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Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, professeur de stratégie et entrepreneuriat, emlyon business school, pour parler de la singularité face à l'incertitude.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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00:00Bonjour Philippe Silberzahn, EMnew Business School, vous êtes professeur de stratégie et
00:13entrepreneuriat. Si je vous dis la réponse, c'est la singularité en stratégie. Pas la singularité au
00:19sens où on l'entend aujourd'hui au plan technologique, la machine nous dépasse et pensez
00:23le même, etc. Pas la singularité, mais la singularité. C'est la réponse parce que c'est
00:29comme ça qu'on fait face à l'incertitude. Oui, alors l'incertitude c'est quelque part la remise
00:36en cause de vérités historiques. C'est son produit principal. Les choses qui ont été vraies ne le sont
00:42plus. Et donc, que ce soit un individu ou une organisation, là on va parler d'organisation mais
00:47c'est la même chose au niveau des individus, ce sur quoi on a basé notre réussite jusque-là devient
00:54partiellement faux, en tout cas est fragilisé. Donc c'est la vraie question stratégique, nos
00:59croyances sur lesquelles on a basé notre modèle et notamment notre modèle d'affaires, ce qu'on
01:04vend, à qui on le vend, etc., comment on se développe, comment on crée de la valeur, a été
01:09vrai jusque-là, mais certains de ces éléments deviennent fragilisés. Et donc, cette fragilité
01:14peut nous induire à aller nous tourner vers d'autres modèles existants. A douter. Alors voilà,
01:21ça entraîne le doute. Finalement, ce qu'on a fait, ce n'est pas génial, on se sent fragile,
01:25et en fragilité, on va être tenté d'aller chercher d'autres modèles. Et on a dans des
01:31situations internes, incertaines pardon, le grand marché des modèles. Tous ces gens qui nous
01:37proposent des modèles clés en main, alors en politique, c'est les idéologies, mais en
01:40management, on a aussi des idéologies. Il faut être plus processé, il faut être collectif,
01:45il faut être ceci, il faut être cela. Voilà, on connaît bien ça en management. Et surtout,
01:48on va chercher la réponse à l'extérieur. Et on va chercher la réponse à l'extérieur,
01:51parce que comme on doute, on se dit, nous, on n'est pas bon, mais les autres, ils sont très
01:55bons, puisqu'eux ont l'air tellement certains d'eux-mêmes, que quelque part, ils doivent avoir
01:59raison. Et quand on fait ça, on initie un cercle vicieux terrible, c'est-à-dire qu'en allant
02:03importer des solutions toutes faites, on se fragilise encore plus, ce qui fait qu'on va
02:07encore plus avoir besoin d'aller chercher à l'extérieur. Et ça, c'est le contraire de la
02:11stratégie, puisque la stratégie, c'est fondamentalement de développer, et c'est là que
02:15le mot singularité est important, de développer une réponse singulière, donc qui nous différencie
02:21des autres, c'est-à-dire, face à un défi que l'on rencontre, ça peut être un problème de
02:25croissance ou autre, d'apporter une réponse qui nous est propre, donc qui ne serait pas celle de
02:31notre concurrent, par exemple, et singulière, c'est-à-dire qui ne s'est peut-être jamais vue
02:35auparavant. Pour moi, c'est l'essence de la stratégie. Et quand on fait ça, on fait le
02:40contraire de ce cercle vicieux, on fait un cercle vertueux, c'est-à-dire qu'en apportant des
02:43réponses propres aux défis qu'on rencontre, on développe notre singularité, donc on se renforce et
02:48on est encore plus capable d'apporter des réponses propres et singulières. Et donc, le truc en
02:53incertitude, c'est soit on a un cercle vicieux, c'est-à-dire nous allons essayer de rechercher des
02:58certitudes à l'extérieur parce qu'on n'est plus en confiance avec nous-mêmes, ou au contraire, de
03:02se dire « ah tiens, disparition de nos certitudes, eh bien c'est le moment de travailler un petit peu,
03:08de recréer un peu nos croyances de base ». C'est pas facile, on appelle ça l'innovation, au sens
03:13large, mais ça, ça nourrit notre singularité et on rentre à ce moment-là dans un cercle qui peut
03:17être vertueux et qui, encore une fois, nourrit la réponse stratégique à l'incertitude.
03:21La stratégie, clé de votre stratégie en incertitude, c'est un de vos papiers. Vous
03:26allez encore plus loin en disant « attention, la singularité, c'est quelque chose de très
03:29sérieux et si on veut vraiment la comprendre, c'est Montaigne qu'il faut lire ».
03:32Il faut toujours revenir à Montaigne. C'est un peu une obsession perso,
03:36mais il n'y a pas que moi qui le dis. Montaigne, entre autres choses, il dit « voilà, la métaphysique
03:41essaye de nous vendre l'idée que l'idéal, c'est... ». Alors, il parle au niveau individuel,
03:46mais on va retrouver la même chose au niveau de l'entreprise, l'organisation. « L'idéal du
03:50métaphysicien, c'est ce qu'il appelle l'âme stable, c'est malbranche. C'est-à-dire, on a atteint
03:55l'idéal métaphysicien quand nous avons supprimé tout conflit à l'intérieur de nous-mêmes. Nous
04:01savons ce que nous voulons, tout est clair, etc. ». Et Montaigne dit « ça, c'est n'importe quoi,
04:07ça, c'est pas comme ça que ça marche ». Montaigne dit, entre guillemets, « vous savez,
04:12le cerveau humain, c'est un joyeux bordel. On est bourré de contradictions. On voudrait être très
04:17célèbre, mais on ne travaille pas. On voudrait être un leader, mais on est paresseux. On a lu
04:23tous les livres de management, mais on se sent un peu fatigué, etc. ». Et Montaigne dit « c'est
04:27comme ça ». Mais il ne dit pas « c'est comme ça » au sens de « résignez-vous ». Il dit « c'est
04:32comme ça » parce que ça, c'est la réalité. On est bourré de contradictions. Et là où il est
04:37assez extraordinaire, c'est qu'il dit « c'est ça qui fait notre force, en fait, parce que ces
04:40contradictions sont en fait des tensions, et la tension, c'est l'énergie ». Alors, il ne dit pas
04:46forcément ces termes-là, mais ça transpire de ses écrits. Et il dit « moi, quand je suis à la
04:51fois ambitieux et un peu paresseux, je vais être ambitieux de façon peut-être différente ». Et
04:57donc, il dit « paradoxalement, la reconnaissance de nos contradictions, de nos « faiblesses » est
05:05une source de force, parce que c'est partir de la réalité ». Et à ce moment-là, l'infini du monde
05:12est possible, en fait. Quand on part d'un idéal, on est écrasé. C'est Pascal. L'idéal nous
05:17écrase. On se dit « ah, tu n'es qu'un pauvre être humain, alors que tu devrais être honnête,
05:23entreprenant, dynamique, performant ». Si ça rappelle quelque chose en termes de management,
05:29c'est sûrement une coïncidence. Et donc, on vente cet idéal qui terrifie les gens, en fait,
05:34et à juste titre. C'est-à-dire que « par rapport à ça, moi, je ne suis rien à côté de ça ». Et
05:39Montaigne dit « non, non, non, ce n'est pas ça du tout. Tu pars de qui tu es. Oui, tu as des défauts,
05:44tu as des faiblesses, mais tu peux en jouer ». Voilà. Et il dit « ça ouvre l'infini du monde,
05:49en fait ». Voilà. Et en incertitude, ça permet d'accueillir justement ce à quoi on ne s'attendait
05:55pas. Et c'est ça, la clé, en fait. La clé de la créativité, c'est d'assumer qui on est. Mais
06:00pas pour s'y vautrer. C'est le contraire du narcissisme. Dans les outils de développement
06:07personnel, ça commence toujours par « vous êtes quelqu'un de formidable, mais vous ne le savez
06:11pas ». Et dans les 250 pages qui suivent, « je vais vous expliquer pourquoi vous êtes formidable ».
06:16Et on s'étonne que ça marche. Et Montaigne dit « non, non, vous n'êtes pas formidable en fait,
06:20du tout, du tout, du tout. Non, non, non, vous êtes paresseux, goinfres, gourmands,
06:23suspicieux, jaloux, etc. ». Mais tout ça, c'est aussi une source d'énergie. Donc il dit « on part
06:30de ça ». Et ça, ça ouvre à la créativité. Voilà. Retour au réel, c'est le grand message.
06:35Retour à la réalité. Absolument. Et ensuite, assumer ce que vous êtes. Voilà. Cherchez pas
06:40à devenir un autre. Merci à vous, Philippe. Merci Jean-Philippe.

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