Quand les règles et les procédures rendent le travail inefficace [Norbert Alter]
Xerfi Canal a reçu Norbert Alter, professeur à sciences Po, pour parler du managérialisme.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Norbert Halter.
00:10Bonjour.
00:11Norbert Halter, sociologue, professeur à Sciences Po.
00:14Pour en finir avec le machin, les désarrois d'un consultant en management à l'édition
00:18EMS, ouvrage que vous publiez, qui évidemment fait beaucoup de bruit, pour en finir avec
00:22le machin.
00:23Et qu'est-ce que donc le machin ? C'est ce que je vais vous proposer d'appeler le
00:26managerialisme.
00:28Pas forcément le management, mais le managerialisme, c'est-à-dire ce qu'on fait au nom du
00:33management.
00:34C'est pas la même chose.
00:35Et ça rappelle évidemment la grande critique de Vincent de Golgeac, aussi, la société
00:38malade de la gestion.
00:39Et on voit le mal qu'on a à en sortir de ce managerialisme.
00:43Et finalement, pour vous, le machin, c'est l'art d'inventer des problèmes là où
00:48il y avait déjà des solutions.
00:49Est-ce que j'ai bon ?
00:52Oui, c'est exactement ça.
00:54C'est exactement ça.
00:55C'est-à-dire que ce que j'appelle le machin, c'est une hypertrophie du management.
01:02Une hypertrophie pathologique, bien sûr, du management.
01:06C'est-à-dire que plutôt que de tirer parti des ressources dont on dispose à l'intérieur
01:10d'une entreprise, on privilégie les problèmes qui sont considérés comme tels par rapport
01:19au principe que définit le management.
01:23Et au lieu de tirer parti de la capacité d'engagement collectif des salariés, qui
01:31est une donnée extrêmement simple, on considère qu'ils ne sont pas motivés, qu'ils ne
01:39sont pas engagés.
01:40Et donc, au lieu de reconnaître l'engagement, on le méconnaît, on le dénie.
01:45Et donc, petit à petit, on les démobilise.
01:50Donc, on crée des problèmes.
01:51Et puis, dans un deuxième temps, on se dit qu'il faut les remobiliser, il faut les regonfler.
01:56Et donc, on met tout à l'envers.
01:59On met tout à l'envers.
02:00C'est-à-dire que plutôt que de partir des solutions que proposent les salariés,
02:06l'une des idées, des images les plus célèbres dans le domaine, c'est bien sûr la grève
02:13du zèle.
02:14La grève du zèle, c'est quoi ? C'est les douaniers qui ne font plus que respecter les
02:18règles à la lettre et qui rendent ainsi leur travail stupide, absurde.
02:23C'est-à-dire qu'en règle générale, ce que font les douaniers, c'est qu'ils n'appliquent
02:29pas à la lettre les règles de la prescription du travail, ils les rendent intelligentes
02:37parce que l'expérience de métier le leur permet.
02:39Et donc, ça, c'est une ressource considérable pour l'entreprise.
02:43L'engagement spontané des salariés permet de rendre les organisations efficaces, ce
02:50qui veut dire que ce ne sont pas les règles et les réglementations qui rendent les organisations
02:55efficaces, mais la capacité collective des salariés à les rendre intelligentes.
02:59Donc, si on privilégie les règles au détriment de l'observation et de la valorisation de
03:09la compétence collective, on fonctionne la tête à l'envers.
03:13On a eu un exemple extraordinaire au moment de la crise sanitaire avec les travailleurs
03:17de première ligne, les fameux, et alors que l'hôpital est partout en crise, finalement
03:22il n'a pas craqué, nous disent certains professionnels, parce que précisément on
03:26a su s'émanciper de ça.
03:27En fait, les solutions étaient là et c'est le managérialisme le problème.
03:31Bien sûr.
03:32Il y a des tas d'exemples comme ça.
03:33Le travail de nuit dans les industries en 3-8 par exemple, dans le travail de nuit,
03:40il y a moins d'hierarchie.
03:42Donc, il y a moins de contrôle des activités des uns et des autres, il n'y a pas plus
03:47d'erreurs, il n'y a pas plus d'accidents et c'est un peu plus agréable de travailler
03:53la nuit.
03:54Le problème, quand on a des solutions, c'est que du coup on ne peut pas facturer pour résoudre
03:57des problèmes.
03:58Bien sûr.
03:59On va y revenir.
04:00Merci Norbert Alter.