Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, professeur de stratégie et entrepreneuriat, emlyon business school, pour parler de la cohésion sociale.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Philippe Silberzan. Bonjour Jean-Philippe. Professeur de stratégie et entrepreneuriat
00:14à UMLion Business School, auteur du blog philippesilberzan.com avec un billet par
00:18semaine. Je vais prendre deux billets parce que je sens qu'il y a une thématique qui vous est
00:23chère, c'est que le management peut aider le politique, politique au sens noble du terme.
00:27Vous nous dites que le management peut nous aider à réinventer la cohésion sociale. Alors
00:33d'abord, pourquoi Davos fait partie du problème ? Alors Davos, grand sujet, c'est inépuisable,
00:39c'est la cible favorite des populistes. Et effectivement, Davos fait partie du problème.
00:45Alors pour simplifier un peu, mais Davos, on a des gens qui arrivent en jet dans une
00:51magnifique station suisse, qui expliquent qu'il faut sauver la planète, qu'il faut faire beaucoup
00:57de sacrifices, les autres, pas eux, et ensuite qui rentrent chez eux en jet privé, habité dans
01:04leur appartement à New York, etc. C'est un peu caricatural, mais il y a de ça, c'est à dire
01:08qu'on a la situation dans laquelle une élite demande des sacrifices, mais n'en paye pas le
01:17prix. Et ça, c'est le pire qui puisse arriver, c'est à dire qu'on connaît tous le fameux
01:21grand pouvoir, grande responsabilité, et là, on a un grand pouvoir sans aucune responsabilité,
01:28ou autrement dit, les sacrifices qu'on va demander sont pour les autres. Et là, on gagne à tous les
01:33coups parce qu'on se met dans une position moralement irréprochable, on va sauver la
01:37planète, on va aider les pauvres, etc. Donc c'est moralement irréprochable, et tous les sacrifices
01:43vont être payés par les autres. Alors un, évidemment, moralement c'est quand même
01:48questionnable, ça pose ensuite une question de ces élites qui ont du pouvoir, mais qui délaissent
01:54leur responsabilité, c'est-à-dire le coût associé à ce pouvoir, et ça, ça nourrit le populisme. Et
02:00puis après, effectivement, ce qui nourrit également le populisme, c'est que ces sacrifices sont
02:03demandés sans prendre en compte les problèmes que ça pose. Alors pour donner encore une fois
02:09une caricature, quand on interdit le centre-ville au diesel, effectivement, c'est logique, le diesel,
02:15ça pollue, etc., il n'y a pas de débat là-dessus. Sauf que qui conduit des vieilles voitures diesel,
02:20c'est les pauvres en général, ou des artisans. Et donc, on va leur interdire l'accès au centre-ville,
02:25ça va rendre leur vie beaucoup plus difficile, et on ne leur propose pas d'autres solutions. Et donc,
02:31on a au départ un vrai problème, la pollution, le climat, etc., sur lequel il n'y a pas de débat.
02:36Les débats, ils portent sur ceux qu'on fait, et on a des gens qui préconisent des solutions sans
02:40en payer le prix. Et donc, non seulement ça crée le problème, mais ça le nourrit, et ça entraîne des
02:46réactions, comme on le voit, populistes. On le voit avec Trump, on l'a vu en Hollande, et on n'a pas
02:51fini de le voir, malheureusement, parce que quand on continue sur cette voie-là, eh bien, on aura ce
02:57résultat. C'est là que votre inquiétude pointe, mais vous ne vous contentez pas d'avoir une
03:02inquiétude. Vous dites, il y a peut-être des solutions à méditer. C'est le fameux Concile
03:05de Nicée. Oui, alors, événement historique extrêmement important en 325. L'empereur
03:11Constantin... Alors, on est au début de l'Église catholique. Alors, ça fait déjà 300 ans, mais
03:19enfin, elle est devenue maintenant une force institutionnelle, et elle est déchirée par des
03:25querelles théologiques qui paraissent absolument hallucinantes aux communs des mortels. On s'engueule
03:33pour des choses qui nous paraissent totalement ridicules, mais c'est ainsi. Et Constantin est
03:38exaspéré, parce qu'il a bien compris que l'Église formant aussi la superstructure de l'Empire, la
03:46superstructure intellectuelle et donc émotionnelle de l'Empire, des divisions aussi brutales, aussi
03:52profondes, sont une menace pour l'unité de l'Empire. Et donc, il convoque les évêques, et il leur dit
03:57« Écoutez, moi, je n'ai pas de position sur ces trucs-là, mais je vous ordonne de vous mettre
04:01d'accord ». Et en quelque sorte, il dit « Vous ne sortirez pas de cette pièce tant que vous n'aurez
04:05pas un accord ». Parce qu'il a compris qu'on unifie un collectif sur des croyances, en fait. Alors,
04:13c'est à la fois pas nouveau, mais c'est révolutionnaire que ce soit compris dans le domaine
04:16politique. Ce qu'ils font d'un collectif, que ce soit une équipe, que ce soit une entreprise, que
04:21ce soit un pays, une nation, ici un Empire, c'est des croyances de base que l'on va partager, et c'est
04:27ça qui va faire qu'on soit à Rome, à Ravenne, à Nice ou à Jérusalem, à l'époque, eh bien,
04:33quelques croyances de base font qu'on se sent faire partie de l'Empire, malgré les différences. Et
04:40c'est cette capacité à unir, malgré les différences, qui est extrêmement puissante,
04:43que Constantin a comprise, et qui donnera son unité. Alors, nos évêques retomberont très
04:50rapidement dans les querelles parce qu'ils sont ainsi faits, mais quand même, ça donnera une
04:55unité très forte, et c'est une intuition politique très profonde de Constantin. Voilà,
05:00il est possible de répondre à la fragmentation par les croyances. Absolument. Voilà, à méditer.
05:04Merci à vous. Merci.