Le covid et les difficultés économiques ont renforcé la relation qu’entretiennent les salariés français avec leur entreprise. Alors que les discours ambiants mettent souvent en avant une crise de l’engagement des collaborateurs, l’étude réalisée par No Com permet de remettre en perspective certaines croyances.
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00:00 Donc Pierre Giacometti, salut Pierre, président, cofondateur de NoCom, le baromètre de la
00:11 transformation des entreprises.
00:12 J'ai titré l'entreprise Superstar, c'est vraiment ce que j'ai vu en voyant ton baromètre ?
00:18 C'est ma entreprise Superstar, c'est le jugement des salariés sur leur propre boîte.
00:25 C'est un petit peu comme quand on fait cet exercice en politique, l'Assemblée nationale
00:31 versus mon député.
00:32 J'aime mon député, l'Assemblée, l'institution, pas forcément autant.
00:36 Et dans le cas de cette enquête, c'est vrai que le jugement des salariés français, du
00:40 privé comme du public, singulièrement du privé, sur leur propre entreprise, ça s'est
00:46 plutôt renforcé au fil des années, encore un peu plus avec la crise Covid, et il y a
00:50 des extraordinaires preuves d'attachement, de fierté, même parfois d'amour, de relations
00:54 très étroites, ça ressemble un peu à une relation comme si c'était une seconde famille.
00:58 Il est vrai qu'on passe beaucoup de temps finalement dans la journée au travail, dans
01:01 sa boîte, même si on travaille à distance.
01:04 Et donc ça donne un paysage d'une relation entre les salariés français et leur entreprise,
01:10 un petit peu refuge.
01:12 Quand on voit à quel point la société française aujourd'hui est confrontée à toute une
01:15 série de crises de confiance et de défiance, l'institution entreprise donne le sentiment
01:19 de résister contre vents et marées.
01:22 - Ecoute, ça a été pour moi une incroyable surprise, les résultats de ton rapport.
01:28 Oui, mais ça veut dire que même moi en fait, je me laisse biaiser par le discours ambiant.
01:32 J'ai l'impression qu'on se laisse emporter par le discours ambiant, et je tenais, merci
01:37 que tu sois là, je tenais absolument, parce que les chefs d'entreprise doivent aussi se
01:42 laisser emporter.
01:43 On ne parle en ce moment, quand on réunit les chefs d'entreprise, que d'engagement,
01:47 que de difficultés dans le rapport au travail, que de crises du travail, que de crises de
01:51 l'appartenance, que de crises de l'entreprise à travers le télétravail.
01:54 Tu nous dis tout le contraire.
01:56 - Alors, sur cette première partie de l'enquête, la relation est forte.
02:00 Elle est au minimum faite de bienveillance, au mieux d'adhésion et de presque de militantisme.
02:07 Je cite souvent cet exemple ces derniers jours parce qu'il m'a frappé.
02:10 J'entendais chez certains de tes confrères parler de la triste mésaventure que connaissent
02:15 les salariés du groupe Casino.
02:17 Et soumis à des très grandes difficultés, avec des menaces très fortes, etc.
02:22 Malgré tout, il y a dans les entreprises en difficulté, il y a aussi un sentiment
02:27 de fierté d'appartenance.
02:28 Et probablement que la tragédie que vivent un certain nombre de salariés de ce groupe
02:32 est liée au fait que l'attachement au groupe est énorme, qu'elle est le symbole d'une
02:37 région, d'une ville, du nom d'un stade, son fondateur Geoffroy Lichard, fondateur
02:41 de Casino.
02:42 Donc il y a dans les entreprises, notamment celles qui ont une très longue histoire,
02:47 une relation qui va bien au-delà simplement de pointer, aller travailler le matin, rentrer
02:52 le soir.
02:53 Il y a quelque chose de très très fort.
02:54 Et c'est vrai que c'est formidable de savoir que pour des entrepreneurs, quand on crée
02:58 son entreprise et quand on a la chance d'avoir des gens mobilisés autour de soi pour réussir,
03:03 c'est quelque chose qui, en termes de relation de confiance, est devenu assez rare.
03:07 Je ne parle pas de la politique, je ne parle pas de certains médias.
03:10 On a aujourd'hui de la défiance qui circule un peu partout et l'entreprise est là.
03:15 Mais dans les autres parties de l'enquête, il y a aussi un certain nombre d'exigences
03:20 que les salariés ont pris à l'égard de l'entreprise.
03:21 Voilà, mais attends, il faut qu'on y aille.
03:22 Voilà, exactement.
03:23 Et j'allais y venir très très vite.
03:24 C'est, mesdames, messieurs les chefs d'entreprise qui doutaient peut-être de la façon dont
03:31 aujourd'hui les salariés peuvent considérer l'entreprise.
03:33 Oui, mais attention, il faut donner de sa personne.
03:35 Il faut donner de sa personne.
03:37 Et le sujet sur le rayonnement de l'entreprise, le sujet sur le dirigeant stratège sont des
03:44 sujets fondamentaux, j'ai l'impression, pour les salariés, Pierre.
03:47 Oui, quand on essaye de comprendre un petit peu ce qui fait la fierté, comment on justifie,
03:51 comment les salariés justifient ce sentiment de fierté que majoritairement ils expriment
03:55 dans cette enquête.
03:56 Les deux, trois premiers éléments ingrédients de cette fierté, c'est la réputation et
04:02 la notoriété de l'entreprise, c'est son histoire et c'est la relation qu'elle a avec
04:08 la société.
04:09 Au fond, on est assez, je ne dis pas loin, mais c'est bien de réussir, c'est bien d'avoir
04:15 des performances financières, c'est bien de réussir un cadre qui soit agréable pour
04:20 travailler.
04:21 Mais on sent bien que le sujet de la réputation, de la prise de parole, du rayonnement, c'est
04:25 l'expression employé, est quelque chose qui compte beaucoup parce que ça va bien au-delà
04:30 simplement de la marque ou du patron en tant que tel.
04:34 C'est quelque chose qui peut transmettre énormément de valeur et d'éléments de fierté.
04:39 Et quand on voit, quand on fait ce constat-là, moi l'expérience que j'ai de ces 15 dernières
04:45 années autour du développement de Nocom et donc de rencontrer beaucoup de dirigeants
04:49 d'entreprises, j'ai parfois le sentiment qu'ils sous-estiment un peu ce capital et cette attente.
04:55 C'est-à-dire qu'ils sous-estiment le fait qu'ils ont finalement autour d'eux des équipes
04:59 qui sont prêts à se mobiliser, à jouer le rôle, on dit parfois, d'ambassadeur de la
05:03 boîte, avec une capacité à transmettre le message, souvent un petit peu plus authentique
05:08 et un petit peu plus fin, que les investissements faits, c'est normal de les faire, en communication,
05:14 on dit corporette, en communication traditionnelle.
05:16 Nous on pense qu'en réalité il y a dans le cœur des entreprises en interne, c'est
05:19 pour ça que quand on fait le travail d'essayer d'aider les chaînes d'entreprise à construire
05:23 leur récit stratégique, la première cible de ce récit stratégique c'est d'abord de
05:29 le partager en interne avant même de penser s'il faut donner une interview au premier
05:34 quotidien économique du coin de la rue.
05:36 Le sujet central c'est d'abord le partage avec l'interne et par les temps qui courent,
05:41 le renforcement du lien avec les salariés c'est quelque chose de capital.
05:44 Oui mais le rayonnement de l'entreprise c'est bien dans, je ne pense pas forcément à Bismarck
05:49 ou aux Echos, la communication extérieure au sens très très large, je me souviens
05:54 de Christophe de Margerie à l'époque qui me disait un tiers de mon temps, un tiers
06:01 du temps du patron de Total, c'est de la communication extérieure au sens très très
06:05 large.
06:06 Alors Total est dans une situation telle qu'elle en a besoin cette entreprise, aucun problème,
06:11 mais voilà il faut accepter de donner de sa personne à ce niveau-là sans doute.
06:16 Dans les échanges qu'on a eu ces derniers jours avec un certain nombre de dirigeants
06:19 d'entreprise sur ces résultats, certains me faisaient remarquer que dans ce tiers consacré
06:24 à la communication extérieure, il y a un petit peu trop de communication financière
06:28 et pas suffisamment de communication pour raconter la stratégie, la vision, ce qu'on
06:34 a qualifié dans cette enquête de patron-stratège.
06:37 Les salariés français attendent aussi au-delà de la performance des résultats, de ces protocoles
06:43 de communication assez incontournables surtout pour les boites-côtés, il y a une attente
06:47 d'éclairage, de vision, de partage du rôle de l'entreprise sur ce qu'elle est et sur
06:52 ce qu'elle joue comme rôle dans la société qui est attendue par les salariés.
06:55 Moi j'ai toujours vu dans un certain nombre d'expériences passées des patrons lorsqu'ils
07:01 communiquaient à l'extérieur ne pas se rendre compte vers quel point, il y avait
07:04 toujours cette espèce d'obsession, quelle est l'audience du média concerné.
07:07 Et on leur disait souvent n'oubliez jamais que parmi ceux qui vous écoutent, il y a
07:11 d'abord vos salariés qui sont fiers de vous entendre, de vous voir raconter la boite,
07:15 le cas échéant de dire du bien d'eux, c'est possible aussi.
07:17 Et je pense que cet élément-là, il est souvent sous-estimé par aujourd'hui les
07:22 dirigeants d'entreprise.
07:23 Moins qu'avant, parce que je pense qu'on a quand même beaucoup progressé en France
07:26 du point de vue de la communication des dirigeants d'entreprise, mais on a quand même, si vous
07:30 voulez, le plus souvent, même quand on a le sentiment d'avoir des boites en bonne
07:34 forme qui ont des choses intéressantes à raconter, c'est le cas notamment dans des
07:37 entreprises de tradition familiale, une sorte de premier réflexe de précaution qui consiste
07:42 à dire "vivons heureux, vivons cachés, ne parlons pas trop, les journalistes, on ne
07:48 sait même pas ce qu'on peut en penser".
07:49 On vient d'en parler avec Pierre-Olivier.
07:50 C'est un problème, c'est un problème.
07:52 Si vous y rajoutez le côté des réseaux sociaux.
07:54 Alors, mais justement, un mot, là pour le coup je prêche pour ma paroisse, l'audience,
08:01 pardon mais c'est une valeur mais complètement désuète, c'est-à-dire le sujet maintenant
08:06 c'est la queue de comète, le sujet c'est les multiples rebonds grâce aux réseaux
08:10 sociaux et à l'ensemble aujourd'hui du développement digital que va connaître votre
08:15 intervention et votre intervention, quelle que soit le média, si elle est pertinente,
08:19 elle va rebondir.
08:20 Elle circule.
08:21 Si elle n'a aucun intérêt, vous aurez beau la faire aux 20 heures de TF1, elle n'aura
08:25 pas d'impact mais ça c'est ton métier, tu le sais beaucoup mieux que moi.
08:28 Attends parce que quand même, tout ça c'est bien joli mais motivation de son choix de
08:34 son entreprise, le facteur rémunération au plus haut.
08:36 Oui, ça c'est une évolution dans les trois dernières éditions de ce tableau de bord
08:42 parce que ça fait maintenant 4 ans qu'on le suit.
08:45 Jamais le motif de la rémunération n'a été aussi haut comme explicatif de la présence
08:52 dans l'entreprise concernée et mieux encore, quand il s'agit de justifier le cas échéant,
08:56 un changement de boîte, c'est de très très loin le critère de rémunération.
09:00 Alors on est dans une France qui économiquement va mieux du point de vue de l'emploi et va
09:06 moins bien du point de vue de la stabilité des prix.
09:08 Donc la pression sur le niveau de vie, sur le pouvoir d'achat, il est très clairement
09:12 ressenti par les salariés qu'on a interrogés, que l'IFOP a interrogé pour nous et c'est
09:18 un élément qui est en progression constante, notamment, j'insiste parce que c'est dans
09:22 deux catégories, dans deux segments qu'on a observé comme étant encore plus signifiant
09:26 de ces résultats, les jeunes générations de salariés moins de 35 ans et dans des catégories
09:31 plutôt de bas salaires.
09:32 C'est là où la pression sur la rémunération est la plus forte.
09:36 Je comprends les catégories de bas salaires sur les jeunes générations, moi j'aime
09:41 bien que ça relativise cet espèce de discours ambiant que j'entends partout de "non c'est
09:47 vraiment des gens qui ne sont sensibles qu'aux valeurs et particulièrement d'ailleurs
09:53 à la lutte".
09:54 Ou la qualité de confort du travail.
09:55 Oui enfin moi on me sert systématiquement la lutte contre le réchauffement climatique
10:00 comme première motivation d'adhésion à une entreprise.
10:03 Là c'est clairement, c'est relativisé par les résultats de cette enquête.
10:07 2 minutes 30.
10:09 Transformation des relations au travail quand même, c'est aujourd'hui la grosse question
10:15 que se posent les chefs d'entreprise.
10:16 Tu décris d'ailleurs dans l'étude tout le sujet du télétravail.
10:19 Ils sont aujourd'hui en train pour beaucoup d'entre eux, je pense que je me fais leur
10:23 porte parole, d'essayer de ramener tout le monde au bureau, c'est un mouvement compliqué,
10:27 il y a du va et vient.
10:28 On pensait que c'était un combat gagné, puis c'est compliqué.
10:30 Au moins 3 jours par semaine pour retrouver de la cohésion.
10:34 Comment est-ce que tu vois les choses Pierre ?
10:35 En fait le mouvement sur le retour progressif sur le lieu de travail il est évident et
10:42 les salariés font ce constat dans l'enquête que c'est maintenant un temps de travail
10:46 beaucoup plus équilibré entre passer à l'extérieur, passer chez soi et passer au bureau ou au
10:51 bureau ou sur le lieu de travail.
10:53 Plus préoccupant peut-être, et ça c'est quelque chose qu'on voit nous quand on compare
10:58 des situations d'enquête dans d'autres pays européens auprès de la même population
11:02 ou des mêmes populations.
11:03 Il y a quand même une petite question posée auprès des salariés français sur le rapport
11:08 au travail et au temps de travail, à la durée de vie professionnelle.
11:13 On a l'impression que la grande crise sur la réforme des retraites qu'on a connue
11:17 ces derniers mois en France n'a pas résolu l'équation de communication, s'il faut
11:22 l'appeler comme ça.
11:23 Les français continuent à penser et de ce point de vue là ils sont assez singuliers
11:27 et différents d'autres pays européens.
11:30 On continue à penser en France, une grande majorité des salariés pensent qu'on doit
11:33 s'arrêter de travailler après à 62 ans.
11:36 On doit aller vers la semaine de quatre jours, on doit consacrer un petit peu plus de temps
11:41 à son temps libre et à sa vie personnelle qu'à travailler plus.
11:44 Il y a quand même les ingrédients d'une société qui semble un tout petit peu en
11:47 décalage par rapport à ce qu'on observe dans d'autres pays voisins de la France.
11:50 Et ça c'est une équation pour le chef d'entreprise qui peut être très très heureux d'une
11:54 partie de ses résultats mais qui est plus inquiet quand on le fait réagir sur la dernière
11:58 partie de cette enquête où on voit quand même qu'il y a un petit problème.
12:01 Au fond on se dit qu'on a raté un récit aussi d'une certaine manière, un récit
12:05 stratégique sur le rapport au travail.
12:07 Peut-être parce que c'est le résultat d'une sorte de manque de projet collectif.
12:13 Et ça, ça renvoie pas simplement la balle au chef d'entreprise mais probablement à
12:16 toutes les élites.
12:17 Oui, oui, oui, mais ça renvoie la balle au chef d'entreprise.
12:20 Le président du Medef est venu nous le dire, il y a nécessité d'une révolution managériale
12:25 et patronale.
12:26 Et c'est d'ailleurs pour ça que quand on travaille sur ces problématiques de stratégie
12:33 de communication, on est toujours assez obsédé à l'idée d'abord d'essayer de faire partager
12:38 un projet, une histoire stratégique, une vision.
12:42 Le patron-stratège, il est d'abord stratège pour les siens, pas simplement pour son environnement
12:46 extérieur.
12:47 Et là, il y a probablement un des ingrédients qui permettrait peut-être de redonner du
12:51 souffle positif dans le sens de, on va forcément à un moment donné être obligé de travailler
12:57 un petit peu plus compte tenu de ce que sont les paramètres de l'allongement de la durée
13:01 de vie.
13:02 Mais pour ça, il faudrait que comme d'autres pays que tu connais bien, on considère enfin
13:06 le travail comme un accomplissement.
13:07 Ou j'ai presque envie de dire à nouveau.
13:09 Et cette enquête ne va peut-être pas assez loin dans ce domaine mais je pense qu'il
13:12 y a effectivement sur ces questions, encore dans certaines catégories de français salariés,
13:19 une vraie question qui est posée sur ces sujets.
13:21 Tout à fait.
13:22 Merci Pierre.
13:23 Merci beaucoup Stéphane.
13:24 Pierre Giacometti donc qui nous accompagnait.
13:26 Merci à vous de nous avoir suivi.
13:27 On se retrouve évidemment la semaine prochaine sur Bismarck.
13:30 Merci.
13:31 Au revoir.
13:31 [Musique]