet ouvrage.
01:09 Alors dans cet ouvrage, quand on commence à venir sur la question de l'esthétique
01:13 et du beau, on croise des philosophes, on croise même une certaine manière de couper
01:16 le bois.
01:17 Absolument.
01:18 Et c'est magistral.
01:20 Qu'est-ce que finalement on retire d'intégrer cette question du beau et de l'esthétique
01:28 ? Parce que le beau, vous l'évoquez, c'est censé être subjectif.
01:31 On a l'impression d'avoir un sujet de bac.
01:34 Est-ce que le beau est universel ?
01:36 Alors en ce qui est universel, c'est la sensation du beau mais pas obligatoirement
01:40 la réalité du beau.
01:41 C'est-à-dire que tout le monde sait ce que c'est qu'un travail bien fait, un
01:45 beau travail ou même quelque chose de bien fait.
01:49 Mais si on est une infirmière, si on est un chirurgien, si on est un soudeur, si on
01:54 est un journaliste, les critères vont changer.
01:57 Donc il n'y a pas une universalité des critères mais il y a une universalité de
02:01 la vie, de la sensation sur ce qu'est un beau travail.
02:03 Et c'est ça qui m'intéresse.
02:04 Et ça, ça m'intéresse parce qu'effectivement on l'a perdu.
02:07 On l'a perdu dans l'industrialisation, on l'a perdu aussi dans une évolution
02:12 de la société, on l'a perdu même dans une évolution de l'esthétique comme je
02:15 le montre, où l'esthétique elle-même à partir du 19e siècle a été fascinée
02:20 par le monde industriel, a été fascinée par la grande machine moderne, que ce soit
02:28 chez Fernand Léger, que ce soit chez plein de peintres, que ce soit aussi chez des musiciens,
02:35 etc.
02:36 Et donc il y a une rencontre entre finalement un mouvement de rationalisation du travail
02:41 qui est aussi un mouvement de rationalisation plutôt de l'esthétique, c'est-à-dire
02:46 qu'on va laisser tomber tout ce qui est gratuit, l'ornement, des choses comme ça,
02:51 et on va considérer que ce qui est important c'est la fonctionnalité, c'est la simplification.
02:55 Et donc l'objet du travail, l'objet produit, l'œuvre, pour parler comme Simone Veil,
03:02 l'œuvre devient quelque chose de fonctionnel, de simplifié et de rationnel.
03:06 Et ce que je dis c'est que l'individu qui est au travail ne s'y retrouve pas.
03:11 Pourquoi il ne s'y retrouve pas ? Parce que la rationalité déjà elle a tué le
03:17 temps, l'individu auparavant était maître de son temps, l'artisan est maître de son
03:21 temps, trop d'ailleurs quand on fait appel à des artisans, quand on en fait l'expérience,
03:27 mais il est maître de son temps.
03:28 Et donc la standardisation des procédés, le fait que l'individu n'a plus la possibilité
03:36 de gérer son temps comme il le voulait, fait qu'il y a une dépossession par celui
03:40 qui travaille de son rapport au temps.
03:42 Il y a aussi une dépossession du geste, ça a été largement vu avec la taylorisation.
03:46 Il y a une dépossession aussi du contact avec la matière.
03:49 Je montre que quand on est un intellectuel, quelquefois on ne sait pas exactement travailler
03:59 le bois.
04:00 Il se trouve que pour des raisons familiales, je suis issu de lignées de marais chaufferants,
04:03 etc. et donc le travail du fer, du bois, ce sont des choses que, fémininement, j'ai
04:08 apprises.
04:09 Mais l'artisan, lui, il avait un contact avec la matière et c'était même son savoir-faire,
04:14 son know-how, quelque chose sur lequel il basait aussi sa compétence.
04:18 La machine, maintenant, vous dites tout, mais la machine est faite par des ingénieurs,
04:22 donc lui est aussi dépossédé de ce rapport à la matière.
04:25 Et donc il y a tout un tas d'éléments qui vont déposséder l'individu de dimensions
04:32 sensorielles, esthétiques, sur le goût du beau travail et vont faire que cette rationalisation
04:38 va dégrader son rapport au travail.
04:41 Évidemment, derrière se pose la question du sens, partir de là.
04:44 Et voilà.
04:45 Est-ce qu'un travail qui n'est pas un travail bien fait, qui n'est pas un beau
04:47 travail dont on n'est pas fier, est-ce qu'il a encore du sens ? Eh bien non, on le voit
04:51 bien.
04:52 Pouvoir faire un beau travail, une revendication professionnelle.
04:56 Jean-Philippe Bouilloux, édition RS.
04:58 Merci Jean-Philippe Bouilloux.
04:59 Merci Jean-Philippe Denis.
05:00 Merci à vous.
05:02 [Musique]

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