Quotidien d’un médecin agressé dans les Quartiers Nords de Marseille

  • il y a 2 semaines
Avec Saïd Ouichou, Docteur dans le XVe arrondissement de Marseille
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Transcript
00:00Sud Radio, les débats de l'été, 10h-13h, Maxime Liédo.
00:04Saïd Ouchou, bonjour.
00:06Oui, bonjour.
00:07Vous êtes docteur dans le 15e arrondissement de Marseille, c'est au niveau des quartiers nord.
00:12Et vous nous avez alerté hier, vous avez envoyé notamment un message à nos équipes,
00:15est-ce qu'une docteur a été violemment frappée pour avoir refusé de prescrire une ordonnance
00:19dans les quartiers nord de Marseille, là où clairement l'ultra-violence s'invite au quotidien,
00:24même jusque dans vos cabinets de médecins, 4 jours d'IDT pour elle.
00:28La victime est évidemment traumatisée, elle hésite à revenir travailler.
00:32Est-ce que vous l'avez eue au téléphone depuis ? Comment se sent-elle ?
00:35Je l'ai eue au téléphone plusieurs fois par jour, je garde le contact avec elle.
00:41Elle est complètement traumatisée, donc en plus des coups qu'elle a reçus, des morsures,
00:48les cheveux arrachés, ça a été très très violent, donc psychologiquement elle ne s'en
00:53remet pas pour le moment, elle n'arrive pas à réaliser ce qui s'est passé.
00:57Quand on est médecin, on est là pour recevoir les patients, les soigners, s'occuper d'eux,
01:03et là c'est ces mêmes patients qui vous tombent dessus et qui vous tabassent de manière sauvage,
01:09il n'y a pas d'autre mot.
01:10Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui s'est passé clairement ? Visiblement des
01:17pseudo-patients sont venus, ils ont réclamé une ordonnance, ils ne l'ont pas eue, ils ont pété un
01:21câble, c'est ça ?
01:23C'est ça, c'est des patients, l'adolescente qui a participé à ce tabassage...
01:30C'était une adolescente ?
01:32Oui, il y avait une adolescente, une majeure qui doit avoir 25 ans, l'adolescente je la connais,
01:36je la suis depuis bébé, donc ce n'est pas quelqu'un d'inconnu, c'est pas une inconnue,
01:41donc d'où le comportement normal de ma collaboratrice qui les a reçus normalement
01:47comme des patients, c'était à la fin de la consultation, elle les a reçus, sauf qu'en
01:52arrivée dans son bureau, il lui réclame une ordonnance pour une personne qui ne veut pas
01:55se déplacer, pour leur expliquer que ce n'est pas déjà compris, qu'il faut examiner le patient
02:02pour voir exactement ce qu'il lui faut. Donc là devant justement le nom catégorique de ma
02:09collaboratrice, ils lui sont tombés dessus, ils l'ont bloqué, il lui a mis la tête entre les jambes,
02:13ils l'ont bloqué, ils se sont mis à la tabasser, il a grandi, il a dit à la petite, viens frapper
02:17avec moi, viens frapper, ils l'ont frappé à deux. C'est incroyable, c'est incroyable.
02:22C'est clairement, ça frôle le combat de bruit, est-ce que vous avez porté plainte ?
02:27Oui, donc le médecin a porté plainte avant-hier, donc elle a été voir son médecin,
02:35elle a eu quatre jours d'ITT, elle a porté plainte, mais encore une fois, on ne sait pas trop comment
02:41faire dans ces conditions. Les plaintes, moi j'en ai collectionné dans mon ancien cabinet où j'ai
02:46exercé une quinzaine d'années, ce qui m'a conduit d'ailleurs à déménager, puisque la dernière
02:51agression a été justement à mes termes, à mon installation dans l'ancien cabinet.
03:00J'ai déménagé un cabinet beaucoup plus sûr, beaucoup plus loin un peu de ce quartier chaud
03:05qui était le quartier autour du métro Capitaine Gève. Bon, donc j'ai passé deux années tranquille
03:12vraiment, et là, justement, j'ai cherché des médecins, personne ne veut s'installer, les
03:17remplaces, ils viennent, ils repartent, personne ne veut rester. Et le seul médecin qui a accepté justement
03:22de rester de sa salle avec moi, c'est ma collaboratrice. Et donc, en la rassurant, je dis bon voilà,
03:28moi ça fait deux ans, les gens sont charmants. Effectivement, les gens sont très sympathiques, les gens
03:33sont reconnaissants, ils ont un comportement normal, mais malheureusement, il y a quelques éléments
03:38vraiment perturbateurs, quelques éléments incontrôlables, et ces jeunes, ou moins jeunes
03:43des fois, mais là, il s'agit de jeunes, où il y a un comportement agressif, inhabituel, on ne s'attendait pas
03:51la première fois que ça arrive en deux ans dans ce cabinet-là, oui.
03:54Mais vous nous dites que pendant un temps, vous avez collectionné un peu les plaintes, que votre collaboratrice est allée naturellement au commissariat,
04:00mais que vous dit la police à ce moment-là ? Parce que bon, accessoirement à des situations comme ça, ils sont censés, si ce n'est les anticiper, à un moment, réagir.
04:06La réaction, on l'attend, monsieur, mon cher monsieur, ça fait des années qu'on attend la réaction, elle n'arrive toujours pas.
04:12Moi, mes plaintes ont toujours été classées sans suite, y compris menaces de mort, y compris agressions physiques.
04:17Mais là, vous les connaissez en plus, c'est pas comme si on devait rechercher quelqu'un, vous savez où elle habite, vous connaissez l'identité de cette personne,
04:24donc ça devrait pouvoir se régler dans un pays normal.
04:28Ce qui me révolte, c'est ça, c'est qu'après l'agression, la personne est rentrée chez elle, elle a continué son train de vie normalement, comme d'habitude,
04:36et le médecin rentre à la maison pour se faire soigner.
04:39Mais que vous dit le policier, monsieur ?
04:41Les policiers sont portés plainte.
04:43Mais si vous voulez, nous, on s'attend à quelque chose d'un peu plus fort, un peu plus significatif, d'aller interpeller immédiatement la personne,
04:52de la ramener au commissariat, de l'entendre, entendre sa version, et ensuite lui faire comprendre que son geste est grave, qu'elle prenne conscience de ce qu'elle a fait.
05:02Aujourd'hui, cette personne, elle s'est comportée pour elle, elle a eu un comportement normal.
05:07Le médecin a refusé de lui donner l'ordonnance, donc il a donné le sang, et voilà.
05:12Mais quand vous nous dites, par exemple, que de nombreux patients qui visiblement disjonctent, ou quand ça vous arrive, avec nos équipes, vous nous avez dit
05:21« Bon, voilà, ce qui se passe en réalité, c'est que c'est une impunité totale. »
05:24Donc dans les faits, comment ça se passe ? Vous portez plainte, et quoi ? La même patiente revient deux semaines, trois semaines, un mois après se faire soigner ?
05:31Non, en général, les gens qui ont eu un comportement agressif, ils ne reviennent plus au cabinet, d'abord parce qu'ils savent qu'on ne va pas les recevoir,
05:38et qu'au contraire, on risque d'appeler la police. Moi, il n'est pas question de recevoir cette famille qui s'est comportée comme ça.
05:44Il n'est plus question de les recevoir, de les soigner. C'est le minimum que je peux faire, bien entendu, en dehors des urgences.
05:52Je suis médecin, on doit apporter assistance à tout le monde. Mais en dehors de ces cas d'urgence, il n'est pas question que je soigne quelqu'un qui est venu donner une correction à un médecin.
06:05Oui, parce que le problème, c'est que les gens ne comprennent pas. Si vous voulez, les gens sont frustrés. Ils n'ont pas appris. On leur a toujours dit oui, les gens leur disent non, ils pètent un câble.
06:17Le non du médecin, ce n'est pas un non punitif. On dit non parce que c'est dans l'intérêt du patient. Quand on dit non, ce n'est pas contre vous.
06:25Il y a des règles. Mais quand on vous dit non, c'est parce qu'on estime que pour mieux vous soigner, ce n'est pas comme ça qu'il faut faire.
06:31Il y aurait eu des conséquences graves, le médecin est responsable. Le médecin prend sa responsabilité, mais malheureusement, ça ne se comprend pas.
06:42On a une autorité laxiste. Les plaintes ne sont classées sans suite. On ne fait pas comprendre au patient son comportement et on le laisse faire.
06:53On ne va même pas interpeller quelqu'un qui est identifié, on sait où il habite. La police ne va pas l'interpeller pour lui demander des explications.
07:02Malheureusement, ça, et je dois le dire vraiment très très fort, c'est le comportement, c'est ce qui se passe dans les quartiers Nord.
07:08Parce que Marseille, vous avez les quartiers Nord, qui sont l'équivalent de la banlieue à Paris, et vous avez les quartiers Sud.
07:14Dans les quartiers Sud, ce comportement ne serait jamais passé de la même façon. On aurait été chercher la personne.
07:19Donc en fait, qu'est-ce qui se passe clairement dans les quartiers Nord ? C'est une vie parallèle ?
07:23Ce qui se passe dans les quartiers Nord, c'est que c'est une sous-population marseillaise. C'est une sous-population, je suis désolé, c'est considéré comme une sous-population.
07:33C'est une population non considérée. On peut dire que la police n'a pas les mêmes moyens dans les quartiers Nord que dans les quartiers Sud.
07:39Quand la police peut venir dans les quartiers Nord ? Parce que les nombreux retours parfois du terrain, c'est qu'ils n'ont même pas la possibilité de rentrer dans les quartiers Nord.
07:47Oui, mais là en l'occurrence, là où j'exerce, c'est sur la grande avenue du 15ème arrondissement.
07:54C'est l'ancienne route de Dex. C'est une grande artère. C'est pas une cité. Et il n'y a aucun risque. La police passe régulièrement dans le quartier.
08:03D'ailleurs, ils se sont déplacés après l'incident au cabinet. Mais c'est-à-dire que chacun a fait un petit bout de son travail, mais il n'y a pas de cohérence dans le travail.
08:13Il n'y a pas de réponse adaptée à l'incident. C'est-à-dire que là, pour moi, c'est quelque chose de très grave.
08:19Je suis sûr que dans certains bureaux, c'est deux pages, et puis c'est dans un tiroir, et puis on n'en parle plus.
08:24Mais quand on regarde les journaux locaux, et quand on passe même un peu de temps au téléphone avec vos confrères, ou même avec vous, sur Sudrado, Saïd, Ouichou,
08:30c'est la première chose dont ils vous parlent, en réalité, c'est-à-dire de cette impunité, de ces agressions quotidiennes, de cette violence.
08:37Donc, qu'est-ce qu'il faut dire ? C'est que quand on est médecin à Marseille maintenant, exercer, c'est prendre le risque d'être tabassé ?
08:41Absolument. Quand on est médecin dans les quartiers Nord.
08:44Quand on est médecin dans les quartiers Nord. Mais pareil, quand on est soignant dans les quartiers Nord, quand on est pharmacien dans les quartiers Nord,
08:50c'est-à-dire que le passage à l'acte, il est impuni dans les quartiers Nord de Marseille.
08:55Vraiment, je dois le dire haut et fort, et ce n'est pas du tout le même comportement de l'autorité pour le même événement.
09:01Mais que vous disent les maires dans ce cas-là ? Éventuellement le maire, ou même votre député local, ou je ne sais pas, il y a quelque temps, à Marseille,
09:08on vous avait pourtant promis la place nette, version XXL, avec Gérald Darmanin et la moitié du gouvernement, que c'était dépassé.
09:14Donc, qu'est-ce qui s'est passé ? Ce n'est pas efficace, en fait.
09:17Je pense que le problème, il est complexe, il est multifactoriel. Il n'y a pas qu'une chose à régler.
09:27Moi, j'ai discuté avec une directrice d'école, de maternelle, elle me dit, quand ils arrivent au CP, on sait qui va s'en sortir et qui ne va pas s'en sortir.
09:39Elle m'a dit qu'on n'a pas les mêmes exigences à l'école, à Saint-Louis, pour citer cette école maternelle de Saint-Louis, on n'a pas les mêmes exigences pour les enfants,
09:48on n'a pas les mêmes exigences que dans d'autres quartiers de Marseille.
09:50Donc, c'est là où je vous dis, les quartiers Nord sont considérés comme une sous-population, je ne sais pas, ils sont en marge de la société, en marge de Marseille,
10:00et c'est vrai, s'il y a des moyens à donner, il faut les donner pour sortir cette population de cette précarité à tous les niveaux.
10:09Donc, il faut punir, bien sûr, il faut agir en amont, mais punir aussi, je vous dis, c'est cette loi qu'on attend toujours, du délit aggravé quand on s'attaque à un soignant.
10:25Quand on touche à un soignant, alors, elle existe pour le soignant hospitalier, mais pas pour le soignant libéral.
10:31Pourquoi ? Le soignant hospitalier, j'ai envie de dire, il est déjà entre les murs de l'hôpital.
10:34Moi, ma collaboratrice, quand elle a été agressée, elle était toute seule dans les locaux, ils auraient pu continuer à la taper toute la nuit, ils auraient pu continuer.
10:42Donc, il nous faut cette loi, c'est une urgence, cette loi doit arriver rapidement pour protéger les soignants et s'ils veulent qu'on continue toujours à exercer dans certains quartiers.
10:54Mais moi, j'ai peur que, si ma collaboratrice s'en va, ce qui est très probable, c'est que je la suive et que ce quartier va se vider de ses soignants.
11:04Et après, on va faire le constat que, bon, qu'est-ce qu'on fait ? Enfin, ça va être un peu trop tard, ça va être beaucoup plus difficile de se relever, parce que là, ce qu'il se passe aujourd'hui...
11:15Agir avant qu'il soit vraiment trop tard.
11:17J'ai envie de dire presque qu'on est en train de mettre un pas dans le trop tard, mais il faut vraiment agir.
11:22Et le rassemblement que j'organise le jeudi, jeudi prochain, à 18h, le maire du secteur sera présent, le député de la circonscription sera présent, le préfet, je pense.
11:35On attend la confirmation, il y aura les habitants, il y aura des soignants, j'appelle vraiment tous les habitants et tous les marseillais qui sont solidaires des soignants de venir, c'est à 18h le jeudi prochain.
11:48On va interpeller les autorités, on va leur demander leur avis, les propositions, et s'ils veulent vraiment prendre à bras-le-corps ce problème d'agression des soignants, parce que ça se répète, ça se répète.
12:06Moi, ça fait des années que ça se répète, et encore là, je me suis dit, ça y est, c'est calmé. Non, c'est toujours là, ce problème.
12:12Et cette impunité, quand le médecin a dit à la patiente, je vais appeler la police, lui a rayonné.
12:19Maïsah Edwidge, la dernière question, elle est évidente après l'agression que vous venez d'isler, qu'a vécue votre collaboratrice, et avec l'ambiance que vous nous décrivez de, on va dire, ce à quoi ressemble votre quotidien, pourquoi vous restez ?
12:30Pourquoi vous ne partez pas maintenant ?
12:33Je reste parce que j'aime mes patients, je reste parce que j'aime mon métier, je reste parce que la majorité des habitants de mes patients des quartiers Nord, je n'ai rien à leur reprocher.
12:45Une très très très grande majorité. C'est des gens très bien, c'est des gens qui ne demandent qu'à vivre normalement, c'est des gens qui ne demandent qu'à vivre comme tout le monde.
12:51Ils demandent à être respectés comme tout le monde, ils demandent à être connaissés, ils demandent à être traités comme tous les Marseillais.
12:59Ils veulent et veulent être traités comme tous les Marseillais. Donc ce combat aussi, ce coup de gueule, je le fais aussi au nom des habitants pour qu'on puisse leur apporter des solutions dans leur quotidien,
13:09et qu'ils puissent avoir toujours des soignants, et je l'espère d'autres qui vont venir s'installer là, parce que c'est un désert complètement, tous les médecins qui sont partis, il n'y en a aucun qui s'est fait remplacer.
13:19Il n'y en a aucun qui s'est fait remplacer, ça se vide, on n'a pas de spécialistes dans les quartiers Nord.
13:25Le message est passé Saïd Ouchou, merci beaucoup d'avoir parlé vrai sur Sud Radio après l'agression très violente de votre collaboratrice, on le rappelle, 4 jours d'idété juste pour avoir refusé de délivrer une ordonnance,
13:36et vous organisez un rassemblement citoyen suite à cette agression, jeudi 22 août à 18h devant votre cabinet 82 Avenue de la Vise.
13:44Merci d'avoir été avec nous, dans quelques instants on décolle en direction de la Russie, plus 3% de croissance en 2024, mais comment cela se fait que l'économie russe se porte aussi bien ?
13:54A tout de suite sur Sud Radio.

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