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Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, professeur de stratégie et entrepreneuriat, emlyon business school, pour parler de l'optimisation et des mythes fondateurs.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Philippe Silberzahn, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat EM Lyon Business
00:14School, blog philippesilberzahn.com sur lequel on retrouve vos articles et là je vais en prendre
00:18trois pas du tout au hasard. Danger de l'optimisation naïve en incertitude, comment le mythe de la
00:24fondation empêche l'innovation et défendre la flamme intérieure face à l'incertitude qui seront
00:30les vestales de votre organisation. D'abord l'optimisation naïve, on sait bien qu'il ne faut
00:36pas optimiser naïvement incertitude, qui compte c'est le slack. Alors on le sait mais on le fait
00:41quand même. Il faut évidemment optimiser, le management c'est aussi une forme d'optimisation
00:47donc on a besoin d'un certain niveau de performance largement défini mais il n'y a pas de débat là
00:53dessus. La question c'est comment on optimise. Et l'optimisation effectivement peut être naïve,
00:59c'est à dire, alors il y a eu pour prendre un exemple parmi tant d'autres, pas juste le lean
01:05mais le zéro stock par exemple, le just in time pour reprendre un anglicisme, grand succès des
01:11années 80, l'idée de dire en fait une matière première n'a besoin d'arriver chez nous qu'au
01:18moment où elle va être consommée. Parce qu'avant ce qu'on faisait c'est qu'on avait un stock donc
01:22on faisait arriver des choses, ça restait deux jours, deux semaines, deux mois en stock avant
01:27d'être utilisé. Evidemment ces deux jours, deux semaines, deux mois c'est de l'argent perdu parce
01:33qu'on a une ressource qui dort etc. Et donc le génie c'est dire mais non si on s'organise pour
01:38que la ressource arrive au moment où elle est consommée dans le processus de production on n'a
01:42plus stock et donc on est extrêmement optimisé. Donc ça ça nous vient du Japon qui a énormément
01:48influencé ça. Donc on applique ça en France et en France il y a un truc qui nous différencie des
01:53japonais c'est qu'en France il y a des grèves. Et la grève quand elle survient c'est pas mal
01:59d'avoir des stocks en fait de matières premières. Et donc cette optimisation elle a été, alors qu'il
02:06y a une idée géniale, il y a tout un corpus remarquable, mais transposée dans un autre
02:10contexte de façon naïve, c'est-à-dire justement en ignorant le contexte culturel dont on pense ce
02:14qu'on veut mais c'est un contexte différent, il y a une forme de naïveté c'est-à-dire on ne regarde
02:19que la technique de la chose en ignorant toujours qu'une technique s'inscrit dans un corps social,
02:25en bien ou en mal là n'est pas la question, mais elle s'inscrit dans un corps social qui va se
02:29l'approprier avec ses avantages et ses inconvénients. Et donc optimiser c'est de façon naïve parce que
02:35ça ne tient pas compte donc de l'incertitude, qui suggérerait qu'avoir un peu de slack de
02:41stock etc même si financièrement ça nous abîme un petit peu, le jour où on a un problème ça nous
02:46sauve. On l'a vu au moment de la crise Covid. On l'a vu effectivement au moment de la crise Covid et
02:51moi j'ai un ami qui est dirigeant d'une entreprise et qui avait trois usines dans un pays, chacune
02:57étant hyper spécialisée et un jour il s'est dit oh là là c'est très dangereux et il les a fait
03:04mieux se relier les unes aux autres, ce qui lui a coûté financièrement mais qui sur le long terme
03:15a été beaucoup plus performant parce qu'il a été capable d'encaisser des chocs que sinon il n'aurait
03:18pas pu encaisser avec une usine en particulier. Autre piège face à l'incertitude c'est le mythe
03:22de la fondation. Alors là on change complètement de registre mais quoi que. Alors le mythe de la
03:28fondation c'est Anna Arendt qui l'évoque dans la crise de la culture. C'est très court, c'est
03:35juste quelques lignes mais comme très souvent il suffit de quelques lignes pour être génial,
03:39c'est fulgurant. Et elle dit voilà il y a un mythe occidental, alors notamment elle parle de Rome,
03:45le mythe de la fondation de Rome, on connaît tous Rémus, Romulus, etc. Et ça c'est resté,
03:52c'est-à-dire qu'il y a cette idée que face aux échecs, aux difficultés, etc. on va tout effacer
03:58et recommencer. Alors on l'a vu par exemple aux Etats-Unis, New York, New Haven, la Nouvelle
04:08Orléans, l'idée c'était de dire, et ça c'était très fort à ce moment-là, l'Europe traversée par
04:15des guerres, l'Inquisition, etc. ça n'est pas ça n'est pas sauvable, c'est corrompu, etc. On s'en
04:23va et on va recréer quelque chose à partir de zéro. Et c'est resté un mythe extrêmement important,
04:29ce mythe de la fondation et derrière de la refondation. Donc ça a donné après des mythes
04:34politiques évidemment très importants, on voit avec Rousseau, c'est-à-dire on repart de zéro et
04:39on va recréer un homme nouveau à droite comme à gauche. Et puis dans le contexte de l'organisation,
04:47on a un peu la même idée, c'est-à-dire très fortement présente dans le monde entrepreneurial,
04:52et moi je l'entends souvent, c'est les grandes organisations elles ne peuvent pas innover,
04:55c'est pas sauvable, ce qu'il faut c'est aller créer des startups à côté et c'est la seule
05:01façon de changer les choses. Et on retrouve ce mythe de la fondation, vous savez que dans une
05:05carte de visite d'une startup, fondateur a plus de valeur que dirigeant en fait, le directeur
05:10général est culturellement inférieur au fondateur. Le fondateur, il y a cette espèce de démiurge qui
05:17est passée, vous connaissez sans doute l'expression, le livre, c'est de zéro à un, ça c'est Dieu,
05:22enfin il n'y a que Dieu qui sait faire ça. Et donc cette espèce de sacralisation de lui,
05:28lui ou elle d'ailleurs, est passé de zéro à un, l'autre il a fait que gérer. Et donc derrière ça,
05:33il y a aussi un peu le mépris du réformateur prudent, qui ennuie un peu tout le monde parce
05:38qu'il n'y a pas des tambours et des trompettes, on va faire un homme nouveau, on va juste améliorer
05:41la collecte des ordures, la gestion des écoles, etc. Et donc derrière on a un peu ce mépris très
05:48français de la réforme parce qu'on préfère la révolution, on va tout casser, on va repartir de
05:53zéro et là cette fois ça sera bien. Anna Arendt nous dit, peut-être pas. Faites attention, et donc
06:02en synthèse vous nous dites, en fait la vraie question c'est de repérer, défendre la flamme
06:06intérieure. Voilà, la flamme intérieure... Face à l'incertitude c'est ça le point. Voilà, c'est la
06:12clé, c'est ce vers quoi on se tourne quand on a de l'incertitude. L'incertitude c'est quelque part
06:18la fragilisation de nos modèles et donc plutôt que d'aller essayer de créer quelque chose de
06:23nouveau ou de nous perdre dans l'espèce d'idéal, c'est-à-dire voilà, on a quelque chose sous la
06:29main, on en pense ce qu'on en veut, mais on peut l'améliorer, on peut l'opposer à ces fausses
06:33évidences de refondation, de recréation, d'idéalisme qui peuvent avoir des côtés positifs. Mais de
06:40partir de ce qu'on a et de l'améliorer, une proposition très pragmatique. Alors effectivement
06:44c'est pas forcément ni romantique, ni sans tambour et trompette, mais voilà, on a ce qu'on
06:50a, on l'améliore et on nourrit ça. Méfiez-vous du mythe obsessionnel de l'optimisation ? Méfiez-vous
06:57du mythe fondateur et puis finalement cultivez cette flamme intérieure. Absolument. C'est pas
07:02mal face à l'incertitude. Merci à vous Philippe. Merci Jean-Philippe.

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