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Art et designTranscription
00:00 * Extrait de « T'es un homme de 20 ans » de Sarah Bernhard *
00:17 Bonjour à tous.
00:18 Disparue il y a 100 ans, Sarah Bernhard fut sans doute la plus grande idole du théâtre
00:22 au monde, bien au-delà des frontières de l'Hexagone.
00:24 Elle a joué Jeanne d'Arc, s'est métamorphosée en Salomé de Scarwild ou en jeune homme de
00:28 20 ans dans l'aiglon de Ronstrauss-Tan.
00:30 Après Jeanne Harlot, premier sex-symbole du cinéma, inspiratrice de Marilyn Monroe,
00:36 racontée dans Platine en 2018, l'écrivaine Régine de Tembelle a choisi de consacrer
00:40 un livre, un roman à Sarah Bernhard, première grande star, influenceuse avant l'heure,
00:45 qui a utilisé son image pour promouvoir ses spectacles, comme nous le rappelle l'exposition
00:49 pensée par notre deuxième invitée, la directrice du Petit Palais, commissaire d'exposition
00:54 Annie Clemoine.
00:55 Et la femme créée à la star est à voir jusqu'au 25 août à Paris, Sarah quand
00:59 même vient de sortir chez Actes Sud.
01:01 * Extrait *
01:04 Une émission programmée par le Radio THP Rez avec Corine Amard, Anouk Delphineau et
01:08 Sacha Matéi, préparée par Didier Pinault, réalisée par Félicie Fauger avec Grégory
01:13 Wallon à la technique.
01:15 Régine de Tembelle est écrivaine, elle est l'autrice de Sarah quand même.
01:19 Bonjour à vous.
01:20 * Extrait *
01:22 Bonjour, vous êtes en duplex avec nous et merci beaucoup à nos camarades de France
01:26 Bleu, héros, à la fois pour leur accueil mais aussi pour permettre cette discussion,
01:31 cette conversation avec notre deuxième invitée, Annie Clemoine.
01:33 Bonjour.
01:34 Vous êtes directrice du Petit Palais, commissaire de l'exposition et la femme créée à la
01:38 star.
01:39 C'est pas dur cette fois, elle s'est créée elle-même et on va en reparler.
01:42 Cette exposition qui ouvrira ses portes après-demain à Paris, au Petit Palais, merci d'avoir
01:47 accepté de nous en parler un peu avant l'heure et on a hâte de la découvrir.
01:51 * Extrait *
01:52 Et maintenant une minute extraordinaire qui se prépare.
01:55 Mlle Jeanne de Ries prend avec des précautions infinies un vieux cylindre de phonographe.
01:59 L'un des premiers qui existèrent jamais et qui semble prêt à s'effriter en poussière.
02:04 Et c'est la voix de Sarah Bernard qui surgit.
02:07 Immatériel et pourtant reconnaissable par l'intonation.
02:10 Bouleversés, les assistants écoutent, comme nous, cette résurrection d'un fantôme,
02:16 cette résurrection de la voix chère qui s'était tue, Sarah Bernard, Sarah Bernard.
02:21 * Extrait *
02:22 Je t'embrasse dans un rêve, mon chanteur de parfois, tu m'emmènes de ton lèvre,
02:27 l'oiseau chante dans les bois, je suis ton maître et ta proie, par contre la salue,
02:33 mon cheval sera la voix, ton cheval sera l'amour, nous ferons toucher l'orcelle,
02:39 que les voyages nous font s'aimer, nous donnerons à ces bêtes une avoise de baiser,
02:44 le mien au bout de mon sang, frappe du pied de tous les deux,
02:48 le mien au fond de mes sanges et le tien au fond des yeux,
02:52 un bagage est nécessaire, nous emporterons nos voeux, nos bonheurs, notre misère,
02:58 et la fleur de ses cheveux, bien le soir, vous n'y l'échelle, moi l'aurithe moqueur,
03:04 un chant, le bruit des chaînes, toute ma mise au cœur,
03:08 ce ne sera pas ma faute si les forêts de l'aimant nous voyons faute à faute,
03:13 ne murmure pas d'aimant. *
03:16 *Sarah Bernard lisant le poème, vous l'avez reconnu, Régine de Tembelle, de Victor Hugo,
03:25 un peu de musique, restez avec nous, on va ouvrir tous les micros, c'était en 1903.
03:31 Elle est décédée à 79 ans, Sarah Bernard, en 1903, en 1923, donc 20 ans après avoir
03:39 récité ce poème, c'est une icône en son temps, mais que reste-t-il de Sarah Bernard
03:45 20 ans après Annie Clemoine ? *
03:47 *Il reste énormément de choses, nous avons pu réunir pour l'exposition plus de 400
03:52 œuvres, objets, à la fois les costumes de scène extraordinaires, vous avez ces mules
03:59 conservés précieusement par un collectionneur privé, il reste des photographies fabuleuses
04:04 de Nadar, des tableaux extraordinaires, la portraiture en star de ses amis proches et
04:11 artistes, Georges Clérin, Louisa Béma, il y a Mucha et ses affiches, il y a le cinéma,
04:18 il y a sa voix d'or que vous avez fait écouter et que vous pourrez retrouver aussi au Petit
04:22 Palais.
04:23 *Oui, mais alors ça c'est toutes les traces qui restent d'elle, les traces de l'époque,
04:27 mais au-delà.
04:28 Il reste aussi beaucoup d'a priori, de préjugés sur elle, cette aura un peu sulfureuse qu'elle
04:35 avait et elle n'y était pas pour rien, et elle n'était probablement pas fausse non
04:39 plus cette aura-là.
04:40 Mais vous, en montant cette exposition, qu'est-ce que vous avez redécouvert d'elle ?*
04:44 On a découvert énormément de choses.
04:47 Sarah Bernhardt, c'est un océan, c'est un puits sans fin, c'est vertigineux, c'est
04:53 passionnant, c'est extraordinaire.
04:55 *Des choses qui contredisent ce que vous vous imaginiez d'elle avant de monter cette expo ?*
04:59 Alors déjà c'est l'artiste aussi, c'est ce qu'on souhaitait mettre en valeur et j'ai
05:03 découvert une artiste plus intéressante avec à la fois une activité plus académique
05:10 et elle sculpte des portraits, des portraits de ses amis proches et notamment ce portrait
05:15 funéraire extraordinaire d'émotion qui est celui de son seul mari, le très beau
05:21 grec Damala.
05:22 Et puis ses algues, ses algues qui inspirent la fin de sa vie lorsqu'elle est à Belle
05:27 Isle et elle ramasse sur les rivages des algues pour ensuite les mouler en plâtre et les
05:34 fondre en bronze en travaillant la patine.
05:36 Et j'étais extrêmement surprise de la modernité, de l'aspect extrêmement contemporain de ses
05:43 inventions à la toute fin de sa vie.
05:45 On a aussi voulu montrer dans l'exposition effectivement tous ses visages, toutes ses
05:50 activités et on commence avec l'évocation de ses activités parallèlement à celles
05:56 d'actrices de demi-mondaines et vous pourrez voir ce grand registre de la préfecture
06:02 de police qui enregistre toutes les courtisanes de la fin du 19e siècle et nous avons ouvert
06:08 le registre à la page Sarah Bernard.
06:10 - Courtisane, elle était.
06:12 - Elle était aussi, elle a dû.
06:14 - Dans le regard de la police en tout cas.
06:16 - Exactement.
06:17 - Sarah Bernard c'est d'abord Régine de Tembelle un tempérament, une volonté de
06:22 faire, tout entier contenu dans sa devise, écrite sur son coup de papier "quand même"
06:28 d'où ce titre "Sarah quand même" que vous donnez à votre roman.
06:30 Mais quand même quoi Régine de Tembelle ?
06:33 - Quand même, je réussirai quand même, j'irai quand même, je surmonterai tout quand même.
06:40 Et moi c'est ce qui m'a intéressée dans ce personnage, pour moi assez extraordinaire
06:47 à cause de son énergie.
06:49 C'est quelqu'un quand même qui crache le feu en permanence.
06:52 Et ce qui m'intéressait c'est particulièrement les 20 dernières années de la vie de Sarah
06:59 quand la maladie, quand le vieillissement et puis à la toute fin quand l'amputation
07:05 s'installe dans cette carrière-là.
07:08 Mais je voudrais dire, tout à l'heure, quand même revenir sur ce document d'archive que
07:15 vous nous avez fait entendre et qui est une splendeur, que je ne connaissais pas parce
07:21 que j'ai quand même écouté beaucoup de choses de Sarah pour travailler notamment
07:26 sur le peu qui nous reste, sur ce qu'elle-même appelait l'os de sa voix.
07:32 On n'a plus la chair de la voix, on n'a pas le grain de la voix.
07:35 Et il y a des gens qui s'étonnent et qui se disent "ah mais c'est ça Sarah Bernard".
07:39 Donc je voudrais quand même qu'on remette de la chair autour de l'arrêt de cette voix
07:47 pour parler de son souffle et puis surtout de moi ce qui m'intéressait, son énergie.
07:51 Oui son énergie qui tenait justement aussi à ce tempérament.
07:56 Ce que vous montrez bien aussi dans l'exposition Annie Clemoine "Et la femme créa la star".
08:01 Tout est dans ce titre.
08:02 Avec sa personnalité, elle a réellement forgé elle-même consciemment volontairement
08:07 son statut d'icône.
08:08 Elle l'a voulu et elle l'a eu.
08:10 Et tout tient aussi dans ces mots peut-être d'Edmond Rostand.
08:12 Quelle façon elle a d'être légendaire et moderne ? Quelle était sa façon à elle,
08:18 sa façon de faire Annie Clemoine ?
08:20 Il y avait mille et une façons.
08:22 D'abord c'est une personnalité comme on l'a dit, pleine d'énergie, exubérante,
08:28 extravagante.
08:29 Elle aime le scandale, elle en joue, elle l'alimente.
08:32 Elle va arriver avec des parures extraordinaires.
08:37 Elle attache une attention folle à ses costumes de scène comme de ville.
08:42 Elle aime choquer, surprendre.
08:46 Elle va arborer des chapeaux en forme de chauve-souris.
08:49 Elle va laisser courir la rumeur qu'elle apprend ses rôles dans son cercueil.
08:55 Et pour aller plus loin, elle va inviter le photographe Léandri à la photographier en
09:01 jouant une mise en scène mortuaire dans ce cercueil capitonné de satins blancs, en tenue
09:08 blanche, les mains croisées sur la poitrine et entourées de fleurs.
09:13 Et puis Sarah Bernard, rien ne l'arrête comme on l'a dit.
09:18 La star, c'est aussi l'actrice qui part en tournée dans les cinq continents avec
09:25 ses sans-chaussures, ses mâles dont on fait l'inventaire pendant trois jours quand
09:31 elle arrive à New York.
09:32 C'est aussi l'extravagante qui aime les animaux féroces.
09:37 Elle a un alligator, un lionceau.
09:40 Vous pourrez découvrir au petit palais l'intimité de Sarah Bernard, notamment les coupes de
09:45 champagne dans lesquelles Sarah Bernard a trempé ses lèvres, mais peut-être aussi
09:49 Ali Gaga, son alligator.
09:51 - Ah, empaillé.
09:52 Il est là ?
09:53 - L'alligator non, les coupes de champagne oui.
09:56 - Oui, d'accord.
09:57 On va écouter ce que nous en dit aussi Pauline Benda.
10:00 Dite Madame Simone, qui était comédienne et femme de lettres.
10:03 On l'écoute parlant de Sarah Bernard et de sa beauté si particulière.
10:07 - Elle n'était pas du tout une beauté.
10:09 Vous avez dû voir peut-être des portraits d'elle, mais elle était un être d'une singularité
10:15 exceptionnelle.
10:16 Elle avait un visage qui était un visage assez oriental, des yeux obliques.
10:21 Non pas du tout comme on peut l'imaginer quand on dit des yeux magnifiques, de grands yeux
10:26 bordés de cils de stars.
10:27 Au contraire, un œil assez peu fendu, un œil bleu, tacheté d'or, qui rappelait l'éclat
10:34 de certaines profondes pierres précieuses.
10:37 Elle avait le nez fort, une grande bouche de magnifiques dents, une toison, non pas
10:41 des cheveux, mais une toison bouclée absolument magnifique qu'elle avait fait couper d'ailleurs
10:46 pour les gnomes.
10:47 Je crois qu'elle est bien la première femme qui a coupé ses cheveux.
10:48 Elle avait un comportement d'une grâce et d'une affabilité qui expliquent seules une
10:54 indifférence quasi monstrueuse et l'envie de séduire.
10:58 En effet, elle était possédée de l'un et l'autre besoin.
11:01 Une indifférence quasi monstrueuse nous dit Madame Simonne.
11:05 Un monstre sacré disait d'elle Cocteau.
11:08 Régine de Tembelle, d'où vient cette référence au monstre ? C'est cet appétit de reconnaissance
11:14 qu'elle avait, insatiable ?
11:15 Alors effectivement, elle était quand même perçue comme ce fameux monstre sacré.
11:21 Et moi, c'est ce qui m'a intéressée puisque je voulais écrire sur elle absolument.
11:27 Parce que moi, je l'avais déjà rencontrée en travaillant sur Colette il y a une trentaine
11:30 d'années.
11:31 Et puis, je voulais absolument écrire sur Sarah Bernard.
11:33 Mais je me disais, comment faire pour ne pas écrire une énième hagiographie admirative
11:40 de Sarah, etc.
11:41 Et c'est là que j'ai pensé à faire parler une de ses ex dont j'avais vu quelques lignes
11:46 sur une certaine Suzanne.
11:48 Et je me suis dit, c'est une manière de faire l'effraction de la contradiction, l'arrivée
11:55 de la partialité absolue dans ce récit.
11:59 Puisque c'est l'ex, c'est Suzanne qui va raconter ce qu'elle a vécu auprès de Sarah
12:06 Bernard.
12:07 Suzanne qui l'a fidèlement suivie, dites-vous d'un masochisme exemplaire tel que vous la
12:13 présentez, cette Suzanne, votre narratrice.
12:16 Et ça nous représente bien les relations d'emprise que pouvaient exercer ces premières
12:23 stars, ces premiers monstres sacrés.
12:25 Si je puis ajouter encore juste une chose, c'est à cette époque-là que les fans commencent
12:32 à arriver et Sarah Bernard raconte dans ses mémoires qu'on essaie de lui couper une
12:38 mèche de cheveux, qu'on lui arrache des parties de ses vêtements, etc.
12:42 Et c'est quand même le début de ce comportement du public qui lui aussi est un monstre sacré.
12:47 On n'est pas monstre tout seul, on est monstre dans un couple polaire, polarisé.
12:53 Donc le public est monstrueux, la star est monstrueuse.
12:57 On va revenir sur les critiques ou les rivalités, mais on peut aussi évoquer comme vous dans
13:01 votre roman "Régine de Tembelle" les haines qu'elle a dû subir aussi, propres à l'époque
13:07 qu'elle était réellement la cible.
13:08 Racontez-vous des antidréfusards.
13:11 C'est quand même la France antisémite, la France de la fin du XIXe siècle.
13:17 Et effectivement on trouve des archives atroces, des caricatures effroyables dont bien sûr
13:29 j'ai parlé.
13:30 Mais il y a aussi contre elle des pamphlets assez terribles, notamment écrits par une
13:35 certaine Marie Colombier qui a été une comédienne avec laquelle elle avait travaillé dans ses
13:40 jeunes années et qui a aussi dispensé toutes les injures les plus effroyables et fait courir
13:49 les rumeurs les plus affreuses.
13:50 Donc parler de Sarah Bernard ce n'est pas facile parce qu'on n'a pas vraiment de…
13:55 Je ne sais pas ce qu'en pense Annick Lemoyne en historienne, mais le sol est assez fragile
14:02 le terreau.
14:03 Et effectivement je voudrais justement préciser qu'au Petit Palais dans l'exposition Sarah
14:09 Bernard et la femme créateur de la star, vous pourrez voir notamment l'ouvrage de
14:13 Marie Colombier et toute une sélection, riche sélection de caricatures sur Sarah Bernard
14:21 parce qu'effectivement "Monstres sacrés" amène aussi critique ou rigolote, ironique
14:28 ou voire extrêmement cruelle.
14:30 On critique et on se joue à la face à Swillouette, Gracille et vous pourrez découvrir une assiette
14:38 qui se moque de Sarah Bernard et la représente tel un salsifi.
14:43 Mais on a aussi effectivement l'ouvrage de Marie Colombier.
14:46 Et alors aborder Sarah Bernard, que ce soit dans un ouvrage ou une exposition, effectivement
14:51 c'est un défi.
14:53 On a tenté de l'adompter pour faire cette exposition et quand même.
14:58 Et le foisonnement que propose l'exposition est à l'image des mille et un visages de
15:05 Sarah Bernard, de toutes ces activités dont on a voulu rendre compte.
15:08 Et on évoque aussi cette citoyenne engagée qui prend la défense de Dreyfus auprès de
15:13 Zola qui aussi va avec une jambe en moins et sur une chaise porteuse et des photographies
15:20 le montrent dans l'exposition.
15:22 Elle va remonter le moral des troupes pendant la guerre de 14-18.
15:27 Elle va jouer au théâtre aux armées pour les poilus.
15:30 Elle a plus de 70 ans.
15:33 Elle avait aussi ses admirateurs, elle avait aussi ses idoles, elle avait ses amants qui
15:36 parlaient peut-être d'elle autrement.
15:38 Et puis elle avait toutes ces représentations d'elle qui la montraient divine, incroyable,
15:45 presque inhumaine avec sa chevelure de torche et de feu d'artifice comme vous le racontez
15:49 bien Régine de Tembelle.
15:51 Elle était présentée sous toutes ces facettes là encore.
15:55 Il reste quand même des artistes qu'il faut nommer qui ont contribué à créer le mythe
16:01 avec elle, de Nadar à Mucha.
16:03 Mais vous montrez aussi bien dans votre roman que jamais elle n'a été leur chose.
16:08 Et peut-être on peut en revenir aux mots de son grand admirateur, Rénaldo Hahn, qui
16:13 a écrit dans son journal, qui vient d'être publié chez Gallimard, que chez Nadar, elle
16:17 était dans son studio, elle était insupportable.
16:20 Qu'elle ne démordait pas d'une pose qu'elle aimait, qu'elle voulait.
16:23 Elle était vraiment décidée et c'est elle qui choisissait quelle était la photo qui
16:29 allait suivre.
16:30 Et si ça ne lui plaisait pas, elle faisait détruire immédiatement les clichés qu'elle
16:35 arborait.
16:36 Un jour elle aurait même dit à Nadar "Pourquoi me faites-vous toujours laide et noire ? J'ai
16:40 l'air de tessandier."
16:41 Régine de Tembelle.
16:42 Oui, alors elle grattait les plaques photographiques, elle les brisait.
16:47 On peut lire des choses incroyables sur la manière de se comporter.
16:53 Et moi je me suis intéressée justement à cette violence constante, violence sur son
16:59 image, vie de violence finalement sur elle-même.
17:03 Parce qu'une star, c'est d'abord une sportive de haut niveau, il ne faut pas oublier.
17:07 Une comédienne de cette dimension-là, c'est un entraînement constant, dont on ne parlait
17:14 pas à l'époque.
17:15 On parle du corps à l'entraînement, du corps sportif.
17:20 Mais c'est quand même quelqu'un qui se jette à genoux pour jouer Jeanne d'Arc et
17:26 qui se jette à genoux je ne sais combien de fois par scène.
17:31 Alors Tosca c'est pire, parce qu'on dit que parfois les machinistes oublient de mettre
17:37 le matelas et donc elles se jettent du haut du château Saint-Ange et elles se fracassent
17:41 à chaque fois.
17:42 Et du coup le point de nuit de Sarah Bernhardt, ça va venir du genou.
17:49 Alors on saura après que c'est une tuberculose osseuse.
17:52 Mais pardon de parler de ce moment, de cette amputation, mais pour moi c'est l'essentiel.
17:58 Et les caricatures de la femme amputée, les moqueries sur la femme amputée.
18:03 Vous avez parlé tout à l'heure, Olivia Gèsbert, de sa chaise à porteur.
18:07 Non pardon, c'est Annick Lemoine.
18:08 Vous avez parlé de la chaise à porteur.
18:10 On l'appelle quand même la mère Lachaise.
18:13 Vous voyez, c'est-à-dire qu'après avoir tant joué et bénéficié de son image, on
18:17 se serait toutes carapatées pour moins que ça.
18:20 Ce qui est fou dans cette amputation qui arrive au retour, en tout cas le genou qui gonfle
18:26 au retour d'un voyage aux Etats-Unis en 1911.
18:29 Je crois qu'elle sera amputée quatre ans plus tard en 1915.
18:32 Le 22 février 1915.
18:34 Quand ça intervient, elle se bat et elle l'assume et elle en fait quelque chose.
18:39 Elle va continuer et rien ne l'arrête quand même.
18:41 Elle va jouer au cinéma, debout, en se tenant à une table.
18:46 Rien ne va l'arrêter.
18:49 Elle ne cessera d'être active, d'être sur scène, d'être une star, même avec une jambe
18:56 en moins, un poumon en moins, un rein en moins.
18:58 Quand même, il n'y a aucune frontière et interdit pour Sarah Bernhardt.
19:05 Une femme sans frontières avant l'heure.
19:08 Suzanne, votre narratrice, Régine de Tembelle dit que le succès de Sarah doit être dans
19:12 l'impossible fixation de son image, malgré les photographies et les enregistrements et
19:17 les images sur la pellicule, dit-elle.
19:19 Ce qui la rend folle.
19:21 Mais c'est vrai qu'il nous reste peu d'enregistrements.
19:24 Il nous reste des tableaux, des publicités, des photos, dont celle de Nadar qu'on évoquait.
19:28 Le film aussi de Sacha Guitry dont vous parliez, Régine de Tembelle, qu'il a fait d'elle
19:32 quand elle était à Bely-l'Homer dans sa maison.
19:34 Sa maison fétiche, dont elle s'est d'ailleurs un jour débarrassée comme d'une vieille
19:38 guimbarde, écrivez-vous.
19:40 Son image, ce qui était particulier, c'est qu'elle la monnayait pour des biscuits, du
19:44 champagne et même un fer à friser.
19:47 Ce que l'exposition raconte bien aussi.
19:49 Cette marchandisation avant l'heure de son image lui a été reprochée par des critiques,
19:55 mais surtout elle faisait des envieux, Régine de Tembelle.
19:57 Et des jalouses.
19:58 Oui, ça c'est sûr.
20:00 Alors effectivement, cette marchandisation de l'image, mais comme l'a dit Annick Lemoine
20:06 tout à l'heure, Sarah Bernhardt est la première star internationale, une des premières stars
20:10 internationales.
20:11 C'est le début, puisque maintenant on peut aller d'un continent à l'autre, les paquebots
20:14 sont rapides.
20:15 Et donc ça va de paire avec le désir de laisser des petits morceaux de soi.
20:23 C'est d'ailleurs ce que le public a décidé lui-même.
20:27 En découpant, je vous ai dit, il cherchait les mèches de cheveux, il cherchait à déchirer
20:31 la robe de Sarah Bernhardt.
20:32 Mais il suffit de lui donner ces petits morceaux que sont les cartes postales, que sont les
20:39 boutons dorés à l'effigie de l'aiglon, etc.
20:43 C'est exactement dépecer la star.
20:46 Et ce sont ces petits morceaux-là qui m'intéressent, moi, puisque ça fait partie aussi de la vie
20:51 violente, presque guerrière de Sarah Bernhardt.
20:55 D'ailleurs, je voudrais préciser que cette amputation en 1915, pour Sarah Bernhardt,
21:00 c'est extrêmement important.
21:02 C'est une manière de blessure de guerre, parce qu'elle sait très bien que sur le
21:06 front, des gosses sont amputés quasi à vif, à l'arrière, à peine, non, sur le front,
21:14 même pas à l'arrière.
21:15 Et moi, j'aimerais, je ne sais pas si ça va être dans l'expo, mais j'aimerais attirer
21:20 l'attention du public sur la correspondance de Sarah Bernhardt et tout particulièrement
21:28 sur la lettre que moi je reproduis, enfin la retouchant à peine, que je reproduis dans
21:32 mon roman, la lettre qu'elle va écrire à un de ses amants, Samuel Pozzi, en 1914, quelque
21:39 chose comme ça, où elle lui dit "Samuel, j'ai trop mal au genou, débarrasse-moi de
21:44 cette jambe, il faut que tu m'amputes, il faut que tu me débarrasses de ça, je ne
21:48 peux plus jouer, j'ai mal, débarrasse-moi de ce truc".
21:51 Et elle le dit avec une… Moi ce qui me plaît chez Sarah Bernhardt, c'est peut-être moins
21:59 ce qu'elle est sur scène que ce qu'elle est dans sa vie, parce qu'elle est aussi
22:04 Sarah Bernhardt dans sa vie.
22:06 Et cette exigence d'être amputée pour pouvoir enfin rejouer en étant débarrassée
22:11 de la douleur, je voudrais qu'on insiste là-dessus.
22:13 Comment elle passe de la toute-puissance, avec tout le public à ses pieds, à la vulnérabilité
22:20 la plus absolue que nous donne la douleur physique, la maladie, etc.
22:24 Comment elle passe vers ça avec agilité, avec créativité, presque avec poésie.
22:32 C'est ça moi qui me plaît en fait.
22:35 - On va écouter à ce sujet un certain Sacha Guitry.
22:38 - Vous savez n'est-ce pas que Mme Sarah Bernhardt avait dû subir à 75 ans l'amputation d'une
22:44 jambe.
22:45 La question s'est posée tout de suite de savoir si jamais elle pourrait reparaître
22:48 sur un théâtre.
22:49 Or un an plus tard, on a appris qu'elle allait faire sa rentrée.
22:53 Portera-t-elle une jambe articulée ? Aura-t-elle cette jambe de bois qu'on appelle un pilon ?
22:57 Devra-t-on la porter sur scène ? Jouera-t-elle assise ? Toute question très émouvante en
23:02 vérité.
23:03 Le soir de la Générale arriva.
23:05 La salle était bondée.
23:06 Alors on entendit ce que nous appelons au théâtre les avertissements qui précèdent
23:10 les trois coups.
23:11 Puis, ce furent les trois coups.
23:13 Or au second coup, Léonesse la Jeunesse dit simplement « la voilà ».
23:17 - Elle était debout près du piano.
23:20 Sa jambe manquante étant du côté du piano.
23:24 Elle se cramponnait de sa main au piano.
23:29 Elle tenait donc sur un pied et sur une main.
23:32 Et de l'autre main, elle tenait son texte et elle faisait des gestes.
23:37 Et c'est dans cette tenue, essayez vous allez voir si c'est facile, c'est dans cette attitude
23:42 qu'elle disait le premier poème et que naturellement elle emballait toute la salle.
23:47 Elle n'a jamais, jamais, jamais joué avec une jambe de bois.
23:51 Elle n'en a eu que plus de mérite et je suis heureuse de lui avoir rendu encore une fois
23:58 cet hommage.
23:59 Nous ne pouvons plus savoir quel était son talent mais nous pouvons encore savoir quel
24:04 était son courage.
24:05 - Béatrix Dussan après Sacha Guitry dans cet archive, Annick Lemoyne sur le courage
24:11 une fois encore réitéré, mais sur ce qu'elle a fait de cette amputation, cette métamorphose
24:16 de son propre corps.
24:18 - Oui et vous pourrez la voir effectivement.
24:20 On a voulu pour l'exposition la rendre vivante, raconter toutes les sarras jusqu'à cette
24:25 fin et aussi ces difficultés et cette volonté féroce dont nous avons parlé.
24:34 Nous proposons une salle de cinéma où vous verrez Sarah se cramponner à la table pour
24:43 pouvoir jouer avec une jambe en moins.
24:45 C'est extrêmement émouvant et également vous pourrez découvrir Sacha Guitry qui parle
24:50 de Sarah Bernard avec cette voix, la sienne également.
24:54 - Très bien.
24:55 - Fabuleuse.
24:56 - Et bien justement à propos de voix, on va écouter sur la voix de Sarah Bernard.
24:59 On est à la radio, une voix si singulière ne pouvait pas nous échapper.
25:02 Le comédien et metteur en scène Pierre Bertin évoque la voix de Sarah Bernard.
25:09 - Je me rappelle très bien de la voix de Sarah quand j'avais 7 ou 8 ans, la première
25:14 fois que je l'ai vue et je vais l'imiter légèrement si vous le permettez.
25:17 « Même elle avait encore cette éclate empruntée. »
25:24 Elle parlait comme ça en chantant légèrement.
25:27 « Pour réparer des gens l'irréparable outrage. »
25:36 Et alors elle avait remis à la mode cette façon de dire les vers de la tragédie qui
25:43 avait été un peu oubliée.
25:45 Il y avait Adrien Lecouvert qui l'avait encore au 18e siècle.
25:50 Mais au 19e siècle, on avait perdu sous l'influence de l'école réaliste.
25:55 On cherchait autre chose.
25:57 Mais Sarah pas du tout.
25:59 Elle a remis le ver à l'honneur.
26:01 Elle a remis le chant du ver.
26:03 Les vers doivent être chantés comme disait Ronsard.
26:05 - Dans Opéra Sérieux, l'un de vos précédents livres paru en 2010, Régine de Tembelle,
26:10 vous écriviez qu'il n'est de voix divine que de femmes.
26:13 En tout cas, c'est ce que disait votre narratrice.
26:16 L'ant à articuler, Sarah Bernard, avait-elle une voix divine pour vous ?
26:20 - La voix, c'est le corps.
26:23 La voix, c'est nous tout entier.
26:26 Divine, ça n'a pas beaucoup de sens aujourd'hui pour moi.
26:32 En revanche, pour Sarah Bernard, ça en avait.
26:34 Elle le dit en tout cas dans ses mémoires.
26:38 Elle dit que lorsqu'elle était enfant, elle aurait voulu être religieuse.
26:42 Vous avez compris que c'était une ardente, une passionnée, et même au-delà.
26:47 Elle brûlait de foi.
26:52 Donc, une voix divine, rien ne m'étonne de sa part et de ce qu'on a pu dire sur elle.
27:02 Ce qui est difficile pour moi, en imaginant cette voix de Sarah,
27:09 c'est de me dire comment elle se présentait face à ce qui se faisait à l'époque
27:15 avec Réjeanne, avec La Douze et Léonora Douze, avec les autres comédiennes.
27:21 C'est-à-dire, pourquoi elle a inventé cette manière à elle,
27:27 cette manière excentrique, cette manière divine peut-être d'être,
27:32 alors que justement, à cette époque-là, souvenez-vous,
27:34 c'était plutôt quelque chose de naturaliste qu'on demandait.
27:38 On ne voulait plus des auteurs et de l'arrière-monde.
27:42 On voulait, comme disaient les Goncourt, une femme qui sente le haricot
27:48 et qui sente le lit quand elle se lève.
27:50 Peut-être que par Bernard, il fallait qu'elle soit cléopâtre.
27:52 - Parce que c'était une grande tragédienne.
27:55 L'exposition la raconte intimement, mais aussi comme la star qu'elle était.
27:59 Et la femme créée à la star est à voir au Petit Palais jusqu'au 25 août à Paris.
28:03 Merci à vous, Annick Lemoyne.
28:05 Sarah, quand même, votre livre, votre roman, "Origine de Tourbelle",
28:07 vient de paraître chez Actes Sud.
28:09 Très belle journée.