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Xerfi Canal a reçu Jean-Philippe Bouilloud, professeur à ESCP Business School, pour parler de l'esthétique et le beau au coeur du sens du travail. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Jean-Philippe Bouilloux.
00:09 Bonjour Jean-Philippe.
00:10 Jean-Philippe Bouilloux, professeur à ESCP Business School.
00:14 Pouvoir faire un beau travail, une revendication professionnelle, édition RS, ouvrage dans
00:19 lequel vous n'êtes pas tendre avec les perspectives rationalisatrices, on va dire
00:23 ça comme ça, c'est une vision trop rationnelle.
00:25 Vous proposez de remettre le beau, l'esthétique au cœur du sens même du travail.
00:32 Expliquez-nous.
00:33 Oui, le beau est une dimension un petit peu négligée, un point aveugle, à la fois dans
00:41 la recherche mais aussi dans la perception qu'on a en tant que gestionnaire souvent
00:46 du travail.
00:47 Et en reprenant tout un tas d'analyses, d'études qui ont été faites, je me suis
00:53 aperçu que le beau est important pour le travail pour trois raisons principales.
00:58 La première, c'est que le beau appartient à l'univers du travail, c'est-à-dire
01:02 que tout le monde sait ce que c'est qu'un beau travail, un travail bien fait, de belles
01:05 relations de travail, un beau cadre de travail.
01:08 On se bat pour ça, on fait des efforts pour cela, même les entreprises qui semblent
01:13 très très orientées vers leurs résultats font des efforts pour que le cadre de travail
01:18 soit agréable, soit satisfaisant.
01:21 Et donc, le beau appartient à notre univers de travail en permanence.
01:26 La deuxième chose qui est importante, c'est que le beau est un support d'identité.
01:30 Celui qui fait un beau travail, celui qui a la réputation de faire un beau travail,
01:35 il a une image auprès des autres, auprès de ses collègues, auprès peut-être du reste
01:41 de l'organisation, qui est une image singulière et valorisée.
01:44 C'est quelque chose que j'évoque souvent avec mes étudiants, mes étudiants qui ont
01:48 réussi des concours ou qui ont réussi en tout cas certaines étapes dans leur processus,
01:53 ils savent ce que c'est qu'un travail bien fait.
01:55 Tout le monde sait ce que c'est qu'un beau travail, tout le monde sait ce que c'est
01:58 qu'un travail bien fait.
01:59 Et le bon élève, il aime bien avoir cette réputation de bon élève.
02:03 Celui, le chirurgien qui est réputé pour ses sutures, il sait que ça fait partie de
02:09 sa réputation.
02:10 Et donc, le beau est un support d'identité.
02:11 C'est un support d'identité important, c'est-à-dire que quand on n'a plus la
02:15 possibilité de faire du beau travail parce qu'on vous presse, parce qu'on ne vous
02:20 donne pas des bons matériaux, parce que vous devez faire trop de choses en un minimum de
02:25 temps, alors votre identité est malmenée et votre identité est, je dirais, dans une
02:35 souffrance, et c'est le troisième point que je développe, dans une souffrance esthétique.
02:38 C'est-à-dire que vous faites quelque chose sans avoir les moyens de faire quelque chose
02:42 qui soit satisfaisant pour vous, selon vos critères du beau travail.
02:46 Et donc, c'est pour ça que je dis que le beau travail, non seulement c'est ce qui
02:50 contribue à donner du sens au travail, il y a d'autres éléments qui peuvent donner
02:53 du sens au travail, d'utilité, etc.
02:56 Mais c'est une dimension qui, à mon avis, a été négligée et c'est une dimension
02:59 qui est importante parce qu'elle est de l'ordre d'une gratuité.
03:04 Ce n'est pas quelque chose qui va être compensé par des augmentations, par des aspects
03:12 financiers.
03:13 Si on ne vous donne pas la possibilité de faire un beau travail, même si on vous donne
03:16 une bonne rémunération, il vous restera une frustration qui est liée à cette souffrance
03:21 esthétique.
03:22 Il y a cette phrase de Kant que j'aime beaucoup qui dit que dans les choses du monde, il y
03:28 a des choses qui ont un prix et des choses qui ont une dignité.
03:31 Les choses qui ont un prix ont des équivalents, mais les choses qui ont une dignité n'ont
03:34 pas d'équivalent.
03:35 La beauté au travail, c'est de l'ordre de la dignité.
03:38 Il n'y a pas d'équivalent.
03:39 Si vous ne faites pas un beau travail, même si on passe dessus, même si on fait comme
03:43 si, vous savez que ce n'est pas un beau travail.
03:45 Et donc, vous êtes dans cette souffrance-là.
03:46 C'est une réflexion tout à fait passionnante qui change complètement notre regard sur
03:52 la question même du sens du travail.
03:54 C'est créer une œuvre.
03:55 C'est aussi un lieu de résistance.
03:58 C'est ce que je montre, c'est-à-dire que quand on veut faire du beau travail, très
04:03 souvent, c'est un lieu de résistance.
04:05 L'infirmière qui prend le temps de bien soigner quelqu'un sans aller trop vite,
04:11 dans un centre d'appel, quelqu'un qui répond pour vraiment satisfaire aux besoins
04:14 de la personne qui est au bout du fil et non pas pour faire le maximum d'appels, c'est
04:19 à la fois un désir de faire du beau travail, mais c'est aussi se mettre en résistance
04:24 par rapport à une pression managériale.
04:25 Donc, avec beaucoup de questions éthiques.
04:27 Associées.
04:28 Pouvoir faire un beau travail, placer en tout cas la question du beau et de l'esthétique
04:35 au cœur des sciences de gestion et de la réflexion en matière de sciences de gestion,
04:38 une revendication professionnelle.
04:40 Voilà, revendiquons.
04:41 Il faut le revendiquer.
04:42 Revendiquons.
04:43 Édition RS.
04:44 Merci Jean-Philippe Bouilloux.
04:45 Merci Jean-Philippe Demy.
04:46 Merci.
04:47 [Musique]

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