Xerfi Canal a reçu Pierre Veltz, ancien Président-Directeur Général de l'Etablissement public Paris-Saclay, pour parler des fractures territoriales.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00La France des territoires, défis et promesses.
00:13Aujourd'hui, le débat public, pour faire simple, c'est la France des territoires.
00:17C'est d'un côté, allez, on va dire, il y a les anywhere et les somewhere.
00:21La France des territoires, c'est il y a un grand divorce entre la France des métropoles,
00:26la forteresse des élites, etc.
00:28Et puis une France rurale, périphérique, oubliée de la mondialisation, les oubliés.
00:34On voit combien cette représentation domine le débat politique aujourd'hui.
00:38Vous nous dites que c'est faux.
00:40Oui, c'est faux.
00:41Mais si vous permettez, je fais quand même un petit détour par le monde.
00:46Parce que qu'est-ce qu'on a constaté quand même, en même temps que la mondialisation,
00:50les changements technologiques, etc.
00:52C'est un grand processus quand même de polarisation dans le monde vers les grandes régions urbaines.
00:58Les grandes régions urbaines, c'est 8% de la population mondiale,
01:05c'est 40% du PIB mondial et c'est 70 à 80% de la technologie mondiale.
01:10Et ces grandes conurbations, elles ont tendance à fonctionner en réseau, en sautant par-dessus.
01:16L'économie des proximités nous explique bien ça.
01:19Oui, en sautant par-dessus les frontières.
01:21J'avais appelé ça, il y a déjà pas mal de temps, l'économie d'archipel.
01:25Oui, absolument.
01:27Alors, on a la même chose d'une certaine façon à l'intérieur même des nations.
01:33C'est vrai qu'en France, il y a eu un processus qu'on appelle de métropolisation.
01:38Un certain nombre de grandes villes, l'Île-de-France, Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse,
01:46ont vraiment eu une trajectoire de croissance très forte,
01:49alors que d'autres régions, notamment le Nord-Est, restaient dans une situation beaucoup moins favorable.
01:58Alors, du coup, cette idée de France à deux vitesses a émergé avec cette connotation sociologique et politique
02:05et de dire, ah oui, mais les métropoles, c'est la forteresse des élites
02:09qui ne connaissent pas le peuple et qui le méprisent.
02:12Et puis, tous les autres territoires sont…
02:14En haut, en bas.
02:15Oubliés, périphériques.
02:17Alors ça, c'est faux, en particulier dans le cas de la France.
02:21La géographie sociale, économique, la géographie tout court de la France est beaucoup plus complexe que ça.
02:28Elle est beaucoup plus riche et complexe.
02:30Alors, par exemple, pourquoi c'est faux ?
02:33Le revenu moyen aujourd'hui dans les métropoles et dans les zones non métropolitaines,
02:39on va dire le reste, est le même.
02:42Même légèrement supérieur dans les zones non métropolitaines.
02:47Alors avec, il faut tout de suite ajouter des différences très importantes à l'intérieur de chacun de ces deux espaces.
02:53Les métropoles sont très, très inégales.
02:55L'essentiel des inégalités aujourd'hui en France sont à l'intérieur des métropoles.
02:58Bien sûr.
02:59Ce n'est pas le bastion des riches.
03:01La grande majorité des pauvres en France sont dans les métropoles et dans les banlieues métropolitaines.
03:08Il y en a aussi dans les campagnes.
03:10Il y en a aussi des villes oubliées, des petites villes industrielles qui vont mal, etc.
03:14C'est vrai.
03:15Mais il n'y a pas que ça non plus dans les campagnes.
03:17Donc, vous voyez, on est un paysage beaucoup plus complexe que ça.
03:21Une grande partie des périphéries vont très bien.
03:25Vous avez des petites villes moyennes aujourd'hui qui ont des taux de croissance supérieurs à celles des métropoles,
03:30avec un niveau de richesse qui est supérieur.
03:32Il faut arrêter cette vision dichotomique, binaire, manichéenne, qui est indélogeable.
03:40Un des éléments d'explication, c'est d'abord le lissage des inégalités par l'État.
03:46Oui.
03:47Et autre point, c'est quand même Paris.
03:49Ça reste quand même un petit problème.
03:51Absolument.
03:52Vous avez raison de soulever ces deux aspects.
03:54Pourquoi ?
03:55Si on regarde les statistiques, on s'aperçoit qu'effectivement, il y a une forme de lissage qu'on n'a pas aux États-Unis, par exemple.
04:03Beaucoup moins en Grande-Bretagne.
04:05Si vous allez dans le nord de la Grande-Bretagne, vous verrez que c'est vraiment des territoires abandonnés.
04:09Ce n'est pas le cas en France pour les territoires anciennement industriels.
04:12Pourquoi ?
04:13Parce que, comme Laurent Davzy l'a beaucoup expliqué dans ses livres et très bien expliqué,
04:19il y a une redistribution considérable.
04:21L'État social, il s'imprime aussi sur le territoire.
04:24Une bonne partie de nos territoires dits pauvres, où l'économie va mal, sont en fait sous perfusion,
04:30largement, le mot n'est pas très joli, mais des ressources de l'État social, des allocations familiales, de la retraite, etc.
04:38Ça, c'est la première chose.
04:39La deuxième chose, vous avez raison de dire que si les gens le perçoivent comme ça,
04:45parce qu'il n'y a pas que les politiques et les médias, il y a aussi beaucoup de gens qui le perçoivent comme ça,
04:50il faut le prendre au sérieux quand même, parce qu'il y a cette perception.
04:53Cette perception, elle est liée, à mon avis, on peut elle-même la raccorder à deux choses.
04:57La première, c'est qu'il y a, je pense, une coupure croissante, culturelle, pas géographique,
05:03mais culturelle entre, je dirais, le monde des cadres, le monde dont on fait partie tous les deux,
05:10et la coupure, elle est autour de l'éducation principalement, et les gens qui n'ont pas fait de longues études et tout ça.
05:18Il ne faut pas oublier qu'en France, en 30 ou 40 ans, on est passé de 8% de cadres supérieurs dans la population,
05:26c'est une petite couche, il y avait déjà beaucoup de poids, mais enfin 8%, à aujourd'hui, pratiquement 25%.
05:33Et je pense qu'on est devenus une classe sociale, les cadres.
05:37Deuxièmement, il y a quand même le cadre de Paris Intramuros.
05:41Et plus ça va, pour y vivre, et vivre aussi en partie à l'extérieur, je m'aperçois que cette hyperconcentration,
05:51alors pas en Île-de-France, mais dans Paris, intra-périphérique, dans le Paris d'Anne Hidalgo ou de Rachida Dati,
05:59restons écudistants, est un problème.
06:06Parce que beaucoup de gens le voient, il y a quand même une hyperconcentration du pouvoir médiatique,
06:11du pouvoir politique, du pouvoir intellectuel, etc.
06:14Alors, la France a deux vitesses, donc c'est faux, mais quand même, Paris, c'est loin.
06:21Comme disent certains, Paris c'est loin, même quand on est à une dizaine de kilomètres ou une vingtaine de kilomètres.
06:27Vous savez, il y a une belle formule que j'aime beaucoup de François Maspero,
06:31qui dit qu'il n'y a plus perdu qu'un provincial à Paris, c'est un Parisien en banlieue.
06:38Merci Pierre Wels.