• l’année dernière
Transcription
00:00 Bonjour à tous, un ciné-club aujourd'hui avec Mariam Touzani,
00:03 prix du jury au Festival international du film de Marrakech,
00:07 prix de la Critique internationale au Festival de Cannes,
00:09 le bleu du Keftan sort en salle aujourd'hui.
00:12 Avec une partition à trois voix portée par un trio d'acteurs,
00:16 Loubna Abal, Salé Bakri, Ayoub Misouyi,
00:20 pour un triangle amoureux où chacun aspire en silence à s'aimer et à se respecter.
00:25 Après, Adam, la réalisatrice et scénariste marocaine,
00:29 confirme son goût pour l'intime, pour la tolérance et pour le respect des êtres.
00:33 Mariam Touzani est aujourd'hui l'invité de Bienvenue au club.
00:37 Une mission programmée par Henri Leblanc et préparée par Laura Dutèche-Pérez
00:50 et Sacha Matei, réalisée par Félicie Fogère avec Jacques Azuber à la technique.
00:56 Halim et Mina forment un couple uni.
00:59 Même si quelque chose entre eux reste de l'ordre du non-dit, un silence.
01:03 Dans l'une des plus anciennes médinas du Maroc, dans la ville de Salé,
01:06 ils partagent leur quotidien entre leur appartement et leur magasin traditionnel de Keftan.
01:11 Maître artisan, il coud, elle tient boutique.
01:14 Tout semble tenir sur un fil, un fil doré,
01:17 jusqu'à ce qu'un jeune apprenti vienne bouleverser cet équilibre,
01:20 c'est beau, fragile, bande-annonce de ce film qui sort en salle aujourd'hui,
01:24 le bleu du Keftan.
01:26 ♪ ♪ ♪
01:29 - Halim Deliev, Keftan?
01:31 - Régime d'enseignement, je suis maîtresse.
01:33 ♪ ♪ ♪
01:38 - Et ta main, elle est lisse?
01:41 - J'ai travaillé avec elle, tu veux voir?
01:44 ♪ ♪ ♪
01:46 Le Keftan, il a plus de propriétaires que ses enfants.
01:50 Il porte son fille derrière lui, il est patient pour le temps.
01:54 - Il travaille bien?
01:55 - Il a l'air amoureux de la science, il a l'air satisfait de l'autre.
01:59 ♪ ♪ ♪
02:01 (paroles en arabe)
02:04 (paroles en arabe)
02:07 (paroles en arabe)
02:10 ♪ ♪ ♪
02:13 (paroles en arabe)
02:16 ♪ ♪ ♪
02:19 ♪ ♪ ♪
02:25 (paroles en arabe)
02:28 (paroles en arabe)
02:31 ♪ ♪ ♪
02:34 (paroles en arabe)
02:37 ♪ ♪ ♪
02:40 (paroles en arabe)
02:43 ♪ ♪ ♪
02:46 (paroles en arabe)
02:49 ♪ ♪ ♪
02:52 (paroles en arabe)
02:55 ♪ ♪ ♪
02:58 (paroles en arabe)
03:01 ♪ ♪ ♪
03:04 - Et bonjour, Mariam Touzani.
03:06 - Bonjour.
03:07 - Bonjour.
03:08 - Un bande-annonce en VO.
03:10 Vos personnages dans ce film, "Le bleu du Keftan",
03:13 comme dans votre précédent long-métrage, "Le premier Adam",
03:16 vos personnages ne sont jamais des victimes.
03:18 Ils ne sont pas non plus des résistants ou militants,
03:22 dans le sens qu'ils ne sont pas directement en lutte
03:25 contre la société.
03:26 Qui sont-ils?
03:28 - Ce sont des personnages qui mènent d'autres luttes,
03:31 qui mènent des luttes intérieures.
03:33 Justement, ce sont des personnages qui trouvent aussi
03:37 un certain bonheur dans leur manière de vivre,
03:41 mais qui, à l'intérieur, ressentent quand même
03:44 envie d'un ailleurs, ressentent une envie de pouvoir
03:49 donner vraiment libre cours à ce qu'ils ressentent,
03:52 à leurs émotions, et de pouvoir être qui ils sont
03:55 véritablement.
03:56 - Là, il y a presque un triangle amoureux.
03:58 Pas tout à fait, mais pas loin, parce que les trois
04:02 vont aussi apprendre à s'aimer chacun à leur manière.
04:06 Si vous parlez de conflit intérieur, de personnages en lutte
04:10 avec eux-mêmes, finalement, contre quoi tentent-ils
04:14 de résister?
04:15 Je crois qu'on peut dire que les deux hommes,
04:18 les deux personnages masculins de ce film, sont en lutte
04:21 avec leur désir.
04:23 Et qu'elle est peut-être en lutte avec ses propres préjugés,
04:26 vous diriez ça, pour ce personnage de Mina,
04:29 incarnée par Louna Azabal?
04:31 - Mina est une femme qui aime profondément son mari.
04:34 Comme lui, il aime aussi.
04:36 C'est un couple qui a été marié pendant 25 ans,
04:38 et qui vit avec ce non-dit, justement, de l'homosexualité
04:41 de Halim.
04:43 Mina est une femme qui a choisi de ne pas voir,
04:47 de ne pas entendre pendant 25 ans.
04:49 Mais pas par manque de courage, pas par peur.
04:52 Elle a choisi cette voie-là par amour.
04:55 Parce qu'elle aime son mari, parce qu'elle aime cet homme
04:59 dès le début.
05:01 Et qu'elle a vu leur amour se transformer.
05:05 Mais elle a eu, elle a aussi ses propres peurs,
05:08 ses propres appréhensions.
05:10 Et choisie aussi de ne pas voir pour ça.
05:13 Parce qu'elle n'arrive pas à faire face aussi.
05:15 Parce que les choses se changent avec l'arrivée
05:18 de ce jeune apprenti, avec sa maladie aussi.
05:21 Donc, qu'il va faire qu'elle fasse face à ces choses
05:23 qu'elle avait choisies de ne pas voir.
05:25 - Et Halim, le personnage du mari,
05:28 lui aussi est un personnage assez paradoxal dans le film.
05:32 Mais il veut avant tout la protéger.
05:35 Il veut protéger leur couple.
05:37 Il veut protéger aussi cette union de façade.
05:40 Ils sont mariés, mais il tient à elle.
05:43 Il ne veut pas la blesser.
05:45 Et il va du coup en partie refouler ses propres désirs
05:48 ou les vivre ailleurs, autrement, cachés.
05:50 - Absolument.
05:52 Halim tente de protéger sa femme,
05:54 et tout comme elle tente de le protéger aussi.
05:56 Leur amour s'est construit aussi comme ça.
05:59 C'est un couple qui se protège mutuellement
06:02 du monde extérieur.
06:05 Parce qu'ils savent que ce secret-là est trop...
06:09 va à l'encontre des valeurs autour d'eux
06:13 et que c'est très dur pour eux d'exister.
06:15 Mina tente de protéger son mari.
06:17 Lui tente de la protéger.
06:19 Et ce qui les lie, c'est un amour profond.
06:22 Oui, il y a cette façade, mais il n'y a pas que la façade.
06:25 Il y a un amour profond et vrai qui les unit.
06:28 Et c'est grâce à cet amour-là, justement,
06:31 qu'ils vont pouvoir se transcender eux-mêmes
06:34 et transcender toutes ces choses autour d'eux
06:38 qui les empêchent.
06:40 Et lui, il est une figure de la douceur.
06:42 Ça, c'est incroyable.
06:43 Vous ne l'avez pas pensé comme une figure masculine,
06:46 de la virilité, en tout cas, à tout prix,
06:49 dans, là encore, les stéréotypes ou les clichés qu'on peut en avoir.
06:53 Il assume d'être aussi ce qu'il est, fondamentalement.
06:57 Oui, il assume d'être ce qu'il est.
06:59 Il est doux, il est bienveillant, il a beaucoup d'humanité.
07:02 Il a énormément de qualités.
07:06 Et puis, il a cette passion aussi, cette passion qu'il anime
07:09 pour son métier, ce métier de ma'allem.
07:12 Et en travaillant ses cafetans, en réalité,
07:15 Halim, ce couple du monde,
07:18 se protège justement de toutes ces choses qui le blessent
07:21 et peut mettre ce qu'il a de plus beau aussi à l'œuvre
07:25 à travers ses cafetans qu'il fabrique,
07:27 des cafetans sublimes qui vont être portés, exposés aux grands jours,
07:31 là où il y a toute une partie de son être
07:33 qu'il est obligé de vivre à l'ombre.
07:35 On va écouter un échange entre Halim, joué par Salé Bakri,
07:40 et Youssef, interprété par Ayoub Bissoui.
07:43 Ils sont en train de confectionner, de fabriquer, de coudre un cafetan.
07:47 Et puis peut-être qu'on peut rouvrir les micros au milieu de cet extrait
07:50 et vous nous racontez un peu la teneur de cet échange.
07:55 Regarde.
07:57 Ne t'inquiète pas.
08:03 Ne fais pas ta tâche.
08:06 Il faut toujours regarder l'autre côté pour trouver le bon endroit.
08:10 Ne te lèves pas les yeux, sinon tu vas te faire mal.
08:14 Il faut que tu te concentres bien,
08:18 que tu te débrouilles bien pour que la couche soit correcte.
08:22 Le cafetan doit vivre plus de son enfant.
08:26 Il doit porter sa fille derrière lui.
08:29 Il doit être patient.
08:31 Ce qu'ils sont en train de faire, c'est coudre le cafetan parfait, le cafetan rêvé.
08:38 Mais qu'est-ce qu'ils se disent, qu'est-ce qui se joue autour de cette scène, de ce partage ?
08:43 C'est avant tout une scène de transmission,
08:46 c'est une scène qui raconte la transmission d'un métier
08:50 qui est en train de disparaître.
08:52 À travers cette transmission, tout un héritage culturel se perd.
08:58 Mais pas que.
09:00 En cousant ces cafetans, en travaillant ces cafetans,
09:03 Halim pense ses plaies au quotidien.
09:08 Il le fait avec amour, avec minutie.
09:11 Il s'investit dans son œuvre.
09:13 C'est ça ce qui me touche dans ce travail manuel.
09:16 C'est l'investissement émotionnel, l'investissement personnel.
09:19 C'est tout ce qu'un maître artisan met dans le cafetan qu'il fabrique.
09:23 Parce que c'est des mois de travail.
09:25 Et voilà, Halim est quelqu'un qui est vraiment attaché,
09:29 qui veut garder ce métier en vie.
09:31 Et là, c'est un moment de transmission avec Youssef,
09:34 où il parle de travailler avec minutie, avec perfection.
09:42 Il parle du fait qu'un cafetan doit survivre.
09:46 Il lui dit qu'un cafetan doit survivre à celle qui le porte,
09:49 passé de mère en fille, résisté au temps.
09:52 Et c'est ça ce que moi ça me touche énormément.
09:55 Cet homme, Halim, dans le film, est devenu maître artisan
10:03 parce que j'ai grandi avec un cafetan de ma mère,
10:05 qui a vraiment jalonné mon enfance, mon adolescence.
10:09 Un cafetan qui a plus de 50 ans et qui à un moment donné...
10:12 - C'est quoi un cafetan ?
10:13 - C'est un cafetan, c'est des habits traditionnels,
10:17 sublimes, quand ils sont faits à la main,
10:19 comme les fait Halim, qu'on porte lors des occasions festives,
10:25 des mariages, des fêtes.
10:27 Et moi j'ai grandi en voyant ma mère porter un sublime cafetan.
10:31 Et comme je disais, ça a vraiment jalonné mon enfance,
10:34 mon adolescence, ce cafetan-là.
10:36 Donc le jour où elle me l'a offert,
10:38 ce cafetan avait plus de 50 ans,
10:40 le jour où je l'ai porté, j'ai senti justement
10:42 la beauté, la puissance de cette transmission,
10:44 parce que j'avais l'impression de porter
10:46 toute une partie de ses souvenirs,
10:48 toute une partie de sa vie.
10:49 C'était vraiment très beau, très puissant,
10:51 très chargé émotionnellement.
10:52 Et puis derrière, de sentir aussi la personne
10:54 qui l'avait fabriqué, parce qu'elle m'avait toujours raconté
10:56 comment il avait été fait.
10:58 J'avais l'impression qu'il y avait une partie de l'âme
11:00 de cet artisan qui avait imprégné le tissu,
11:03 qui avait imprégné ses tenues.
11:05 Et là justement, Halim apprend ça à Youssef.
11:08 Il lui raconte, justement, il lui dit quelque chose
11:10 qui pour moi est essentiel, de cette transmission.
11:13 Et j'avais envie de parler justement d'amour
11:18 entre des êtres, mais d'amour d'un métier
11:20 et de transmission.
11:21 - Oui, et d'ailleurs l'histoire,
11:23 toute l'histoire d'amour entre eux deux
11:25 se tisse en parallèle de la confection
11:28 de ce cafetan.
11:29 Il lui dit aussi, à un moment,
11:31 il ne faut pas tout le temps regarder ses doigts,
11:33 mais il faut regarder l'ensemble,
11:35 il faut regarder l'évolution du travail,
11:36 il faut que ce soit bien symétrique,
11:38 il faut bien appuyer l'aiguille pour que ça tienne bien.
11:41 Un cafetan parfait doit survivre au temps
11:43 et se passer, comme vous l'évoquiez,
11:45 Mariam Touzani, de mère en fille.
11:47 On pourrait presque remplacer dans cet extrait
11:50 le mot cafetan par celui de film
11:52 et on aurait, j'ai l'impression, une bonne idée
11:54 de votre conception à vous du cinéma.
11:56 Le cinéma comme un art artisanal,
11:58 un art qui doit aussi résister aux effets de mode
12:01 et passer le temps.
12:04 - C'est vrai, le cinéma comme ça aussi,
12:06 parce que je pense que, en tout cas,
12:09 ma manière de vivre mon expérience de cinéma,
12:12 mon rapport au cinéma, c'est vrai,
12:15 qui vient de quelque chose d'assez intime
12:18 et ce travail de cafetan que j'avais envie
12:21 de montrer aussi, que j'avais envie de sublire,
12:23 mais à travers lequel j'avais envie de raconter
12:25 ces personnages-là, vient de quelque chose
12:27 d'assez intime et qui n'est pas, justement,
12:29 qui n'est pas dans les effets de mode,
12:32 comme vous disiez, qui porte,
12:35 qui est porteur aussi d'autres choses,
12:38 qui pour moi, en fait, porte...
12:42 Alors, je ne sais même pas comment l'expliquer,
12:46 mais qui est chargé de quelque chose de...
12:49 qui résiste, qui résiste à ces modes-là,
12:51 qui résiste au passage du temps.
12:53 Et là, justement, j'avais aussi envie
12:55 de parler de ces métiers qui disparaissent
12:57 parce que j'ai l'impression qu'on vit dans un monde
12:59 où tout va trop vite,
13:01 où on a envie de consommer,
13:03 de passer à la chose suivante.
13:05 Et moi, j'aime, peut-être que je suis nostalgique
13:07 d'une période un petit peu révolue,
13:09 mais j'aime ces choses qui sont chargées de sens.
13:11 - Et même cette question de l'homosexualité,
13:13 ce tabou qu'on peut considérer comme un sujet brûlant,
13:15 qu'il l'est encore aujourd'hui au Maroc,
13:17 et qui est en fait une question
13:19 qui n'est pas nouvelle.
13:21 C'est de cette manière-là,
13:23 non pas un film sur l'homosexualité
13:25 que vous avez fait, loin de là,
13:27 mais un film sur la liberté de vivre,
13:29 de vivre comme on veut, d'être ce que l'on est.
13:31 Cette question-là, elle traverse les époques.
13:33 - Oui, pour moi, c'est avant tout
13:35 un film sur l'amour,
13:37 sur l'amour qui prend
13:39 différentes formes,
13:41 sur un amour qui refuse d'être défini,
13:43 mais c'est aussi un film
13:45 sur la liberté d'aimer,
13:47 sur la liberté d'aimer, qui en veut,
13:49 comme on veut, peu importe où on soit nés dans le monde.
13:51 - Vous aussi, vous avez un chat
13:55 qui est venu dans votre gorge.
13:57 C'est sur la capacité
13:59 qu'on a à s'aimer soi-même,
14:01 parce qu'il en a, il en ressent
14:03 la difficulté, ce personnage d'Alim,
14:05 tiraillé entre ses propres désirs,
14:07 entre l'amour inconditionnel
14:09 qu'il porte à sa femme,
14:11 et le désir tout aussi inconditionnel
14:13 qu'il attire et qu'il pousse vers les hommes.
14:15 Est-ce que le cinéma est pour vous,
14:17 en plus d'être un artisanal,
14:19 Mariame Touzani, indéniablement
14:21 un lieu de débat ? Est-ce qu'il doit être pensé comme tel ?
14:25 - Est-ce que vous le vivez comme tel ?
14:27 - Alors c'est vrai que moi,
14:29 quand j'écris un film,
14:31 quand je pense des personnages,
14:33 quand j'écris une histoire,
14:35 je suis toujours portée par l'émotion,
14:37 c'est-à-dire,
14:39 c'est toujours un geste
14:41 qui fait suite à une émotion.
14:43 C'est des personnages qui me touchent,
14:45 qui me hantent, que je cherche
14:47 à raconter, et le désir est là,
14:49 et c'est ça ce qui s'exprime à travers l'écriture.
14:51 Après, évidemment,
14:53 ce sont des personnages
14:55 qui sont là
14:57 pour une raison.
14:59 Et ce sont,
15:01 en général, des personnages qui vivent
15:03 des choses
15:05 qui vivent un petit peu à l'ombre, on va dire,
15:07 qui sont un petit peu à la marge.
15:09 Ce sont ces personnages-là qui viennent s'inscrire
15:11 à l'intérieur de moi, qui trouvent une voix d'expression
15:13 à travers l'écriture et derrière, à travers les films.
15:15 Parce que, justement, je pense qu'à travers
15:17 le cinéma, à travers l'émotion
15:19 qu'on peut vivre
15:21 un personnage à travers une histoire,
15:23 on peut être amené
15:25 à réfléchir, on peut être amené, justement,
15:27 à débattre de certaines choses desquelles on ne débatte
15:29 pas d'habitude.
15:31 Je pense que le cinéma
15:33 est une des manières les plus
15:35 puissantes, justement, d'accéder
15:37 justement
15:39 à ces débats-là.
15:41 Parce qu'on passe par l'émotion, parce qu'on passe
15:43 pas par l'intellect, parce que
15:45 le lien se fait plus tard.
15:47 - Et en même temps, vous vous attaquez régulièrement
15:49 à des sujets qui ne sont pas simples,
15:51 pas faciles, qui paraissent évidents,
15:53 mais qui ne le sont pas dans la réception
15:55 que vos films
15:57 peuvent trouver ou avoir
15:59 sous ma vieille pose de film
16:01 documentaire que vous avez signé en 2014,
16:03 "Mariam Touzani", sur le rapport
16:05 des prostituées à leur corps vieillissant,
16:07 quand il n'est plus marchandable,
16:09 disiez-vous. Le film
16:11 n'a pas été diffusé au départ ?
16:13 Il l'est aujourd'hui ? Il a pu sortir ?
16:15 - J'avais fait le choix de ne pas montrer ce film
16:17 parce que suite à ce qui était
16:19 arrivé après "Much Loved", je me suis rendue compte
16:21 du risque
16:23 que prenaient ces femmes-là.
16:25 - Alors "Much Loved" de Nabil Ayouch,
16:27 dont on va reparler, qui est à la fois
16:29 votre compagnon, mais surtout votre co-scénariste,
16:31 avec qui vous travaillez ensemble sur ses films,
16:33 sur vos films, et qui a fait ce film
16:35 "Much Loved" qui était interdit au Maroc,
16:37 qui a été interdit pour incitation
16:39 à la prostitution, et qui repartait d'ailleurs
16:41 de ce film documentaire que vous aviez
16:43 signé sous ma vieille peau.
16:45 - Oui, en fait, on avait pensé
16:47 les deux films en même temps que lui.
16:49 Il était parti sur son film
16:51 à lui, et moi sur mon documentaire.
16:53 C'est-à-dire que c'était quelque part presque
16:55 en parallèle que l'envie est née
16:57 de faire ces deux films, qui sont
16:59 vraiment très proches
17:01 dans ce qu'ils traitent.
17:03 Après,
17:05 comme je vous disais, moi j'ai fait le choix
17:07 de ne pas montrer ce film
17:09 parce que je me suis rendue compte à quel point
17:11 - Ça a exposé ses femmes.
17:13 - Ça a exposé ses femmes, justement.
17:15 C'est un documentaire très intimiste
17:17 où ses femmes se livrent à visage découvert
17:19 sur leur corps,
17:21 sur la spiritualité,
17:23 sur la religion,
17:25 sur le rapport à la société,
17:27 et dans des quartiers
17:29 où elles peuvent ne pas être en sécurité
17:31 après qu'un film comme ça soit diffusé.
17:33 Donc j'ai fait le choix de
17:35 le mettre dans un tiroir.
17:37 - Et de le ressortir
17:39 peut-être un jour, quand le moment sera venu.
17:41 - Peut-être.
17:43 - Dans "Le bleu du cafetan", c'est le corps malade de Mina
17:45 que vous filmez cette fois.
17:47 Mais ce qui est étonnant, c'est qu'elle devient chaque jour
17:49 cette femme amoureuse et malade.
17:51 Elle devient chaque jour de plus en plus belle
17:53 et de plus en plus vivante, malgré la maladie.
17:55 À quoi ça tient ?
17:57 - Moi je pense que
17:59 la mort peut être un appel à la vie, en fait.
18:01 Et là je voulais que la fin de vie
18:03 de Mina soit aussi ça, c'est-à-dire
18:05 qu'il y ait quelque chose de lumineux,
18:07 de puissant, de beau,
18:09 qui en sorte. Parce que justement,
18:11 c'est-à-dire, elle prend conscience.
18:13 Moi je pense que l'être humain, à partir du moment où il prend conscience
18:15 de sa finitude,
18:17 peut...
18:19 voilà...
18:21 peut aller chercher des choses essentielles en lui.
18:23 Peut se poser des questions
18:25 essentielles qu'il ne s'est peut-être pas
18:27 posées avant. Et j'avais envie
18:29 de mettre Mina face à ça, face à
18:31 sa propre finitude, justement.
18:33 Mais j'avais envie que de ça sorte
18:35 quelque chose de beau, qu'il y ait un appel à la vie, justement.
18:37 Que cette fin,
18:39 ce départ, soit un commencement
18:41 pour son mari, justement.
18:43 Parce qu'au final,
18:45 ce qu'il y a de plus beau, ce qu'elle aime
18:47 le plus au monde, elle, c'est cet homme.
18:49 Et ce qu'elle veut, c'est qu'il soit heureux,
18:51 qu'il s'aime, qu'il s'accepte et qu'il soit fier
18:53 d'être qui il est. - Mais ce qui est très beau, c'est aussi
18:55 la manière dont vous vous imbriquez, vous articulez
18:57 le corps et la spiritualité.
18:59 On vous l'évoquait déjà pour
19:01 ce film documentaire, "Sous ma vieille peau",
19:03 avec ces anciennes prostituées
19:05 qui sont souvent très croyantes. Alors, il y a à la fois
19:07 le poids des conventions sociales et le poids
19:09 de la religion
19:11 sur leur corps et sur leurs âmes.
19:13 Et là, encore, dans "Le bleu du cafetan",
19:15 il en va un peu de même pour Mina, qui autorise
19:17 à son mari quelque chose au fond que la religion
19:19 réprouve. Pourtant, elle semble en paix
19:21 avec elle-même, elle semble en paix avec
19:23 ce à quoi elle croit.
19:25 - Mais moi, j'avais justement
19:27 envie d'explorer la complexité
19:29 de l'émotion amoureuse,
19:31 de l'amour, à travers ces trois personnages
19:33 et aussi
19:35 d'explorer d'autres
19:37 complexités. Moi, je crois que l'être humain
19:39 est complexe et qu'on
19:41 essaie trop souvent de simplifier
19:43 les choses. Mina est une femme croyante,
19:45 justement, est une femme très croyante
19:47 même, mais ça ne l'empêche pas d'être ouverte,
19:49 ça ne l'empêche pas
19:51 d'aimer son mari comme elle l'aime
19:53 et de vouloir
19:55 qu'il ait cette liberté-là, cette liberté
19:57 d'aimer. Moi, je pense
19:59 que
20:01 la culture,
20:03 que la tradition
20:05 et la modernité peuvent coexister
20:07 et Mina peut être une femme
20:09 traditionnelle sous certains aspects,
20:11 sous d'autres, elle ne l'est pas, mais ça ne l'empêche
20:13 pas d'être une femme
20:15 qui s'assume, d'être une femme qui est libre,
20:17 d'être une femme qui fait les choses par choix
20:19 et pas par obligation et
20:21 dans sa foi, de pouvoir
20:23 se questionner. Et je crois que c'est ça
20:25 ce qui est important aussi, c'est de pouvoir questionner
20:27 certaines choses. J'avais envie de faire
20:29 aussi à travers le film,
20:31 de sublimer certaines traditions, parce que je crois que
20:33 la tradition peut être quelque chose de très beau.
20:35 J'ai eu envie
20:37 de sublimer,
20:39 de raconter,
20:41 de montrer autrement.
20:43 Je crois que la tradition peut être
20:45 belle et qu'il faut aussi pouvoir
20:47 la protéger, mais je crois qu'il y a certaines traditions
20:49 qu'on peut et qu'on devrait
20:51 questionner, certaines traditions
20:53 qui peuvent être bousculées et qui doivent l'être.
20:55 - Et une tradition que le film bouscule
20:57 et que vous mettez en scène et que vous mettez à l'image,
20:59 Mariam Touzani, c'est celle
21:01 de l'enterrement. On se retrouve
21:03 à la fenêtre, dans la médina,
21:05 avec Mina et Halim à ce moment-là du film.
21:07 Ils regardent ensemble
21:09 des hommes passer dans la rue en chantant et en portant
21:11 le cercueil de Sheikha Hadda.
21:13 Écoutez.
21:15 (Chant)
21:33 - Je vais te parler.
21:35 - A l'âge.
21:37 (Chant)
21:39 (Chant)
21:51 - Mais ça...
21:53 (Chant)
21:55 (Chant)
21:57 - Ne baille pas.
21:59 - Pourquoi?
22:01 (Chant)
22:03 (Chant)
22:05 (Chant)
22:07 (Chant)
22:09 (Chant)
22:11 (Chant)
22:13 (Chant)
22:15 (Chant)
22:17 (Chant)
22:19 (Chant)
22:21 (Chant)
22:23 (Chant)
22:25 (Chant)
22:27 - Qu'est-ce qui se passe dans cette scène ?
22:29 Parce qu'ils sont dingues.
22:31 Même ces enterrements, la manière
22:33 dont ils sont pensés.
22:35 On peut raconter peut-être ce corps qui est porté
22:37 sur une planche de bois
22:41 à travers la médina, dans les rues,
22:43 tout le monde aux fenêtres. Regarde partir
22:45 cette personne.
22:47 - Emina regarde avec son mari justement
22:49 cette femme qui part, mais cette femme qui était
22:51 chanteuse, qui était joyeuse, qui aurait peut-être choisi
22:53 de partir autrement que dans
22:55 un linceul blanc.
22:57 Mais elle n'a pas le choix quelque part. C'est-à-dire qu'elle n'a pas le choix
22:59 parce qu'il y a une certaine tradition,
23:01 il y a un certain rituel mortuaire
23:03 et que c'est un rituel qui n'est pas questionné.
23:05 Parce que ça fait partie de ces traditions
23:07 inamovibles, ça fait partie de ces traditions
23:09 qu'on ne questionne pas.
23:11 Et moi j'ai envie de les questionner justement.
23:13 Moi je crois en la liberté de vivre comme on veut
23:15 et en la liberté de partir comme on veut,
23:17 de mourir comme on veut.
23:19 De pouvoir choisir.
23:21 Donc justement, pour moi c'est un moment
23:23 de questionnement profond.
23:25 C'est quelque chose qui me touche beaucoup.
23:27 Pour moi ce sont des libertés essentielles.
23:29 - Il y a de la sensualité,
23:31 il y a de la poésie,
23:33 il y a de la pudeur dans cette scène
23:35 et dans tout votre film, "Mariam Touzani",
23:37 dans ce "Bleu du cafetan" qui sort aujourd'hui.
23:39 On parlait de l'importance des traditions
23:41 que vous questionnez aussi
23:43 à travers ce film, mais c'était déjà le cas
23:45 avec "Adam", votre précédent.
23:47 Votre idée du cinéma, elle se nourrit
23:49 de plein d'autres formes artistiques.
23:51 On le sent, on le voit, il y a des regards,
23:53 il y a cette idée de la peinture, de la poésie
23:55 qui est très présente. Est-ce que vous diriez que
23:57 votre geste de réalisatrice aussi
23:59 a été transformé par ça,
24:01 par ces livres, par ces peintures que vous aimez ?
24:03 - Absolument, absolument.
24:05 Il a été même nourri
24:07 essentiellement de ça.
24:09 Je viens surtout de la littérature.
24:11 Je suis vraiment, je suis féru de la littérature.
24:13 Je ne sais même pas comment dire ça.
24:19 Ma vision du cinéma,
24:21 ma manière en tout cas
24:23 de mon approche à mes personnages,
24:25 j'ai rendu compte plus tard qu'en écrivant,
24:27 c'est vrai qu'elle était vraiment...
24:29 - Et vous êtes scénariste aussi.
24:31 Est-ce que c'est dans les livres que vous avez appris
24:33 à tisser, à orchestrer
24:35 un bon dialogue ?
24:37 On dirait avec vous pas trop de mots et quand même
24:39 une part de silence. Laissez cette place-là.
24:41 - Oui, cette part de silence,
24:43 je pense, parce que c'est vrai qu'en lisant,
24:45 on peut être dans la tête
24:47 d'un personnage, dans son esprit,
24:49 sans devoir mettre des mots dessus.
24:51 On peut juste être dans son émotion
24:53 en faisant,
24:55 c'est-à-dire en écrivant mes personnages,
24:57 en les réalisant. J'ai envie
24:59 de ça justement, j'ai envie d'être
25:01 dans cette proximité qui n'a pas forcément
25:03 besoin de mots.
25:05 Et puis, oui,
25:07 par rapport à ce que vous disiez aussi,
25:09 c'est-à-dire j'ai aussi été très...
25:11 Et je me rends compte après,
25:13 en regardant mes films,
25:15 que c'est vrai qu'il y a eu
25:17 la littérature et il y a la littérature et la poésie.
25:19 Moi, c'est quelque chose
25:21 qui me nourrit tous les jours.
25:23 Et puis à la peinture aussi,
25:25 je peins beaucoup et c'est vrai
25:27 que, je ne sais pas,
25:29 juste quand
25:31 on regarde l'œuvre de Caravage,
25:33 par exemple, et on voit à quel point
25:35 à travers ses clairs obscurs, il raconte
25:37 l'émotion, en fait.
25:39 D'essayer de retrouver cette émotion à l'image
25:41 dans un film, pour moi, c'est quelque chose
25:43 que je cherche inconsciemment, en fait.
25:45 Je me rends compte plus tard. - Et vous avez mis du temps
25:47 à le trouver, ce bleu, le bleu de votre caftan.
25:49 - Ah oui, j'ai mis des mois. Ça, ça a été difficile.
25:51 Je peux vous dire. - Mais il est magnifique.
25:53 Comment il s'appelle ? Bleu ? Bleu royal ?
25:55 - C'est un bleu pétrole. - Un bleu pétrole, d'accord.
25:57 Vous avez participé récemment à la 18ème
25:59 édition du Panorama des cinémas
26:01 du Maghreb et du Moyen-Orient,
26:03 entouré de beaucoup de cinéastes aussi
26:05 de votre génération. On le disait, vous avez travaillé
26:07 sur le scénario avec Nabil Ayouj, votre compagnon
26:09 à la Ville, le réalisateur à l'écran
26:11 de Much Loved et de Razia.
26:13 Tous ensemble, cette nouvelle génération
26:15 quand même de cinéastes qui fait
26:17 parler d'elle aujourd'hui. Est-ce que vous arriveriez
26:19 en une phrase peut-être à nous dire
26:21 quelle est votre ambition commune ?
26:23 Ce sur quoi vous vous retrouvez tous ?
26:25 Parce qu'à voir vos films, on a le sentiment
26:27 que vous êtes portée par une même énergie,
26:29 une énergie à faire bouger les lignes.
26:31 - Ah, j'aurais du mal à vous...
26:33 à vous...
26:35 à vous dire ça. Moi, ce que je peux
26:37 vous dire, c'est que... c'est-à-dire moi,
26:39 ce que je ressens très fort, c'est un désir
26:41 de raconter l'humain. C'est une passion
26:43 pour l'humain avant tout.
26:45 Après, est-ce que ça rejoint les autres ou pas ?
26:47 Je ne sais pas. Mais en tout cas,
26:49 c'est ma motivation et moi, je sais que c'est celle de
26:51 Nabil aussi. - Il y a un cinéma européen ?
26:53 Est-ce qu'il y a un cinéma du Maghreb pour vous ?
26:55 - Est-ce qu'il y a un cinéma du Maghreb ?
26:57 Je crois qu'il y a un cinéma... alors...
26:59 du Maghreb, oui ! Parce qu'il
27:01 fait appel à des
27:03 thématiques, parfois,
27:05 à des personnages qui évoluent dans ce contexte-là.
27:07 Donc, oui. - On peut
27:09 commencer à en parler. Il a des festivals qu'il accueille aussi
27:11 aujourd'hui. Merci mille fois à vous,
27:13 Mariam Touzani, d'avoir été avec nous, le Bleu du
27:15 Caphtan. Votre nouveau long-métrage
27:17 sort en salle aujourd'hui. Merci.
27:19 - Merci.

Recommandations