Maria Pourchet et Chloé Delaume, deux romans sur l'amour post-#MeToo

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00:00 *Musique*
00:11 12h-13h30, les midis de culture. Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
00:19 Et bienvenue à tous et à toutes, nous sommes très heureux de vous accueillir tous les jours.
00:23 L'équipe des midis de culture constitue d'abord une table critique.
00:27 Nous choisissons deux chroniqueurs ou chroniqueuses pour débattre avec nous de deux objets culturels.
00:32 Et ce midi, nous parlons littérature avec deux romans de la rentrée,
00:35 signés par les autrices Maria Pourchet et Chloé de Laume.
00:38 - Et on en parle avec Élise Lépine, bonjour. - Bonjour.
00:42 - Vous êtes journaliste littéraire au point et avec vous Antoine Léris, bonjour à vous.
00:46 - Bonjour. - Journaliste, auteur et rédacteur en chef du trimestriel Respe.
00:50 Bienvenue à tous les deux dans les midis de culture.
00:53 - Et nous feuilletons d'abord "Pauvre folle" de Chloé de Laume aux éditions du Seuil.
01:02 - La fin du monde n'a pas du tout la forme prévue.
01:08 Derrière la vitre embuée, Clotilde observe la neige couvrir Avril.
01:13 Le train qui l'emporte traverse autant de forêts mortes que de prés emploissées par des ruisseaux boueux.
01:19 Elle regarde le décor se déliter lentement. L'époque s'appelle trop tard.
01:25 Chacun est au courant. Alors elle se demande comment font toutes ces bouches
01:29 pour prononcer encore sérieusement le mot "avenir".
01:33 - C'est donc la fin du monde et avec ses premières lignes, nous sommes projetés à bord d'un train
01:37 en compagnie de Clotilde Mélisse, le personnage principal de "Pauvre folle" de Chloé de Laume
01:42 qui est une écrivaine bipolaire et qui fait donc le point dans ce roman sur sa vie.
01:47 Elle questionne jusqu'aux blessures de l'enfance, le féminicide parental, les pulsions suicidaires
01:51 et puis questionne aussi sa rencontre avec un homme, Guillaume, homosexuel en couple
01:56 avec qui elle entretient une relation toxique. Est-ce que ce voyage a pris ?
02:00 Est-ce que vous êtes montée, chère Élise Lépine, à bord de ce train avec Clotilde pour son dernier voyage ?
02:07 - C'est un texte que j'ai adoré. J'ai trouvé que c'était vraiment du pétrole pour le cerveau, pour l'intelligence.
02:12 J'ai adoré l'idée de ce voyage en train qui nous embarque et qui constitue un peu la capsule
02:17 dans laquelle on voyage au cours de tout livre. Et puis cette idée brillante du cerveau
02:22 qui se répand sur la tablette devant l'autrice. Elle sort des petits morceaux,
02:26 elle en décrit la texture, le parfum, c'est ce dont des méninges, c'est très organique.
02:31 Et puis elle regarde chaque souvenir, elle le décortique pour nous et on plonge en fait
02:35 dans le parcours d'une femme. Donc elle raconte, comme vous l'avez dit, son traumatisme originel.
02:41 Elle raconte comment ça a infusé toute sa vie, ça a modifié ses décisions et ça a percuté son tempérament et ses choix.
02:49 Et en même temps, elle interroge aussi, et je trouve que là c'est absolument brillant,
02:53 la société dans laquelle évolue cette femme. Et c'est un texte que j'ai trouvé à la fois très poussé,
02:59 très abouti en termes littéraires et en même temps très pédagogique sur ce que c'est que le féminisme aujourd'hui.
03:05 - On va parler du thème et du style. Antoine Lérys, vous montez à bord du train vous aussi ?
03:08 - Bien sûr, aller et retour, et même je retourne s'il faut, il n'y a aucun problème.
03:14 Justement, la lecture se terminait par le mot "comment est-ce que tout le monde arrive encore à prononcer ce mot avenir ?"
03:19 qui commence par un A et elle aurait tout aussi bien pu écrire "comment est-ce qu'on arrive encore à prononcer le mot amour ?"
03:25 Puisque c'est exactement ça l'objet de ce voyage. Elle part pas n'importe où, elle part à Heidelberg,
03:31 qui est la ville allemande du romantisme, au cœur duquel il y a un magnifique château sublime du XIIIe siècle.
03:39 Et si vous avez regardé les photos, enfin moi je suis allé voir sur internet, je n'étais jamais allé à Heidelberg avant.
03:44 Ce château il est assez particulier puisqu'en fait les façades sont pratiquement intactes, mais derrière ce sont des ruines.
03:50 Et là ce que je trouve assez génial, effectivement dans la dimension pédagogique, c'est de nous montrer qu'elle va à un endroit,
03:57 l'amour dont il n'existe plus qu'une forme de façade. Et elle ce qu'elle va regarder, c'est quels sont les débris,
04:05 et les débris qui existent dans ses souvenirs, notamment de cet amour auquel finalement au départ en tout cas elle ne croit plus,
04:11 elle ne veut plus croire.
04:12 - Elle fait une espèce d'autopsie effectivement de cet amour et une autopsie de sa psyché, de ses sentiments,
04:20 mais en même temps en faisant ça il y a une espèce d'ensorcellement dans le texte qu'elle fait sur ce corps mort,
04:27 qu'elle réveille en fait. Elle lui insuffle une espèce de vie et elle se prouve à elle-même et elle nous prouve aussi que finalement l'amour existe.
04:34 Qu'il existe mal, qu'il est malade, mais qu'il n'est pas finalement tout à fait mal.
04:39 - Alors ça c'est vraiment la question. - Mais pourquoi vous avez ri Antoine Léry ?
04:41 - Non parce que justement je me suis demandé, c'est-à-dire moi ce que je vois c'est donc effectivement c'est une chirurgienne,
04:46 parce qu'il faut dire à nos auditeurs que ce qui est assez génial c'est que donc elle s'ouvre elle-même le cerveau pendant ce voyage en train
04:53 pour en extraire des souvenirs qu'elle va coudre ensemble pour faire le puzzle de sa vie.
04:58 Et dans ce puzzle la dernière pièce, celle qui manque, c'est la pièce qui concerne l'amour.
05:02 Puisqu'elle a choisi par conviction, elle le dit à un moment, elle fait le choix de refuser l'amour.
05:08 C'est-à-dire elle va arrêter les relations amoureuses, elle va se concentrer sur la sororité, sur les amitiés en excluant ça.
05:15 Sauf qu'évidemment, et elle le dit à un moment, il n'y aurait pas de livre si un jour l'amour ne lui était pas tombé dessus.
05:20 Et cet amour-là malgré elle, elle va y croire. Est-ce qu'elle va y croire jusqu'au bout ?
05:25 C'est ce que les lecteurs vont découvrir. - Cet amour c'est donc cette rencontre avec l'autre personnage de ce roman, c'est Guillaume.
05:31 Elle le rencontre à 40 ans à la Vélie-Médicis où elle est en résidence, c'est un réalisateur.
05:37 Et on se rend compte que c'est un amour impossible, Élise Lépine, et pourtant c'est un amour qui est là, qui existe
05:43 et qui va la faire s'interroger. - C'est un amour obstiné pour un homme qui par essence ne veut pas d'elle
05:49 ou ne peut pas être avec elle puisque lui est homosexuel. Il est en couple avec un homme mais elle va s'y accrocher.
05:55 Et je trouve que la scène de leur rencontre à la Vélie-Médicis est absolument magnifique,
05:59 puisque là elle apporte tout cet onirisme que j'ai adoré dans le texte, la dimension du conte en fait.
06:05 Dans cette Vélie-Médicis, elle est précaire, elle vit dans un... Elle a ses Vélux qui fuient, etc.
06:10 Elle prend l'eau, elle est à découvert, elle a une carte, elle est interdite, fichée à la Banque de France, etc.
06:15 Et puis là, elle se retrouve dans cet univers merveilleux à la Vélie-Médicis avec d'autres romanciers, romancières, artistes.
06:21 Et elle crée une espèce de cercle de cartes au Mansi, et chacun prend un nom de personnage.
06:27 Ils se racontent leur quotidien, elle a une parenthèse enchantée et au cœur de cette parenthèse enchantée,
06:31 elle a cet amour qui la frappe au cœur et qui va devenir une espèce de maladie d'obsession...
06:37 - D'obsession qui la rend folle quoi ! - Qui la rend folle et qui est en même temps d'une profonde beauté,
06:43 et à laquelle elle s'accroche pour faire vivre ce rêve après le retour en France.
06:49 Et malheureusement, est-ce qu'on peut faire vivre un rêve une fois qu'on s'est réveillé ?
06:53 - Oui, alors on peut, puisqu'il y a un endroit qu'ils arrivent à déterminer ensemble, et c'est ça que je trouve qui est magnifique.
06:59 Parce qu'il faut bien dire que cet amour est impossible.
07:01 Pas parce que Guillaume, donc celui dont elle tombe amoureux, est homosexuel, mais parce qu'elle a choisi de ne plus aimer.
07:07 Je pense que c'est très important de le dire.
07:09 - Alors, il faut raconter pourquoi elle a choisi de ne plus aimer ?
07:11 - Elle a choisi parce qu'elle ne supporte plus le patriarcat, et parce qu'elle raconte tout ce qui dans son enfance fait qu'aimer un homme est insupportable.
07:19 Elle le dit pas choissant pour ceux qui ne sauraient pas ce que c'est le patriarcat, une définition très claire.
07:23 Elle dit "ce qu'elle détestait n'était pas le coup idée par essence, c'est ce qui le constituait socialement et culturellement.
07:29 Ce qu'elle méprisait, c'était son orgiac, brutalité à s'emparer de tout ce qu'il trouve.
07:33 Et c'est pour ça qu'elle ne peut plus aimer les hommes, sauf à cet endroit qu'est l'écriture.
07:39 Puisqu'il y a un espace qu'elle raconte elle-même comme étant une clairière, où elle et lui, les mots sont attachés, se rencontrent.
07:48 Et cet endroit, c'est ce dialogue par message interposé, et qui est cet endroit où leur amour est non seulement possible, mais il est merveilleux, magnifique.
07:56 Un amour comme on a tous envie d'en vivre, comme on aurait tous envie d'en vivre, mais qui effectivement en dehors de cet espace littéraire, se délite littéralement.
08:04 - Mais est-ce que c'est pas un livre qui fera plus par sa recherche formelle que par les thèmes qui l'abordent ?
08:10 Parce que la question de l'amour face au patriarcat, c'est quelque chose qu'on va retrouver dans plusieurs textes dans cette rentrée,
08:15 et même depuis un certain nombre de rentrées. Est-ce que voilà, Chloé Delaume, elle a cette force au niveau formel plus qu'au niveau du fond, on pourrait dire ?
08:24 - Moi je dirais l'inverse, parce que je pense qu'il y a beaucoup de textes de la rentrée qui vont analyser ce qu'est l'amour face au patriarcat.
08:29 On en a un qui arrive juste après dans cette émission, qui vont le regarder de l'extérieur.
08:33 Elle a le courage de s'annoncer et de dire ce qu'elle vit intimement.
08:37 C'est ce qui est extraordinaire avec Chloé Delaume, ce principe de l'autofiction qui fait que, quel que soit le thème qu'elle va aborder, on la retrouve elle,
08:45 et on creuse sa personnalité de plus en plus profondément.
08:48 - Et ça suppose de la suivre, ça veut dire ?
08:51 - Ça suppose quand même de suivre Chloé Delaume à travers différents textes.
08:54 - Alors là où elle est sympa, c'est qu'elle nous fait un petit rappel, puisqu'elle s'extrait les souvenirs de sa mémoire, et donc elle nous raconte son enfance.
08:59 Voilà exactement, si vous avez raté les épisodes précédents.
09:02 - Moi j'ai trouvé qu'effectivement il y avait ce côté performance du texte.
09:06 On est vraiment dans une performance littéraire avec deux... C'est drôle, dès qu'elle raconte quelque chose de terrible,
09:12 qui pourrait vraiment nous faire plonger dans une émotion brute et presque insoutenable,
09:16 en fait elle l'efface avec, soit parce qu'elle est drôle, soit parce qu'elle a des façons d'écrire qui nous embarquent.
09:23 Il y a des moments qui sont... Enfin il y a des phrases qui sont vraiment des alexandrins.
09:26 Moi je les ai lues à haute voix et je me suis dit "mais en fait il y a douze pieds, là elle est vraiment en train de nous faire un poème en prose, c'est magnifique".
09:31 Mais tout ça sont des choses qui peuvent nous éloigner de l'émotion.
09:34 Et l'émotion pour moi n'a pas vraiment pris au cours de la lecture.
09:38 J'ai été trop happée par ce voyage en train et tous ces stratagèmes littéraires qui l'accompagnaient,
09:43 mais ce texte fonctionne un peu comme un sortilège ou comme un sort,
09:47 c'est-à-dire qu'il continue d'avoir un effet sur nous après la lecture.
09:51 Et c'est une fois que j'ai refermé le livre, moi, que j'ai pu le faire sédimenter à l'intérieur de mon cœur et de mes émotions.
09:58 J'y ai pensé le week-end, j'y ai pensé la nuit, j'en ai un petit peu rêvé.
10:01 Et en fait c'est là qu'elle réussit son sortilège, c'est-à-dire qu'elle frappe au cœur, après avoir frappé au cerveau, et après la lecture du livre.
10:08 En fait c'est ça qui est merveilleux d'ailleurs chez Chloé de Laume, elle le dit dans le texte, à un moment donné elle le dit,
10:13 "Moi-même je ne me souviens plus des livres que j'ai écrits une fois que je les ai terminés".
10:16 C'est-à-dire qu'ils disparaissent immédiatement. Et c'est exactement ce que vous dites, c'est exactement ce que j'ai ressenti aussi.
10:21 Ça disparaît, sauf que réapparaît petit à petit Chloé de Laume elle-même, ce personnage, et du coup l'histoire remonte.
10:27 Et effectivement cette histoire reste très longtemps, et moi aussi elle m'a habité plusieurs jours après la lecture.
10:32 - Et parce qu'il y a quand même des souvenirs qui sont très forts, qui sont racontés et décrits, notamment la mort du père et de sa mère.
10:39 - Alors donc son père a assassiné sa mère, puis ils ont suicidé ensuite.
10:45 - Après l'avoir braquée avec le fusil.
10:47 - Après l'avoir épargnée.
10:48 - Donc la petite fille Clotilde a vu tout ça, et elle le raconte, elle s'en souvient dans ce train.
10:53 Là il n'y a pas d'émotion, à ce moment-là vous restez chirurgique.
10:58 - Moi j'ai vécu de l'émotion de bout en bout, parce que je trouve qu'il y a une sincérité chez elle, que j'ai trouvé merveilleuse.
11:08 Une forme aussi de s'intéresser vraiment sans jamais se cacher, y compris sans jamais cacher son trouble par rapport à elle-même.
11:17 C'est-à-dire les moments où même son intelligence la domine, et où elle va se demander est-ce que ses choix sont judicieux,
11:23 est-ce qu'elle ne pourrait pas aussi se laisser vivre des émotions.
11:26 Je trouve que cette discussion intérieure avec elle-même, moi, m'a donné beaucoup d'émotion.
11:32 Je ne suis pas du tout resté en dehors du texte.
11:34 - Alors moi je ne suis pas resté en dehors du texte, mais l'émotion a éclot après la lecture.
11:39 Quand elle raconte justement cette scène du père qui tue la mère, qui ensuite la braque avec le fusil,
11:45 et puis qui décide de le retourner contre lui, elle dit que la balle l'a atteinte quand même.
11:49 Et que c'est à ce moment-là que son cerveau a explosé, que son cœur a explosé,
11:52 et qu'ensuite elle a dû ramasser tous les petits morceaux et se reconstruire avec cette blessure originelle.
11:57 Et franchement, évidemment on ne peut pas rester insensible face à une telle scène.
12:02 Mais, alors peut-être que c'est moi qui par autodéfense ai tenu l'émotion à distance à ces moments-là,
12:07 mais j'ai été très nourrie, et de manière très satisfaisante,
12:10 parce que je recevais du texte en dehors de l'émotion que j'avais un petit peu mise de côté.
12:14 Parce qu'après il y a aussi, dans le texte, plus on avance, plus elle nous explique effectivement le patriarcat.
12:19 Il y a des passages très drôles, il y a un moment où elle fait une liste de toutes les réactions des hommes après "Me Too".
12:26 Donc il y a celui qui... - De tous les profils types.
12:28 - Voilà, tous les profils types, donc c'est très drôle.
12:30 Ça ce sont quand même des choses qui pour moi coupent un peu l'émotion à la racine, mais la laissent.
12:36 Et donc ça repousse ensuite. C'est assez intéressant, c'est de l'horticulture de l'émotion qu'elle fait.
12:41 - Avec au milieu de ça aussi le rire. - Évidemment.
12:44 - Est-ce qu'on n'est pas gêné de rire face à une histoire où on n'est pas sur une histoire très légère ?
12:49 Comment on se sent quand on rit face à ce texte-là ?
12:54 - Moi je suis assez peu gênée par le rire en général, mais je trouve que ça fonctionne dans son espèce de bouillon de sorcière.
13:00 La sorcellerie est assez présente dans le texte, elle-même raconte qu'elle fait des sortilèges, etc.
13:05 Et je trouve qu'en fait le rire fait partie des ingrédients, on l'accepte de manière très naturelle.
13:11 Et non, moi ça ne m'a pas gênée de rire, parce que de toute façon, elle fait ça avec une maîtrise absolue qui nous déculpabilise de tout.
13:21 - Et ça fait partie du personnage de Chloé Delos, mais elle est très clairement punk.
13:26 En fait on rit dans ce livre, on sourit comme on pouvait sourire à l'humour noir de "Fluide glaciale" par exemple,
13:32 ou de dessins de caricatures, de choses un peu outrancières, mais qui nous font rire pour la part de réel qu'elles permettent de mettre en lumière.
13:41 * Extrait de "Oui je sais" de Chloé Delos *
13:57 - "Pauvre folle" de Chloé Delos mais disponible aux éditions du Seuil.
14:00 Chloé Delos que vous pouvez écouter en podcast, invitée du book club de Marie Riche sur France Culture.
14:05 C'était lundi dernier, le 28 août. Autre roman de la rentrée, autre romancière.
14:12 Marie Pourchet avec Western, Maria Pourchet avec Western aux éditions Stock.
14:17 * Extrait de "Oui je sais" de Chloé Delos *
14:23 Cela commence à Paris, au théâtre, sur la scène, au centre et au fond, dans l'humeur et l'impatience.
14:30 - "Le théâtre c'est comme une mine, un volcan ou une fille. Tout se passe dans le ventre."
14:37 * Extrait de "Oui je sais" de Chloé Delos *
14:45 - Alexis est un acteur connu, reconnu. Il doit monter sur scène dans quelques jours pour incarner le donjon de Molière.
14:51 D'abord sans trop savoir pourquoi, le comédien s'évanouit, disparaît et souhaite que ce rôle, titre, soit repris par une femme.
14:57 En parallèle, dans Western de Maria Pourchet aux éditions Stock, on suit la vie quotidienne,
15:02 semée d'embûches d'Aurore, mère célibataire qui décide de prendre le large avec son fils, de quitter Paris à l'annonce de la mort de sa mère.
15:09 Aurore qui se réfugie dans la maison du Quercy dont elle vient d'hériter.
15:13 Et c'est dans cette maison que les deux personnages se rencontrent.
15:17 On commence par l'histoire, Antoine Léris, est-ce qu'elle vous convainc ? Ce début d'histoire.
15:21 - Alors là vous êtes dur avec moi parce que c'est la partie qui ne m'a pas convaincu.
15:25 - En revanche, je voudrais quand même dire... - Pourquoi ? Attendez, pourquoi avant ?
15:29 - Non parce qu'en fait, vous voyez la présentation que vous en avez faite, vous auriez pu ajouter la petite phrase "comme par hasard".
15:34 C'est-à-dire en gros, c'est que si vous faisiez un QCM de "quels sont les sujets qu'il faut aborder pour faire un bon livre en 2023 ?"
15:43 Maria Pourchet coche toutes les cases.
15:45 Donc on a la famille monoparentale, on a le travail qui n'a plus de sens,
15:48 donc on a l'exode citadin vers la ruralité, on a un enfant à haut potentiel, bah oui pourquoi pas.
15:53 - On a mis tout, on a mis tout. - On a mis tout, donc qui concerne un acteur très connu qui devait jouer donjon,
15:57 on a les médias, les avocats, le droit, enfin il y a absolument tout.
16:01 Et c'est le seul problème de ce roman.
16:04 Parce que le reste, c'est une merveille absolument. - Ça n'empêche pas de prendre du plaisir.
16:08 - Alors on prend un plaisir parce que Maria Pourchet, et c'est pour ça que cette question-là me met un peu mal à l'aise,
16:14 d'abord la première chose c'est que c'est une écriture merveilleuse, absolument magnifique.
16:18 On se met sur un cheval et on part au galop, et le galop ne s'arrête pas,
16:23 et au moment où il s'arrête, c'est là où je pose la question.
16:26 Parce qu'on a beaucoup galopé, on arrive dans un endroit, on ne sait pas trop où on est,
16:30 et donc il y a deux stratégies à ce moment-là.
16:32 Soit on se dit on reprend le galop et on part n'importe où,
16:34 soit on se dit mince, il faut essayer de raccrocher les wagons.
16:36 Et le problème c'est que je crois qu'elle a choisi cette deuxième stratégie.
16:38 - Élise Lépine, sur l'histoire, est-ce que c'est convenu d'abord ?
16:41 Vous êtes d'accord sur ce point-là ? Et ensuite peut-être sur le style et l'écriture ?
16:45 - Je serai peut-être moins dure que vous Antoine sur l'histoire.
16:49 J'ai trouvé que c'était un roman très séduisant, très charmant,
16:55 dans lequel on se plonge avec une volupté totale.
17:00 Je trouve qu'effectivement il y a beaucoup d'artifices.
17:03 Les artifices, il y en avait déjà dans "Feu" que j'avais adoré,
17:06 et j'attendais énormément ce livre justement parce que j'avais adoré "Feu".
17:10 - En 2021 chez Fayard.
17:12 - Chez Fayard, en 2021 exactement.
17:14 Et je trouve que ces artifices littéraires fonctionnent assez bien pour la plupart d'entre eux.
17:18 C'est-à-dire que oui, il y a ce petit garçon qui, en plus d'être HPI et même médium,
17:23 et qui annonce un peu les morts comme dans une tragédie grée.
17:26 Donc voilà, on va savoir qui va mourir grâce à lui.
17:29 Il y a Don Juan qui est une toile de fond du texte,
17:31 qui permet d'être une grille de lecture pour notre époque post-Me Too.
17:35 Donc on voit que Don Juan existe encore.
17:37 Il y a la voix de la narratrice, de l'autrice même, qui ressort.
17:40 C'est-à-dire que Maria Pourchene nous parle.
17:42 C'est très compliqué, mais c'est très réussi.
17:44 Moi j'ai trouvé ça très réussi.
17:46 - J'avais l'impression d'être dans une séance de cinéma
17:48 et de sans arrêt d'avoir un spectateur à côté.
17:50 Vous savez, ce spectateur qui fait des commentaires pendant tout le film.
17:53 Et qu'en fait, à chaque moment où la narratrice apparaît...
17:56 Alors en fait, vous savez, c'est quelqu'un qui commente le film en même temps que vous le regardez.
18:00 Et vous savez, c'est cette petite musique un peu agaçante.
18:03 Moi j'ai eu vraiment ce sentiment-là.
18:05 Parce que finalement, qu'est-ce que ça apporte à cette narration ?
18:08 Les moments d'intervention, les moments où elle arrive.
18:11 - Vous prenez pour faire des clins d'œil au lecteur pour lui dire
18:13 "Salut, c'est moi, j'écris très bien, vous le savez."
18:16 Mais qu'est-ce que ça apporte vraiment à la narration ?
18:18 - Moi je trouve que ça apporte de l'intelligence.
18:20 C'est un texte qui est plein d'esprit.
18:22 Et je trouve ça goûteux d'avoir l'esprit de l'autrice qui s'invite en tant que tel dans les pages.
18:27 C'est-à-dire qu'elle nous parle et qu'elle nous dit "Mais nous, qu'est-ce qu'on aurait fait après tout ?
18:29 Est-ce qu'on ne fait pas tout ça ?" etc.
18:31 Je trouve ça très intelligent.
18:32 La seule chose qui m'a laissé un petit peu sur le bord de la route, moi, c'est le western.
18:36 - J'allais vous poser la question.
18:38 - Le titre.
18:39 - J'ai moins compris.
18:40 Il y a déjà plusieurs métaphores.
18:42 - Parce qu'ils vont à l'ouest de la France.
18:43 - Ils vont à l'ouest de la France.
18:44 C'est le cow-boy, l'indien, la sauvagerie.
18:46 On se retrouve, on se rencontre, on se plaît, on s'attrape, etc.
18:49 Moi, ça m'a un petit peu laissé de marbre cette histoire de western.
18:54 - D'autant que la question du western intervient souvent ou en début ou en fin de chapitre.
18:58 - C'est ça.
18:59 - Ce qui laisse un petit peu l'impression d'un ajout.
19:02 - Oui, pour moi c'était l'artifice.
19:04 Sans vouloir faire une métaphore sexiste, mais ça faisait un peu mascara et rouge à lèvres.
19:09 Je trouvais qu'il y avait l'antiquité, le don jument.
19:12 - Ceinture et bretelles.
19:13 - Voilà, c'est ça.
19:14 Mais cela dit, c'est quand même aussi d'une grande intelligence.
19:18 Elle a cherché son sujet, elle s'est renseignée sur le western, on sent que c'est pensé.
19:22 Donc, voilà, moi, ça m'a un petit peu laissé sur le côté, mais ça ne m'a pas non plus.
19:27 Je n'ai pas trouvé ça rédhibitoire.
19:28 - J'entends par western un endroit de l'existence où l'on va jouer sa vie sur une décision
19:32 avec ou sans désinvolture, parce qu'il n'y a plus d'autre sens à l'existence que l'arbitraire.
19:37 Les explications sur le western, vous l'avez dit, elles sont disséminées dans les chapitres.
19:41 Tout de même, sur les personnages, parce qu'on a ces deux personnages qui se rencontrent
19:46 et ces questionnements, effectivement, sur les relations homme-femme après "Me Too".
19:51 Est-ce qu'on peut tomber amoureuse d'un homme qui est accusé d'agression sexuelle ?
19:57 Puisque c'est effectivement le thème de ce roman.
20:00 - Au début, elle ne le sait pas, Aurore, tout ça.
20:03 J'ai trouvé que "Feu" était un grand livre sur le désir, la sensualité, la sexualité.
20:08 Pas forcément dans ce qu'elle a de jolie, d'ailleurs, mais aussi dans ce qu'elle a de cru.
20:11 - Tellement puissant.
20:12 - Tellement puissant.
20:13 Elle poursuit ça, mais en allant vers la nudité.
20:16 C'est vraiment un roman dans lequel une femme se met à nu.
20:20 D'abord, physiquement, puisque dès leur première rencontre, il y a une sexualité qui s'installe
20:25 de manière un peu abrupte.
20:26 Ça, c'est très intéressant, parce que ça dit beaucoup de choses aussi sur la société
20:29 et sur ce personnage d'Aurore.
20:30 Et puis ensuite, le grand exercice auquel elle se livre dans le livre, c'est de se mettre à nu,
20:35 de montrer sa peau de manière métaphorique, psychologique, de déshabiller son âme avec ses blessures,
20:42 avec les encoches, et d'enlever un peu les nips, les hardes que sont devenus sa psyché
20:48 et ses émotions au fil d'expériences difficiles qu'elle a vécues.
20:52 Et j'ai trouvé que ça, c'était très réussi.
20:53 C'est-à-dire que moi, je me suis retrouvée là-dedans, ça m'a marquée.
20:56 Et pour le coup, là, l'émotion est intervenue directement.
20:59 Je me suis dit, effectivement, c'est ça aujourd'hui, dans un monde où on se déshabille finalement assez facilement.
21:03 C'est ça l'enjeu, c'est d'arriver à se mettre à nu.
21:06 Et finalement, le fait que lui soit accusé d'agression, même pas d'agression sexuelle, vraiment, c'est plutôt d'être...
21:12 - Un dérapage, une manipulation.
21:14 - Un dérapage de manipulation, d'être un grand salaud, entre guillemets.
21:17 Finalement, ça devient un petit peu satellitaire.
21:20 La grande question, c'est elle.
21:22 - Oui, non, non, mais moi, en fait, j'admire parce que j'ai ressenti exactement l'inverse.
21:29 C'est-à-dire toute cette puissance, toute cette mise à nu, je l'avais dans "Feu".
21:32 Que j'ai trouvé absolument admirable.
21:35 Et qui est vraiment un livre qui laisse tout le monde...
21:40 Qui nous a choqués puissamment.
21:42 Et là, j'ai l'impression qu'elle part du principe qu'elle avait déjà tout raconté dans "Feu".
21:49 Donc là, en fait, c'est une petite suite, une petite histoire qui prendrait la suite avec ce personnage féminin.
21:54 Mais j'avoue que je n'ai pas du tout réussi à ressentir ça.
21:58 Et je vous envie d'avoir ressenti ça.
22:00 Parce qu'en revanche, il faut bien rappeler, cette écriture est magnifique.
22:03 Je l'ai lue de bout en bout et j'ai pris un plaisir de lecteur immense.
22:07 - Mais ça, c'est paradoxal quand même.
22:08 Parce que vous vous dites que l'écriture est merveilleuse et en même temps, vous trouvez que c'est presque dérisoire.
22:13 - Combien vous en avez dans la littérature française qui écrivent comme Maria Porchet ?
22:17 Moi, je ne sais pas.
22:18 Imaginez que Chloé de Lome, elle est punk, elle invente un style.
22:21 Moi, j'ai lu après le Chloé de Lome et j'ai trouvé le style presque classique.
22:25 Et presque le rythme lent comparé à ce que peut faire Maria Porchet.
22:29 C'est une femme qui a un talent absolument phénoménal.
22:33 Et c'était l'extrait du tout début.
22:35 Quand ça passe par le ventre, c'est sidérant.
22:38 Et quand ça passe par la tête, je trouve que moi, ça me laisse un peu sur ma faim.
22:42 - Il y a une urgence dans son écriture.
22:44 Elle le dit elle-même.
22:45 - Quand je me mets à écrire, je m'installe et j'y vais, ça galope.
22:48 Je ne m'arrête pas parce qu'il y a aussi cette sorte de tension aussi, de temps dans ce roman.
22:55 Qu'est-ce qui va se passer ? Quel va être le prochain rebondissement ?
22:58 Et on est aussi dans cette forme de huis clos très intéressant.
23:02 Peut-être juste un mot sur le personnage d'Alexis pour terminer.
23:05 On pourrait dire qu'il était un peu caricatural, ce fameux don Juan, cette star qui est ainsi dénoncée
23:11 et dont les agissements sont dénoncés.
23:13 Il y a aussi toute une symbolique autour du patriarcat.
23:16 - Elle le raconte très bien.
23:18 Elle décrit Alexis.
23:20 Il y a ce huis clos de quoi tout part, qui est un peu le ventre ou le cœur du récit.
23:24 Et puis, elle raconte comment à l'extérieur de leur huis clos et de leur duo amoureux, chaleureux, leur cocon,
23:29 la société s'emballe, la machine s'emballe et Alexis devient l'homme à abattre.
23:35 Il est presque question de lynchage à la fin.
23:37 Tout le monde a envie de se le faire parce qu'il incarne le don Juan toxique, l'homme toxique, le pervers narcissique.
23:42 Je trouve qu'elle le fait très bien avec cette écriture qui est merveilleuse.
23:46 Je suis absolument d'accord avec vous Antoine.
23:48 Elle écrit de manière spectaculaire.
23:50 Je trouve qu'elle saisit en arrivant à s'extraire de leur huis clos et en racontant.
23:55 C'est là qu'elle fait des interventions d'autrice que j'ai trouvé géniales.
23:58 C'est-à-dire qu'elle raconte à un moment donné, les femmes qui ont été victimes de cet homme
24:02 donnent des SMS à un journaliste et elle raconte en tant que romancière, en tant qu'elle-même,
24:07 raconte ses SMS et les met en scène à l'intérieur de son texte et dit quelque chose de très puissant
24:12 sur les mécanismes qui sont à l'œuvre dans la société.
24:15 Je trouve qu'elle le fait d'autant mieux qu'elle nous laisse complètement libre,
24:18 une fois qu'on a lu ce roman, de repenser avec nuance, avec soi-même,
24:23 ce qu'elle dit sur la société aujourd'hui.
24:26 Est-ce qu'elle a tort ou est-ce qu'elle a raison de vouloir lyncher des personnes ?
24:32 J'ai trouvé ça très profond.
24:34 - Sur le Chloé de l'Aume et le Maria Pourcher, on a exactement le même thème,
24:39 le même enjeu, le même sujet mais avec des traitements qui sont opposés.
24:42 Est-ce qu'on peut dire ça ?
24:44 - Oui, on a exactement la même thématique.
24:47 Il y en a une, Maria Pourcher, qui regarde les choses, qui prend presque un point de vue surplombant
24:52 et il y a l'autre, Chloé de l'Aume, qui nous les raconte de manière intime son propre conflit intérieur.
24:57 - L'autofiction et la fiction, c'est la seule différence entre les deux selon vous ?
25:02 - Moi, j'ai trouvé que les deux se complétaient très bien.
25:05 On peut lire l'un et l'autre et penser la même chose.
25:08 Ça ne s'exclut pas, il y a plus de nuances chez Maria Pourcher.
25:11 Chez Chloé de l'Aume, c'est plus radical.
25:14 Mais en même temps, on peut aussi le lire pour découvrir ce que c'est que le féminisme.
25:19 Moi, j'ai trouvé qu'il avait cette profondeur-là aussi.
25:21 En tout cas, ce côté pédagogique qui est absolument bienvenu dans une période
25:24 où on se pose beaucoup de questions et où parfois on est un petit peu perdu.
25:27 - C'est vrai que l'amour est questionné en cette rentrée littéraire,
25:30 notamment avec ses deux romans, Maria Pourcher, Western, c'est aux éditions Stock,
25:35 et le Chloé de l'Aume, donc Pauvre fille, aux éditions du Seuil.
25:39 - Folle ! - Pauvre folle, décidément, je ne vais pas y inscrire.
25:43 Pauvre folle !
25:44 Merci à tous les deux d'être venus dans cette table critique d'Emilie de Culture.
25:47 Élise Lépine, vous êtes journaliste littéraire, on peut vous lire dans le point.
25:50 Et Antoine Léris, journaliste, auteur, rédacteur, en chef du trimestriel Respect.
25:54 Le prochain numéro est disponible le 21 septembre prochain.
25:58 - Sur l'hospitalité. - Voilà, consacré à la notion d'hospitalité, vous avez tout dit.
26:02 Merci à tous les deux, les deux romans sont en librairie
26:04 et vous retrouvez toutes les références sur le site de France Culture
26:06 à la page de l'émission Les Midis de Culture.
26:09 [Musique]

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