Le projet de loi sur l'immigration arrive au Sénat. Le démographe François Héran, professeur au Collège de France, estime que ce projet peut avoir des effets positifs. Mais il interpelle les politiques, qui ont tendance à manipuler les chiffres sur l'immigration.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonjour François Héran, merci d'être avec nous ce matin, vous êtes l'un de nos meilleurs
00:04 spécialistes des migrations, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire
00:08 Migration et Société.
00:10 Vous publiez aujourd'hui un essai intitulé Immigration, le grand déni, c'est aux éditions
00:15 du Seuil que vous y dressez un tableau de la réalité de l'immigration en France ces
00:19 20 dernières années.
00:20 Vous parlez aussi de l'intégration, de la place des immigrés des deuxième, troisième
00:26 générations et vous confrontez ces faits basés sur des chiffres, objectifs, au discours
00:32 politique et c'est assez ravageur, il faut bien le dire.
00:35 J'attends sur ces sujets les questions des auditeurs de France Inter, 01 45 24 7000
00:40 ou via l'application France Inter.
00:42 François Héran, je ne connais pas votre caractère, je ne sais pas si vous êtes sanguin,
00:46 mais on devine à la lecture de ce livre que vous bouillez intérieurement depuis un petit
00:50 moment et que vous teniez à rétablir certains faits.
00:53 Je vous cite, c'est page 38, là c'est au sujet de l'ancien ministre de l'intérieur
00:58 de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, qui disait l'an dernier, le bilan d'Emmanuel Macron,
01:02 c'est qu'il n'y a jamais eu autant d'étrangers en France.
01:05 Et vous vous écrivez, cet ancien ministre est-il incapable de consulter en ligne les
01:09 tableaux de l'INSEE qui lui montreraient clairement que sous les neuf années où Nicolas
01:13 Sarkozy pilotait la politique migratoire, le nombre d'immigrés a continué de croître,
01:18 contribuant ainsi à produire le record qu'il impute aujourd'hui au président Macron
01:23 et plus loin, c'est se discréditer et discréditer la démocratie en éludant les analyses de fond.
01:29 Fin de citation, vous épinglez d'autres hommes et femmes politiques d'ailleurs.
01:33 Il fallait que ça sorte François Héran, à un moment ?
01:35 Oui, je pense que j'exprime mon indignation sous un mode qui est celui de la recherche,
01:43 du travail de recherche, du travail d'objectivation et pas juste de la militance politique.
01:47 La loi d'Armanin par exemple, je ne vais pas dans les rues en criant non à la loi
01:51 d'Armanin.
01:52 Il faut l'analyser, expliquer en quoi elle serait utile, en quoi elle ne serait pas utile,
01:56 par exemple.
01:57 Donc, idem pour les hommes politiques, je pense que les hommes politiques de mieux en
02:02 mieux, ils ont des collaborateurs, ils ont des gens qui regardent les données, qui
02:06 entrent parfois en contact avec les chercheurs, mais ils n'en tiennent pas compte.
02:09 Ils jouent avec les chiffres sans en tenir réellement compte.
02:12 Donc effectivement, mon métier, c'est de temps en temps rétablir les ordres de grandeur.
02:16 Est-ce qu'on a vraiment pris notre part dans l'accueil des exilés par exemple, des choses
02:20 de ce genre ?
02:21 Et effectivement, contrairement à un mythe tenace qui consiste à dire que les chercheurs
02:27 seraient dans leur tour d'ivoire complètement isolés de la réalité, alors que les politiques
02:32 eux auraient les mains dans le cambouis et seraient réalistes, je pense que très souvent
02:36 c'est l'inverse.
02:37 Les recherches des chercheurs, c'est souvent des observations de terrain prolongé, c'est
02:41 le brassage des chiffres, c'est des comparaisons internationales solides.
02:44 Et donc du coup, si les politiques nous consultent peu, c'est qu'eux, ils bercent d'illusions
02:51 l'électorat, alors que nous, notre rôle n'est pas de bercer d'illusions l'électeur.
02:54 Alors, vous mettez les deux pieds dans le débat si je puis dire.
02:58 Le titre du livre c'est « Immigration, le grand déni ». Ce qui est assez malin, c'est
03:01 que vous reprenez une expression de ceux dont vous démontez le discours.
03:04 En fait, dans ce livre, en gros, une partie de la droite et de l'extrême droite dit
03:07 aujourd'hui « on est submergé par un tsunami migratoire » et les spécialistes comme vous
03:12 le nient.
03:13 Et vous, vous dites au contraire, le déni, ça consiste à dire qu'on est submergé
03:16 par l'immigration, mais qu'en même temps, si on voulait, on pourrait tout arrêter.
03:19 Oui, c'est-à-dire qu'il y a une façon de grossir l'immigration pour pouvoir mieux
03:24 la réduire.
03:25 C'est une stratégie étrange.
03:26 Quand on dit « il y a un tsunami migratoire », après, la phrase suivante, c'est « que
03:31 faire ? » « Ah ben, on va dresser un barrage contre le tsunami.
03:34 » Ah oui ? On fait comment alors dans ce cas ? Bon, il n'y a pas de tsunami, il n'y
03:37 a pas de barrage à dresser contre le tsunami.
03:39 Il y a une immigration qu'il faut évidemment réguler, ça c'est certain, je suis pour
03:43 la régulation de l'immigration.
03:45 Mais cessons de grossir démesurément les chiffres et cessons de faire croire qu'on
03:50 pourrait réduire drastiquement la migration qui est en fait un mouvement mondial, une
03:54 lame de fond mondiale.
03:55 Alors, quelle est la réalité de l'immigration en France depuis 20 ans ? Ce n'est pas un
03:58 tsunami.
03:59 Vous nous dites que c'est une progression constante.
04:01 C'est une progression constante, c'est une progression qui d'ailleurs s'observe
04:07 depuis l'an 2000 à peu près de façon continue, quelle que soit les majorités politiques
04:11 de droite et de gauche.
04:12 Donc il y a une formidable surestimation du pouvoir des politiques à contrer ce mouvement.
04:16 Même hausse sous Jacques Chirac, sous Nicolas Sarkozy, sous François Hollande, sous M.
04:21 Macron.
04:22 Vous prenez les septennats et quinquennats qui se sont succédés, la hausse continue.
04:25 Alors elle a été un peu ralentie sous Sarkozy, mais elle n'a pas empêché la hausse de
04:28 la migration.
04:29 Donc quand on dit aujourd'hui qu'il n'y a jamais autant d'immigrés dans la population,
04:33 oui c'est vrai, mais tous les régimes y ont contribué.
04:37 En fait c'est quand même assez naïf et même franchement puéril d'imputer au dernier
04:41 président ou à l'avant-dernier président la hausse de l'immigration.
04:45 C'est un phénomène qui ne dépend pas tellement du politique.
04:48 Et donc vous écrivez "on ne peut pas aller contre l'immigration".
04:51 Vous citez même l'actuel ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à l'Assemblée
04:56 Nationale.
04:57 L'immigration est un fait qui fait aussi la France, qui a fait son passé et qui fera
05:01 sans doute son avenir.
05:02 Il ne sert à rien d'être contre.
05:04 Que veut dire être contre le mouvement des hommes sur la terre ?
05:08 Alors je pense que ce n'est pas simplement un éclair de lucidité de Gérald Darmanin
05:13 ou juste un procédé rhétorique qu'il aurait inventé au passage.
05:18 Il ouvre sa déclaration au débat sans vote de l'Assemblée Nationale le 6 décembre
05:23 par ces propos-là.
05:24 Et je trouve que c'est important de le prendre au mot.
05:26 Ils sont assez rares quand même dans le débat public français.
05:28 Absolument.
05:29 Il a fait plusieurs interventions qui sont assez étonnantes.
05:32 En particulier pour critiquer la présentation de certaines statistiques par la droite classique.
05:38 Je pense qu'il faut s'appuyer sur cette relative lucidité pour essayer de faire en
05:43 sorte que cette loi puisse donner des résultats positifs.
05:46 Mais on ne peut pas aller contre l'immigration ?
05:47 Ça veut dire que les frontières ça ne sert à rien ?
05:49 On a abandonné notre souveraineté ?
05:51 Non, je ne dis pas ça du tout.
05:53 J'explique bien d'ailleurs que je ne partage pas du tout l'idéologie no-border.
05:57 Je pense que les États sont nécessaires pour réguler l'immigration, que les États
06:01 sont nécessaires même pour faire valoir les droits des immigrés.
06:05 Mais je dis simplement qu'il faudrait que nous prenions notre part des grands mouvements
06:10 migratoires qui sont une réalité dans le monde d'aujourd'hui.
06:13 On ne peut pas dire qu'on va réduire drastiquement l'immigration alors qu'elle progresse partout
06:17 dans le monde et notamment dans tous les pays, dans tous les États de droit du monde occidental.
06:22 Ça n'a aucun sens.
06:23 Donc il faut prendre notre part et il faut s'organiser en conséquence.
06:27 Ce qui fait qu'on compte aujourd'hui officiellement 10% d'immigrés en France.
06:32 Vous vous dites qu'on est sans doute entre 11 et 12%.
06:35 Oui, il faut majorer un peu.
06:36 Je fais partie des chercheurs qui considèrent qu'il faut un petit peu majorer les données
06:39 de l'INSEE parce que bien sûr il y a les irréguliers qui…
06:43 C'est la part de l'immigration clandestine ?
06:45 Mais pas uniquement.
06:46 Il se trouve que dans les recensements de longue date, ça a été calculé, il y a une partie
06:50 des étrangers qui sont arrivés jeunes en France, qui ont acquis l'unité française
06:54 assez tôt et qui au bout du compte ne cochent plus la case devenue français mais la case
06:59 française de naissance.
07:00 Ils se francissent de naissance rétrospectivement, ce qui est un signe d'intégration et du
07:05 coup ça sous-estime un peu la part de l'immigration.
07:07 Mais bon, ça ne change pas lors de grandeur, qu'on soit à 10%, 11% ou 12%, ce n'est
07:12 pas le problème fondamental.
07:13 C'est quand même deux fois plus qu'en 1950.
07:15 Donc c'est une forte progression, c'est aussi un profond changement dans le pays.
07:19 C'est deux fois plus que dans les années 50, c'est deux fois plus que dans les années
07:22 30, puisqu'il y a eu la grande augmentation de l'après-guerre.
07:26 Et déjà, ce qui est très frappant, c'est que dans les années 30 et les années 50,
07:30 il y avait déjà des gens pour dire qu'on était saturé, que les équilibres sociaux
07:34 de la France risqueraient d'être compromis si on avait plus d'immigration, alors que
07:38 maintenant on en est au double.
07:39 Mais vous dites que si on se compare aux autres pays du monde, finalement, la France est moins
07:43 concernée par ce phénomène d'immigration que la moyenne des pays.
07:47 Oui, c'est le double message qui est difficile de passer.
07:51 Si les choses étaient simples, ce serait formidable.
07:54 Mais en réalité, oui, il y a une forte progression d'immigration depuis l'an 2000, mais la
07:58 France n'est pas à la pointe de ce mouvement.
08:00 Nous sommes plutôt dans une augmentation modérée.
08:02 Vous prenez par exemple l'augmentation des étudiants internationaux, c'est plus de 50%
08:06 en une quinzaine d'années, c'est vraiment très important.
08:08 Mais dans le monde, la migration des étudiants a encore plus augmenté qu'en France.
08:13 Ce qui est d'ailleurs peut-être un peu inquiétant, c'est ce que vous soulignez aussi.
08:16 Peut-être que les étudiants ne courent pas après la France, si je puis dire.
08:20 En réalité, c'est ça.
08:22 Nous ne sommes pas si attractifs qu'on le croit.
08:25 On s'imagine être formidablement attractifs.
08:26 Il y a tout un discours politique consistant à dire que nous avons une série d'éléments,
08:31 de dispositifs qui attirent excessivement les immigrés.
08:35 On a l'allocation aux demandeurs d'asile, on a l'aide médicale d'État, on a le droit
08:38 du sol, etc.
08:40 Si c'était vrai, si vraiment on était aussi attractifs que ça, il y aurait dû y avoir
08:45 beaucoup plus d'immigration, beaucoup plus de demandeurs d'asile en France.
08:47 Et je montre qu'en réalité, quand on regarde le bilan de l'accueil des Syriens, des Irakiens,
08:53 des Afghans, nous sommes très très loin d'avoir pris notre part.
08:57 Y compris pour l'accueil des Ukrainiens.
08:59 Vous dites que si la France avait pris sa part pour l'accueil des Ukrainiens, elle
09:02 en aurait accueilli 360 000 et pas 100 000.
09:05 Oui, c'est un peu paradoxal parce qu'on est très fiers, on est très contents de
09:09 tout l'effort accompli par les particuliers, par les communes, par les préfectures, etc.
09:15 pour accueillir les Ukrainiens.
09:16 Mais finalement, les Ukrainiens, ils ont aussi leur propre préférence.
09:20 Et leur préférence a été, consistait à aller dans les pays où il y a déjà des
09:23 diasporas ukrainiennes importantes.
09:24 Et donc du coup, ce sont les diasporas qui ont pris leur part et pas les États.
09:27 Alors, pas de tsunami migratoire, écrivez-vous François Héran.
09:31 Vos contradicteurs vont vous dire "bon, très bien, mais le tsunami, il est pour demain".
09:35 Catastrophes climatiques, des régions qui vont devenir inhabitables.
09:39 Et puis un continent comme l'Afrique qui va voir sa population augmenter, population
09:43 qui pourrait doubler d'ici 2050.
09:46 Donc ça arrive.
09:47 Alors, sur les migrations climatiques, ce qui est vraiment attesté pour l'instant,
09:52 c'est ce qu'on appelle les déplacés climatiques ou les déplacés environnementaux, qui sont
09:57 en général, enfin, qui sont des déplacés à l'intérieur de leur propre pays.
10:00 Si le niveau des eaux augmente, il y a un recul à l'intérieur des terres.
10:04 Mais dire que le dérèglement climatique provoque automatiquement des migrations internationales,
10:09 pour l'instant, ce n'est pas vraiment attesté.
10:10 Ça pourra se produire, mais c'est difficile à distinguer d'une migration économique
10:15 classique.
10:16 Alors, vous vous intéressez aux immigrés qui arrivent ou qui sont arrivés en France.
10:22 Et puis, vous vous intéressez aussi à ce qu'ils deviennent dans la population française.
10:26 Est-ce qu'ils s'intègrent ? Et vous écrivez près d'un tiers de la population vivant
10:29 en France a un lien avec l'immigration sur trois générations.
10:32 Mais il est rare d'avoir une quadruple ascendance immigrée, c'est-à-dire quatre par an immigré.
10:37 C'est extrêmement rare dans la société française.
10:39 Je crois que c'est autour de 5%.
10:41 Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça nous dit ?
10:42 Alors, ce sont des données qui ont été produites et publiées en juillet dernier
10:46 par l'INSEE et l'INED, à la suite d'une enquête conjointe qu'ils ont menée sur
10:51 très très gros échantillons.
10:52 C'est 25 000 personnes, quelque chose de ce genre.
10:54 Et oui, comment se fait-il qu'on puisse avoir à la fois quasiment un tiers de la population
10:58 vivant en France qui a un lien avec l'immigration sur une ou deux autres générations et seulement
11:02 5% qui a ces quatre grands par an immigrés ?
11:04 C'est parce que dans les générations intermédiaires, il y a des unions mixtes, il y a un brassage
11:09 qui s'effectue.
11:10 Alors effectivement, ce n'est pas facile de percer le marché matrimonial français
11:14 de la première génération, mais à la seconde, à la troisième, quand vous êtes tenu sur
11:17 place, c'est beaucoup plus facile.
11:19 Et donc du coup, contrairement à tout ce qu'on raconte, on a finalement une définition
11:24 de l'identité centrale majeure de référence de la population française qui évolue.
11:29 Aujourd'hui, ça devient quand même très difficile de nier la francité de personnes
11:34 qui ont un patronyme juif ou arménien, par exemple.
11:37 Mais c'est la même chose pour les patronymes arabes, pour les patronymes de l'Afrique
11:43 de l'Ouest.
11:44 Il va falloir, et c'est ce qui est en train de se passer, ce n'est pas un processus naturel,
11:49 mais il va falloir que notre idée même de l'identité centrale qui ferait la majorité
11:55 de la population, cette majorité soi-disant menacée, cette image, il faut qu'on l'étende.
12:00 Elle s'est déjà étendue dans le passé, elle continuera de s'étendre à l'avenir.
12:03 Cette francité, c'est le mot que vous employez François Héran, elle évolue.
12:07 Vous dites aujourd'hui, on ne contesterait pas ce caractère-là à Nicolas Sarkozy,
12:12 à Gérald Darmanin, à Éric Ciotti, à Rachida Dati qui ont tous…
12:16 - A Rima Abdoulmalak.
12:17 - A Rima Abdoulmalak, à Jordane Bardella qui ont tous au moins un grand-parent qui
12:25 est originaire d'un pays étranger.
12:27 - Absolument.
12:28 Alors évidemment, il y a des gens qui essaient de faire les différences entre les civilisations,
12:32 mais vous avez tellement de contre-exemples de personnes qui soi-disant, venant du monde
12:36 islamique ou musulman, sont quand même bel et bien intégrées dans la société française.
12:40 Donc je ne dis pas que c'est un mouvement naturel d'expansion de notre représentation
12:46 mentale de la majorité.
12:47 Il y a une lutte culturelle à mener, on voit bien qu'il y a des…
12:52 Mais quand même, le brassage des unions d'une génération à l'autre est un élément
12:56 objectif qui va très fortement dans ce sens.
12:58 - Vous ne dites pas non plus, François Héran, que tout se passe bien ? Vous évoquez, vous
13:02 détaillez les difficultés qu'éprouvent ces immigrés dans l'accueil et dans l'intégration
13:07 en France.
13:08 - J'ai toujours insisté, par exemple, sur le fait que l'extrême concentration géographique
13:13 de certains courants migratoires pose un problème.
13:16 D'ailleurs, il y a un rapport de l'OCDE sur les effets négatifs de la concentration
13:20 géographique ou de la ségrégation géographique sur les résultats scolaires, par exemple.
13:24 Donc effectivement, il y a des politiques à mener.
13:26 - Les immigrés, quand ils arrivent en France, arrivent au même endroit et ne quittent pas
13:29 ces départements ?
13:30 - Il y a trois raisons de choisir un lieu quand on arrive comme primo-arrivant.
13:34 Il y a la présence de compatriotes qui sont déjà là.
13:38 Il y a des zones riches en emplois, mais souvent, elles étaient riches en emplois autrefois,
13:42 elles ne le sont plus maintenant.
13:43 Et puis, il y a le marché immobilier, le logement social.
13:46 Donc, ces trois raisons expliquent effectivement la concentration de certaines catégories.
13:51 Comme dans le règle OCDE, le problème se pose en France de la même façon que dans
13:56 les autres pays européens.
13:57 On n'est pas plus frappé qu'un autre.
13:58 Et il y a des politiques incitatives qu'on pourrait mener pour effectivement faire en
14:02 sorte que la population se disperse mieux à travers le territoire, y compris la population
14:07 immigrée.
14:08 - Est-ce que cette concentration à certains points du territoire peut amener certains
14:12 Français à croire ce que vous appelez la prophétie du grand remplacement et que vous
14:16 démontez aussi dans ce livre ?
14:18 - La prophétie du grand remplacement, elle a plusieurs étages.
14:23 Il y a un aspect purement quantitatif, le surcroît de fécondité à terme, si on le
14:27 prolonge pendant des décennies, pourrait nous submerger.
14:30 Il y a l'aspect qualitatif qui est le changement de civilisation, la référence à l'islam.
14:34 Et puis, il y a un troisième aspect qui est assez important, la théorie sur le complotisme.
14:38 Tout ça s'évolue.
14:39 Il y a des élites mondialisées qui veulent submerger les identités nationales dans un
14:43 grand tout cosmopolite.
14:44 Je crois que ces trois parties-là de la théorie du grand remplacement sont en fait erronées.
14:50 - Les questions des auditeurs et des auditrices de France Inter pour vous, François Errand,
14:55 01 45 24 7000, notamment sur les difficultés d'accueil en ce moment autour, par exemple,
15:03 de la question du droit d'asile.
15:04 Isabelle nous appelle d'Orléans.
15:05 Bonjour Isabelle.
15:06 - Oui bonjour, je suis Bémévole dans une association.
15:09 Je voulais vous dire que les associations sont de plus en plus confrontées au désarroi
15:14 et aux difficultés des migrants parce que la dématérialisation qui est devenue pratiquement
15:21 la norme dans les préfectures pour les procédures administratives crée de nombreuses difficultés
15:28 d'accès au titre de séjour, à la demande d'asile parce que les migrants n'ont pas
15:33 forcément de smartphone, n'ont pas forcément de PC, que les sites du ministère de l'Intérieur
15:41 dysfonctionnent, buguent beaucoup, donc c'est extrêmement difficile malgré les points
15:47 d'accès numériques qu'ont mis en place les préfectures et qui sont peu accessibles
15:51 puisque, par exemple, à Orléans, le point d'accès numérique est ouvert uniquement
15:56 par téléphone et sur rendez-vous de 9h30 à 11h30, donc c'est quand même très peu.
16:00 - Quelles conséquences concrètes ça a Isabelle ?
16:02 - Les conséquences concrètes, c'est qu'on met énormément de temps à faire des procédures
16:11 pour obtenir des titres de séjour, que les demandes sur les titres de séjour de droit
16:16 mettent 6 mois, 1 an, 2 ans, pendant ce temps-là les gens attendent, n'ont pas de droit.
16:21 Vous avez aussi beaucoup de gens qui sont eux reconnus réfugiés pour lesquels les
16:27 actes de naissance qui sont délivrés par l'OFPRA, l'OFPRA met un an, un an et demi
16:32 à délivrer ces actes et pendant ce temps-là, les réfugiés ne peuvent pas travailler parce
16:38 qu'ils ont des récipicés et que les employeurs sont très réticents à donner du travail
16:44 à des gens qu'on les récipicait de 3 mois.
16:46 Voilà ce qui se passe.
16:47 Et puis des droits sociaux, qu'ils n'ont pas les réfugiés parce que là aussi on leur
16:52 coupe leurs droits parce que leurs actes de naissance ne sont pas encore arrivés.
16:57 - Merci à vous Isabelle, l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et
17:00 apatrides, François Héran, vous détaillez vraiment les conséquences notamment de cette
17:04 dématérialisation.
17:05 - Dans mon livre, je m'étends assez longuement sur tous ces dysfonctionnements.
17:09 Ce qui est très frappant, c'est que d'abord les principaux ministres concernés, ministres
17:14 du travail, ministres de l'intérieur, etc. ont parfaitement reconnu ces dysfonctionnements
17:19 lors du débat sans vote à l'Assemblée nationale en décembre.
17:22 C'était la première fois qu'ils le reconnaissaient avec telle clarté.
17:24 Il faut dire qu'il y a toute une série de rapports.
17:26 Alors on vit dans une république où il y a des rapports extrêmement précis qui
17:29 décrivent les dysfonctionnements.
17:30 Un rapport de la Cour des comptes, un rapport du Conseil d'État, un rapport de la Commission
17:36 de l'Assemblée nationale sur la loi de finances, etc. qui décrivent tous ces dysfonctionnements.
17:42 Par exemple, les préfectures ont perdu 14% d'effectifs en 10 ans.
17:46 Et les bureaux chargés du séjour, chargés de l'asile, ont 30-40% dans certaines préfectures
17:54 de vacataires pour s'occuper de ça.
17:56 Des vacataires qui sont formés rapidement.
17:58 Il y a une oriade.
17:59 Donc on a un État tout à fait défaillant.
18:03 Et Gérald Darmanin, encore lui, vous allez me dire, mais dans son discours, a même évoqué
18:08 l'incurie de l'État qui fait que certaines personnes perdent leur titre de séjour.
18:13 Donc le problème, c'est que dans la loi Darmanin, telle qu'elle est prévue actuellement,
18:16 on ne voit pas trop quels sont les mécanismes correcteurs et quels sont les moyens qui pourraient
18:21 être engagés pour faire en sorte que ces dysfonctionnements tout à fait anormaux s'arrêtent.
18:25 Et tout ça, c'est pour décider, François Héran, qui peut bénéficier du droit d'asile
18:29 et qui ne peut pas en bénéficier au fond.
18:31 Ce n'est pas seulement le droit d'asile, c'est par exemple des titres de séjour tout
18:35 à fait irréguliers qui ne sont pas renouvelés.
18:37 C'est aussi des personnes qui sont en situation irrégulière, qui travaillent, qui donnent
18:40 satisfaction, qui paient des impôts, mais qui n'arrivent pas à bénéficier de ce qu'on
18:44 appelle l'autorisation qui se termine le séjour, la fameuse circulaire VICE.
18:47 Parce qu'il y a des préfets qui, localement, il y en a trois dans la région parisienne,
18:51 comme l'explique un rapport, qui décident que finalement, cette possibilité de la disciplinaire
18:58 ne sera pas utilisée, qu'on ne répondra pas aux appels téléphoniques les concernant.
19:01 Et donc c'est une rupture d'égalité entre les territoires qui est tout à fait extraordinaire.
19:05 Pour les personnes qui ne sont pas autorisées à rester en France, il y a ce qu'on appelle
19:09 les OQTF, les obligations de quitter le territoire français.
19:12 C'est d'ailleurs l'un des volets du projet de loi immigration qui a été présenté
19:16 cette semaine au Sénat par Olivier Dussopt, le ministre du Travail, et Gérald Darmanin,
19:20 le ministre de l'Intérieur.
19:21 L'objectif c'est d'augmenter la réalisation de ces obligations de quitter le territoire
19:26 français.
19:27 Pour l'instant, le gouvernement a bien du mal à les faire exécuter.
19:30 Est-ce que c'est un mythe, une chimère de dire "on va arriver ne serait-ce qu'à
19:34 50-60% des OQTF réalisés".
19:36 Ça fait plusieurs décennies que les arrêtés de reconduite à la frontière rencontrent
19:45 ce problème de réalisation.
19:46 C'est un vieux problème.
19:48 Le gouvernement se dit qu'il pourrait y avoir des solutions techniques qui pourraient
19:53 permettre de raccourcir les délais, d'éviter les contestations, de réduire le contentieux.
19:57 Il s'inspire d'un rapport du Conseil d'État sur le sujet.
20:00 Mais je ne pense pas que l'aspect technique suffise.
20:03 Parce qu'en fait, il y a une part non négligeable des OQTF, des obligations de quitter le territoire
20:07 français, qui sont absurdes, qui portent sur des jeunes par exemple qui viennent d'obtenir
20:12 des diplômes, qui ont décroché un emploi, qui donnent satisfaction à la communauté
20:16 locale et au nom de quoi va-t-on les expulser du territoire alors que le processus d'intégration
20:23 est en cours.
20:24 Donc il y a certaines OQTF qui mènent une véritable politique de contre-intégration
20:28 qui est contraire à la doctrine officielle.
20:30 Ce projet de loi est censé marcher sur deux jambes, dur avec les méchants et gentil avec
20:36 les gentils.
20:37 Gentil avec les gentils, méchant avec les méchants.
20:39 C'était la formule de Gérald Darmanin que vous commentez d'ailleurs dans ce livre.
20:46 L'autre volet est porté par Olivier Dussopt pour mettre en place un titre de séjour
20:50 pour les métiers en tension.
20:52 Ça, ça vous paraît être une bonne idée François Héran ?
20:53 On ne sait pas trop ce que ça va donner parce que beaucoup des critères, des paramètres
20:59 sont réservés à des décrets ultérieurs.
21:01 Le problème des métiers en tension c'est qu'il est très difficile de les déterminer.
21:07 Est-ce qu'un métier sera en tension l'année prochaine ? Les indicateurs sont très relatifs.
21:11 Il y a beaucoup de métiers qui ont des besoins mais qui ne passent pas pour l'emploi.
21:15 Si par exemple, Gérald Darmanin l'avait évoqué au micro de France Inter d'ailleurs
21:22 me semble-t-il, si par exemple une entreprise disparaît, est-ce que le titre de séjour
21:28 pour le métier en tension va lui aussi être retiré ? Si par exemple l'année prochaine
21:33 ou dans deux ans le métier n'est plus en tension, tellement cet indicateur est volatile
21:37 et sensible à la conjoncture, on va retirer les...
21:39 Donc du coup, on ne sait pas trop quand on regarde cette loi.
21:42 On a l'impression qu'en réalité, il y a l'idée de créer, de stabiliser la situation
21:47 des gens qui travaillent, etc.
21:50 Mais en même temps, on va créer une nouvelle instabilité.
21:52 Et donc si l'État passe son temps à retirer de la main gauche ce qu'il donne de la main
21:56 droite, c'est absurde.
21:58 On risque d'avoir encore moins de régularisation qu'avec la circulaire valse actuellement.
22:02 D'un mot François Héran, avant de prendre d'autres questions d'auditeurs, il y a dans
22:05 ce projet de loi la possibilité, ou en tout cas elle a été émise, par le ministre de
22:09 mettre en place des examens de français pour les candidats à l'arrivée en France avant
22:14 d'octroyer un titre de séjour.
22:16 Vous dites que ça n'aura pas forcément les effets qu'on pense.
22:18 C'est évidemment une bonne chose que les immigrés apprennent le français le plus
22:22 possible.
22:23 Il faut encore tout un système d'enseignement organisé en conséquence.
22:27 Enfin, il y a une chose que les auteurs de la loi semblent n'avoir pas du tout anticipé,
22:31 c'est que si on dit "il faut savoir le français dès le début si vous voulez avoir un titre
22:35 de séjour durable", ça va favoriser les ressortissants de nos anciennes colonies.
22:39 C'était peut-être pas ce qu'avait dit Annelies Ager.
22:41 Parce que ce sont eux qui maîtrisent le mieux le français.
22:43 Je ne vois pas pourquoi l'ingénieur syrien ou afghan devrait être défavorisé par rapport
22:47 à l'ingénieur congolais ou algérien.
22:49 Ça pose un problème quand même, il aurait fallu y réfléchir.
22:51 Et puis surtout, ce qui est très gênant dans cette affaire, c'est qu'exiger que d'entrée
22:56 de jeu en moins d'un an, on ait un haut niveau de français, c'est mettre la charrue avant
23:01 les bœufs.
23:02 L'intégration, ce n'est pas une condition préalable, l'intégration c'est le résultat
23:06 du séjour, c'est le résultat du travail accumulé.
23:08 C'est le résultat de la coexistence avec le reste de la nation.
23:11 Donc, transposer à l'admission au séjour des critères qui en réalité étaient fixés
23:16 pour la naturalisation bien des années après, c'est une erreur profonde.
23:20 Question d'Augustin sur l'application France Inter.
23:23 Ne pourrions-nous pas nous poser la question et engager ensemble le débat de savoir comment
23:28 pouvons-nous accueillir ces immigrés ? Nous n'avons pas le choix, nous avons beaucoup
23:32 à offrir.
23:33 Vous avez signé une tribune en début de semaine justement pour ouvrir ce débat citoyen,
23:37 si je puis dire.
23:38 Vous avez sorti de nombreux signataires, on est bien 500, qui proposent effectivement
23:42 qu'une convention citoyenne puisse se prononcer là-dessus.
23:46 Une convention citoyenne, c'est-à-dire que des gens qui arrivent avec toutes leurs
23:49 préjugés, toutes leurs opinions, etc.
23:50 À l'image de la convention qui a eu lieu sur le climat par exemple.
23:51 Oui, ou sur la fin de vie, ou des choses de ce genre-là, et puis écoutent, s'informent,
23:56 pèsent le pour et le contre, mais ne partent pas comme ça d'idées brutes, de doléances
24:00 brutes, de préjugés, etc.
24:02 Mais d'une véritable information sur le sujet.
24:04 Je crois que ça devient nécessaire dans le débat actuel.
24:06 Question de Bélivier, ce sera la dernière en France.
24:08 Sommes-nous devenus incapables de gérer le sauvetage des migrants qui meurent en voulant
24:12 venir en Europe ? On a vu le drame qui s'est produit dans le sud de l'Italie le week-end
24:17 dernier.
24:18 25 000 morts en Méditerranée depuis 2013, c'est ça le bilan.
24:22 C'est quand même considérable, 25 000 morts.
24:25 Alors on accuse beaucoup les passeurs, mais si plus on réduit les voies légales de passage,
24:30 plus on enrichit les passeurs, plus on favorise le marché du passage.
24:34 Eric Ciotti par exemple, à chaque fois qu'il y a une affaire de ce genre, comme le Saint-Viking
24:38 dit, c'est pour les passeurs.
24:39 Si il arrivait au pouvoir et qu'il mettait en œuvre ces mesures, les passeurs seraient
24:44 les premiers à s'en féliciter.
24:46 Merci à vous François Héran, invité du Grand Entretien ce matin sur France Inter,
24:51 titulaire de la chaire Migration et Société au Collège de France.
24:54 Je renvoie à cet ouvrage aux éditions du Seuil.
24:57 Immigration, le grand déni.