Alors que certains pays (dont l'Allemagne) durcissent leur politique migratoire, le phénomène peut-il s'étendre à ses voisins ? On en discute avec Didier Leschi, directeur général de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), et François Héran, professeur au Collège de France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-18-septembre-2024-4351623
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00:00Ce matin sur les politiques migratoires en Europe et en France, chez nous Michel Barnier
00:05a promis lors de sa prise de fonction à Matignon des mesures concrètes sur la question de
00:10l'immigration.
00:11En Europe, l'Allemagne a pris une décision extrêmement forte en rétablissant depuis
00:17lundi le contrôle à l'ensemble de ses frontières pour lutter contre l'immigration illégale.
00:23Aux Pays-Bas, la présence de l'extrême droite de Geert Wilders au gouvernement se
00:28traduit par une série de mesures qui impliquent également de déroger aux règles européennes.
00:33Mais on pourrait également citer la Suède, l'Italie de Giorgia Meloni, la Hongrie d'Orban
00:38pour se demander si l'Europe se trouve dans un moment de net, de très net durcissement
00:44des politiques migratoires.
00:46Cette question on va la poser en débattre avec Didier Lesquy, bonjour, vous êtes directeur
00:52général de l'OFI, l'Office français de l'immigration et de l'intégration et
00:57François Héran, bonjour, monsieur le professeur au Collège de France, merci d'être à ce micro.
01:04Sommes-nous donc dans une phase de durcissement des politiques migratoires ? Que se passe-t-il
01:11en Europe à vos yeux ? Des pressions partout, plus de fermeté, plus de restrictions ? Didier
01:16Lesquy ?
01:17Je crois d'abord qu'il faut partir d'un constat, c'est que l'Europe est un continent ouvert
01:23à l'immigration légale et qu'elle est forte, elle est forte en Allemagne, elle
01:28est forte en Angleterre, elle est moins forte en France mais elle existe aussi, il y a toute
01:32une série de pays où on a d'abord une immigration légale et le problème qui est posé dans
01:37les débats et au regard des opinions publiques, c'est comment, à partir de ces immigrations
01:42légales, on appréhende les immigrations qui n'ont pas spontanément un droit au séjour
01:48dans un certain nombre de pays.
01:49C'est ça qui pose problème ?
01:51Bien sûr, c'est pour ça que c'est ça en tout cas qui est le plus visible et on voit
01:55bien par exemple, vous prenez un pays comme l'Angleterre, l'Angleterre c'est un fort
01:57pays d'immigration légale ces dernières années, 1,2 millions de personnes sont rentrées
02:03et en particulier pour des raisons liées au travail et aux besoins de main d'œuvre
02:06et en même temps on a une immigration illégale qui se rajoute dont une partie relève de
02:11l'asile, dont une partie n'en relève pas au sens de la Convention de Genève et donc
02:16se rajoute à cela et on l'a vu en Allemagne, on peut le voir en Angleterre et on peut en
02:20discuter en France, non pas un sujet de nombre et je pense qu'on a tort de se polariser
02:25tout le temps sur la question du nombre, mais un sujet de conditions sociales de l'accueil
02:31et la difficulté c'est pour nous par exemple français, la désindustrialisation qui nous
02:36a coûté très cher en termes de dynamique d'intégration, les problèmes liés au logement,
02:41on ne peut pas comprendre ce qui s'est passé en Allemagne aux dernières élections dans
02:44les pays de ce qu'on appelait l'ancien pays de l'Est si on n'a pas en tête les questions
02:49sociales, c'est-à-dire que peut-être que l'Allemagne paye de manière différée la
02:54manière dont elle a fait la réunification allemande qui est en réalité une absorption
02:58de l'ancienne RDA alors que la RDA c'était aussi un droit au logement, un droit au travail,
03:03ce n'était pas simplement la dictature australienne.
03:05Mais en tout cas, vous ne reprenez pas mon mot de durcissement.
03:08Bien sûr qu'il y a un durcissement, on ne peut pas le nier, mais ce durcissement il
03:13est sur des vecteurs très précis qui est celui de l'immigration illégale, il faut
03:17y rajouter un problème européen qui est en train de se discuter, c'est que tous les
03:22pays d'Europe veulent de l'immigration qualifiée, les Allemands sont en train de dire on va
03:28faire des systèmes de points un peu à la canadienne ou à l'australienne pour avoir
03:33des migrants qualifiés et tous ces pays ne veulent pas de l'immigration qui n'est pas
03:38spontanément qualifiée, et c'est un problème particulièrement français puisque nous on
03:42a la part de l'immigration pas qualifiée la plus forte dans les pays de l'OCDE.
03:46François Héran, durcissement, point d'interrogation.
03:49Oui alors durcissement bien sûr, mais quand vous regardez l'histoire depuis 2015, depuis
03:54la grande vague, l'afflux des demandeurs de refus qui venait du Broche-Orient, quand vous
04:02regardez les courbes, ce sont des montagnes russes, il y a déjà eu un extraordinaire
04:06durcissement de la politique allemande, je rappelle qu'après 2015, après avoir accueilli
04:11peut-être 800 000 immigrés en la seule année 2015, Angela Merkel a conclu un accord
04:18avec Recep Erdogan, le président turc, pour gérer les flux migratoires, un accord qui
04:25est le deal comme on disait qui a été aussitôt suivi par l'ensemble des pays européens
04:30et ça a divisé par 4 ou 5 en quelques mois le nombre de demandeurs d'asile notamment,
04:38et l'idée c'était de tarir l'immigration à la source, de faire en sorte qu'elle soit
04:42filtrée dans les pays extérieurs de l'Union Européenne.
04:45Donc là il y a eu déjà un durcissement, et ce qui est tout à fait extraordinaire
04:48qu'on oublie, parce qu'en général le fameux discours d'Angela Merkel, Wirtschaft und das,
04:53est lu comme une espèce d'ouverture comme ça à tous azimuts, un, quand elle a fait
04:58ce discours il y a déjà 400 000 personnes qui sont entrées, elle ne fait qu'accompagner
05:02un mouvement, elle n'a pas ouvert les vannes, et deux, déjà dans ce discours, elle évoque
05:06le fait qu'il va falloir négocier avec la Turquie un deal pour tarir l'immigration
05:11à la source.
05:12Donc l'Allemagne est tendue depuis toujours entre une certaine ouverture qui a des raisons
05:17économiques, des raisons morales, et effectivement le coût aussi que ça suppose.
05:23Avez-vous compris la décision du gouvernement de Lavchol, un social-démocrate, on le rappelle,
05:29décision de rétablir les contrôles aux frontières avec ses 9 pays voisins, les 9
05:34pays voisins de l'Allemagne, ça a déjà été le cas, une mesure de ce genre en France.
05:40Oui, après la vague d'attentats, la France a fait la même chose.
05:43Voilà, voilà, mais la décision allemande a saisi des partenaires comme les Polonais,
05:47les actions de l'Allemagne sont très préoccupantes, elles pourraient même menacer le fonctionnement
05:52de l'ensemble de l'espace Schengen, ça c'est le ministère polonais de l'Intérieur.
05:57Vous avez compris cette décision de Lavchol ? Elle est dictée par quoi ? Par un revers
06:02électoral dans les deux länder où l'extrême droite arrive en tête ?
06:08D'abord, il est indéniable que symboliquement elle a une importance, puisque c'est à peu
06:11près la même coalition qui à la fin des années 90 change le droit allemand, ouvre
06:17la nationalité allemande aux étrangers, alors que c'était un droit qui était beaucoup
06:23plus dur que le nôtre.
06:24Ils instaurent le droit du sol en 2000.
06:26Voilà, ils instaurent le droit du sol en 2000, alors que nous, c'est historiquement
06:30un pays du droit du sol.
06:32L'Allemagne de l'Est du reste était plutôt un pays du droit du sol, alors que l'Allemagne
06:35de l'Ouest était un pays du droit du sang.
06:37Mais là, c'est un événement important ? Symboliquement pour les gauches européennes,
06:41c'est un événement important qui se rajoute à ce qui a été fait au Danemark et qui
06:45symboliquement est concomitant à ce que vient de faire le Premier ministre travailliste
06:50anglais qui va voir Mme Mélanie.
06:52Mélanie qui salue sa politique migratoire.
06:54Je crois qu'il faut comprendre un des chiffres que vient de rappeler François Héran, du
07:00fait que l'Europe n'est pas une passoire comme on l'entend souvent.
07:04Elle n'est pas fermée, mais elle n'est pas ouverte à tous les vents.
07:07C'est une bêtise de dire ça.
07:09Je pense qu'il y a un problème spécifiquement qui est le fait que l'Allemagne a une crainte
07:17je pense sur son identité démocratique.
07:20Et que cette identité démocratique a été percutée ces derniers temps par des manifestations
07:26de minorités agissantes à caractère islamique.
07:29Et c'est pour ça par exemple qu'une des premières mesures symboliques qu'ils ont
07:33prises, c'est le fait qu'on ne peut pas obtenir la nationalité allemande si on n'admet
07:37pas la responsabilité de l'Allemagne dans l'extermination des Juifs et si on ne reconnaît
07:40pas Israël.
07:41Je pense qu'il y a ça qui est en jeu et qui est la crainte.
07:44Après il y a des événements je dirais malheureux mais qui sont minoritaires qui peuvent expliquer
07:50une ambiance générale et il faut faire attention, ce n'est pas simplement la poussée d'une
07:54extrême droite.
07:55On a aussi une poussée d'une extrême gauche.
07:57Une gauche, oui.
07:58Très dure sur l'émigration.
07:59Sarah Wagenknecht.
08:00Wagenknecht, qui est une sorte d'héritière je dirais d'un communisme est-allemand.
08:07Elle est née dans l'Est de l'Allemagne et qui est à la fois très militant sur les
08:14questions sociales et en même temps considère que l'immigration pèse sur l'ensemble
08:19des dynamiques sociales de ce pays.
08:20Olaf Scholz, Keir Starmer, pour le Premier ministre britannique, Wagenknecht en Allemagne,
08:29vous voyez une évolution des gauches européennes, de certaines d'entre elles en tout cas sur
08:33la question migratoire.
08:35Je cite pas les autres pays que vient de citer Didier Lesquy.
08:38François Héran.
08:39Je trouve qu'on exagère beaucoup ça, parce que quand on regarde, regardez l'histoire
08:42de la France.
08:43Qui a interdit aux demandeurs d'asile de pouvoir travailler ? C'est Michel Rocard.
08:50Qui a sorti la fameuse phrase « Nous ne pourrons pas accueillir toute la misère du monde »,
08:54c'est lui également.
08:55Et parmi certains ministres de François Hollande, je pense à Bernard Cazeneuve, à Manuel Valls,
09:00on ne peut pas dire qu'ils étaient spécialement tendres envers l'immigration.
09:04Donc, dire que la gauche est, au fond, à une prise de conscience très tardive des
09:10problèmes que proposait l'immigration, je pense que le tableau est quand même beaucoup
09:14plus complexe.
09:15Mais voir un travailliste saluer Giorgia Meloni, ça en change quand même du degré, non ?
09:20Oui, mais attendez.
09:21Il faut quand même remettre les choses en place.
09:23L'Angleterre, de toutes les grandes nations européennes, est celle qui a accueilli le
09:28moins de demandeurs d'asile.
09:30Pendant 2015-2016, ils ne font rien.
09:33La courbe reste complètement plate.
09:34C'est quand même devenu le grand pays xénophobe de l'Europe.
09:39Ah, et en plus, non seulement ils n'accueillaient quasiment pas de demandeurs d'asile, mais
09:42en plus, ils ont fait le Brexit.
09:43Et le Brexit n'était pas dirigé contre leur migration d'outre-mer des anciennes
09:49colonies, qui certes continue effectivement de jouer, c'était dirigé contre les Polonais,
09:53les Slovaques, les Hongrois, les Tchèques, etc.
09:54Donc, l'Angleterre, c'est vraiment le cas.
09:57L'Allemagne, c'est l'extrême opposée.
09:59L'Allemagne a accueilli, quand on regarde ce qu'a fait l'Allemagne pour les Afghans,
10:05les Syriens, les Ukrainiens, etc.
10:09Mais ce sont un effort colossal.
10:10Si vous prenez l'ensemble des Syriens qui ont réussi à déposer une demande en Europe,
10:15c'est-à-dire seulement 20% de la moitié des Syriens qui ont été déplacés hors de
10:18leur pays.
10:19Combien l'on a accueilli, nous, depuis 2015 ?
10:22Depuis 5% de tous ceux qui ont réussi à déposer une demande en Europe.
10:25Et l'Allemagne, c'est 50%.
10:27Donc, l'écart entre l'Allemagne et la France est considérable.
10:30Donc, quand l'Allemagne décide de changer de politique, alors ils l'ont fait en 2016,
10:35ils avaient divisé par 5 les chiffres, ça remontait progressivement.
10:39On est en train de retrouver des niveaux anciens.
10:41Mais enfin, je veux dire, ils descendent de l'Everest, alors que nous, on monte tranquillement
10:46les pentes du Morvan, vous voyez ?
10:48Oui, sur la gauche, est-ce que la gauche française a fait un aggiornamento sur la
10:55question de l'immigration depuis longtemps ?
10:57François Héran citait Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Rocard, ou pas ?
11:05Je pense que la question qui est posée pour la gauche, c'est de bien comprendre que
11:10la gauche française, en particulier, je pense qu'elle a abandonné la question sociale.
11:14Les sujets sociaux et que le problème de l'immigration, ce n'est pas tant un problème
11:18de nombre que de conditions générales de l'accueil.
11:20On a une crise du logement qui est extrêmement forte et le logement aujourd'hui, c'est
11:25ce qui pèse le plus sur le pouvoir d'achat des gens et on a des concurrences entre publics
11:29qui se font et en particulier avec l'immigration, qui en même temps, victime de conditions
11:34sociales qui peuvent être difficiles pour l'ensemble des catégories populaires, mais
11:39qui sert de bouc émissaire et en même temps qui peut accentuer les difficultés.
11:44C'est par exemple l'exemple de la Seine-Saint-Denis.
11:45La Seine-Saint-Denis, quand elle se crée, la part d'immigrés dans sa population fait
11:50qu'elle est entre le 7ème et le 8ème département de France, la France métropolitaine.
11:55Aujourd'hui, c'est le premier et en même temps, ça a été la désindustrialisation.
11:58C'est un des départements français où il y a le moins d'emplois industriels.
12:02L'industrie servait en termes de dynamique d'intégration.
12:05Donc, si on ne pense pas à la question sociale et si on est uniquement polarisé par des
12:10questions sociétales et qu'on habite Paris où la part des immigrés dans la population
12:14n'a cessé de diminuer.
12:15NICOLAS ROCHEFORT-CHAMPAGNE Elles ne sont pas cruciales, les questions sociétales ?
12:17NICOLAS ROCHEFORT-CHAMPAGNE Elles sont bien sûr cruciales, je ne dis
12:19pas qu'il faut les nier.
12:20C'est le problème par exemple des dynamiques d'intégration.
12:23J'en ai parlé pour l'Allemagne et la manière dont on s'adapte ou pas à ce qui a été
12:30construit sociétalement en termes d'acquis.
12:33Pour la révolution française par exemple, l'étranger, c'est celui qui n'adhère
12:37pas au pacte révolutionnaire, au sens où on construit une société nouvelle.
12:42Et la difficulté dans l'ensemble des pays, c'est qu'on a une dynamique intégratrice
12:48qui est majoritaire pour l'ensemble de l'immigration, mais on a des minorités qui sont
12:53hostiles, je dirais, en tout cas à l'instant présent à ce que nous sommes, et qui pour
12:59certaines malheureusement, et c'est particulièrement vrai en France, peuvent amener à des comportements.
13:05Et on pense par exemple à la question de l'antisémitisme, la France est le pays
13:08où on a malheureusement ces dernières années tué des juifs.
13:11Et la manière dont la gauche ne pense pas ces questions amène à une désaffection
13:18pour elle, et au développement de courants qui eux sont hostiles profondément et historiquement
13:24aux acquis de l'armement.
13:25François Héran, d'un mot.
13:27C'est la faute à la gauche, je ne crois pas.
13:30Je n'ai pas dit ça.
13:31Ah ben si quand même, c'est ce que vous dites.
13:33Alors allez-y, allez-y, malheureusement on n'a plus le temps.
13:37Je pense que la gauche a été très consciente des questions d'immigration, et c'est vrai
13:41qu'elle est attentive non pas aux questions sociétales, mais au fait que la démocratie
13:46c'est à la fois une certaine ouverture, c'est la volonté du peuple, et c'est aussi
13:51des libertés fondamentales.
13:52Et que parmi les droits fondamentaux, il y a aussi effectivement des conventions internationales,
13:58des droits, etc. qu'on ne peut pas remettre en cause, contrairement à ce que la droite
14:01fait aujourd'hui.
14:02Donc il y a une idéologie à gauche que l'on peut critiquer, mais il y en a tout autant
14:05à droite si ce n'est davantage.
14:07Merci à tous les deux, François Héran, Didier Leschi, merci d'avoir échangé ce
14:12matin au micro de France Inter.
14:14A suivre.