Dans son édito du 30/09/2024, Mathieu Bock-Côté revient sur le procès du RN, qui a débuté ce lundi 30 septembre.
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00:00Nous n'avons violé aucune règle, ce sont les propos de Marine Le Pen en arrivant aujourd'hui au premier jour du procès des parlementaires, des eurodéputés du RN, procès aux enjeux politiques nombreux.
00:15Tout se regarde Marine Le Pen, car il pourrait même aboutir, Mathieu Bocoté, à son inéligibilité, en quoi ce procès pourrait rebattre toutes les cartes de la vie politique française, et je pèse mes mots.
00:29Vous avez tout à fait raison. Point de départ, il ne faut pas faire semblant que nous sommes devant un procès ordinaire. Il ne faut pas faire semblant que nous sommes devant l'exercice ordinaire de la justice qui se déploie.
00:41Il faut, me semble-t-il, c'est mon avis, mais je le partage comme qui dirait, considérer ce procès comme un procès politique, un procès politique à part entière, et qu'est-ce qu'un procès politique ?
00:53C'est un procès où on utilise, on instrumentalise le droit, d'une manière ou de l'autre, pour se débarrasser d'un adversaire politique.
01:01Je fais une petite parenthèse tout de suite pour dire que Marine Le Pen, elle dit elle-même que selon elle, ce n'est pas un procès politique.
01:07Absolument, et j'y arrivais. Je considère que c'est un procès où on instrumentalise le droit pour se délivrer, pour liquider un adversaire.
01:17Marine, qui a une formation d'avocate, je crois qu'elle a un respect spontané envers les juges, peut-être une tendresse exagérée, dirait certains, considère que ce n'est pas un procès politique.
01:27Je ne suis pas certain qu'elle le pense vraiment, mais à tout le moins, elle le dit parce qu'elle décide de traverser, de faire cette épreuve.
01:33Une fois que c'est dit, les procès politiques, il y en a eu plusieurs. Je reviendrai sur les méthodes bientôt, mais aux États-Unis, tout simplement.
01:40Tout récemment, regardez le traitement de Donald Trump depuis 4 ans. On peut ne pas aimer du tout le personnage, tout en constatant qu'il a été, en reconnaissant qu'il a été le cible d'un harcèlement judiciaire permanent,
01:53avec cette idée qu'il fallait réduire sa candidature à la chronique judiciaire, avec cette idée que ce candidat n'apparaissait politiquement qu'à travers les casseroles qu'il traînait,
02:03qu'à travers les différentes condamnations qu'il risquait d'accumuler, mais souvent, encore une fois, sur le mode de l'instrumentalisation politique de la justice.
02:11Rappelez-vous, on s'est même demandé il y a quelques semaines, il y a quelques mois, si Trump, au terme des condamnations qui pourraient être les siennes, mènerait sa campagne présidentielle en prison.
02:19Dans une série de prisons. C'était quand même une question qu'on se posait, ce qui est un peu lunaire. Enfermer le chef de l'opposition, quoi qu'on en dise, ces méthodes, pour moi, relèvent du procès politique.
02:28Mais revenons sur le détail de l'histoire, parce que ce n'est pas sans importance. Ça commence aujourd'hui. Plusieurs autres membres de l'ancien FN, aujourd'hui RN, sont invités à comparaître dans l'affaire de ce qu'on appelle des assistants parlementaires.
02:43Je résume très simplement. On accuse le FN de l'époque d'avoir utilisé des assistants parlementaires payés pour agir au Parlement européen, selon les tâches du Parlement européen, dans les exigences du Parlement européen,
02:55de leur avoir confié des tâches partisanes plutôt que liées au Parlement européen, et cela est présenté comme un détournement de fonds publics. En quelque sorte, on dit, vous avez utilisé des fonds publics, vous les avez détournés pour leur faire servir une autre fonction que ceux auxquels ils étaient destinés.
03:14Marine Le Pen risque, dans les circonstances, donc ces détournements de fonds publics et complicités de détournement de fonds publics, elle risque 10 ans de prison, jusqu'à 1 million d'euros d'amende et une peine complémentaire, on le dit, de 10 ans d'inéligibilité. Autrement dit, et ça, je reviendrai là-dessus un peu plus loin, elle pourrait être évacuée du jeu politique. Elle pourrait se faire décapiter, guillotiner juridiquement et politiquement.
03:37Marine Le Pen, candidate, non, ce n'est plus possible, décapiter juridiquement par ce procès. Sachons que tel est le véritable enjeu. Ce que l'on reproche apparemment au RN, on dit, vous avez utilisé cette méthode de détournement de fonds parce qu'en fait, votre parti était surendetté, notamment à cause du prêt russe. On ne peut pas oublier, le RN avait été obligé d'aller s'endetter auprès d'une banque russe de mémoire en République tchèque, si je ne me trompe pas. Pourquoi? Eh bien, parce qu'il n'avait pas accès aux banques françaises.
04:04C'est quand même particulier. Ensuite, on l'accuse d'être russophilisé, quoi qu'on en pense. Donc, le RN aurait cherché à renflouer ses coffres ainsi en se déchargeant la masse salariale. Ils s'en déchargeaient parce que c'est l'Europe qui payait.
04:18Imaginons que les accusateurs soient de bonne foi. Imaginons que ceux qui mènent ce procès politique sont véritablement convaincus de servir la justice, l'éthique et le droit. On peut considérer qu'ils ont une vision terriblement limitée, terriblement réduite du rôle d'attaché parlementaire, d'assistant parlementaire. Il faut très mal connaître ce milieu.
04:39Le propre de l'attaché parlementaire, c'est qu'il y a normalement un parcours militant. Ce n'est pas le cas de tous, mais c'est le cas de plusieurs. Dans le propre de la vie politique, vous avez des fonctions parlementaires, vous avez aussi des fonctions militantes et tout finit par se croiser.
04:53Lorsque vous faites une chose, vous faites l'autre en même temps. Vous avez un engagement complet. Vous n'êtes pas un simple fonctionnaire du Parlement européen, un technicien de plus au sein du Parlement européen. Vous faites votre travail, vous l'assumez, vous l'engagez, mais dans le cadre d'un engagement plus vaste.
05:10Je dirais que tous ceux qui ont fait de la politique un jour, d'une manière ou de l'autre, quel que soit le lieu où on en a fait, on sait que d'un côté, il y a la part administrative, il y a la part technique, il y a la part militante et que tout ça, tout ça fait une vie commune, bien que par ailleurs, on est obligé de distinguer évidemment des tâches faites au Parlement ou faites dans la vie militante.
05:30Mais du point de vue du Parlement européen, il n'y a pas d'attaché parlementaire, il n'y a pas d'assistant parlementaire, il n'y a que des techniciens fonctionnaires du Parlement européen qui, dès lors qu'ils sortent un peu d'une définition très réduite de leurs tâches, seraient dans une logique de contravention par rapport à leurs fonctions.
05:44Vous n'êtes pas en train de disculper le RN avant même le procès.
05:47Non, non, je dis comment fonctionne. Il ne s'agit pas de disculper ou non. Moi, ce qui me frappe là-dedans, franchement, le procès frapperait la France insoumise, que je dirais la même chose.
05:57Ou le modem.
05:58Ben voilà, j'y arrive. Le modem, on lui a fait le même procès. On lui a fait le même procès au modem et je trouve que c'était un procès aussi illégitime.
06:05Dans le cas du modem, François Bayrou s'en est tiré parce que, bon, l'argument c'était le suivant, il n'était pas au courant de la combine.
06:13Mais laissons de côté cet argument. Encore une fois, il s'agissait d'une vision technicienne, fonctionnalisée, du rôle de l'assistant parlementaire, que ce soit à l'Europe, que ce soit en France.
06:24C'est une vision qui ne correspond pas à la réalité des choses. On pourrait faire l'hypothèse, je ne suis pas conspirationniste donc je ne la ferai pas,
06:30mais je sais qu'on pourrait faire l'hypothèse qu'on a décidé d'abord de frapper François Bayrou pour montrer, regardez, on ne frappe pas que le RN.
06:36Et une fois qu'on a frappé Bayrou et qu'on ne l'a pas condamné finalement, la prochaine étape consiste à dire, elle, on la frappera et elle, on ne la manquera pas.
06:45Donc, j'y reviens. C'est une méthode, à mon avis, qui relève du procès politique.
06:49D'autant, si je peux me permettre, les fonds européens sont encore une fois utilisés ici pour priver d'autonomie les partis, les pays.
06:55Donc, si vous acceptez de l'argent de l'Europe, c'est intégralement aux conditions de l'Europe dont on peut changer d'interprétation l'année X, l'année Y, l'année Z.
07:03Donc, au final, oui, c'est un procès politique. J'en suis tout à fait convaincu. Je ne le dis pas pour disculper qui que ce soit.
07:09Je le dis pour rappeler à quel point la politique n'est pas simplement le prolongement de la vie technicienne.
07:14Alors, ça pourrait être, voilà, une grosse déflagration, peut-être la plus grande dans la Ve République, si jamais elle est frappée d'inéligibilité.
07:22En quoi, selon vous, c'est un procès, on peut y voir un procès politique?
07:26Bien alors, voilà. De quelle manière on peut chercher, parce que la trame de fond ici, c'est le procès des partis antisystèmes.
07:32Il faut comprendre qu'on est devant un système qui ne croit plus être capable de vaincre démocratiquement,
07:38c'est-à-dire dans le jeu des arguments, dans le jeu des idées, dans le jeu politique.
07:42Autrement dit, il ne croit plus être capable de vaincre ses adversaires.
07:46Dès lors, que cherche-t-il à faire? Il cherche à les expulser du jeu. Il cherche à les traiter comme des partis paria.
07:52On peut faire presque un petit inventaire de méthodes qui existent aujourd'hui en Europe, mais pas seulement en Europe,
07:58pour traiter justement les partis paria, pour les disqualifier de différentes manières.
08:03Je vais donner quelques exemples. Le premier, évidemment, c'est la méthode classique, c'est l'invisibilisation.
08:09Vous n'existez pas, vous êtes un parti, vous avez un programme, vous avez peut-être construit sérieusement votre proposition politique,
08:15mais non, on ne parlera jamais de vous parce que vous êtes un paria, vous êtes un illégitime.
08:20Donc, c'est l'exécution médiatique. On n'a pas à se rendre au droit ici.
08:25Mais si néanmoins le parti réussit à faire une infraction dans le débat public, il réussit à pénétrer le jeu politique,
08:30il y a évidemment la diabolisation médiatique, dont on a souvent parlé ici.
08:34La diabolisation médiatique fonctionne souvent de la même manière.
08:37On trouve un point dans le discours du programme où je ne sais quel candidat lambda qui traîne dans le parti,
08:42on réduit le discours de ce parti, le discours du chef, le discours du leader,
08:46au dérapage de quelques candidats lambda qui traînent dans l'appareil,
08:49et dès lors, ce parti, on cherche à tout près à le réduire au dérapage de quelques-uns de ces éléments.
08:55Ça peut venir aussi, soit dit en passant, avec des persécutions médiatiques et quelquefois juridiques.
09:01Rappelez-vous la persécution, on pourrait dire bancaire, et même les persécutions juridiques des anciens identitaires.
09:07Ça participe à cette idée que si vous vous associez à ce mouvement, mouvement ou parti, vous en paierez le prix.
09:14Il y a évidemment les procès au pluriel pour délit d'opinion.
09:17C'est le cas d'Éric Zemmour dont on a souvent parlé ici.
09:20Le cas d'Éric Zemmour, il s'agit de condamner un homme pour délit d'opinion pour dire de lui désormais...
09:25On n'écoute pas ce qu'il a dit, il a été condamné par la justice, c'est tout.
09:29Vous êtes désormais un délinquant dans la vie publique, nul besoin de vous répondre.
09:34Ça peut aller plus loin.
09:35Le procès Salvini, dont on a parlé ici il y a quelques semaines ou quelques jours même,
09:39cette idée que vous avez appliqué votre programme, vous avez été élu pour ça,
09:42vous l'avez fait dans les règles, mais vous allez contre les principes du Saint État de droit aujourd'hui,
09:46dont nous parlera Charlotte dans un instant, on veut vous coffrer pour six ans.
09:50Ça peut aller dans d'autres méthodes.
09:52La modification des règles électorales ou parlementaires.
09:55On l'a vu récemment en Allemagne, où pour bloquer l'arrivée de la FD qui a eu quelques succès électoraux,
10:00les partis du cartel, parce qu'on est obligé de les présenter comme tel,
10:04puisqu'ils décident de se fédérer contre un seul, du Front républicain allemand,
10:08qu'est-ce qu'ils nous disent?
10:09Ils disent qu'on va modifier les règles parlementaires pour qu'ils ne puissent pas participer correctement
10:15aux jeux de l'Assemblée.
10:16On l'a vu en Thuringie notamment, pour les empêcher d'être une minorité de blocage,
10:20alors qu'ils avaient des appuis nécessaires pour cela.
10:22En Allemagne toujours, là il vient d'avoir, c'est tout récent, 37 députés se sont liés ensemble
10:28pour soumettre une motion à la Chambre constitutionnelle pour déclarer illégale la FD.
10:35Donc tout simplement le parti, on le frappe d'illégalité.
10:38Vous n'existez plus, vous n'avez plus le droit.
10:40On ne sait pas si ça va aboutir, mais on sait que c'est une tentative.
10:43Interdire un parti, ce que proposent certains en France pour l'ARN, ne l'oublions pas.
10:47On peut resserrer les méthodes d'accès aux élections, la querelle des signatures.
10:52Rappelez-vous, en 2022, on l'avait un peu oubliée, mais pendant un temps,
10:5545% des Français risquaient d'être privés de leurs candidats.
11:00Mélenchon, Le Pen, Zemmour.
11:02Quand on disait que vous n'avez pas les signatures, vous ne pouvez pas participer,
11:05désolé, au moins la vie républicaine sera délivrée de vous, trouble faite.
11:08On peut modifier les conditions d'accès au vote.
11:11Un des grands débats aux États-Unis en ce moment, ne l'oublions pas,
11:14c'est la participation éventuelle des illégaux à l'élection présidentielle.
11:18Donc on se dit, on va renouveler le corps électoral à partir des illégaux
11:22pour être capable de bloquer un candidat dont on se méfie.
11:25Dans ce cas-là, c'est Trump, mais on a vu ça ailleurs dans le monde.
11:28D'ailleurs, l'immigration massive est souvent utilisée pour renouveler un corps électoral
11:32qui sinon a tendance à aller voter pour des partis infréquentables.
11:34Et ici, il y a le procès dont on parle, le procès de Marine Le Pen,
11:39pour la rendre inéligible, tout simplement, la décapiter,
11:42en finir avec elle, et décapiter à travers ça le principal parti d'opposition.
11:47Et je note que c'est déjà arrivé pour d'autres candidats du FN en d'autres temps.
11:51Et tout ça, je le redis, repose sur une peur panique.
11:54On ne croit plus être capable de battre ses partis selon les règles dans les urnes.
11:58On modifie donc les règles pour être capable de se débarrasser d'eux.
12:02On peut se demander si c'est ça l'État de droit et si c'est encore la démocratie libérale,
12:05ou est-ce qu'on n'est pas devant une modification des règles
12:07pour empêcher quelqu'un qui joue selon les règles de triompher ou en tout cas de gagner.
12:12Passionnant. Quelles seraient, à Mathieu Bocoté,
12:16les conséquences d'un jugement en inéligibilité de Marine Le Pen ?
12:20On le sait, je viendrai plus tard dans la saison,
12:23les juristes débattent pour savoir jusqu'où peut aller ce jugement,
12:26mais le scénario extrême est possible.
12:29C'est-à-dire qu'elle ne peut pas se présenter en 2027.
12:31C'est possible, ce n'est pas le seul scénario, mais il faut le prendre au sérieux.
12:35Oui, elle peut avoir une inéligibilité, elle peut faire appel,
12:38comme elle peut avoir une exécution provisoire et tout de suite.
12:41Exactement, mais il faut prendre au sérieux la possibilité que ce soit le cas.
12:44Si tel était le cas, on serait dans une accélération de la crise de régime que connaît la France,
12:48me semble-t-il, parce que ce n'est pas seulement la candidate d'un parti d'opposition,
12:53le principal parti d'opposition qui serait alors décapité juridiquement,
12:57c'est aussi la candidate, quoi qu'on en dise, des classes populaires.
13:00C'est la porte-parole des classes populaires,
13:02c'est par qui tant d'électeurs participent à la vie politique,
13:05et sans elle, ils n'y participeraient pas.
13:07Eh bien, on la rejette en disant « Désolé, vous êtes trop dangereuse,
13:10donc on mobilise l'État de droit pour en finir avec vous ».
13:14De ce point de vue, et je pense que c'est pour ça qu'on doit y revenir,
13:18il ne s'agit pas d'être pour ou contre Marine Le Pen en tant que telle,
13:20pour ou contre ses idées, pour ou contre son programme.
13:23Il s'agit simplement de se dire que lorsqu'on mobilise les institutions
13:25pour liquider de manière arbitraire ou à travers une espèce de manipulation juridique
13:30un candidat qui représente tant de millions d'électeurs,
13:32je ne suis pas certain qu'on vive encore en démocratie,
13:34mais on nous présente cela comme l'État de droit.