Xerfi Canal a reçu François Henry, enseignant chercheur Chaire Sens & Travail à l’Icam, pour parler du travail entre oeuvre et désoeuvrement.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour François-Henri, vous êtes enseignant-chercheur à l'ICAM. Chers sont ces travails. François-Henri,
00:18auteur d'un chapitre dans les grands auteurs aux frontières du management consacré à Simon
00:22Weil, philosophe Simon Weil, sur la dialectique de l'enracinement et du déracinement pour penser
00:29les organisations. C'est absolument passionnant, il faut lire Simon Weil, c'est absolument
00:34passionnant. Quand on veut réenraciner le travail, s'impose un concept, celui d'œuvre,
00:40et évidemment le paradoxe du désœuvrement au travail. C'est ça que nous dit Simon Weil,
00:48et elle développe plusieurs points très importants. Par exemple, le travail vécu,
00:54l'importance de l'attention et de la contemplation. Est-ce que vous pouvez nous
00:59expliquer ce que met en jeu, au fond, pour Simon Weil, le travail ? Le travail, c'est être dans
01:07l'action, mais pas seulement, c'est aussi faire preuve d'intelligence et de pensée. Pour Simon
01:12Weil, la liberté véritable d'un homme ou d'une femme ne se situe pas dans le fait d'avoir un
01:17désir et de le satisfaire par la consommation. Ce n'est pas désir-satisfaction ou désir-consommation,
01:22c'est plutôt le fait de penser et agir. Il y a vraiment une unité, une unification, une cohérence
01:29entre la pensée et l'action. C'est dans le couple pensée-action que réside la liberté
01:37véritable pour Simon Weil. Par rapport à l'attention, à la contemplation, elle a cette
01:42phrase dans un de ses textes que je trouve très belle. Souvent, c'est ma première diapositive en
01:47cours, quand je présente Simon Weil aux étudiants, c'est « Quel est le but véritable et presque
01:55unique des études ? » Elle dit « L'intérêt principal et presque unique des études, c'est
02:01de développer la faculté d'être attentif, d'être attentionné. » Un point très important,
02:09de quoi la fatigue est-elle le fruit ? La fatigue est liée à la notion de
02:17contemplation. C'est-à-dire qu'on peut penser son travail, agir, être dans l'action, être dans
02:22la mise en œuvre, et puis il y a besoin aussi, nous dit-elle, d'un moment de contemplation.
02:25Contemplation qui est un moment important, qui n'est pas un travail, mais qui pour autant est
02:31un moment qui peut être intense, en tout cas un moment pendant lequel on est en activité. C'est-à-dire
02:37que quand je m'arrête de travailler, je regarde ce que j'ai fait, mon projet de livre, un article,
02:42ou est-ce que j'ai construit un mur de ma maison par exemple, eh bien j'ai besoin de m'arrêter pour
02:49voir quel est le prix, la valeur de ma fatigue. Il y a la bonne fatigue, la mauvaise fatigue. La
02:55bonne fatigue, c'est celle qui permet de dormir du sommeil du juste le soir, et le travail qu'on a
03:02fait est nourrissant, et nous nourrit, nous remotive pour recommencer de plus belle le lendemain. Tandis
03:07que la mauvaise fatigue, c'est quand on se dit « ce que je fais ne dure pas, n'est pas beau, n'a pas
03:11de valeur, à quoi bon ? ». Donc la contemplation, c'est un moment où on peut se poser la question
03:16« quelle est la valeur de ma fatigue ? » C'est extrêmement important. Évidemment, on a tous en
03:22tête aujourd'hui les débats sur le télétravail, les débats sur les open space, sur les tableurs
03:28Excel qui régulent nos activités, sur la force du chiffre. Tout ça, ça contribue au déracinement.
03:33Si on veut retrouver cet enracinement, c'est ça, ça rejoint tous ces travaux comme Mathieu
03:39Crawford, des loges du carburateur qui nous disent « finalement, c'est le sens qu'on y met,
03:44c'est la fierté qu'on va éprouver dans son travail ». La fierté, c'est la noblesse du
03:48travail bien fait, du beau produit, voilà, pas de l'obsessence programmée, mais du beau produit,
03:52voilà. Et est-ce qu'au fond, on est capable d'assumer pleinement, devant ses proches ou devant,
03:58si on s'imagine 15 ans plus tard, en train de présenter le travail qu'on fait aujourd'hui,
04:01est-ce qu'on est capable de l'assumer dans le temps, à long terme ? Ça, c'est le travail de
04:06la pensée, le travail de la contemplation, et c'est vraiment décisif. C'est vrai qu'aujourd'hui,
04:10où il y a une mode de l'activisme, du bougisme, de l'efficacité perpétuelle, eh bien le travail
04:21de la pensée, la contemplation peuvent être évacués, si bien qu'on ne s'arrête pas pour dire
04:26« mais qu'est-ce qu'on fait ? ». Et la contemplation, c'est un moment privilégié pour orienter son
04:30travail vers les finalités qu'on trouve vraiment utiles, orienter son travail vers l'universel,
04:35avec 80 ans d'avance. C'est ce que vous dites, Simon Veil, qu'on nous imaginait tout le monde
04:42actuel, et toutes les dérives aussi dans le monde du travail, y compris la question de la souffrance
04:46au travail, qui malheureusement noircit beaucoup de pages de nos journaux. Merci François-Henri.
04:53Merci à vous.