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Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, emlyon Business School, pour parler de la crise des missiles à Cuba. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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00:00 Bonjour Philippe Sidbarzan, professeur de stratégie et entrepreneuriat à l'EM Lyon
00:18 Business School. Philippe Sidbarzan interview Fast Research. On va parler ensemble des missiles
00:23 de Cuba, la crise des missiles de Cuba qui nous rappelle tellement l'Ukraine et l'invasion de
00:28 l'Ukraine. Crise des missiles de Cuba, vous vous en tirez un enseignement managérial,
00:31 c'est les dangers du consensus en situation d'incertitude. Oui alors effectivement moi je
00:36 me suis intéressé à pourquoi il y a eu une crise. Alors la crise elle-même a été très décrite
00:39 notamment en management avec l'ouvrage d'Alison, Essence of Decision, remarquable. Mais en fait on
00:45 se demande rarement pourquoi il y a eu une crise. Et il y a eu une crise parce qu'il y a eu une
00:48 surprise. La base de la crise c'est que la CIA a été complètement prise par surprise par une
00:52 opération secrète qui se déroulait à 150 km de ses côtes. Voilà donc la question c'est pourquoi
00:57 une organisation qui a été créée pour éviter des surprises s'est fait surprendre par une opération
01:01 encore une fois vraiment sous son nez. Et là effectivement on met en lumière des modèles
01:07 mentaux, des croyances qui se figent en un consensus. Et en l'occurrence ce qu'on identifie
01:13 ici c'est que jusqu'au bout, quasiment jusqu'au bout, la CIA croit que jamais les Russes ne feraient
01:20 une chose pareille. Et ce qui est intéressant c'est que cette croyance en fait va neutraliser
01:24 toutes les données qu'elle a par ailleurs. Ça peut être d'informateurs, d'espions, des données
01:30 de renseignements techniques etc. qui lui montrent qu'il se passe quand même quelque chose de très
01:34 très sérieux. Elle ne sait pas ce qui se passe. Elle sait que c'est très sérieux mais elle se
01:38 refuse presque jusqu'au bout à accepter l'idée que ça pourrait être des missiles parce que encore
01:43 une fois sa conviction, son modèle mental et le consensus qu'il y a au sein de l'appareil de
01:47 renseignement c'est que jamais les Russes ne feraient une chose pareille. Voilà et une des conséquences
01:51 c'est qu'ils sont convaincus qu'on ne peut pas faire confiance aux informateurs cubains.
01:55 Alors voilà, notamment une des croyances qu'ils ont c'est... alors il y a toute une littérature,
01:59 ce qui est intéressant c'est que la CIA a beaucoup déclassifié donc on a accès à leurs rapports de
02:04 l'époque dans lequel très très doctement ils expliquent que l'informateur cubain puisqu'il
02:09 est latin, américain, n'est pas très fiable, il change d'avis donc en tant qu'informateur on ne peut
02:14 pas vraiment lui faire confiance. Et donc quand arrivent des masses incroyables de rapports,
02:18 ça peut être des lettres etc. de gens qui à Cuba disent "les gars il se passe quelque chose,
02:22 vous devriez quand même regarder", la CIA dit "ouh là là attention c'est peut-être de la
02:27 désinformation, c'est peut-être de l'intoxication, on ne peut pas leur faire confiance". Et donc cette
02:30 croyance encore une fois va primer sur tout, ce qui montre qu'on peut avoir beaucoup de big data,
02:36 si la croyance de base avec laquelle on utilise ces data est mauvaise, et bien les data ne
02:41 servent à rien. C'est passionnant. Edouard Ludvac, on ne peut pas taxer de ne rien connaître à la
02:48 stratégie, c'est le moins qu'on puisse dire. Ne croyez pas à l'invasion de l'Ukraine.
02:51 Oui alors même chose, exactement, même chose. Le 22 février je crois, Ludvac, expert en stratégie,
02:58 il a écrit des bouquins très intéressants sur le sujet, explique que Poutine ne va pas
03:04 envahir l'Ukraine. Alors c'est loin d'être un ami de Poutine, donc lui il se veut très rationnel,
03:08 et il dit "Poutine n'a massé que 120 000 hommes à la frontière ukrainienne, or pour occuper un
03:14 pays il faut 500 000 hommes, donc mathématiquement il ne va pas envahir l'Ukraine". Donc là,
03:19 croyance très forte, dont il n'a pas conscience, qui est que si Poutine envahit l'Ukraine,
03:24 c'est pour l'occuper. Et donc du coup, effectivement, les troupes sont très largement insuffisantes.
03:28 Alors on sait aujourd'hui que ce n'était pas du tout l'intention de Poutine, que c'était au fond
03:32 de faire peur au gouvernement pour qu'il tombe, et que Poutine pensait qu'en quelques heures ça
03:35 serait plié, et pour faire une espèce d'opération d'intimidation, 120 000 hommes ça suffit
03:40 largement, il suffit de prendre Kiev et puis voilà. Et donc tout ça pour illustrer la vertu
03:44 du dissensus et non pas du consensus, et là on découvre que finalement on a échappé à une
03:48 troisième guerre mondiale en 62 grâce à quelqu'un qui a écourté sa demi-nose.
03:52 Oui, alors c'est assez cocasse, mais la stratégie c'est aussi fait d'actes humains. Il se trouve
03:57 que le directeur de la CIA, qui était un outsider pour plein de raisons politiques, il est récent,
04:02 il a été nommé par Kennedy précisément parce que c'est un outsider après le fiasco de la
04:07 baie des cochons, c'est un homme d'affaires, et lui très rapidement dit "moi je pense que ce sont
04:15 des missiles balistiques". Et donc il va à l'encontre de sa propre organisation, ce qui est
04:19 assez cocasse. Mais bon, il ne pousse pas parce qu'il est rempli d'experts très intelligents,
04:22 donc il a un doute, et il se trouve qu'au moment d'une réunion absolument cruciale où la CIA doit
04:30 décider de faire voler l'U2 qui révélerait les missiles et donc qui résoudrait la question,
04:34 eh bien il n'est pas là, il est en voyage de noces, puisqu'il s'est marié très tardivement.
04:39 Et donc la solution, ce sera qu'au bout d'un moment durant son voyage de noces, ce qui lui
04:44 vaudra des blagues un petit peu salaces, il n'y tient plus et il écourte son voyage de noces
04:49 parce qu'il se dit "non non les gars, il y a vraiment un truc et moi ça me plaît pas". Il
04:52 rentre et contre la CIA, ses propres troupes, il ordonne un vol de l'U2 qui révèle les photos qui
04:58 sont présentées à Kennedy et c'est le début de la crise des missiles. Donc effectivement,
05:02 la capacité au sein d'une organisation à générer du dissensus, c'est-à-dire la capacité à
05:07 questionner des choses qui peuvent nous paraître évidentes, est absolument essentielle.
05:12 Dirigeant, assurez-vous que vos systèmes d'information et votre organisation permettent
05:16 de cultiver le dissensus. Exiger le dissensus. Merci Philippe Silberzahn.
05:21 Merci Jean-Philippe.
05:22 Merci Philippe.
05:24 Merci Philippe.
05:26 [Musique]
05:29 [SILENCE]

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