Xerfi Canal a reçu Arnaud Lacan, professeur à Kedge Business School, pour parler des chercheurs en sciences de gestion dans l'espace médiatique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour Arnaud Lacan.
00:09 Bonjour.
00:10 Arnaud Lacan, vous êtes professeur à Kedge Business School et à Ex-Marseille School
00:14 of Economics, affilié à Ex-Marseille School of Economics, co-auteur avec Virginie Martin,
00:19 Kedge Business School, un article dans la revue française de gestion numéro 307, qui
00:23 va faire kiffer parler, qui fait parler, pour une parole audible des chercheurs en sciences
00:28 de gestion dans l'espace médiatique j'ai envie de dire, pour une parole enfin audible.
00:33 Alors évidemment, quel est le problème Arnaud Lacan ?
00:36 Alors le problème il est multifactoriel, comme beaucoup de choses d'abord.
00:42 Il y a une certaine crise de confiance dans les médias qui est notée, nos compatriotes
00:48 se méfient un peu de la parole des médias.
00:50 C'est notamment parce que, alors même que nous avons de plus en plus besoin d'experts,
00:57 on parle d'un monde vu cas, de la complexité, on a besoin d'experts pour nous aider à
01:02 décrypter ce monde dans lequel on vit.
01:04 Et le problème c'est qu'au moment où on a de plus en plus besoin d'experts, le
01:10 concept même d'experts devient flou.
01:12 C'est à dire qu'il est difficile à attraper, on ne sait plus trop qui est expert, de quoi,
01:17 qui ne l'est pas.
01:18 Ce que vous appelez les toutologues.
01:19 Voilà, exactement, le toutologue pour celui qui a un discours sur tout.
01:24 Mais une expertise dont on se demande sur quoi elle porte.
01:30 C'est tout le sujet de votre papier.
01:32 Alors finalement, vous essayez de clarifier un peu cette notion d'expert, c'est à
01:35 dire d'où vient la légitimité de l'expert.
01:37 Oui, alors avant toute chose, une précision, l'expertise n'est pas une opinion ou un
01:43 avis.
01:44 Chacun a le droit évidemment, et encore eux, d'avoir un avis, une opinion.
01:49 Mais là quand on parle d'expertise, on va chercher à préciser les sources de la légitimité
01:53 de l'expert.
01:54 Nous, avec Virginie Martin, nous en voyons trois.
01:57 La première source, c'est l'académisme, c'est à dire être produit par un système
02:04 de recherche et de quête de preuve de la qualité de la production de sa recherche.
02:11 Vous dites, on ne s'improvise pas docteur en médecine, par exemple.
02:13 Non, et on n'est pas non plus expert en médecin quand on est en première année
02:18 de médecine.
02:19 Donc, il faut avoir gravi les échelons, notamment universitaire.
02:23 C'est la première source.
02:24 Avoir été reconnu par le champ académique, notamment au sein de l'université.
02:29 Le doctorat est un très bon signal de ce point de vue-là.
02:33 Deuxième source de légitimité, le fait de se confronter à ses pairs, d'aller tester
02:39 la réception par les autres experts de sa propre production.
02:43 Et ça se fait soit à travers les revues scientifiques, comme celle que vous avez citée,
02:50 une des plus intéressantes de ce point de vue-là sur l'expertise, ou alors dans des
02:55 colloques.
02:56 C'est-à-dire qu'on va proposer une expertise, on va proposer un travail de recherche et
03:02 on se confronte à ses pairs.
03:04 Et la troisième source, c'est l'expérience professionnelle.
03:07 Même si on n'est pas docteur et qu'on ne va pas dans les colloques scientifiques,
03:11 quand on a créé une entreprise et qu'on a 20 ans d'expérience réussie dans l'entrepreneuriat,
03:15 je pense qu'on est expert de l'entrepreneuriat.
03:17 Oui, quand même.
03:18 Alors, vous allez ensuite dans toute une interrogation sur les responsabilités, entre
03:26 les médias, les experts qui prennent la parole, etc., les responsabilités de chacun, et puis
03:30 une interrogation de fond sur l'identité même des sciences de gestion.
03:35 Absolument.
03:36 Alors, les responsabilités, elles sont partagées.
03:39 Bien sûr, certains médias, pas tous, mais certains médias sont un peu complaisants
03:46 et reconnaissent des expertises à des intervenants qui ne sont pas vraiment experts quand on
03:53 décortique leur CV.
03:54 Quand on vous lit entre les lignes, on sent qu'il y a une petite fainéantise, une petite
03:57 paresse à aller chercher les vrais experts.
03:59 Et finalement, quand on a sous la main des experts disponibles, ça est parfois peu loin.
04:04 Oui, et qui passent bien.
04:06 Il y a un jeu médiatique aussi de la prise d'antenne qui fait qu'on a des bons clients.
04:12 Et peut-être que parfois, effectivement, par paresse, certains médias vont choisir
04:16 le bon client plutôt que le bon expert.
04:17 Ça, c'est, à mon avis, une première responsabilité.
04:21 La deuxième, elle est un peu plus fine, mais un peu plus dangereuse, si je puis dire.
04:26 C'est qu'on a un glissement de pratiques journalistiques qui tendent à aller vers
04:33 une expertise à la place de l'expert.
04:36 Là où auparavant, le journaliste avait comme tâche d'aller chercher l'information,
04:40 de la partager et de la rendre accessible, on commence à avoir des journalistes qui
04:45 s'autoproclament experts.
04:46 Or, comme on le dit dans notre article, ce n'est pas parce qu'on est critique de théâtre
04:52 qu'on est acteur.
04:53 C'est deux choses différentes.
04:56 Un petit mélange des genres.
04:57 Oui, et puis la troisième raison, il faut que chacun balaye devant sa porte, c'est
05:02 aussi une sorte de refus de jouer le jeu de la part des experts, qui souvent rechignent
05:09 un peu à vulgariser leurs propos, à avoir des temps courts, peut-être à savoir utiliser
05:16 des formules claires, choc.
05:18 L'expert dans sa tour d'ivoire, ce n'est pas tout à fait une légende quand même.
05:23 C'est sur ces trois choses-là qu'il faut travailler.
05:26 Et puis, vous l'évoquiez dans votre dernier point, on a une difficulté pour attraper
05:30 le concept d'expert en sciences de gestion, parce qu'on ne sait pas les définir.
05:35 Oui, vous dites l'économiste, on voit très bien ce que c'est.
05:38 Le sociologue, on voit très bien ce que c'est.
05:39 Le philosophe, on voit très bien ce que c'est.
05:40 Le gestionnaire, qu'est-ce que c'est ? Et puis, en plus, dans la langue de l'entreprise,
05:46 il y a des gestionnaires d'actifs, des gestionnaires de personnel, des gestionnaires de sinistre
05:52 dans la science.
05:53 Donc, le mot gestionnaire, il est employé un peu à toutes les sauces.
05:55 Et il faut bien dire que quand on n'arrive pas à nommer les choses, on rate la réalité
06:02 du concept.
06:03 Donc, il faudrait probablement trouver un nouveau mot pour définir ces chercheurs
06:09 en sciences de gestion.
06:10 C'est une interrogation de plus en plus vive dans la communauté de sciences de gestion,
06:14 qui traverse beaucoup d'écrits.
06:15 Finalement, qu'est-ce qu'on conclut de tout ça, là, de ce diagnostic ?
06:21 Je crois que d'abord, il faut que les experts acceptent les règles de l'espace médiatique.
06:31 Quand on intervient de façon courte dans un média, on n'est pas dans un colloque,
06:35 on ne fait pas une communication scientifique.
06:37 Donc, il faut savoir s'adapter aux règles de temps.
06:40 Il faut également être entraîné.
06:42 C'est quelque chose qui se travaille.
06:44 Il faudrait que les universités et les écoles de gestion forment leurs enseignants-chercheurs
06:50 à la prise de parole.
06:51 Et puis, peut-être aussi, je dirais, un peu plus de rigueur dans certains médias, de
06:58 la part de certains journalistes, pour vérifier la légitimité de l'expert à parler d'où
07:05 il parle, pour ne pas tromper les gens qui l'écoutent, et d'une certaine manière,
07:10 pour permettre une meilleure compréhension des complexités contemporaines.
07:14 C'est peut-être tout simplement une question aussi d'espace public et de démocratie.
07:20 Évidemment.
07:21 Le message est quand même très fort, parce que la nature ayant horreur du vide, comme
07:26 on dit, sinon c'est l'anonylisation du débat.
07:28 Je le crains.
07:29 Voilà.
07:30 Et donc, l'expert, c'est le chroniqueur de TPMP, pour faire simple.
07:33 Hélas.
07:34 Hélas.
07:35 Donc, il est urgent de se saisir à bras le corps de cette question, pour une parole
07:40 audible des chercheurs en sciences de gestion dans l'espace médiatique.
07:44 Merci Arnaud Lachau.
07:45 C'est moi qui vous remercie.
07:46 Merci.
07:47 Merci.
07:48 Merci.
07:49 Merci.
07:50 Merci.
07:51 Merci.
07:52 Merci.