Xerfi Canal a reçu Laurent Bibard, professeur en management, responsable de la filière management et philosophie à l’ESSEC, pour parler du management qui est politique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Laurent Bibard, grand plaisir de vous recevoir. Vivre dans un monde complexe alice
00:14au pays des incertitudes, édition de l'Aube. Avec un ouvrage, il y a plein de petites parties
00:20pour les gens pressés. Les managers peuvent s'en saisir, ce qu'ils sachent qu'ils
00:24auront pour les gens pressés, ils pourront aller vite au vif du sujet. Laurent Bibard,
00:30vous êtes habilité à diriger les recherches en philosophie et en management. Vous êtes
00:34professeur à l'ESSEC, vous dirigez la filière Management et Philosophie. On entend
00:40parfois que la philosophie ce serait l'art de poser les questions, là où le management
00:43serait l'art d'apporter les réponses. Moi, en refermant votre ouvrage, je me dis
00:48enfin, enfin, le management trouve sa vraie place, c'est-à-dire non pas comme art de
00:54formuler simplement les réponses, mais art de reposer des questions et de faire jouer
00:58ce couple de manière complexe, d'où cette danse entre philosophie et management. J'ai
01:03raison ? Je dirais volontiers qu'on est tous philosophes
01:06et managers dans ce sens-là. Il n'y a pas de vraie vie sans des questions qu'on se
01:10pose, sans des réponses qu'on tente d'apporter. Alors, il y a des dominantes ou parfois des
01:14préjugés sur le fait que certains ne feraient qu'apporter des réponses et d'autres
01:18de poser des questions. Mais si on ne fait que poser des questions, on disparaît vite.
01:22Et si on ne fait qu'apporter des réponses, on s'enferme vite. En fait, la vraie vie
01:26est faite des deux. Et tout le monde est à la fois philosophe et manager dans ce sens-là.
01:29Pour peu qu'on cultive le sens des questions et qu'on ose, il y a beaucoup de contextes
01:34où on n'ose pas beaucoup et suffisamment s'exprimer.
01:37Il faut prendre confiance dans ses propres compétences. C'est ce que vous nous dites.
01:41Je partage complètement. Les compétences sont déjà là. La conséquence
01:43directe, c'est que le management devient politique. C'est-à-dire que le manager
01:48philosophe, c'est un citoyen engagé et géré. C'est quelque part faire du politique.
01:55Alors, c'est faire du politique au sens que nous venons d'évoquer, d'oser poser
02:00des questions, d'oser interroger. On peut constater que souvent, malheureusement, actuellement,
02:06peut-être un peu plus qu'il y a quelques années, il y a de la crainte à poser des
02:11questions dans les organisations, à interroger l'organisation, ce qui pourtant est très
02:16sain pour une organisation. Quand on interroge, quand on prend du recul, on oblige l'organisation
02:21à se repenser, à réinterroger ses objectifs, à prioriser de manière plus ajustée en
02:27fonction de l'évolution du contexte. Et tout ceci fait partie d'un ajustement d'une
02:31organisation à son contexte. Quel est le contexte actuel du monde des affaires ? C'est
02:35le monde politique. Il n'a jamais disparu, mais on a cru un moment qu'il disparaissait.
02:39Malheureusement, pour des raisons très graves actuelles, tenant de la géopolitique et
02:44donc des guerres, on voit ressurgir les enjeux de toute vie collective, qui est une vie politique
02:50au sens noble et fort du terme. Le monde des affaires en fait éminemment partie. Pour
02:55prendre une formulation anglophone, il n'y a jamais simplement « business as usual », c'est-à-dire
03:02le monde des affaires comme d'habitude. Il y a toujours « business in society », ça
03:06veut dire le monde des affaires dans la société, dans une vie vaste, qui concerne tous les aspects
03:13de l'existence humaine. On a évoqué l'art tout à l'heure en discutant. Eh bien, l'art,
03:17la vie politique, la question de l'éducation, la question du sens de nos vies, tout ceci est
03:22agité, travaillé au cœur même de la vie des entreprises. Évidemment, ça repose une
03:27question fondamentale qui est dans toutes les têtes, celle de la responsabilité. Et quand
03:31on parle aujourd'hui de raison d'être des organisations, c'est bien aussi parce que
03:35les organisations ont une puissance d'agir qui est considérable, donc il est urgent de refaire
03:40de la philosophie et de se reposer ces questions-là. On est parfaitement d'accord, et de le faire très
03:44concrètement, la philosophie en soulignant deux choses. Il y a d'autant plus d'exigences de
03:48raison d'être que beaucoup d'entreprises privées sont actuellement bien plus puissantes que beaucoup
03:53d'États, qui ont comme vocation à défendre la vie publique, le bien commun, c'est le premier aspect.
03:58Et puis, quand on reconduit la notion de responsabilité à son origine étymologique,
04:02c'est très intéressant parce qu'on revient à la capacité à poser des questions et à dialoguer
04:07véritablement avec courage, c'est qu'il n'y a pas de sens de la responsabilité sans celui des réponses,
04:12et il n'y a pas de sens de réponse sans celui des questions. Et donc, libérer la parole,
04:18permettre des échanges et de véritables dialogues favorisent une vie politique au sens fort, la plus
04:24vertueuse qui soit. Bien sûr, avec un principe cœur qui est celui d'irréversibilité, qui est au cœur
04:30de la pensée complexe, et on voit bien que dans tous nos débats aujourd'hui, nos fameux grands
04:33challenges, le climat par exemple, on mesure ce sujet de l'irréversibilité, bien sûr. Vivre dans
04:40un monde complexe, prenez donc la main d'Alice et allez voyager au pays des incertitudes avec
04:46Laurent Bibard, édition de L'Aube. Merci infiniment Laurent Bibard. Merci Laurent Philippe.