Il a fait de la Méditerranée le centre de son existence, et publie "Les enfants de la crique", un roman qui donne envie d’aller se baigner ! Rémi Baille est ce matin l'invité de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-lundi-29-avril-2024-3461817
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00:00 Les nouvelles têtes Mathilde Serrel, ce matin une nouvelle plume,
00:04 «Trempée de soleil», le romancier Rémi Baille est dans notre studio Portrait Sonore.
00:09 ♫ Galle méditerranée, tous les flanflans, les airs démodés, une orange pressée. ♫
00:23 Il a passé une enfance vu sur mer, à Toulon.
00:26 Il a regardé tellement la mer que ça le mettait en retard le matin pour aller à l'école.
00:30 Sa première vocation, ce ne sera pas pêcheur pour autant, mais cascadeur,
00:34 comme le légendaire Rémi Julienne.
00:37 Pour une cascade qui va durer quelques secondes à l'écran, ou à la rigueur une minute,
00:41 une action habile qui durera une minute,
00:43 dix minutes dans un fil peuvent demander trois semaines de préparation.
00:49 Finalement, il optera pour des acrobaties plus théoriques.
00:52 Élève à Sciences Po, étudiant en philo, c'est à 21 ans qu'il a une révélation
00:56 devant la mer à Beyrouth.
00:58 Il comprend que la Méditerranée est le centre de son monde.
01:02 Il se promet alors de la remercier un jour dans un texte,
01:05 même si avec noces, Albert Camus a mis la barre très très haut.
01:09 Ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel
01:14 et l'immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu.
01:19 C'est à conquérir cela qu'il me faut appliquer ma force et mes ressources.
01:24 Tout ici me laisse intact.
01:26 Je n'abandonne à rien de moi-même.
01:28 Je ne revets aucun masque.
01:31 Il me suffit d'apprendre patiemment
01:34 la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre.
01:39 Il a 23 ans, Camus, quand il écrit ses lignes.
01:42 Ça peut inhiber un peu un romancier en herbe,
01:45 sans compter les tutos sur YouTube type "Comment écrire son premier roman"
01:49 qui ont failli le décourager définitivement.
01:52 Mais il trouvera finalement l'élan en s'installant à Marseille.
01:54 Italiens, Corses, Arméniens, Espagnols ou Portugais,
01:58 mais aussi Chinois ou Africains.
02:00 Ici se sont installés tous les peuples du monde,
02:02 réfugiés presque enfermés dans ce quartier au nom prédestiné, le panier.
02:09 C'est dans le quartier du panier qu'il a enfin pu écrire son roman solaire.
02:12 Collaborateur d'ex-Marseille Université, cofondateur de la revue littéraire "L'allume-feu",
02:17 membre du comité de rédaction de la revue "Esprit",
02:20 il publie à 31 ans "Les enfants de la Crique",
02:23 une vraie baignade philosophique.
02:25 Rémi Baille, bonjour !
02:26 - Bonjour et merci.
02:27 - Vous n'avez pas eu le temps de vous baigner du coup ce matin ?
02:29 - Pas vraiment, mais bon, on s'y fait.
02:31 - Vous pouvez vous le confirmer.
02:33 Vous êtes finaliste du prix Marcel Pagnol,
02:36 célébré 50 ans après sa disparition dans une multitude d'événements.
02:39 Il représente quoi pour vous ?
02:41 - Marcel Pagnol, c'est les premières lectures.
02:43 Déjà, la connaissance, l'accès au style,
02:46 puisqu'on parle peu du style de Marcel Pagnol.
02:48 Et ce sont les étés interminables, les aventures,
02:52 et aussi une douce gravité bien méditerranéenne que j'apprécie beaucoup.
02:56 - C'est le Provençal universel, dit-on, vous êtes d'accord ?
02:58 - Oui, complètement.
02:59 De toute façon, Provençal méditerranéen,
03:01 il y a quelque chose d'universel là-dedans,
03:03 dans ce qui travaille derrière, dans les questionnements,
03:06 dans ces paradoxes, je les trouve absolument universels,
03:08 parce qu'il y a du beau, du grave, du doute dans tout ça,
03:12 et tout ça est universel.
03:13 - Des sanglots de soleil, comme chez Camus.
03:15 C'est un très beau roman solaire, "Les enfants de la Crique".
03:18 Vous l'avez écrit à Marseille, vous le publiez aux éditions,
03:20 "Le bruit du monde", qui sont basés à Marseille.
03:23 Pourquoi l'écriture ne pouvait se faire que dans cet ancrage ?
03:26 Marseille, Rémi Baille.
03:27 - Je pense que, déjà, il fallait à un moment changer de vie,
03:31 se dire que je partais pour écrire, j'étais avant à Paris,
03:35 à la maison de la radio d'ailleurs.
03:37 - On l'a vu, on vous a croisé, à France Culture.
03:39 - Et il y avait une nécessité de dire, rentrer à la maison,
03:42 pourquoi faire la maison dans sa conception un peu maximale,
03:46 qui n'était pas forcément l'endroit où j'ai grandi,
03:49 mais la mer, l'horizon, en fait, vécu comme maison.
03:53 Et puis, partir aussi pour, à un moment, avoir la nécessité
03:58 de faire quelque chose.
03:59 Vous parliez tout à l'heure dans le portrait de "Rendre l'appareil".
04:01 Je voulais faire un contre-don, c'est-à-dire donner en retour
04:05 des choses de la Méditerranée.
04:06 Alors, il fallait être très, très proche des choses, des gens,
04:09 des images, des couleurs pour le faire, je pense.
04:11 - Au plus près de la Méditerranée, c'est ce qui compte pour vous.
04:14 Et vous l'avez compris, à Beyrouth, du coup. Pourquoi ? Enfin, comment ?
04:17 - J'ai fait une année d'échange à Beyrouth et, en fait,
04:19 je me sentais tellement proche des gens, de cette vie sur le dehors,
04:27 la terrasse, les discussions, les portes ouvertes, les repas partagés.
04:32 Et je me suis dit, mais pourquoi je me sens directement si proche ?
04:36 Pourquoi j'ai déjà appris certains de ces codes-là ?
04:39 Et j'étais en retard, enfin, parce que je regardais la mer.
04:43 Là, je regardais aussi la mer de Beyrouth en me disant que de l'autre côté,
04:46 il y avait ma maison, pour le coup, alors que je me sentais déjà pas mal chez moi au Liban.
04:51 Alors, j'ai compris tout d'un coup qu'il y avait quelque chose de la Méditerranée
04:54 dans mon existence, dans mes possibles, dans mon ouverture au monde.
04:57 Et j'y suis bien.
04:59 - Et vous y écrivez bien dans "Les enfants de la crique".
05:02 Le soleil fait le cador, la mer tient l'affiche.
05:06 Et cette crique, elle est imaginaire, elle est faite de vos souvenirs.
05:09 A vous, c'est le personnage principal du roman.
05:11 Pour vous, l'enjeu, c'était que le rapport à la nature, les sensations,
05:15 on parlait de Camus tout à l'heure, qu'elle inspire, soit un élément romanesque suffisant.
05:19 Finalement, presque. C'est ça, votre roman, c'est une proposition où la nature, ça l'intrigue.
05:24 - Oui, parce qu'en fait, la crique, à un moment, un personnage qui s'appelle Coco dit
05:28 "la crique, c'est tout à la fois".
05:29 Et en fait, c'est cette correspondance entre les gens qui y vivent et leur milieu.
05:34 Voilà, je pense que je voulais écrire sur le rapport au milieu.
05:37 Et cette crique, finalement, c'est l'endroit où se rencontrent cette roche taillée,
05:41 cette mer avec son bleu infini, le vent qui vient un peu mettre tout le monde en l'air parfois.
05:46 - Les incendies aussi, c'est pas non plus une nature idyllique,
05:49 il y a le réchauffement climatique qui arrive dans la crique.
05:51 - Exactement, il y a de toute façon, pour écrire sur la Méditerranée,
05:55 la volonté de ne pas écrire de manière béate et de dire qu'en Méditerranée,
05:59 ce qu'il se passe aujourd'hui, c'est que les changements globaux en Méditerranée
06:02 sont plus rapides là-bas qu'ailleurs.
06:04 Et je voulais marquer la preuve de cela dans l'idée que cette crique,
06:07 qui est souvent un secret, en fait, c'est un coin, une crique,
06:10 c'est un endroit qu'on protège, qu'on préserve, parfois qu'on garde pour soi.
06:14 Et ces lieux-là sont menacés.
06:17 Je voulais juste raconter comment un village de pêcheurs,
06:19 qui s'était construit autour de cette villa,
06:21 faisait pour vivre ce changement en train de se faire.
06:25 - C'est une république, votre crique, d'une certaine manière.
06:27 - Autonome.
06:28 - Vous qui travaillez pour la revue Esprit,
06:29 on y voit qu'il y a des questionnements philosophiques et politiques, en fait,
06:33 par ce protocole de la nature.
06:35 - Oui, en fait, la crique, ce serait plutôt une république autonome,
06:38 une république qui aurait pris son indépendance
06:41 et qui a un peu coupé du monde.
06:43 Et les questionnements philosophiques, je dirais que c'est davantage
06:46 cette idée de comprendre aujourd'hui où se place le tragique,
06:50 comment il se situe dans nos vies.
06:53 Et quand même, on est en Méditerranée,
06:55 le tragique est très présent, quand même, il est sous un grand soleil.
06:59 Il est inhérent, en fait, à cette vie.
07:01 Et c'est ça, plutôt, la question que je me suis posée, oui.
07:04 - Et au XXIe siècle, quand on a une revue littéraire comme la vôtre,
07:07 qui s'appelle "L'allume-feu", qu'est-ce qu'on veut y défendre ?
07:10 Qu'est-ce qu'on y fait ?
07:11 - D'abord, je pense le travail collectif,
07:13 parce que ça a été monté avec des copains,
07:15 de vouloir aussi explorer, éditer.
07:18 La revue, c'est un espace de tentative, en fait.
07:21 Et donc, de se dire, finalement, voilà, on va créer son propre lieu
07:25 dans lequel on va essayer plein de choses.
07:27 On a voulu défendre aussi la publication de textes très différents,
07:30 pas forcément nouvelles, poésie, mais toute forme d'écriture.
07:32 Et je pense que la revue, c'est en fait la liberté à portée de main.
07:36 - C'est la crique ?
07:37 - C'est complètement la crique, c'est le refuge,
07:39 et en même temps l'ouverture au monde.
07:42 - L'endroit a été complètement exposé au vent, et Nînes adorait ça.
07:46 Il y a quand même Nînes qu'on retrouve et Coco,
07:48 qui sont les deux personnages qui font l'été de leur 18 ans,
07:50 au bord de cette crique.
07:51 Elles trouvaient là-bas tout ce qu'elles attendaient du monde.
07:53 Les grandeurs et toutes ces questions pouvaient enfin se projeter ici,
07:56 dans un amalgame existentiel.
07:58 Elles fréquentaient à la fois Dieu, la mort et la nature,
08:00 et se sentaient comme happées par ces révérences.
08:03 Merci beaucoup, c'était un extrait.
08:05 Des enfants de la criquerie Mibai,
08:07 Le bruit du monde, les éditions qui vous publient.
08:11 A bientôt et bonne route.