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Cinq ans après la loi Pacte du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, qui introduit en droit français la qualité de « société à mission », quel est le bilan ? Valérie Brisac et Guillaume Desnoës, respectivement directrice générale et coprésident de la Communauté des entreprises à mission, reviennent dans SMART IMPACT sur les effets de cette qualité à l’échelle de l’entreprise. Et évoquent l’enjeu d’aller vers un cadre juridique européen pour les sociétés à mission.

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Transcription
00:00Générique
00:06Le débat de Smart Impact avec Valérie Brissac, bonjour.
00:09Bonjour Thomas.
00:10Bienvenue, vous êtes directrice générale de la communauté des entreprises à mission et Guillaume Daino, bonjour.
00:16Bonjour.
00:16Bienvenue à vous aussi, co-président de cette communauté des entreprises à mission.
00:21Le 16 mai dernier, à la Maison de la mutualité à Paris, il y a eu le congrès français et européen des entreprises à mission.
00:27Le titre, c'était le temps des preuves. On est cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi PACTE qui, je le rappelle,
00:34instaure pour les entreprises la possibilité de définir leur raison d'être et d'intégrer cette raison d'être à leur statut.
00:41Donc c'est l'heure du bilan, le vôtre, Valérie Brissac, pour commencer. Quel bilan tirez-vous ?
00:45Oui, alors tout à fait, c'était un moment pour nous très important.
00:47Alors c'est vrai qu'à l'échelle de l'histoire de l'économie, cinq ans, c'est peu.
00:51Mais pour nous, c'était quand même un anniversaire important.
00:54Et en fait, dans notre quotidien, notre communauté, on voit des choses formidables qui se passent dans les entreprises.
01:00Donc on avait vraiment cette envie de partager au plus grand nombre ces retours d'expérience et ce qui se passe concrètement sur le terrain.
01:07Donc à la fois au travers de retours d'expérience, mais aussi d'une enquête qu'on a menée et qui permet d'illustrer ce thème,
01:13le temps des preuves, pour inspirer au-delà d'autres.
01:16C'était quoi le principe de cette enquête ? C'était de sonder les dirigeants et dirigeantes d'entreprises qui ont fait ce choix ?
01:23Oui, alors ça a été ouvert aux dirigeants et aux employés de sociétés à mission, mais aussi non à mission, pour avoir aussi un effet miroir.
01:31Et en fait, ce qui est intéressant, c'était par exemple de comparer les bénéfices perçus a priori des bénéfices constatés.
01:40Et donc, par exemple, les dirigeants de sociétés à mission considèrent que le bénéfice constaté d'être société à mission,
01:46c'est vraiment d'avoir transformé concrètement leurs stratégies, leurs offres, leur gouvernance.
01:51Alors que les personnes qui ne sont pas encore à mission, pour elles, ce qui est déjà très bien, c'est important pour la marque employeur,
01:58la rétention des collaborateurs et aussi pour affirmer en fait son utilité sociale.
02:03Donc, on voit que le modèle va plus loin que la perception que les gens ont.
02:071626 sociétés à mission au 22 mai 2024, qui est la date anniversaire puisque la loi était rentrée en vigueur ce 22 mai également.
02:18Est-ce qu'il y a des exemples ? J'ai vu sur le programme de ce congrès français européen qu'il y avait des entreprises qui étaient un peu plus mises en avant.
02:26Il y a des exemples vraiment à partager, des bonnes pratiques d'une certaine façon aussi à partager ?
02:30Oui, on a partagé plein d'histoires sympas lors du congrès, des histoires qui parfois sont des renoncements.
02:35C'est important parce que finalement, quand on voit des entreprises à mission qui s'engagent vraiment, parfois elles renoncent.
02:39Alors, on peut citer l'entreprise Mustela, par exemple, qui va arrêter de produire des lingettes pour bébés parce qu'ils n'ont pas trouvé
02:45de manière de le faire d'un point de vue soutenable écologiquement.
02:48On peut parler de la banque Arkea qui a mis des objectifs très forts de temps passer avec les clients en difficulté financièrement,
02:56qui sont loin d'être les plus rentables, mais parce que c'est un vrai engagement de mission.
03:00On peut citer l'entreprise Camif qui, depuis longtemps, mène une croisade anti-Black Friday et qui accepte de fermer son site le jour où il y a le plus de ventes sur Internet dans l'année.
03:08Donc, tout ça, c'est des vrais renoncements et ce qui permet de prendre ces décisions, ce qui permet aux dirigeants de s'engager comme ça,
03:14c'est d'avoir cadré ça dans les statuts pour aligner leurs investisseurs, leurs salariés avec ces décisions.
03:19Ça veut dire que, et ça rejoint ce que vous disiez tout à l'heure, ça pousse jusqu'au changement de modèle parfois pour certaines des entreprises qui sont devenues entreprises à mission ?
03:27Exactement. Alors, ce qui est important de préciser, c'est que ce n'est pas un label de vertu.
03:29Donc, ce n'est pas parce qu'on est société à mission qu'on est mieux que les autres.
03:32C'est un cadre pour avancer, pour se transformer.
03:34Mais l'objectif, parfois, on commence par d'abord faire de la RSE classique, il faut bien le dire, au sein d'un cadre de société à mission.
03:40Mais si on le fait avec exigence, avec un comité de mission, des parties prenantes qui challengent, un OTI, un organisme tiers indépendant qui vient vérifier
03:48et qui a cette mécanique, cette dynamique, au bout d'un moment, on se pose forcément la question d'innover et d'aller changer des choses dans son business model
03:56en orchestrant souvent des renoncements.
03:58Est-ce que, Valéry Brézac, ça veut dire qu'à partir du moment où on a inscrit cet engagement, cette raison d'être dans ces statuts,
04:06on devient redevable de cet engagement ? Et ce n'est pas seulement la jolie phrase qui forme la raison d'être.
04:12L'important, c'est tout ce qu'il y a derrière.
04:16Il y a certaines entreprises qui s'arrêtent là, on peut se dire les choses, et d'autres qui, justement, vont plus loin et bouleversent le modèle
04:23et presque changent leur modèle économique.
04:27Mais il y en a aussi qui s'arrêtent là.
04:28Alors, ce qu'il faut avoir en tête, quand même, c'est qu'il y a un vote en AG pour devenir société à mission.
04:33Les actionnaires, c'est un peu un rite de passage, votent en AG le fait de devenir société à mission.
04:39Ils ont intégré le fait que la poursuite classique du profit pur n'était plus le seul objectif de leur entreprise,
04:46mais qu'il était à mettre à côté d'autres objectifs environnementaux, sociaux,
04:50et donc des choses pour lesquelles la société avait envie de contribuer concrètement.
04:54Donc déjà, à la base, il y a un engagement fort qui est fait de la part de la gouvernance de l'entreprise.
05:01Après, ce que l'on voit, c'est qu'en fait, ce modèle offre une liberté d'interprétation très large
05:06et que l'entreprise se donne elle-même le niveau d'ambition qu'elle pense pouvoir assumer.
05:13Et donc, en fait, elle est libre de se faire un peu mal ou d'être très ambitieuse.
05:17Et finalement, le comité de mission, mais aussi l'organisme tiers et indépendant va évaluer cet effort.
05:23– Pardon de vous interrompre, les actionnaires, ils peuvent mettre un coup d'arrêt aussi.
05:26C'est-à-dire que si le contexte économique se durcit,
05:30les objectifs qui étaient liés à la mission deviennent plus difficiles à remplir.
05:36L'ambition, justement, de la modification du modèle, on peut revenir dessus.
05:41J'insiste un peu parce que je pense que c'est un vrai défi pour que ce mouvement continue.
05:45Peut-être je vous pose la question à vous.
05:46– Pour l'instant, on n'a pas vu d'entreprise à mission dont les actionnaires
05:49aient décidé de changer ou de diminuer la portée des engagements.
05:52On voit plutôt le phénomène inverse parce que parfois, les entreprises y rentrent
05:57par opportunisme ou de manière défensive.
05:58On voit des secteurs maintenant où il y a beaucoup de sociétés à mission
06:00et certains se disent, pourquoi pas moi ?
06:02Mais en fait, c'est un mécanisme qui est très intéressant.
06:04C'est qu'à la différence d'une norme figée où on est d'un côté et on est de l'autre,
06:07c'est un mécanisme finalement auto-apprenant.
06:09Et donc, il y a beaucoup de gens qui, même sincèrement des dirigeants qui nous disent,
06:13des dirigeantes qui nous disent, en fait, moi, j'ai compris beaucoup de choses en rentrant là-dedans.
06:16Et aujourd'hui, en tant que dirigeant, je comprends que gérer mon entreprise
06:20pour qu'elle fasse du positif pour toutes mes parties prenantes,
06:22pas que mes actionnaires, mais aussi mes salariés, l'environnement, mes clients.
06:26En fait, c'est que du plus parce que mon entreprise est plus performante.
06:29Et moi, en tant que dirigeant, j'ai beaucoup plus de liberté
06:30pour prendre des engagements forts, innover.
06:32Et c'est ça qu'au fond, cherchent les dirigeants.
06:33Donc, pour nous, c'est un outil fondamentalement de liberté.
06:36Mais oui, qui doit rééquilibrer parfois les choses dans le rapport entre actionnaires et dirigeants.
06:41Vous avez un peu répondu tout à l'heure, mais il y a d'abord un effet interne.
06:45Si on regarde, puisque l'objectif 5 ans après, c'est le temps d'épreuve.
06:49Vous nous l'avez dit, il y a un effet concret en interne
06:52dans la capacité d'embarquer les salariés d'une entreprise, d'un groupe.
06:57Oui, en général, les entreprises à mission disent clairement
07:00que d'être devenues entreprise à mission, ça augmente l'engagement de leurs collaborateurs.
07:04Ils font souvent des enquêtes annuelles d'engagement ou de compréhension de la stratégie.
07:08Et ces chiffres-là augmentent.
07:09Ils sont aussi plus attractifs.
07:11Ils reçoivent beaucoup plus de CV, par exemple, de manière spontanée.
07:14Moins de turnover aussi, j'imagine.
07:15Exactement.
07:16Il y avait notamment la dirigeante d'une société, d'un call center,
07:20qui expliquait que parce qu'elle avait complètement changé le mode de management
07:23habituel de ce type d'activité,
07:26elle avait un turnover qui était radicalement plus faible que celui de son marché.
07:31Voire, elle encourageait ses salariés à aller être embauchés chez ses clients.
07:35Donc, elle organisait finalement de manière positive ce turnover.
07:39Donc, un contre-pied total de ce qui est fait habituellement sur le secteur.
07:42Ça embarque aussi les partenaires, les sous-traitants,
07:46c'est-à-dire toute la chaîne de valeur, d'une certaine façon,
07:48quand une entreprise devient entreprise à mission ?
07:50Oui, tout à fait.
07:51Comme disait Guillaume tout à l'heure,
07:53devenir entreprise à mission, ça induit aussi des renoncements.
07:57Donc, on choisit aussi finalement avec qui on travaille,
07:59ses fournisseurs, ses clients.
08:01Et donc, on essaime dans son secteur.
08:04Et en fait, on voit beaucoup d'entreprises à mission
08:06qui, quelque part aussi, vont transformer leur secteur d'activité
08:10par des pratiques qui sont à l'opposé de ce qui se fait habituellement.
08:13Comment nos voisins européens regardent ça ?
08:15Alors, certains nous ont précédés.
08:17Il faut rendre à César, et le nom est bien choisi,
08:19puisque c'est à Rome que tout ça a commencé,
08:21puisque l'Italie nous a précédés dans la création de sociétés à mission à l'italienne en 2015.
08:27L'Espagne nous a succédé, la Belgique y réfléchit.
08:30Donc, nous, on est persuadés à la communauté des entreprises à mission
08:33qu'il y a besoin au niveau européen de réfléchir à ce que doit être l'entreprise,
08:37ce qu'on veut qu'elle apporte à la société
08:39pour qu'elle se mette vraiment au service de toutes ses parties prenantes
08:42et qu'elle soit compatible, je dirais, avec notre idéal démocratique européen.
08:46Parce qu'on voit que, dans d'autres endroits du monde,
08:48le capitalisme se met au service d'intérêts politiques qui sont dangereux,
08:52qui nous mettent aussi en danger aujourd'hui.
08:53Donc, il y a vraiment cette vision presque géopolitique
08:57et qui est de plus en plus partagée en Europe.
08:59À l'occasion du Congrès, on avait nos voisins européens,
09:01on avait des députés représentant à peu près toutes les têtes de liste qui étaient là.
09:04Donc, les choses vont bouger, je pense, dans l'avenir,
09:06à la fois dans les pays, par la création de statuts comparables,
09:09et puis peut-être un jour par une directive qui viendra l'officialiser au niveau européen.
09:12C'était la question que j'allais vous poser,
09:14parce que des directives, il y en a eu dans un certain nombre de domaines,
09:17sur la gouvernance, sur la transition, la transformation environnementale, etc.
09:21En quoi une directive société à mission changerait la donne ?
09:25Une directive pourrait inciter fortement tous les États à créer un cadre comparable.
09:29L'idée, ce n'est pas forcément que ce soit uniforme partout,
09:31parce que ce qui est intéressant en Europe, c'est aussi la diversité,
09:33mais un cadre comparable avec inscription dans les statuts d'une raison d'être,
09:37gouvernance ouverte aux parties prenantes, contrôle par un tiers,
09:41et que ça, ça se développe dans tous les pays.
09:42Nous, on pense que ce sera un complément essentiel, si vous voulez, à la puissance normative
09:47qui est en train d'être développée avec la CSRD au niveau européen,
09:49qui va permettre de créer beaucoup de comparabilité,
09:52permettre aux financeurs de savoir quels sont effectivement les progrès qui sont faits par les entreprises.
09:56Mais les entreprises, elles ont besoin de se définir une stratégie, une singularité
10:00pour développer leur modèle d'affaires, voir comment elles vont évoluer par rapport à leurs concurrents.
10:05Et ça, c'est la mission qu'il va leur donner.
10:06Ce n'est pas juste un cadre de reporting comme celui de la CSRD.
10:10Est-ce qu'il y a toujours autant d'entreprises qui deviennent sociétés à mission
10:14ou est-ce que le rythme s'est un peu ralenti ?
10:16Est-ce qu'il y a eu un effet de mode et qu'on y est un peu moins ?
10:19Non, le rythme est toujours très fort.
10:21On a toujours une croissance à deux chiffres depuis le début.
10:23Alors, au départ, il y avait les dirigeants déjà très engagés depuis très longtemps
10:27qui étaient contents que ce cadre existe.
10:30Et donc, il y a eu un engouement important au départ.
10:32Et aujourd'hui, ce rythme continue.
10:34On mesure tous les jours sur l'observatoire les statuts qui sont déposés.
10:40Et donc, ces chiffres augmentent tout le temps.
10:42Et ce qui est intéressant, c'est que c'est sur tous les types d'entreprises.
10:46Oui, ce n'est pas seulement. C'est des petites, des PME, des ETI, c'est tous les secteurs aussi ?
10:51Tous les secteurs d'activité.
10:52Et alors, évidemment, les premiers secteurs étaient plutôt les services.
10:57Mais il y a de nombreuses entreprises qui ont souvent des modèles d'affaires un peu compliqués
11:02ou lourds, industriels, qui s'y mettent également.
11:05Et la moitié des entreprises à mission sont en dehors de Paris.
11:08On constate que beaucoup d'entreprises, beaucoup plus ancrées dans les territoires
11:10que parfois des boîtes parisiennes, multinationales,
11:13voient ça comme une opportunité pour valoriser des engagements qui sont souvent préexistants.
11:18Donc, ça, c'est aussi une tendance très intéressante.
11:21Merci beaucoup. Merci à tous les deux et à bientôt sur Bismarck.
11:24On passe à notre rubrique Start-up tout de suite.

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