Xerfi Canal a reçu François Henry, enseignant chercheur Chaire Sens & Travail à l’Icam, pour parler du travail déraciné.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour François-Henri.
00:10Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11François-Henri, vous êtes enseignant-chercheur, cher sens et travail à l'ICAM.
00:16Auteur dans l'ouvrage des grands auteurs aux frontières du management d'un chapitre consacré à Simone Weil.
00:22Pensez les organisations selon la diagnostique de l'enracinement et du déracinement.
00:27Philosophe Simone Weil, à ne pas confondre avec Simone Weil.
00:32Et c'est passionnant Simone Weil, parce que c'est 80 ans d'avance.
00:37En gros, pour résumer, quelques mots d'abord sur Simone Weil.
00:41Brièvement, parce que je sais que vous pouvez en parler très longtemps.
00:43Quelques mots sur Simone Weil, brièvement.
00:45Si je parle de sa vie, elle a toujours eu une santé très fragile.
00:51Et pour autant, juste après être devenue jeune professeur de philosophie,
00:56elle a décidé d'aller travailler en usine, d'être ouvrière, parmi les ouvrières.
01:03Pourquoi cette démarche ? Parce qu'elle voulait expérimenter la condition ouvrière,
01:11qui était la condition sans doute la plus répandue à son époque.
01:15Et elle voulait connaître cette vie-là, cette réalité-là, pas seulement à travers les livres,
01:19dont elle disait pourtant que c'était son royaume illimité, mais par l'expérience.
01:24Par l'expérience. Alors, Simone Weil pose la question de l'anthropologie.
01:30Exactement. Et l'anthropologie, à mon sens, c'est vraiment un point central pour le chercheur en gestion,
01:37et même pour tout manager.
01:39J'ai envie de vous dire, c'est quoi l'anthropologie ?
01:41L'anthropologie, le mot peut paraître un petit peu impressionnant, et pour autant, c'est très simple.
01:45Ça vient de anthropos et logos, qui signifie un discours sur l'homme, l'étude des visions de l'homme, tout simplement.
01:53Donc le logos sur l'anthropos, l'étude des différentes visions de l'homme.
01:57Dans notre société, à l'heure actuelle, il y a plusieurs visions qu'on pourrait largement développer,
02:02et en tout cas, parler d'anthropologie me semble fondamental, en premier lieu,
02:08parce qu'il y a beaucoup de théories managériales, de modes managériales,
02:11qui posent des nouveaux regards sur l'organisation et les manières de travailler,
02:15mais sans jamais dire quelle est l'anthropologie de référence.
02:19Et Simone Veil, elle parle de ça, elle l'explicite précisément.
02:24L'anthropologie, ce n'est pas réservé à des philosophes idéalistes, comme l'était Simone Veil,
02:29qui n'étaient pas déconnectés de la réalité, mais tous les grands courants de pensée se fondent sur une anthropologie,
02:37même s'ils ne le disent pas clairement.
02:40Par exemple, le taylorisme, ou encore le libéralisme avec Adam Smith, ou d'autres.
02:48Mais voilà, le marxisme se fonde sur l'anthropologie aussi.
02:52Et par exemple, Taylor lui aussi avait une anthropologie de référence,
02:57il ne dit pas ça comme ça, bien sûr, mais pour autant, pour lui, l'homme était…
03:02il y avait deux types d'hommes, les hommes qui étaient vifs, intelligents,
03:05qui pouvaient se permettre de travailler dans le bureau des méthodes pour concevoir le travail,
03:09y compris le travail des autres, et puis il y avait les gens qui étaient lents, peu vifs,
03:13et je le cite dans un de ses livres, c'est pas moi qui interprète, je cite Taylor qui dit
03:18qu'il y avait des gens qui étaient bêtes et lents comme des bœufs.
03:21Voilà, donc ce n'était pas très sympathique vis-à-vis de ces personnes,
03:23mais pour autant, c'était sa vision de l'homme.
03:25Et cette vision-là, pour lui, justifiait le fait de séparer le travail de la pensée du bureau des méthodes
03:31par rapport au travail à la chaîne, à la tâche.
03:36Voilà, donc une vision qu'on peut trouver assez déshumanisée du travail,
03:42et bien en fait, elle-même, elle se fonde sur une anthropologie, même si ce n'est pas dit comme ça.
03:48Extrêmement intéressant, concept majeur, enracinement, déracinement.
03:52Voilà, enracinement, déraciment.
03:55Alors ça, c'est un de ses grands livres intitulé L'Enracinement,
03:58qu'elle a rédigé en quelques mois alors qu'elle était très faible en 1943.
04:02Elle est décédée en 1943, elle l'a rédigé dans les mois avant de mourir.
04:08Son but, c'était de penser les fondements.
04:11Elle voulait participer à la résistance, mais elle était trop fragile.
04:15Elle voulait penser les fondements d'une société qui nourrisse tellement bien l'homme
04:20qu'aucun totalitarisme ne soit possible.
04:23D'où la notion d'enracinement.
04:24L'enracinement, qu'est-ce que c'est ?
04:26C'est, d'après elle, le besoin le plus profond et aussi en même temps le plus méconnu de l'homme.
04:32C'est-à-dire, pour dire les choses de manière assez simple,
04:35être enraciné, une personne qui, quand elle arrive quelque part,
04:39se sent attendue, prise au sérieux, considérée.
04:42A contrario, être déraciné, une personne qui, quand elle arrive quelque part,
04:47se sent comptée pour rien, se sent inutile,
04:50se sent chosifiée, mais pas prise au sérieux.
04:53Rien n'est si clair et simple qu'un chiffre.
04:56Attention.
04:58Argent, machinisme, algèbre,
05:01les trois monstres de la civilisation actuelle.
05:04Tout est dit.
05:06Voilà.
05:07Tout est dit. Merci François Henry.
05:08Avec plaisir. Merci Jean-Philippe.