• l’année dernière
Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'occulture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:08 Place à la rencontre.
00:11 Aujourd'hui, notre invité est sociologue, directeur de recherche au CNRS, professeur de sociologie
00:16 à l'école normale supérieure de Lyon et membre seigneur de l'Institut universitaire de France.
00:21 Il a travaillé sur l'échec scolaire, les rêves ou encore Kafka.
00:24 Il est sensible aux aboiements des chiens, signe d'une adoration mystique selon lui et selon Darwin.
00:30 Mais c'est aussi un sociologue insatisfait puisqu'il signe une somme aux éditions de la Découverte
00:35 pour révolutionner sa discipline, les structures fondamentales des sociétés humaines.
00:40 Bonjour Bernard Lahir.
00:41 Bonjour.
00:41 Bienvenue dans les midis de culture.
00:43 Bernard Lahir, je vais commencer avec une question bête.
00:46 Oui.
00:47 Combien de temps on met pour écrire une telle somme qui fait à peu près 1000 pages
00:53 et avec une telle ambition, celle de révolutionner la sociologie ?
00:57 Si c'est le temps d'écriture à proprement parler, il faut bien deux ans.
01:03 Mais si c'est une question de maturation du projet, c'est très très long et je ne peux même pas le dater.
01:11 Je sais que les premières notes c'était en 2017, ça je sais, parce que je suis retourné sur mes premières notes.
01:17 Mais 2017, ce n'est pas si loin que ça.
01:20 Ça me semble 6 ans quand même.
01:23 Oui, mais je pense que les frustrations qui sont à l'origine de cet ouvrage viennent de bien plus loin
01:29 et peut-être même créées par des éléments de ma formation, où j'avais des cours à l'université.
01:35 Quand je suis rentré, j'avais à peine 18 ans.
01:37 C'était à quelle époque à peu près, pour qu'on ait une idée ?
01:39 Vous voulez me dater comme au Carbon 14 ?
01:43 Je peux donner votre date de naissance si vous voulez.
01:45 C'était en 81 et je me rappelle très bien de cours qui s'appelaient "Langage et société"
01:52 où on parlait du langage des abeilles, où on parlait de la capacité symbolique de l'homme, etc.
01:58 qui le différenciait, mais en même temps qui avait quand même des systèmes de communication animales
02:03 avec des articles de Benveniste par exemple, qui est un grand linguiste comme on sait.
02:08 Et tout ça, après, je ne l'ai plus vu dans les travaux que j'ai lus en sphère sociale.
02:13 Ces questions-là, sans doute liées à un enseignant en particulier,
02:17 je ne les voyais pas apparaître, alors qu'elles me paraissaient complètement fondamentales
02:21 pour faire de la sociologie fondamentale, sur des questions importantes
02:27 concernant l'homme et sa vie en société, les structures dans lesquelles il évolue, etc.
02:35 Si on n'arrive pas à dater ce moment où votre réflexion débute,
02:39 en quelque sorte, est-ce qu'il y a un déclic ?
02:44 Quelque chose qui vous a dit "là, il faut que je me concentre sur cet axe de travail" ?
02:49 - C'est des paliers. Je pense qu'il y a un ouvrage qui a été important.
02:55 C'est quand je travaillais sur un tableau de Nicolas Poussin.
02:59 C'est une trajectoire historique d'un tableau, enfin plusieurs tableaux
03:03 qui étaient censés être le vrai de Nicolas Poussin, mais tout le monde ne défendait pas le même.
03:08 Et je voyais des processus de magie sociale, d'attribution.
03:12 Qui a le pouvoir d'attribuer l'authenticité à un tableau alors qu'il y a beaucoup d'incertitudes ?
03:21 Et là, j'ai vu que la question de la magie sociale intéressait d'un côté
03:26 des anthropologues qui faisaient des théories de la magie, des historiens des religions,
03:31 des sociologues qui travaillaient sur le pouvoir symbolique, etc.
03:36 Sauf que ces gens ne se parlaient pas.
03:38 Donc vous avez des gens qui travaillent sur le Moyen-Âge et qui se posent des questions
03:42 sur "Est-ce que l'eau bénite est d'une nature différente de l'eau qui n'est pas bénite ?"
03:46 - Vraiment ça ? - Oui, absolument.
03:51 Et qui se posent la question "C'est quoi une monnaie finalement, alors que c'est qu'un morceau de métal
03:56 ou qu'un morceau de papier ?"
03:58 On a des processus qui sont les mêmes dans des secteurs extrêmement différents.
04:05 Et on retrouve ces processus dans des sociétés extraordinairement différentes.
04:09 Des sociétés dites primitives, comme des sociétés tout à fait contemporaines
04:14 et avec des effets comme l'a montré Bourdieu, les rites d'institution.
04:20 Quand l'école vous dit "Vous êtes agrégés", il crée une situation qui n'existait pas avant.
04:27 Voilà un type de mécanisme qui est relativement universel de ce qu'on connaît,
04:33 de l'ensemble des sociétés documentées.
04:36 C'est des choses qu'on voit un peu partout.
04:38 Mais personne ne le dit, personne ne le voit.
04:41 Très peu de gens se lisent entre ces différentes petites communautés de spécialistes.
04:45 Et ça, là, ça a commencé à monter.
04:49 - La frustration était là.
04:51 Vous l'avez dit, Bernard Lahir, une absence de communication entre les sciences,
04:55 une absence de retrouver les sujets autour des sciences naturelles.
04:58 Et au début de votre livre, "Les structures fondamentales des sociétés humaines",
05:03 un oubli du réel.
05:05 Alors, ça semble un petit peu vague, voire même un petit peu écrasant.
05:10 C'est quoi le réel et pourquoi la sociologie l'aurait oublié,
05:14 alors qu'on voit plutôt les sociologues comme des gens sur le terrain,
05:17 qui vont faire des enquêtes, qui vont faire des entretiens.
05:21 Qu'est-ce qui s'est passé avec la sociologie ?
05:23 - Non, c'est pas que les sociologues n'aient pas de données.
05:27 Les bons sociologues, il y en a de très très nombreux.
05:30 C'est même la majorité, à mon sens, de très bons sociologues,
05:34 de très bons historiens, d'anthropologues,
05:36 qui nous font découvrir des parties de la réalité.
05:41 La question, c'est qu'ils croient très peu, de manière très générale,
05:46 à la possibilité de dégager des principes généraux, des lois générales, des mécanismes généraux.
05:52 - De dire les universalités dont vous parliez, finalement.
05:54 - Oui, de ce qui structure, au fond, ce qu'ils découvrent dans des objets toujours limités.
06:00 Mais c'est normal d'avoir un objet toujours limité.
06:02 Je n'ai eu que des objets très limités au cours de ma carrière.
06:05 Mais à un moment donné, si vous ne prenez pas du recul en vous disant
06:10 "Mais est-ce que ce que je découvre là n'est pas en fait découvert ailleurs ?"
06:15 Vous perdez le sens de ce qui est commun dans tout ça.
06:23 Et vous vous réfugiez dans une sorte de constructivisme qui consiste à dire
06:30 "Bon, nous, on porte des regards sur le monde, mais on n'accèdera jamais au monde."
06:34 Il y a une sorte de peur de dire des choses sur le réel, ce qui est assez incroyable.
06:39 - Justement, comment ça s'explique cette peur, cette résistance ?
06:42 C'est une forme de "Je ne suis pas légitime pour le faire" ?
06:46 - Globalement, je pense qu'en science sociale, il y a très peu de foi scientifique forte.
06:53 - Paradoxalement, alors.
06:54 - Oui, mais beaucoup de gens font du travail sérieux, entendons-nous bien.
06:58 Moi, je ne critique pas mes collègues.
06:59 Ou alors, si je critique mes collègues, je me critique moi-même dans tout ce que j'ai fait auparavant.
07:03 Le but n'est pas là.
07:05 C'est qu'on travaille bien, mais on travaille de manière trop désorganisée
07:10 et sans croire qu'il est possible de dégager des acquis de tout ce qu'on a fait depuis 150 ans.
07:16 Or, il y en a des acquis.
07:18 Et quand vous lisez, et c'est un long travail, mais si c'est collectif, le travail est moins lourd.
07:24 Moi, j'aurais eu moins de travail si on était organisé collectivement beaucoup mieux qu'on ne l'est.
07:30 Parce que j'ai dû faire quelque chose qu'on ne fait pas ordinairement.
07:33 Mais si on le faisait tous un peu, on arriverait à diminuer la charge de travail pour tout le monde.
07:39 - Mais vous espérez justement mettre un élan, initier un mouvement collectif, on peut se dire ?
07:46 - Oui, oui.
07:47 - La sociologie, la gémie au point, ce que vous appelez des lois générales,
07:50 mais aussi des grands faits anthropologiques, des lignes de force,
07:53 on peut tous s'accorder là-dessus, ou alors on peut en discuter, on peut en débattre.
07:57 Et à partir de là, on va dire que la sociologie, c'est une grande science humaine.
08:00 Et ce n'est pas juste une science humaine d'expertise, où on réagit à chaud sur l'actualité,
08:05 ou sur des problèmes localisés.
08:08 - Oui, c'est exactement ça.
08:09 C'est-à-dire que moi, je pense qu'on peut faire un travail collectif très enthousiasmant,
08:15 de rassemblement de tout ce qu'on a fait, alors que tout le monde part de manière désordonnée.
08:20 En fait, dès qu'un collègue avance quelque chose, si c'est un adversaire théorique,
08:27 les autres lui tombent dessus pour empêcher que même le peu de ce qu'il a fait,
08:33 de ce qu'il nous apprend, soit reconnu.
08:35 Et ça, c'est désastreux.
08:37 Ce n'est pas du tout comme ça que ça fonctionne dans les sciences naturelles, notamment.
08:42 Et ça, c'est aussi quand on fréquente par la lecture.
08:44 Les sciences naturelles ne sont pas parfaites.
08:46 Ils savaient aussi qu'il y a une part d'idéologie dans leur travail, etc.
08:51 Et qu'il y a des mauvais biologistes, comme il y a des mauvais sociologues, etc.
08:55 Mais ils ont beaucoup plus de...
08:57 Ils croient beaucoup plus et ils font beaucoup plus confiance à leurs collègues.
09:00 - Ça veut dire que c'est un problème au niveau de l'organisation, peut-être ?
09:04 De l'université, de la recherche ? Est-ce qu'il manque un lieu où ce débat doit avoir lieu, justement ?
09:10 - Ça devrait être l'université, ça devrait être le CNRS...
09:14 - C'est marrant parce qu'au début de votre livre, Bernard Lahir, vous le dites,
09:18 c'est dans le guide de survie scientifique,
09:22 vous dites "combien d'heures perdues à faire des conférences, à faire des séminaires,
09:27 où on retrouve les mêmes contradicteurs, les mêmes débats, etc."
09:31 Alors qu'en fait, c'est là que ça pourrait se passer.
09:33 Alors qu'est-ce qui s'est passé avec l'université et la sociologie dans l'université ?
09:37 - Non, alors, c'est pas ce que je critiquerais en premier,
09:40 mais effectivement, la multiplication des séminaires, des journées d'études, des colloques, etc.
09:46 fait que vous avez des collègues qui n'ont plus le temps, mais qui le disent.
09:49 Moi, j'ai régulièrement d'anciens doctorants ou d'anciennes doctorantes
09:53 qui sont devenues maîtresses de conférences, profs, etc.,
09:55 qui me disent "je me rends compte qu'il faut que j'arrête parce que j'ai plus le temps".
09:59 - Ils font pas de recherche, en fait ?
10:00 - Ils ont moins le temps de faire de la recherche, parce qu'en plus, on les charge de plein de charges administratives
10:05 qu'il n'y avait pas il y a 20, 30 ans.
10:07 Et donc, tout ça, effectivement, fait que ça rend difficile les grands projets et les ambitions.
10:13 Ça, c'est sûr. Tout le monde est épuisé. Vous avez des universitaires épuisés.
10:17 Bon, ça va un peu mieux pour les chercheurs en CNRS,
10:19 parce que quand même, ils sont très largement déchargés de cours,
10:23 et ils sont pas obligés de donner des cours.
10:27 Donc, ils passent pas leur temps en réunion pédagogique et en gestion de diplômes, etc.
10:33 Mais c'est quand même... Oui.
10:36 Il y a un problème. Il y a un problème de temps, il y a un problème de continuité du temps de travail.
10:41 Donc, tout ça, ça participe. C'est pas la seule chose,
10:45 parce qu'il y a des aspects épistémologiques aussi, au problème dont on vient de parler.
10:48 Il y a des aspects... Voilà, peur de la biologie, en ce qui concerne le cadre que je propose.
10:55 Parce que j'essaye de renouer avec la biologie, alors que c'est vraiment la chose la plus...
11:01 Enfin, qui fait peur aux sociologues, aux sciences sociales en général.
11:05 Et pourquoi vous, vous n'avez pas eu peur ? Parce qu'on la voit venir, la critique de biologiser le social,
11:10 du darwinisme social, c'est-à-dire, en gros, de légitimer des inégalités, des dominations par le naturel.
11:18 Pourquoi vous n'avez pas eu peur de ça, Bernard Leilh ?
11:20 Bon, déjà, si on me prêtait ça, ça voudrait dire que j'ai eu un accident vasculaire cérébral entre l'enfance de classe et ce livre-là.
11:32 Il y a des gens qui changent de vision, quand même. Des chercheurs qui...
11:36 Ça n'est pas mon cas.
11:38 Vous êtes fidèle.
11:39 Les inégalités sont... On peut les combattre, etc. Le sujet n'est pas là.
11:45 Par contre, effectivement, quand vous dites que je n'ai pas eu peur, j'ai longtemps eu peur.
11:51 Parce que, comme je le dis souvent, moi j'ai été dans des formations où les deux peurs, c'était biologiser le monde social ou psychologiser le monde social.
12:03 Il y a deux choses à ne pas faire.
12:05 Quand on dit que c'est comme ça, vous n'allez pas être fou. Vous n'allez pas écrire un article en commençant à faire des liens entre la biologie ou la psychologie.
12:16 C'est un peu mieux accepté. Moi, j'ai utilisé de la psychologie.
12:22 Oui, je rappelle que vous avez écrit "L'interprétation sociologique des rêves" en deux volumes.
12:26 Voilà. Parce que ça ne me semble absolument pas incompatible.
12:29 Et je pense, là aussi, qu'il y a des ponts très importants à faire.
12:34 Mais donc, pourquoi à un moment donné, j'ai dépassé ma peur ?
12:40 C'est tout simplement pour des raisons scientifiques.
12:42 Quand on lit des biologistes, quand on lit des zétologues, quand on lit des paléo-anthropologues,
12:48 et qu'on voit qu'au fond, il se pose des questions sociologiques qui sont fondamentales, on ne voit pas où est le danger.
12:57 Ce ne sont pas des gens qui sont d'horribles chercheurs qui veulent absolument tout biologiser et expliquer le monde social contemporain,
13:06 justifier les inégalités, etc. Ce n'est pas du tout le cas.
13:09 Ils doivent y en avoir, mais moi, je ne les ai pas trouvés dans tout ce que j'ai lu.
13:14 Au contraire, ils alimentent des questions et ils permettent de résoudre des problèmes que nous avons abandonnés,
13:21 alors que ce sont des problèmes sociaux.
13:24 Justement, on va écouter un de ces grands chercheurs que vous citez, Bernard Leir.
13:29 Pour un biologiste comme moi, nous sommes des animaux. Il n'y a pas d'autre façon de le dire.
13:37 On est l'homme et on pense que c'est très spécial.
13:41 C'est vrai qu'on a des cerveaux plus grands que les chimpanzés, trois fois plus grands, et ça fait une différence.
13:47 Mais on est des animaux. On a du cœur, du cerveau, tout. Dans tout, on est des animaux.
13:54 Pour moi, il n'y a pas de frontière entre les deux.
13:58 L'homme est un animal.
14:00 C'est un peu comme demander si une table est différente d'une chaise.
14:07 Oui, ils sont différents, bien sûr, mais c'est des meubles.
14:11 C'est comme ça que je regarde l'homme et les animaux.
14:14 Le primatologue France De Waal, en 2018, dans la série documentaire sur France Culture,
14:19 vous dit la même chose que lui, Bernard Leir.
14:22 Dans ce livre, "Les structures fondamentales des sociétés humaines", il y a une continuité entre l'animal et l'humain.
14:28 L'idée, c'est de faire ressortir ce que vous appelez des invariants.
14:31 Qu'est-ce qu'on a de commun, d'universel, qui se retrouve dans n'importe quelle société, qu'elle soit humaine ou non humaine ?
14:37 Il y a les deux. Mon but, c'est d'abord et avant tout de mettre en évidence des invariants des sociétés humaines.
14:43 Ce qui est déjà une lourde tâche.
14:46 Ce que je dis, c'est que c'est dans la comparaison avec des sociétés animales,
14:50 qui peuvent être très éloignées de nous, si vous prenez des abeilles ou des fourmis.
14:53 Vous citez même des bactéries.
14:55 Oui, bien sûr.
14:57 Mais il y a des travaux qui montrent très bien comment les bactéries se "comptent"
15:03 pour arriver à créer des biofilms et pouvoir se protéger.
15:08 C'est des utilisations du collectif pour survivre.
15:14 En groupe, le groupe c'est un avantage adaptatif, comme aurait dit Darwin.
15:20 Si vous êtes en groupe, vous protégez mieux des prédateurs extérieurs.
15:25 Donc, ce n'est pas un hasard si dans beaucoup de taxons, comme on dit en biologie,
15:31 chez les oiseaux, chez les insectes, chez les mammifères, etc.
15:36 Il y a une vie sociale parce que c'est un avantage de vivre en groupe.
15:42 Donc oui, pour moi, Franz De Waal dit une chose qui est évidente.
15:49 Si ça choque encore des gens, ça veut dire qu'ils n'ont toujours pas lu Darwin.
15:53 Parce que ce que dit Franz De Waal, c'est ce que dit Darwin.
15:56 Si on lit "L'origine des espèces" ou "La filiation de l'homme",
16:00 il dit qu'il y a une continuité évolutive.
16:03 L'homme, comme les autres, vient de...
16:06 On est dans le règne animal, nous sommes des primates, nous sommes des mammifères,
16:10 et nous partageons un certain nombre de propriétés biologiques avec beaucoup d'espèces.
16:17 D'abord, nous partageons des propriétés biologiques avec la première cellule qui était à l'origine.
16:21 Parce que nos cellules, même dans le règne végétal,
16:26 les cellules ne sont pas éloignées du fonctionnement de nos propres cellules.
16:30 On fait partie du même ensemble vivant, qui s'est séparé progressivement.
16:35 Il y a une séparation, n'importe quel biologiste vous raconterait ça.
16:38 Moi, je ne fais que traduire ce qu'ils disent.
16:41 Donc nous sommes des animaux, il n'y a pas de coupure "homme-animal".
16:47 D'ailleurs, c'est une grosse difficulté d'écriture,
16:49 parce qu'à chaque fois, on est obligé de ne pas dire "animal"...
16:53 - Non-humain !
16:54 - Voilà, on est obligé de dire "animal non-humain" et "animal humain"
16:57 pour rappeler que nous sommes des animaux.
16:59 Mais une fois qu'on a dit ça, on pourrait dire que c'est une question morphologique.
17:03 Oui, évidemment, on est bipède, ça ressemble quand même à une partie des chimpanzés
17:09 qui reste quand même un peu plus debout que d'autres primates, etc.
17:12 On a un pouce opposable, il y a beaucoup de choses.
17:18 Et puis on a une encéphalisation, c'est-à-dire un cerveau qui s'est développé,
17:21 et on le trouve déjà chez les primates non-humains.
17:26 Donc il y a plein de propriétés biologiques communes.
17:29 Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a aussi des proximités,
17:33 évidemment, beaucoup de différences, dans les structures sociales.
17:37 - Alors, par exemple...
17:38 - Par exemple, il y a...
17:39 - Vous avez dit "l'entraide", mais vous dégagez surtout quand même, par exemple,
17:43 cet invariant qu'est l'interdépendance.
17:47 Voilà, par exemple, des enfants à leur mère, vous employez ce terme qui...
17:53 - C'est la dépendance, plutôt.
17:55 - La dépendance, et après l'interdépendance entre les individus d'un même groupe.
18:00 J'ai découvert ce terme, qui pour vous est peut-être familier,
18:04 pour moi pas du tout, c'est "altricialité secondaire".
18:08 Alors j'ai regardé l'étymologie, ça vient de "altrix" en anglais,
18:11 qui veut dire "celle qui nourrit".
18:13 Ça vient d'où ce concept, et comment on peut l'articuler avec l'idée d'entraide,
18:18 alors qu'elle signifie qu'il y a quand même une forme de dépendance ?
18:21 - Alors...
18:22 - C'est une longue question.
18:23 - Celui qui a inventé ce concept, c'est un zoologiste suisse qui s'appelle Adolf Portman.
18:29 C'est quelqu'un qui comparait les espèces dans leur ontogénèse, comme on dit,
18:34 c'est-à-dire dans le développement, comment on grandit quand on est petit.
18:39 On naît, et puis ça dure combien de temps avant d'avoir une maturité sexuelle,
18:45 d'être autonome sur tel ou tel plan, sans souris moteur, etc.
18:51 Et là, on constate depuis très longtemps, et tous les biologistes le savent,
18:57 qu'il y a des animaux précoces ou précociels qui, très rapidement après la naissance, se débrouillent.
19:05 Ils sont autonomes assez rapidement.
19:08 Et puis il y a des espèces altricielles, où il faut beaucoup plus de temps,
19:13 parce que le petit naît sans compétence, sans capacité à se nourrir lui-même,
19:21 à se protéger lui-même, à se réchauffer lui-même, etc.
19:25 - Comme les enfants humains, finalement. Les bébés.
19:27 - Alors on trouve ça chez les oiseaux.
19:29 Il y a des oiseaux qui sont nidifuges, comme on dit,
19:32 c'est-à-dire qu'ils sortent très rapidement du nid, et d'autres qui sont nidicoles,
19:35 qui sont protégés par les parents longtemps,
19:38 qui viennent leur apporter la nourriture pendant une grande période, etc.
19:44 - Tout cuit dans le bec. C'est l'image fondale.
19:47 - Oui, c'est ça. Et on a ça. Alors, chez les mammifères, c'est encore plus important.
19:52 C'est un continuum, en fait. Chez les primates, c'est encore pire.
19:56 Et l'homme, c'est l'animal le plus altriciel.
20:01 C'est celui qui naît le plus prématuré.
20:04 À cause d'une tête énorme, j'ai dit "gros cerveau",
20:09 et bien, c'est Franz De Waal qui parlait du gros cerveau.
20:12 Oui, le gros cerveau du petit, il passerait pas, si on attendait qu'il soit développé entièrement.
20:17 Et en même temps, le bassin des femmes est restreint par la bipédie.
20:22 Ça, c'est étudié par les paléo-anthropologues.
20:25 Et du coup, il y a une naissance très prématurée,
20:29 et un très long développement extra-utérin.
20:34 Avec cette relation de dépendance très forte, et particulièrement forte, dans l'espèce humaine.
20:41 Donc, ça crée à la fois ce que certains appellent l'instinct parental.
20:47 Si vous voulez que l'espèce, elle continue, il faut s'occuper de vos enfants qui sont complètement incompétents.
20:53 Qui ont besoin d'une protection. C'est des larves, comme je dis souvent.
20:59 Nos enfants, ils savent même pas s'agripper comme le petit d'une femelle chimpanzé,
21:05 qui s'agrippe au poil de la mer.
21:07 Donc, nous, on est même pas capables de ça, vous imaginez.
21:10 Et puis, ça dure très très longtemps.
21:12 La maturité sexuelle, c'est même très dangereux pour une espèce d'avoir une maturité sexuelle très tardive.
21:18 Pourquoi dangereux ?
21:19 Parce que vous avez toutes les raisons de mourir avant de pouvoir vous reproduire.
21:23 Donc, pour l'espèce, c'est un risque considérable.
21:26 Or, si ça s'est fait, c'est parce qu'il y a eu des comportements altruistes qui ont pu se développer.
21:32 C'est-à-dire que les parents, d'abord la mère, puis des alloparents.
21:36 Enfin, la mère, le père, qui peut intervenir, mais aussi des alloparents.
21:41 On dit dans certains villages africains, il faut tout un village pour élever un enfant.
21:45 C'est ça, dans toutes les sociétés de chasseurs-cailleurs, un enfant, il est pris en charge par...
21:50 Donc, des membres d'une famille, mais par exemple, on peut penser dans les crèches aux assistantes maternelles.
21:54 Aujourd'hui, dans nos sociétés, beaucoup de grands-parents, de grands-mères.
21:59 Mais est-ce que vous savez que les grands-mères, chez les cachalots,
22:02 chez les grands mammifères marins,
22:06 chez un grand mammifère terrestre comme l'éléphant,
22:09 les grands-mères, elles jouent un rôle très important de garde,
22:13 de "babysitting", comme disent souvent les zétologues qui travaillent sur ces espèces.
22:18 Parce qu'il y a un avantage, si on ne prend pas garde aux petits, il y a des risques.
22:24 - Ce que vous voulez dire, c'est que ce fait majeur que vous décrivez,
22:28 dit tout sur l'organisation ensuite de la société, du groupe ?
22:33 - Alors, il ne dit pas tout, mais il dit des choses très importantes.
22:36 Je vais essayer de le dire en quelques mots.
22:39 Mais grosso modo, ce lien de dépendance qui est précoce,
22:44 c'est dépendance totale dès le départ, et ça dure très très longtemps,
22:49 eh bien ça crée des dispositions, forcément.
22:53 C'est-à-dire que c'est sous nos yeux cette question-là.
22:55 Nous sommes dépendants de notre première expérience fondamentale,
22:59 et qui est universelle, en tant que mammifères très altriciels,
23:03 c'est le fait de vivre une dépendance.
23:06 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous vivons durablement
23:09 dans des rapports de domination par enfant.
23:13 Après, on s'étonne que nous avons des rapports de domination partout.
23:19 Qu'on peut parler d'un chef d'Etat comme le père de la nation,
23:26 le petit-père des peuples, la mère patrie, etc.
23:30 Même chez les chasseurs-cueilleurs, quand vous voyez les discours
23:33 tenus par certains chefs, ou dans des chèferies, ou dans des sociétés à Etat,
23:37 c'est toujours "je vous apporte la prospérité", "je vais vous protéger",
23:41 "je vais", etc. Et en même temps, alors ça c'est plus pour les sociétés
23:44 à chèferie et à Etat, si vous ne vous comportez pas bien, on va vous punir.
23:49 Vous avez une sorte de parent, de fonction parentale développée,
23:53 et vous les retrouvez sur le plan religieux, on en appelle à des esprits,
23:58 à des divinités, etc. pour nous protéger.
24:01 On a peur de mourir, on fait des rites.
24:03 On a peur que la récolte soit pas bonne, on fait des rites, etc.
24:07 On essaye de se protéger symboliquement, en matière religieuse,
24:11 ou, j'allais dire, un peu plus réellement, ou pratiquement,
24:17 avec des responsables politiques, d'une manière comme d'une autre.
24:22 Ils doivent nous aider, ils doivent nous venir en aide,
24:27 ils doivent nous nourrir, ils doivent veiller à ce qu'on soit bien,
24:31 à ce que la chasse soit bonne, à ce que nous arrivions à vaincre nos ennemis, etc.
24:37 Donc il y a toutes ces choses-là que l'on peut tout à fait relier
24:42 à cette question-là d'origine, de la matrice rapport parent-enfant,
24:47 on va dire, de départ. Et en fait, c'est aussi là une énigme importante,
24:54 parce que les sociologues, ou les historiens, ou les anthropologues disent
24:58 "Bon, la domination, il y en a beaucoup, mais elle varie en permanence."
25:02 Alors oui, elle varie, elle varie culturellement.
25:04 Les formes de domination dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs
25:07 ne sont pas les mêmes qu'aujourd'hui nos formes de domination.
25:10 Mais par contre, l'interrogation qu'ils oublient, c'est
25:13 "Pourquoi il y a de la domination partout ?"
25:15 Plutôt que le contraire, pourquoi on n'aurait pas l'exemple d'une société
25:20 qui serait dépourvue de rapports de domination,
25:23 qui n'aurait que des relations parfaitement équilibrées.
25:26 - C'est la question que je vous posais, Bernarley, puisque vous le dites dans votre livre,
25:29 même dans les formes de vie bactériennes, il y a des formes d'entraide,
25:33 des formes de mutuelle assistance. Est-ce que ça, en fait,
25:36 et même quand on parle de dépendance, nous on le voit d'un mauvais oeil,
25:39 mais en fait la dépendance on peut aussi le voir comme du soin.
25:41 Donc pourquoi, en fait, on ne pourrait pas plutôt parler d'entraide,
25:46 de solidarité, au lieu d'une domination ?
25:49 - Parce que les deux vont ensemble, c'est les deux faces d'une même pièce.
25:52 - Je suis en train de me relancer parce que je n'avais pas répondu totalement à votre question.
25:55 - C'est parce que ma question était longue.
25:57 - C'est qu'en fait c'est à la fois de l'entraide.
25:59 Quand une mère chimpanzée, une femelle chimpanzée s'occupe de son petit,
26:03 elle sacrifie beaucoup de son temps. C'est très très long, c'est très coûteux.
26:08 Et on pourrait le dire, enfin de la plupart des femmes,
26:11 puisque c'est quand même encore aujourd'hui, même dans des sociétés
26:14 qui veulent de l'égalité face aux enfants et à l'éducation des enfants, etc.
26:19 C'est quand même les femmes qui payent le plus cher le fait d'avoir un enfant.
26:23 Ça demande beaucoup de temps.
26:25 Donc ça veut dire qu'il y a du sacrifice, il y a du don de soi.
26:28 Effectivement, c'est du soutien gratuit d'une certaine façon.
26:33 Et en même temps, vous ne pouvez pas, tout en étant...
26:39 Comment dire ? On peut être admiratif du temps passé par les parents auprès de leurs enfants,
26:45 ça reste quand même des rapports de domination.
26:47 Parce que quand vous êtes petit, vous avez des sortes de monstres
26:51 qui sont les parents, qui sont plus grands, plus forts que vous,
26:55 qui savent faire des choses que vous ne savez pas faire,
26:57 qui vous disputent, qui vous punissent, qui vous sanctionnent.
27:01 - Qui vous excluent aussi. - Oui, tout.
27:04 Quand ça tourne vraiment mal, ça peut être du mauvais traitement psychique,
27:09 ça peut être du mauvais traitement physique, etc.
27:13 Il y a tout ça. C'est-à-dire que ça reste, malgré l'entraide,
27:17 malgré le fait que nous n'arriverions pas à survivre
27:21 s'il n'y avait pas ce don de soi, donc cet altruisme qui est développé,
27:25 malgré ça, ça reste une relation de domination.
27:30 Pour la femme-même, je considère qu'il est souhaitable qu'elle travaille.
27:34 Pour elle-même, parce que le travail procure plus de liberté, plus d'indépendance.
27:42 Et si l'on regarde la femme à son foyer,
27:45 on se rend compte que la femme qui apporte un salaire, son propre salaire,
27:49 le fruit de son travail, le fruit de ses efforts,
27:52 est en fait plus libre dans sa maison.
27:54 Et le mari et la femme se trouvent à être égaux.
27:57 Qu'est-ce que vous en pensez ?
27:58 Moi, je pense que ça peut être très utile,
28:00 mais je fais des réserves étant donné que mon point de vue est une protection de l'enfance
28:05 et par conséquent, la femme, à mon sens, doit travailler
28:08 tant qu'il n'y a pas de vie d'enfant en jeu.
28:11 La vie des enfants est en jeu, surtout au cours de la première année.
28:14 J'estime que le devoir de la femme est de rester à son foyer, d'améliorer son enfant.
28:19 Mais certaines modalités doivent être prises de la part d'industriels,
28:22 conformément à une certaine législation en vigueur.
28:25 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
28:30 Nicolai Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
28:34 Un débat du 31 janvier 1947 dans la Tribune de Paris entre Marie Couette,
28:39 secrétaire confédérale de la CGT, et Suzanne Villain,
28:42 inspectrice de l'Office de protection de la maternité et de l'enfance,
28:45 sur le fait de travailler ou non pour une femme.
28:48 Ce qui me permet de vous lancer, Bernard Lahir, sur cette question.
28:51 Jusqu'où un invariant naturel, un invariant social-biologique,
28:57 comme par exemple la dépendance d'un enfant à sa mère,
29:00 peut-il être modifié par des avancées culturelles ?
29:04 Et donc là, on arrive quand même sur un sujet assez dur,
29:06 de distinguer le social du culturel.
29:08 Oui, alors, c'est très important,
29:12 parce que le fait d'altricialité secondaire, chez l'homme,
29:16 est un fait biologique.
29:18 Clairement, c'est défini par les biologistes,
29:21 c'est un mode de développement de l'enfance,
29:24 c'est une histoire de vie particulière d'une espèce, etc.
29:30 C'est un fait indéniablement biologique.
29:33 Moi, je prends en compte ce fait pour voir immédiatement
29:38 les conséquences sociales de ce fait biologique.
29:41 Donc moi, ce qui m'intéresse, c'est les conséquences sociales,
29:43 c'est les corrélats sociaux, on va dire,
29:45 de cette situation de fait d'altricialité secondaire.
29:49 À ce moment-là, on voit ce rapport de dépendance,
29:53 ce rapport de domination qu'il y a,
29:55 et ce rapport d'attachement dont parlait, par exemple,
29:58 un théoricien comme Bowlby, qui a travaillé, d'ailleurs,
30:00 à comparer des espèces,
30:02 il montrait que la mère est très attachée à son bébé
30:06 parce qu'elle l'a porté, parce qu'elle l'a souvent allaitée,
30:10 et qu'elle était seule à l'allaiter,
30:13 et que dans certaines sociétés,
30:15 elle pouvait l'allaiter très longuement, etc.
30:18 Donc là, on est dans l'ordre des rapports sociaux
30:24 qui sont contraints par une situation biologique.
30:27 Vous n'avez pas le choix, si vous voulez survivre en tant qu'espèce,
30:31 que de vous rendre disponible pour vos enfants,
30:34 de dire "il faut faire comme ci, il faut faire comme ça", etc.
30:37 Donc ça fixe des rapports entre les vieux et les jeunes.
30:41 D'ailleurs, ça fait dire, par exemple, que ça n'est pas un hasard
30:45 si, chez un très grand nombre de sociétés de chasseurs-cueilleurs,
30:49 les vieux dominent les plus jeunes.
30:53 Une société qui est considérée comme,
30:56 avec des formes élémentaires de vie sociale,
30:59 d'origine d'Australie, on parle de gérontocratie.
31:02 Ce sont les vieux qui dominent les jeunes.
31:04 Je pense que cette situation est liée, au fait,
31:07 à ce fait de la domination liée à un fait biologique d'altricialité secondaire,
31:12 mais c'est une conséquence sociale.
31:15 Et sur cette base de conséquence sociale,
31:17 vous avez de la variation culturelle qui s'entoure,
31:20 comme une barbe à papa.
31:22 Vous avez une tige, comme ça,
31:25 et puis vous mettez du sucre, et ça tourne autour.
31:28 Et selon la société, vous n'avez pas la même barbe à papa.
31:31 Vous avez un truc plus fourni, vous avez des choses qui n'ont pas les mêmes formes.
31:34 - Mais jusqu'où cette barbe à papa, elle peut creuser le bâton en plastique ?
31:38 - Sur la question de la domination masculine, par exemple,
31:41 qu'est-ce qui a changé ?
31:43 On a, par nos artefacts,
31:45 alors ça c'est une question sur laquelle je reviens,
31:48 c'est un chapitre entier.
31:50 - Sur l'accumulation culturelle.
31:52 - Voilà, sur l'accumulation culturelle, sur le fait que nous soyons des producteurs
31:55 d'outils, d'habitats, de vêtements,
31:58 d'artefacts, comme on dit.
32:01 Et que nous les accumulons,
32:04 et au fur et à mesure qu'on les accumule,
32:06 on les améliore, on les combine entre eux, etc.
32:09 Donc ça se complexifie.
32:11 Tout ça fait qu'on arrive à un point,
32:14 mais alors très tardif dans l'histoire de l'humanité,
32:17 où on invente le biberon.
32:20 Où on invente le lait maternisé.
32:22 Où on invente la contraception.
32:24 Où on a des techniques d'avortement.
32:27 Etc.
32:29 Tous ces points-là, on pourrait les prendre un à un,
32:31 ils ont contribué à desserrer le lien
32:34 entre la mère et l'enfant.
32:36 C'est pas un hasard si beaucoup de féministes aujourd'hui disent
32:39 qu'un point central, c'est de se réapproprier son corps.
32:42 Elles ont tout à fait raison.
32:44 Mais de manière plus concrète,
32:47 c'est pas se réapproprier son corps,
32:50 c'est se dire "moi je peux décider en tant que femme
32:53 de ne pas être mère".
32:55 Donc déjà, ça commence par là.
32:57 Et puis si j'ai un enfant, je ne suis pas obligé
33:00 de la laiter.
33:02 Je suis déjà obligé de le porter.
33:04 On n'a toujours pas inventé d'utérus artificiel,
33:06 mais on en parle.
33:08 C'est déjà dans les débats aujourd'hui de "et pourquoi pas un utérus artificiel ?"
33:11 Si on arrivait à l'utérus artificiel,
33:13 on serait les premiers mammifères
33:16 à avoir changé la situation
33:19 faite à tous les mammifères
33:22 et que seul le sexe féminin
33:25 peut porter l'enfant.
33:28 - Bernard Léa, vous êtes agacé par cette affirmation
33:31 qui dit que tout est culturel,
33:33 tout est une question de construction,
33:35 ou alors de point de vue,
33:37 mais est-ce que là, avec la perspective peut-être
33:40 d'un artefact comme un utérus artificiel,
33:43 on pourrait quand même être dans le constructivisme,
33:46 dans le "tout est culturel" et dire "finalement la nature,
33:49 c'était une base au départ,
33:52 mais maintenant, elle ne va plus exister."
33:55 - Non, la nature continue à exister.
33:58 Tant que vous avez une partition sexuée,
34:01 vous êtes obligé de composer avec ça, vous n'avez pas le choix.
34:04 Et on voit bien que maintenant,
34:07 il faut faire des opérations pour arriver à changer de sexe.
34:10 Il a fallu que la médecine rende possible ça,
34:13 que la chirurgie rende possible ça,
34:16 que la médecine donne, etc.
34:19 Donc en fait, il y a beaucoup de moyens
34:22 techniques, scientifiques, médicaux,
34:25 qui rendent possible des transformations d'une situation naturelle
34:28 de départ.
34:31 Mais la situation naturelle, nous ne sommes pas en mesure de la changer.
34:34 Ce qu'on peut faire, c'est, sur des bases culturelles,
34:37 en tenant compte de cette contrainte biologique,
34:40 voir qu'est-ce qu'on peut arriver
34:43 à modifier de cette situation
34:46 en faveur, par exemple, d'une égalité
34:49 homme-femme, ou d'une plus grande égalité
34:52 homme-femme, on va dire,
34:55 dans plein de secteurs de la vie sociale.
34:58 Par contre, je suis beaucoup plus
35:01 interrogatif, et je ne vois pas comment
35:04 on pourrait changer la situation de comment
35:07 les enfants pourraient dominer leurs parents.
35:10 - Mais à un moment donné, on n'a jamais vu de société
35:13 où des enfants dominent leurs parents.
35:16 - Déjà, on a modifié des choses parce que les parents se sont autocontrôlés.
35:19 Il y a de l'autocensure des parents. On est à une époque
35:22 où on interdit la fessée.
35:25 Donc ça veut dire que les parents diminuent leur pouvoir.
35:28 - Oui, mais en même temps, on garde plus longtemps les enfants chez nous.
35:31 - Mais bien sûr. Et que, de toute façon, même avec un très haut
35:34 degré de bienveillance, avec des parents qui ne frappent pas,
35:37 qui ne disputent pas, qui ne traumatisent pas
35:40 psychologiquement, etc., il restera quand même
35:43 qu'il y a un rapport de domination. On peut limiter
35:46 les dégâts, on va dire, mais la relation de domination
35:49 existera toujours, même si elle est bienveillante.
35:52 - Donc ça, c'est l'invariant qui est invariant.
35:55 - Ou alors il y a quelque chose qui m'échappe sur le plan biologique, mais je crois que
35:58 nous naissons petits, faibles,
36:01 vulnérables, et nous sommes sous
36:04 une dépendance parentale ou d'adultes, plus généralement,
36:07 pendant très longtemps. Ça, ça marque tout le monde
36:10 dans toutes les sociétés. - Merci beaucoup, Bernard Lahir.
36:13 De vous, on peut donc lire les structures fondamentales des sociétés
36:16 humaines aux éditions de la Découverte. Le titre peut un peu faire peur,
36:19 mais franchement, ça se lit bien. - J'espère.
36:22 - Oui, ça se lit bien, avec plein d'exemples. On en a parlé, moi,
36:25 j'ai été fascinée par les bactéries et les plantes, mais il y a les poules
36:28 aussi, il y a les suricates, à un moment donné.
36:31 - Les suricates, j'aurais aimé en parler.
36:34 - Ah, vous auriez aimé en parler. Moi, j'ai lu dans une de vos interviews
36:37 et je cite aussi les deux volumes de l'interprétation sociologique
36:40 des rêves, aussi aux éditions de la Découverte.
36:43 Pour finir, vous avez le choix, Bernard Lahir, une chanson sur les bébés
36:46 ou une chanson sur les singes ?
36:49 - Bah, écoutez, je sais pas. - Celle sur les bébés est très bien.
36:52 - Ah, bah alors, je vous fais confiance. - C'est un drôle de choix.
36:56 (Musique)
37:00 Achète-moi, maman, un petit frère
37:03 Qui ne soit pas en carton, ni en cire, ni en chiffon
37:09 Achète-moi, maman, un petit frère
37:14 Je veux un gros bébé, mais qui parle pour de vrai
37:19 Petite maman chérie, toute seule je m'ennuie
37:27 Avec toutes mes poupées, je joue pendant déjouner
37:30 Souvent je me demande pourquoi les embrasser
37:35 Puisqu'elles ne me rendent pas le moindre baiser
37:40 Achète-moi, maman, un petit frère
37:45 Qui ne soit pas en carton, ni en cire, ni en chiffon
37:50 Achète-moi, maman, un petit frère
37:57 Et pour ceux qui ont envie d'écouter chez eux cette chanson, c'est Zezette.
38:01 Achète-moi un petit frère, maman.
38:03 Un grand merci à l'équipe des Midis de Culture préparée par Aïssa Touendoy,
38:07 Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
38:12 Réalisation Nicolas Berger, prise de son d'Ali Yaa.
38:15 Merci Nicolas, on se retrouve demain.
38:18 A demain.

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