Xerfi Canal a reçu Laurent Bibard, professeur en management, responsable de la filière management et philosophie à l’ESSEC, pour parler des compétences dans un univers incertain.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Laurent Bibard, vous êtes professeur de management à ESSEC Business School,
00:13vous êtes habilité à diriger les recherches en management et en philosophie, et vous êtes
00:18responsable de la filière management et philosophie de l'ESSEC. Vivre dans un monde
00:22complexe, Alice au pays des incertitudes, donc voilà, embarquez-vous dans un voyage avec Alice
00:27quand elle va visiter le pays des incertitudes, c'est aux éditions de l'Aube. Une question qu'on
00:34se pose toujours, vous évoquez dans l'ouvrage la nécessité de naviguer au milieu de tensions,
00:39de champs de tensions. Une des questions qu'on se pose toujours, c'est que ça fait un peu peur
00:43naviguer au milieu d'un champ de tensions, c'est pas naturel, c'est pas évident quand on est
00:47manager de vivre au milieu de ce champ de tensions. Et vous évoquez des tensions avec
00:51des forces centripètes et des forces centrifuges. Alors expliquez-nous un petit peu comment on peut
00:56faire passer ce message-là et rassurer aussi. Alors un tout petit premier mot à propos du
01:02mot de tension. Il peut vouloir dire un conflit, ce qui peut faire peur, mais moi je trouve très
01:09important de renvoyer le mot d'abord à l'idée de tension artérielle. La tension artérielle c'est
01:14une dynamique, c'est un mouvement. Et tant qu'on est en bonne santé, on peut dépasser la limite
01:20supérieure d'une bonne tension artérielle ou dépasser vers le bas la limite inférieure,
01:24mais le rééquilibrage se fait spontanément. Mais ça change tout le temps. On se repose,
01:30la tension diminue, on est actif, la tension augmente et ça se rééquilibre. Et bien c'est
01:35pareil pour les organisations. Et en fait, elles ne sont pas traversées par des tensions,
01:40elles sont carrément des séries de tensions. Exemple d'une tension contradictoire très simple,
01:46individus collectifs. On sait très bien qu'il est important d'accorder toute leur place aux
01:51individus, à leur créativité, à leur motivation, à leur originalité, à leur différence. Et en même
01:59temps, si on ne fait que ça, l'organisation se diffracte, diverge, au point qu'elle éclate.
02:03Et donc il faut aussi accorder une importance tout aussi significative au collectif. Rassembler,
02:11partager des valeurs, avoir envie de travailler avec les autres. Et s'il n'y a pas cet équilibre
02:17entre l'individu et le collectif, à titre d'exemple, l'organisation ne fonctionne pas.
02:22Soit elle est éclatée, soit elle est trop resserrée, les individus ne trouvent pas leur compte. Et donc
02:28il y a un équilibre à trouver qui n'est jamais stable, ça n'est jamais acquis d'avance. Et l'un
02:33des problèmes en management, c'est qu'on rêve qu'on a une réponse acquise pour toujours. C'est
02:38pas vrai. Et c'est ça qu'il y a derrière l'idée de tension. Il faut sans cesse remettre sur le
02:43métier les choses. Et j'ai envie d'ajouter, et c'est pas grave, mais ça demande de ne pas être
02:48paresseux ou de bien vouloir se dire, allez, on recommence à chaque fois.
02:52Pour bien comprendre, c'est comme la marche. La marche, c'est une succession de déséquilibres,
02:58la jambe gauche, la jambe droite, etc. En fait, on a tort de penser à la nécessité d'atteindre
03:03un équilibre, qui est souvent l'obsession. Il faut penser à l'art du déséquilibre.
03:07Ou l'équilibre du mouvement, on est parfaitement d'accord.
03:10L'équilibrage, on est parfaitement d'accord sur la métaphore de la marche, elle est capitale. Il
03:16faut bien observer que quand on marche en termes kinesthésiques, c'est-à-dire de mouvements,
03:20on tombe d'abord. Et quand on pose le pied de nouveau sur le sol, on retrouve un sol ferme,
03:26stable, qu'on peut renvoyer au sol de nos compétences. Mais quand on s'élance,
03:31qu'on change, on va vers quelque chose d'inconnu. Et bien ce mouvement permanent,
03:35il est celui du rééquilibrage à mettre à jour sans cesse, à remettre à jour entre des tendances
03:43à la divergence des organisations et à la convergence. Des tendances centrifuges et des
03:51tendances centripètes. Et ça, ça se travaille sans cesse. Mais ce n'est pas plus grave que ça.
03:55Ce n'est pas plus grave que ça, mais en revanche, c'est quand même un petit saut
03:58intellectuel parce qu'on est formé à l'art de la synthèse. Thèse, antithèse, synthèse. La
04:03synthèse, quelque part, c'est l'équilibre. Là, il faut penser la thèse et l'antithèse. C'est
04:07un peu ça. On est tout à fait d'accord. Ce qu'il y a comme rêve derrière ce qu'on peut
04:12appeler une synthèse, c'est une réponse définitive. Et il n'y a pas de réponse définitive. Si on ne
04:18pose pas les bonnes questions, on peut remarquer qu'on ira vers de mauvaises réponses. Ça veut
04:22dire qu'on ne sait même pas à quel problème on doit apporter une solution. On peut remarquer,
04:28c'est une chose assez drôle, on trouve plein de solutions à vendre dans les publicités partout,
04:33dans le métro, etc. Mais à propos de quel problème ? Et donc, si on ne sait pas poser
04:39les bons problèmes ou poser les bonnes questions, on n'aura pas les bonnes réponses. Et donc,
04:43prendre conscience que la vie est faite de réponses et de questions et que ça ressemble à
04:48une marche permanente, ça c'est une vie vraiment vivante. En quelque sorte, le management prend
04:54là sa saveur. Bien sûr. Donc, l'équilibrage ou l'équilibration plus que l'équilibre. Un système
05:00peut même fonctionner loin de l'équilibre et c'est parfois même indispensable de l'appréhender
05:05comme ça. Et de le recevoir comme tel, tout à fait. Et de recevoir comme tel. Vivre dans un monde
05:10complexe, Alice au pays des incertitudes, Alice marche. Merci à vous Laurent Wibart. Merci.