• il y a 9 mois
Transcription
00:00 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invité.
00:05 Ce midi, elle est artiste plasticienne.
00:07 Depuis plus de 50 ans, ses œuvres mêlent peinture, photographie, broderie, collage,
00:12 écriture, sculpture, mais surtout assemblage.
00:15 Et c'est peut-être cela sa marque de fabrique, mettre en relation, agencer, fusionner des
00:20 objets du quotidien avec des choses vues, lues ou vécues.
00:24 Une observation du monde qui passe ces dernières années par le dessin.
00:28 Son univers est à découvrir ou redécouvrir jusqu'au 11 mai prochain à la galerie Marianne
00:34 Goodman à Paris dans une exposition intitulée "Laissez aller".
00:38 Bonjour Annette Messager.
00:39 Bonjour.
00:40 Bienvenue dans les Médias de Culture.
00:42 Alors ma première question Annette Messager, c'est bien sûr sur ce titre énigmatique
00:47 de cette exposition.
00:48 Vous me voyez venir, pourquoi "laissez aller" ? Qu'est-ce que vous mettez derrière cette
00:52 expression ?
00:53 Ça veut dire que c'est une sorte de promenade ou de vagabondage.
01:00 Habituellement, je travaille par séries, ce qui est réconfortant parce que pendant
01:11 un an et demi par exemple, je travaillais sur des sleeping bags que j'ai pliés, j'ai
01:17 fait sortir des éléments d'un vers.
01:19 Des sacs de couchage.
01:21 Tandis que là, ça partait un peu dans tous les sens.
01:26 C'est plus angoissant mais voilà, c'est comme ça.
01:30 On découvre effectivement des œuvres qui n'ont pas de rapport particulier entre elles,
01:36 en tout cas qui sont effectivement réalisées depuis quelques années.
01:39 Ce sont des œuvres récentes, certaines qu'on a pu déjà voir quelque part ou certaines
01:43 qui sont exposées de façon inédite.
01:46 Vous jouez sur cette idée un peu d'espièglerie, de ne pas nous expliquer, de ne pas nous donner
01:53 toutes les clés.
01:54 Donc quand vous dites vagabondage, c'est ça, vous nous invitez véritablement à nous
01:58 balader, à nous immerger ainsi dans votre univers.
02:01 Oui, en plus j'aime bien que des éléments s'opposent, comme des petites effigies qui
02:07 sont noires, des petites effigies humaines qui ont été influencées.
02:13 J'avais participé à une exposition au musée du Quai de Branly et le musée était fermé.
02:17 J'ai passé l'après-midi à le visiter.
02:20 C'était formidable.
02:21 Je suis rentrée chez moi et j'ai fait des petits personnages humains un peu influencés
02:27 par cette visite et puis qui après, au fil de leur vie, se sont transformés.
02:33 Mais ces petites effigies comme ça, très hiératiques, sont en opposition aux dessins
02:42 qui sont plus organiques, qui sont plus joyeux, enfin qui sont plus… voilà.
02:48 Je me laisse aller, je ne sais pas trop ce que je vais faire, je ne sais pas trop où
02:52 je vais aller.
02:53 Enfin, je dis ça, mais ce n'est pas tout à fait vrai quand même.
02:56 C'est la première œuvre qu'on découvre parce qu'elle est gigantesque dans cette
03:00 première salle de la galerie Goodman à Paris.
03:04 Effectivement, elle fait 7 mètres de large, si je ne dis pas bêtise.
03:08 Et on a ces petites figurines qui sont d'une taille moyenne, qui sont suspendues avec ces
03:17 dessins qui sont aussi confrontés.
03:20 Justement, on est dans l'idée, tout à l'heure je parlais de marque de fabrique,
03:23 d'assembler les choses, les dessins, les matières, la structure aussi.
03:30 C'est une façon de rentrer dans votre univers, comme je le disais tout à l'heure, cette
03:35 première œuvre qui s'appelle « En même temps ».
03:37 Oui, oui, c'est la plus ancienne, je ne sais pas combien, de l'exposition, mais
03:49 toutes ces choses montrées là n'ont jamais été montrées à Paris.
03:53 Et donc, oui, il y a cette grande chose sur le grand mur de la galerie, et après d'autres
04:02 éléments avec des filets, des dessins recouverts, etc.
04:06 J'aime bien, je n'aime pas la pureté, j'aime au contraire le mélange, presque
04:13 la saleté, souvent recouverts par des filets noirs, qui à la fois ces filets protègent,
04:22 mais enferment aussi.
04:23 Et on retrouve effectivement plusieurs œuvres avec ces filets, et notamment les personnages
04:29 dont vous avez parlé aussi, qui sont assemblés dans d'autres œuvres avec ces filets.
04:33 On va reparler évidemment des œuvres que vous nous proposez de découvrir, Annette
04:37 Messager, mais on va d'abord écouter ses premières archives.
04:39 Je préconise la réhabilitation des génies de café, parce qu'on avait l'habitude
04:46 dans le temps de se moquer énormément des gens qui sont tout le temps en train de discuter
04:50 dans les bistrots de grands projets qu'ils ne peuvent pas réaliser, alors que maintenant
04:56 nous commençons à comprendre dans notre société que tout le monde est un génie
05:00 de café, que pratiquement personne ne peut réaliser toutes les idées qu'il a.
05:07 Nous vivons dans un système un peu clos, un système qui est basé franchement sur la
05:16 prostitution.
05:17 L'autre truc qui en fait partie c'est l'hommage aux ratés.
05:20 Il y a des années que je maintiens que les plus importants dans l'art ce sont les
05:27 ratés, et au moins il y a quelque chose en leur faveur.
05:30 Je ne vais pas développer ce point parce qu'on m'a accusé de plein de choses.
05:34 On me dit que bien sûr, moi je suis un raté, donc j'essaie de me rendre hommage à moi-même,
05:41 mais surtout dans l'idée, dans le contexte, je suis contre l'idée d'admiration, au
05:47 moins personne n'admire les ratés.
05:50 Annette Messager, vous avez peut-être connu l'artiste franco-américain Robert Filliou
05:55 et son humour, puisqu'effectivement il se moque de lui-même, beaucoup d'autodérision,
05:59 mais il y a quelque chose d'intéressant dans ce qu'il nous dit, c'est l'idée
06:02 du raté.
06:03 Et c'est quelque chose que vous avez, votre vision aussi, dans la pratique du dessin notamment,
06:11 quand on est artiste, artiste plasticienne comme vous, on a le droit de rater ?
06:14 De toute manière, on ne sait pas soi-même si c'est raté ou pas.
06:20 C'est pourquoi c'est les autres qui jugent que c'est raté.
06:24 Peut-être que moi j'ai fait un dessin que je trouve très très bien et que les gens
06:29 n'aiment pas du tout.
06:30 Alors qu'est-ce que c'est que le ratage ? Je n'en sais rien moi.
06:34 Vous avez dit tout à l'heure, Annette Messager, que vous-même vous ne saviez pas
06:39 où vous allez quand vous commenciez une œuvre, mais vous avez semblé après hésiter en
06:44 disant j'ai quand même un peu une petite idée.
06:46 C'est quoi cette idée qui vous guide et justement qui pourrait peut-être éclairer
06:52 sur ces ratages ?
06:53 On veut aller vers quelque part et qu'on n'y arrive pas.
06:55 Là, il y a un ratage clairement pour l'artiste.
06:57 Je ne sais pas.
06:59 J'aime bien cette phrase de Cousaille qui est pour moi le plus grand dessinateur au
07:04 monde.
07:05 On lui disait mais pourquoi, comment vous avez pu faire ce dessin extraordinaire en
07:10 30 secondes ? Il avait 70 ans.
07:13 Il dit mais ça fait 70 ans que je prépare.
07:15 En fait, on ne sait pas d'où ça vient, ces choses qu'on a envie de faire, de manque,
07:23 de ratage sans doute ou d'envie d'être autre, d'être différent, de changer de
07:30 nature ce qui n'est pas vraiment possible, mais enfin d'aller ailleurs.
07:35 À chaque fois, j'ai envie de faire un petit peu un pas de côté.
07:38 Donc c'est ça quand vous dites je sais où je veux aller, cette destination n'est
07:43 pas forcément précise mais c'est un ailleurs.
07:45 Oui.
07:46 Mais ce serait quoi un ailleurs pour vous ?
07:47 Je ne sais pas justement s'il est ailleurs et qu'il me porte.
07:52 Mais quand je disais tout à l'heure que cette visite au Quai de Branly m'a amenée
07:59 ailleurs, en même temps j'ai retrouvé énormément de choses que j'aimais ou que
08:04 je pensais avoir en moi, mais en même temps c'était un ailleurs.
08:07 Je crois que c'est ça aussi.
08:08 Par exemple, quand je vais au café, c'est un ailleurs.
08:11 Il y a les gens au bistrot qui racontent leurs histoires, qui lisent le Parisien.
08:15 À la fois on est tous au vide dans le même endroit presque, mais c'est un ailleurs
08:22 et ça apporte beaucoup.
08:23 Il y a tout de même un être messager, vous derrière un dessin.
08:28 Donc quand vous terminez votre dessin, tout à l'heure Robert Filliou disait les ratés
08:35 permettent d'échapper à l'admiration, peut-être sacrée aussi des œuvres qu'on
08:42 peut dessiner par exemple.
08:43 Si il y a quelque chose que vous, vous estimez rater, est-ce que c'est possible ? Et qu'est-ce
08:47 qui se passe à ce moment-là ?
08:48 Je déchire.
08:49 Si vraiment ça ne me plaît pas du tout pour un dessin, je le déchire.
08:55 Ce n'est pas difficile.
08:57 Mais quelquefois j'ai regretté, je me suis dit moi je n'aime pas, mais peut-être
09:02 que… mais non, je n'ai pas regretté, c'est comme ça.
09:05 C'est autre chose.
09:07 Le dessin a pris une place importante dans vos œuvres depuis une dizaine d'années
09:12 en quelque sorte, même si on va y revenir, vous dessinez depuis presque toujours si je
09:16 puis dire.
09:17 Comment vous dessinez ? Qu'est-ce que ça vous permet aujourd'hui de faire le dessin
09:22 puisque vous dessinez de manière… d'un geste rapide, un peu comme tout à l'heure
09:27 vous l'avez expliqué.
09:28 Il faut que ce soit effectivement presque immédiat, instantané.
09:31 Oui, les dessins c'est un peu comme des fantômes, des apparitions comme ça.
09:37 Donc, j'ai le prépare dans ma tête ou bien sur des petits post-it mais pas chez
09:43 moi.
09:44 C'est souvent mieux pas chez moi.
09:45 Ça peut être dans le métro, ça peut être au café où je suis justement plus libre
09:51 que chez moi où plein de choses m'entourent, où je suis accaparée par des livres, tandis
09:58 qu'en dehors, voilà.
10:00 Donc, j'ai des post-it, j'écris un mot, je dessine un truc et puis après je le reprends
10:07 ou je ne le reprends pas ou je le reprends différemment, ça certainement.
10:11 Mais c'est un ailleurs qui me ramène chez moi.
10:14 Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question d'ailleurs parce que j'ai oublié
10:19 la question.
10:20 L'idée c'est au final avec ce dessin-là rapide, avec cette façon de faire effectivement
10:25 où vous préparez.
10:26 Tout à l'heure vous disiez dans l'exposition « j'aime bien le sale ». Moi ce qui m'a
10:29 surpris dans votre exposition à la galerie Goodman c'est par exemple les dessins, ils
10:34 sont punaisés au mur.
10:35 Ils ne sont pas encadrés.
10:36 On voit le papier qui est déchiré, il ne s'est pas bien découpé.
10:40 Il y a quelque chose d'instantané, d'organique, de naturel, comme si l'œuvre d'art était
10:48 presque un objet du quotidien.
10:51 Moi en tous les cas un dessin c'est revenir enfant.
10:56 En plus je suis gauchère contrariée, c'est-à-dire que j'écris de la main droite mais en fait
11:06 je ne dessine que de la main gauche.
11:07 Mais quelquefois je trouve que je deviens habile, je fais une série donc je me sers
11:12 de la main droite qui dessine mal.
11:14 Il faut qu'il reste un truc maladroit, un peu maladroit, un peu pas bien fait, pas
11:21 bien fini.
11:22 Et je trouve que ça ouvre plus l'imaginaire.
11:27 Je disais, vous n'expliquez pas vos dessins, il n'y a pas de discours derrière les œuvres
11:33 que vous faites.
11:34 Vous nous laissez, nous en tant que spectateurs, justement, libres d'imaginer, libres d'interpréter
11:41 ce que vous avez dessiné, ce que vous avez sculpté, assemblé.
11:45 Ce côté un petit peu mal fait, qu'est-ce que ça apporte ? C'est une façon de dire
11:51 aussi aux spectateurs, à celui qui découvre votre œuvre, voilà, je suis comme vous.
11:57 C'est une porte d'ouverture.
11:59 Oui, je vais vous raconter une anecdote très ancienne.
12:05 Mon père avait un ami qui était peintre mais qui ne gagnait pas beaucoup d'argent.
12:10 Il venait l'été à Berc où j'habitais et donc pour lui donner un peu d'argent,
12:15 sans comme ça lui faire la mendicité, il disait vous allez lui donner des cours de
12:21 dessin.
12:22 À vous ? Oui.
12:23 Il disait mais surtout ne lui apprenez rien, ne la déformez pas.
12:28 Donc ce monsieur me mettait des fruits, des fleurs, etc.
12:32 Puis il s'endormait à côté de moi.
12:34 Ne lui apprenez rien.
12:36 Ça veut dire que vous n'avez pas appris à dessiner ?
12:39 Non, je n'ai pas appris à dessiner.
12:42 Je ne sais pas si ça s'apprend d'ailleurs.
12:46 En tous les cas, l'art ne s'apprend pas.
12:48 J'étais prof pendant longtemps au Beaux-Arts.
12:51 Ça ne s'apprend pas d'être…
12:54 Alors qu'est-ce qui se passe ? On est artiste ?
12:56 Ou ça veut dire que tout le monde peut l'être ?
12:58 Si on a envie d'être artiste et si vraiment on pousse ça, on devient artiste, mais il
13:12 n'y a pas besoin d'avoir une culture.
13:15 Je vois écrit France Culture partout derrière moi.
13:18 France Q, France Q.
13:20 Même sur votre micro, il y a France Q.
13:23 Non, je veux dire que si vraiment on a envie de faire quelque chose, on recommence et
13:30 puis ça vient.
13:31 Il y a quand même des techniques à savoir si on veut faire un peu de sculpture, mais
13:37 on l'apprend forcément.
13:38 Mais comment on sait par exemple si on se dit qu'on a envie d'être artiste, que
13:42 ça vaut le coup de l'être ? Que ce qu'on a envie de dire ou peut-être d'exprimer
13:46 ou de créer, c'est important, ça vaut le coup d'être montré ?
13:50 Il y a beaucoup de gens qui se disent qu'ils ont envie de quelque chose, mais qui se disent
13:54 qu'ils ne valent rien en fait, qu'ils n'ont pas les mots.
13:56 D'abord avoir envie de le montrer.
13:58 Avant d'avoir envie de le montrer, il faut le faire.
14:01 Déjà s'ils le font, s'ils essayent de le faire, le montrer c'est encore autre
14:07 chose.
14:08 C'est un autre travail si je puis dire.
14:09 Il faut trouver un endroit pour le montrer, le faire partager, ça c'est encore autre
14:15 chose.
14:16 Et puis il faut qu'il soit aimé d'une certaine manière, validé non ?
14:18 Valider, je ne sais pas.
14:21 Aimer, oui, il faut de la mort partout.
14:23 Annelette, il s'agit dans votre vagabondage dans cette exposition, il y a aussi l'idée
14:31 du vagabondage de l'esprit, de l'observation, de référence à des images qui parlent peut-être
14:38 à tout le monde et que vous réinterprétez, en tout cas dont vous vous emparez.
14:42 Et là je pense par exemple à cette œuvre qui s'appelle Iconique, qui est composée
14:46 de dessins qui rappellent des photographies qu'en décrivant, évidemment, elles vont
14:52 venir à l'esprit quasiment de tout le monde.
14:55 C'est le visage d'Albert Einstein, la silhouette de Charlie Chaplin qui tire la langue, la
15:00 fameuse Marilyn Monroe et sa robe soulevée, la figure de Che Guevara qui a été diffusée
15:07 dans le monde entier par Andy Warhol.
15:10 Ces portraits de notre mémoire collective, comment ils s'insèrent justement dans une
15:17 création, dans quelque chose dont vous voulez vous accaparer, sur lequel vous allez placer
15:25 d'ailleurs ce fameux filet ?
15:26 Oui, je me disais quelles sont pour les gens de ma génération, en tous les cas, les photos,
15:35 les événements qui restent.
15:37 Il y a par exemple cette petite fille vietnamienne qui est brûlée, qui court toute nue.
15:42 Je ne sais pas si pour des gens beaucoup plus jeunes, ça leur parle aujourd'hui, je ne
15:48 sais pas.
15:49 Mais pour moi, c'est aussi iconique que Marilyn Monroe sous une bouche de métro,
15:57 alors que c'est dégoûtant parce que c'est deux images vraiment opposées.
16:02 L'une c'est la souffrance et l'autre c'est au contraire un peu le voyeurisme,
16:05 le sexe.
16:06 Et c'est notre culture, c'est ma culture en même temps.
16:10 Donc je les ai assemblées.
16:12 Il y a Che Guevara aussi qui est une image iconique.
16:15 Mais elles n'ont rien à voir, ces quatre, cinq images n'ont rien à voir entre elles.
16:20 Et je les lis parce qu'elles sont liées par ce filet.
16:25 Ce filet qui a quelle utilité ? Est-ce qu'il y a cette idée d'enfermement ?
16:34 Oui, il est noir.
16:36 C'est un filet qui ressort puisqu'il est installé sur un mur blanc.
16:43 Il y a l'idée d'enfermement, d'emprisonnement, de ne pas pouvoir se détacher de ces événements
16:50 aussi marquants, de ces personnalités marquantes.
16:52 Il y a quelque chose aussi de subir cette mémoire ?
16:57 Oui, notre mémoire, on l'a subie.
16:59 J'ai toutes ces images en tête, vous aussi.
17:02 Et on ne peut pas les retirer.
17:04 On est enfermé avec ça.
17:07 Et donc l'art pour vous, c'est aussi cette idée peut-être d'en faisant cette œuvre,
17:15 de vous en détacher, de passer à autre chose.
17:19 Comment vous voyez cette transmission avec les gens qui viennent voir vos œuvres ?
17:24 Ça, c'est encore autre chose.
17:27 Le public qui regarde les œuvres, il y a du public de tous les âges, de différents
17:33 sexes.
17:34 Je pense qu'on ne regarde pas la même chose.
17:35 Comme a dit Duchamp, c'est le regardeur qui fait l'œuvre.
17:39 Peut-être pas totalement, mais en fait, c'est vrai.
17:42 Peut-être qu'un garçon ou une fille n'est pas intéressé par exactement les mêmes
17:48 choses, les mêmes sujets, les gens d'âge différent.
17:53 Donc, il faut accepter tout ça.
17:55 Moi, je le fais avec ce que je suis, ce que je reste.
17:58 Je ne peux pas me changer.
18:00 C'est comme ça.
18:01 C'est avec ce que j'ai en mémoire et avec ce que j'entends, les événements,
18:07 ce qui se passe autour de moi aujourd'hui.
18:09 Jacques Améthy est peut-être l'artiste qui, le mieux et le plus consciemment, a fait
18:20 sentir que le vide autour d'une œuvre faisait partie de l'œuvre.
18:24 Je vais dire que l'exposition fonctionne sur la distance, ce qu'il voulait être
18:28 la distance, qui est celle probablement psychologique entre les êtres, mais qui est plus profondément
18:37 une vision ou plus exactement le résultat d'une perception.
18:41 Il est convaincu et tout son travail était là puisqu'au fond, son travail est modeste
18:45 dans son énoncé.
18:46 Il a cherché à saisir le réel, ce qui est un énoncé qui avait tellement déconcerté
18:51 et surréaliste qu'il l'avait viré.
18:53 Mais en fait, la distance est aussi de saisir le réel tel qu'on le voit.
19:00 Si je dis ce truisme, ça paraît très élémentaire.
19:04 Mais en général, on saisit le réel tel qu'on le sait, tel qu'on le connaît ou
19:09 éventuellement tel qu'on l'a touché quand il s'agit d'un sculpteur.
19:12 C'était la voix de la conservatrice et historienne de l'art française Suzanne Pagé.
19:16 C'était le 9 décembre 1991 sur France Inter.
19:20 Annette Messager, Suzanne Pagé, vous avez travaillé avec elle notamment puisqu'elle
19:24 vous a exposée à l'époque où elle était au Musée d'art moderne de la ville de Paris.
19:28 Il y a plusieurs choses dans cette archive.
19:30 Il y a évidemment cette confiance que vous avez tissée avec elle.
19:33 Tout à l'heure, on parlait de montrer ses œuvres, de trouver des endroits où les exposer.
19:38 Peut-être la deuxième démarche, en tout cas après la création d'une artiste comme
19:44 vous.
19:45 Cette démarche de s'exposer, de montrer ce qu'on fait, ce qu'on a pensé, ce qu'on
19:51 a réfléchi, c'est une démarche évidente pour vous en tant qu'artiste ou alors c'est
19:56 venu ensuite ?
19:57 Ensuite, je ne sais pas ce que vous voulez dire par ensuite, à quel âge ? Mais comme
20:06 j'ai toujours dessiné, fait des trucs dans ma chambre, je ne pensais pas à des expositions
20:14 en ce moment-là.
20:15 Je dessinais ce qui était autour de moi.
20:18 En fait, c'est mes mains et mes pieds.
20:20 Je ne faisais que dessiner mes mains et mes pieds.
20:23 Je n'ai pas beaucoup changé ma manière de travailler d'ailleurs.
20:29 Mais oui, Suzanne Pagé, je me souviens, elle ne s'en souvient pas, mais ma première
20:33 exposition, elle m'a dit « si tu continues comme ça, je te ferai une exposition tous
20:37 les dix ans ». Moi, je n'ai pas oublié.
20:39 Et en fait, il s'est avéré qu'elle m'a fait une exposition tous les dix ans.
20:44 Donc, elle a tenu sa promesse.
20:45 Oui.
20:46 Elle parle de Giacometti.
20:48 Vous allez nous parler de votre relation avec cet artiste-là.
20:52 Mais Giacometti, elle dit qu'il a cherché à saisir le réel tel qu'on le voit, opposé
20:59 au réel tel qu'on le connaît ou tel qu'on le sait.
21:03 Est-ce que vous êtes d'accord avec cette façon de voir le travail de Giacometti ? Est-ce
21:07 que vous-même, vous l'appliquez ? On a parlé tout à l'heure de l'observation, de votre
21:11 idée de vous imprégner du dehors, de ce qui se passe autour de vous aussi.
21:16 Non, moi, c'est peut-être le dehors.
21:18 Mais lui, c'était le vide, le vide autour des personnes.
21:21 C'est pour ça qu'elles se réduisent de plus en plus.
21:24 Il commence avec la pâte à modeler, puis ça se réduit presque à fil.
21:29 Donc, c'est assez différent.
21:33 Je l'ai croisé, il mangeait à la Coupole.
21:37 Il ne mangeait toujours que des omelettes.
21:39 Ce n'était peut-être pas très bon pour la santé.
21:42 Et puis, il avait son atelier pas loin.
21:45 Il retournait travailler.
21:47 Il buvait beaucoup avec Beckett le soir.
21:52 Ils allaient à la Closerie des Lulas parce que c'était le seul endroit où il y avait
21:56 un whisky irlandais que Beckett adorait.
22:00 Et lui, il prenait le whisky Johnny Walker.
22:07 Donc, ils se disputaient, ils disaient mais c'est très mauvais ce Johnny Walker.
22:11 Mais Johnny Walker, c'est l'homme qui marche.
22:14 C'est l'homme qui marche.
22:15 Effectivement, l'étiquette, c'est l'homme qui marche.
22:17 Alors, on peut se demander si Giacometti a eu cette idée de l'homme qui marche en
22:23 buvant un whisky, en buvant, en étant un peu sous la nuit avec Beckett.
22:29 C'est aussi simple que ça ?
22:31 Peut-être, oui.
22:32 D'inventer, de créer, de trouver une idée.
22:36 C'est pas une théorie pour les critiques d'art.
22:37 Ils aiment pas ça parce qu'il faut que ce soit beaucoup plus idéologique, beaucoup
22:41 plus matérialiste.
22:44 C'est une explication trop simpliste.
22:47 C'est ça que vous voulez dire ?
22:48 Ça veut dire que véritablement, tout ce qui vous entoure, tout à l'heure vous
22:52 nous parliez du café, de votre presque routine quotidienne d'artiste, c'est-à-dire
22:59 vous vous réveillez, vous allez boire un café à l'extérieur et ensuite vous,
23:03 je ne divulgue pas de choses trop personnelles, mais vous retournez chez vous pour travailler.
23:08 Chez vous, c'est votre atelier, votre espace de travail ? C'est comme ça que vous le
23:12 considérez ?
23:13 J'appelle ça mes bases.
23:16 C'est un peu militaire.
23:17 Base 1, base 2 et il y a base 3.
23:20 Base 1, c'est là où j'habite.
23:22 Base 2, c'est un grand espace où je travaille.
23:25 Et base 3, c'est une petite réserve, pas très loin.
23:28 Donc voilà, je circule là et puis je vais au café aussi pour aller dans la rue, parce
23:34 que voir les gens qui marchent, j'observe beaucoup les gens moi dans le métro, comment
23:41 ils parlent entre eux avec leurs doigts.
23:43 Moi je parle aussi beaucoup avec mes mains.
23:45 Les français en général sont pas mal pour ça.
23:49 Donc j'ai besoin de regarder les autres, de voir les autres, de voir les gens et puis
23:53 après un peu un enfermement volontaire.
23:56 Vous avez parlé de Giacometti à l'instant, à NetMessager, notamment sur l'idée de
24:04 ce whisky avec l'homme qui marche.
24:07 Vous avez dit que ça ne doit peut-être pas trop plaire aux critiques d'art parce
24:10 qu'en fait ce n'est pas assez théorique, ce n'est pas assez idéologique.
24:16 Le problème c'est que quand par exemple on vous reçoit, on discute avec vous, on
24:20 a aussi envie presque d'avoir les raisons de pourquoi vous créez, pourquoi vous faites
24:25 telle ou telle chose et c'est presque aussi facile que de regarder dehors et de boire
24:33 un whisky en fait, c'est ça.
24:34 C'est presque impossible de trouver la raison qui vous fait créer en fait.
24:37 Oui, parce que d'abord je ne sais rien faire d'autre.
24:40 Ça c'est une bonne raison déjà.
24:42 C'est une très bonne raison.
24:44 Rien faire d'autre, vous savez quand même faire, puisqu'on en a parlé tout à l'heure,
24:47 mais de la photographie qui a été d'ailleurs…
24:50 Oui, mais ça c'est créer.
24:52 Oui, ça fait partie de la création.
24:53 Je ne sais pas faire la cuisine, je ne sais pas…
24:56 Même pas une petite omelette pour Giacometti ?
24:59 Ah pour Giacometti j'aurais tout fait.
25:02 Un beurre guignon ?
25:03 Il y avait une femme qui s'appelait Annette et sa mère s'appelait Annetta.
25:07 Donc j'ai fait une exposition dans l'Institut Giacometti où je me prends pour la troisième
25:15 Annette de Giacometti, comme si j'avais vécu avec lui.
25:19 C'est qui comme artiste Giacometti pour vous ? Il représentait quoi ? Au-delà de
25:25 l'anecdote, comment vous le considérez ?
25:28 D'abord il arrêtait à un moment parce qu'il était avec les surréalistes et puis ça
25:34 ne l'intéressait plus.
25:35 Plus personne ne s'intéressait à lui.
25:39 Il est resté des années parce que ça marchait bien quand il était surréaliste, il vendait,
25:45 etc.
25:46 Il a tout arrêté pour reprendre des choses figuratives et on lui a reproché beaucoup.
25:54 Mais qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce que ça signifie ? Et il a continué, c'est
25:59 ce qu'il voulait faire et ça c'est formidable.
26:02 Tout à l'heure vous nous disiez que vous ne saviez rien faire d'autre que de créer,
26:06 que d'être artiste.
26:07 Et du coup c'est aussi l'une des questions que l'on se pose quand on découvre une
26:12 artiste, ses œuvres, sur la durée aussi, sur la longueur.
26:17 À quoi ça sert à être messager ? À quoi ça sert de créer ?
26:21 Ça ne sert à rien, c'est ça qui est beau.
26:23 L'art ça ne sert à rien.
26:26 Ce qui ne sert à rien sert à tout si on veut.
26:30 Mais justement ça n'a pas de finalité, ça ne sert à rien.
26:34 Mais quand vous créez dans vos bases, vous vous dites ce que je suis en train de faire
26:39 ne sert à rien, à personne.
26:41 C'est terrible.
26:42 Non, je ne me dis pas ça.
26:44 Ça me sert à moi en tous les cas, ça m'occupe beaucoup, beaucoup mes journées.
26:48 Donc ça, ça sert à remplir mes journées.
26:50 Quelle autre utilité pour vous ? Il y a quelque chose tout de même de réflexif sur qui vous
26:59 êtes, sur ce qui vous a mené jusqu'ici, sur le passé, sur le présent, sur ce qui
27:04 vous entoure.
27:05 Là, vous ne pouvez pas me dire que ça ne sert à rien.
27:06 Il y a quelque chose qui quand même chez vous, j'allais dire soigne, mais ce n'est
27:12 peut-être pas le bon mot, en tout cas, qui vous apporte quelque chose.
27:14 Oui, non, soigner, c'est peut-être un peu fort, mais c'est vrai que si je n'étais
27:19 pas devenue artiste, je pense souvent que j'aurais été une femme épouvantable.
27:23 J'aurais divorcé je ne sais pas combien de fois.
27:27 Alors que là, vous êtes une femme bien.
27:28 Ce n'est pas ce que j'ai dit.
27:31 Là, vous exagérez un peu.
27:32 Mais en tous les cas, je n'ai pas embêté trop de monde dans la vie.
27:41 Mais je ne sais pas parce que ça, c'est même plus que vous me demandiez.
27:45 Qu'est-ce que ça vous apporte, cette création ? Si ça ne sert à rien, si l'art ne sert
27:51 à rien, il y a tout de même un intérêt pour vous au-delà de vous occuper.
27:55 Vous, c'est pareil.
27:56 Est-ce que vous servez à quelque chose ?
27:58 C'est une bonne question.
27:59 Oui.
28:00 Je dois répondre moi aussi ?
28:02 Oui.
28:03 Ah non, non, pas du tout.
28:04 Moi, je pense que je ne sers à rien non plus.
28:07 Vous voyez, on est tous ici, sauf eux, les techniciens qui travaillent, qui font leur
28:13 boulot.
28:14 On ne sert à rien.
28:15 C'est pour ça qu'on est important.
28:16 Parce qu'on est beaucoup plus libre quand on pense qu'on ne sert à rien.
28:19 On peut aller dans tous les chemins divers.
28:22 Moi, je pense qu'on a un peu un tronc chacun.
28:25 Et puis avec des branchages, chacun va…
28:28 Moi, j'ai des branches.
28:30 Là, il y a la photo.
28:32 Là, il y a le dessin.
28:33 Il y a peut-être… Il y a une sorte d'armature qui a un tronc.
28:35 On a tous un tronc avec des chemins divers et qui s'opposent souvent.
28:39 Ils sont contradictoires.
28:42 Vous désirez quelque chose, monsieur ?
28:47 Oui.
28:48 Vous êtes la patronne ?
28:49 Mais oui.
28:50 Est-ce que vous pouvez me dire qui occupe la chambre du second étage sur la façade
28:55 de ce côté ?
28:56 Oh, je crains de ne pouvoir vous donner un renseignement de ce genre-là.
28:59 La discrétion est de règle dans notre établissement, vous savez.
29:03 Et je crois bien que c'est contraire à la loi.
29:06 Bien sûr, aucun de nos clients ne s'en formaliserait, mais…
29:10 Seigneur, est-ce qu'elle aurait fait une bêtise ?
29:14 Veuillez répondre à ma question.
29:15 Je ne peux m'imaginer qu'avec une fille aussi…
29:18 Je vous prie de me dire son nom.
29:20 Valdez, mademoiselle Valdez.
29:22 C'est une Espagnole.
29:23 Carlota Valdez ?
29:24 Oui, c'est ça.
29:25 C'est un bien joli nom et qui lui va à merveille.
29:29 Depuis quand loue-t-elle cette chambre ?
29:30 Oh, ça peut faire deux semaines.
29:32 Elle doit régler sa note demain.
29:34 Est-ce qu'elle y passe la nuit quelquefois ?
29:36 Non, elle ne vient que dans la journée, seulement deux ou trois fois par semaine.
29:39 Vous savez, je ne pose pas de questions, surtout aux gens qui s'y aiment bien.
29:43 Mais j'avoue que je me suis déjà demandé…
29:45 Ne lui parlez pas de ma visite quand elle redescendra, je vous prie.
29:47 Oh, mais elle n'est pas venue aujourd'hui.
29:49 Ah, alors autant.
29:50 Je viens de la voir rentrer dans l'hôtel il y a à peine cinq minutes.
29:52 Vous vous trompez, elle n'est pas venue de la journée.
29:54 Je l'aurais forcément vue.
29:56 Je n'ai pas bougé d'ici.
29:57 J'étais occupée à mettre de l'huile d'olive sur mes plantes vertes.
30:00 Un extrait de Sueur froide d'Alfred Hitchcock, c'était en 1959.
30:05 Alfred Hitchcock, il vous a inspiré à une certaine époque à Nettmessager dans votre
30:13 façon de travailler, de fragmenter.
30:16 Surtout dans le cinéma, il y a des gros plans.
30:19 Ça, c'était une découverte pour moi.
30:23 Je travaillais à Rue Dulme, à l'école des arts décoratifs, mais il y avait aussi
30:27 la Cinémathèque à l'époque, c'était dans la même rue.
30:30 Je n'allais pas beaucoup à l'école des arts déco, mais j'étais tout le temps
30:34 au cinéma.
30:35 Je me souviens, Warhol m'avait dit que c'était un artiste très important.
30:39 Il y avait le film L'homme qui dort, qui ne bouge pas pendant quatre heures.
30:44 Je suis restée là, je me suis dit, il va se passer quelque chose.
30:47 Non, il ne s'est rien passé.
30:50 C'était la durée, le temps qui comptait.
30:53 Mais le cinéma, c'est très important pour moi.
30:58 Ça a permis quoi ? Ça vous a permis de travailler la photographie ?
31:03 Oui, ça a des rapports avec la photographie, avec les fragments de corps, avec les gros
31:11 plans de corps, le noir et blanc.
31:14 Oui, c'est très important.
31:16 Ça permet quoi de fragmenter, de découper un corps ?
31:18 Par exemple, on retrouve dans l'exposition, notamment à Paris, ces fameuses mains.
31:23 On retrouve beaucoup de parties du corps dans vos œuvres.
31:28 Ça rappelle quoi en vous ?
31:29 C'est une sorte de géographie amoureuse pour moi, de fragments amoureux.
31:35 Par exemple, on ne dit pas j'ai mal à mon corps, on dit j'ai mal au ventre, j'ai mal
31:41 aux dents, etc.
31:42 C'est toujours par fragments, on fragmente son corps.
31:45 Comment est-ce qu'aujourd'hui, vous regardez en arrière ? Je ne sais pas si vous considérez
31:54 que vous avez une carrière d'artiste, si vous parlez de travail.
31:59 On a dit tout à l'heure que c'était plutôt quelque chose de très quotidien,
32:03 que vous ne saviez faire que cela.
32:04 Comment est-ce que vous revenez en arrière et vous regardez dans les années 70 une femme,
32:10 une femme artiste qui s'impose dans des milieux aussi qui sont très masculins ?
32:15 Aujourd'hui, vous vous dites que pour une femme, c'est plus facile de devenir artiste
32:19 qu'il y a quelques années en arrière ?
32:20 Je pense que oui, quand même, les choses s'arrangent parce que dans les années 70,
32:27 c'était assez difficile.
32:30 Le nombre de fois où j'ai entendu mais la création d'une femme, c'est la maternité,
32:35 etc.
32:36 J'entendais ça.
32:37 On posait la question alors qu'on ne pose jamais ça à des mecs.
32:41 Est-ce que vous voulez avoir des enfants ? Un homme, on ne lui demande pas ça.
32:46 C'est un peu opprimant.
32:48 C'est pourquoi je me suis donnée.
32:51 En plus, j'aimais bien et j'aime toujours passer de matériaux différents, d'une broderie,
32:57 un dessin, une photographie.
33:00 Quand j'ai commencé, on me disait qu'il faut faire toujours la même chose pour qu'on
33:05 te reconnaisse.
33:06 Alors toi, tu utilises plein de matériaux différents, ça ne marchera jamais pour toi.
33:11 Je me suis donnée des appellations différentes, un être messager collectionneuse, un être
33:17 messager truqueuse, un être messager femme pratique, un être messager artiste, etc.
33:23 pour, non pas justifier, mais disons que j'avais envie de différentes identités, que ces
33:31 identités parfois se mélangent.
33:33 Aujourd'hui, elles se sont réunies.
33:36 Il y a quelque chose qui me questionne depuis tout à l'heure.
33:39 Un être messager, c'est que vous avez parlé de cette anecdote quand vous étiez petite
33:42 avec cette amie qui était peintre et votre père lui a dit ne lui apprenez rien.
33:51 Vous avez parlé des arts déco en disant que vous n'y étiez jamais.
33:55 Vous avez été quand même professeure aux beaux-arts.
33:59 Qu'est-ce que vous leur disiez à vos élèves ?
34:02 Parfois, c'est difficile.
34:04 Je regardais leur travail.
34:07 Il fallait discuter par rapport à ce qu'ils font.
34:10 Qu'est-ce que vous leur disiez à ce moment-là ?
34:12 Ça apprend à parler d'ailleurs parce qu'il faut trouver des choses à dire.
34:16 Ça apprend.
34:18 On trouve, on essaye de faire parler.
34:23 Ce n'est pas vraiment quand ils sont jeunes, ce n'est pas vraiment ce qu'ils montrent.
34:27 Mais la curiosité qu'ils ont, l'intérêt qu'ils ont, c'est ça qui est important.
34:32 Ce n'est toujours pas très bien ce qu'ils font.
34:34 C'est très, très rare.
34:37 Sauf justement ceux qui ne vont pas.
34:39 Vous me parliez de cette anecdote avec mon père.
34:42 Les gens d'arts bruts font des choses formidables,
34:46 mais ils n'ont pas besoin, surtout pas, d'aller dans une école où ils n'apprendraient rien.
34:51 Les gens qui sont un peu comme ça, des outsiders,
34:55 eux, ils n'ont pas besoin de quoi que ce soit.
34:58 Une femme comme Aloïse, elle a toujours dessiné,
35:01 elle a toujours fait des choses extraordinaires.
35:05 Donc là, si aux plus jeunes qui voudraient se lancer dans l'art,
35:10 on en a parlé aussi au début, vous leur dites aussi, n'apprenez rien, n'allez pas au Beaux-Arts.
35:15 Non, je ne leur dis pas, n'allez pas au Beaux-Arts,
35:17 parce qu'au contraire, c'est un lieu de rencontre de gens du même âge.
35:21 Donc ça, c'est important, qu'ils se voient, qu'ils aillent au cinéma ensemble,
35:25 qu'ils baissent ensemble ou pas, mais qu'ils discutent ensemble.
35:29 C'est ça qui est important.
35:31 Donc c'est moins les profs qui sont importants ?
35:32 C'est beaucoup moins les profs.
35:33 En fait, il faudrait des écoles sans professeurs.
35:35 Oui.
35:36 Merci beaucoup Annette Messager d'être venue dans les Midi de culture,
35:40 nous parler de vos œuvres et notamment de cette exposition "Laissez aller".
35:46 C'est à la Galerie Marianne Goodman à Paris jusqu'au 11 mai prochain.
35:50 Et vous allez partir, c'est cet été que vous partez exposer en Chine, c'est ça ?
35:54 Oui, à Shanghai.
35:55 Qu'est-ce que vous allez leur montrer ?
35:57 Vous savez déjà ce que vous avez déjà en tête, ce que vous allez montrer ou pas encore ?
36:01 Vous savez, il y a une censure en plus là-bas.
36:04 Donc tout est contrôlé, le moindre dessin, le moindre...
36:08 Si il y a un utérus, je ne sais pas si c'est bien.
36:11 Tout est contrôlé.
36:13 Donc oui, oui, oui, c'est compliqué.
36:15 Vous savez, c'est une grosse...
36:17 C'est très grand le lieu, donc c'est une rétrospective.
36:20 J'en fais pas mal à l'étranger.
36:22 Vous ne pourrez pas vous laisser aller dans le choix de vos œuvres ?
36:25 Pas tout à fait.
36:26 Pour finir, Annette Messager, nous avons choisi deux chansons.
36:29 L'une sur les peluches que vous avez intégrées à certaines de vos œuvres,
36:32 l'autre sur la photo, qui font une des branches de votre arbre.
36:36 Laquelle souhaitez-vous écouter des deux chansons ?
36:39 Donc soit peluche, soit photo.
36:40 Mais c'est qui ces chansons ?
36:42 Vous allez le deviner ou le découvrir en les écoutant.
36:45 Peluche ou ?
36:46 Photo.
36:47 Peluche.
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37:53 Que de le toy des Monkeys pour terminer cette émission.
37:58 Merci beaucoup Annette Messager d'être venue dans cette émission préparée par Ice, Ice, Wine, Doy, Anaïs Hilsbert, Cyril Marchand, Zora Vignet, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
38:07 C'est Louise André qui réalise cette émission et la prise de son ce midi, Noé Chaban.
38:12 Merci Géraldine, à demain.
38:13 Merci Nicolas, à demain.

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