• l’année dernière
Transcription
00:00 Quand tu regarderas le ciel la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elle,
00:03 puisque je rirai dans l'une d'elle, alors ce sera pour toi comme s'y riaient toutes les étoiles.
00:08 Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire.
00:12 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
00:14 *Musique*
00:20 France Culture, Olivier Gesper, bienvenue au Club.
00:24 *Musique*
00:30 Bonjour à tous, César de la meilleure actrice dans un second rôle pour la vie est un long fleuve tranquille d'Étienne Châtiliez.
00:36 On la retrouve plus tard au cinéma dans Jean Braspa d'entrée Téchinay, dans Quelques heures de printemps de Stéphane Brisé,
00:41 ou encore hors norme du duo Nacash, Tolé, Dano.
00:44 La comédienne Hélène Vincent est aujourd'hui la grand-mère rêvée de Nicolas Giraud dans L'astronaute en salle Mercredi.
00:51 Lunaire dans ce film, mais fidèle à elle-même, la comédienne s'est imposée du théâtre au cinéma comme une force tranquille.
00:59 Hélène Vincent est aujourd'hui l'invitée de Bienvenue au Club.
01:02 *Musique*
01:14 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
01:17 Une émission programmée par Henri Leblanc et préparée par Laura Dutèche-Pérez, réalisée par Félicie Fauger avec Ruben.
01:23 Carmazine à la technique.
01:26 *Musique*
01:37 Mais oui, imaginez, ingénieur en aéronautique, Jim a loupé de peu le concours pour aller dans l'espace.
01:43 C'est un Thomas Pesquet, mais un Thomas Pesquet qui n'a pas réussi ce concours.
01:47 C'est lui qui l'a emporté d'ailleurs, Thomas Pesquet, et du coup, c'est lui qui va pouvoir porter la fameuse combi.
01:52 En secret, du coup, Jim, ce rêveur obstiné, va construire sa propre fusée avec l'aide d'une équipe recomposée,
01:59 d'un chimiste autodidacte, d'un astronaute retraité, d'une jeune mathématicienne recalée à son dernier concours,
02:05 et d'une grand-mère, tout sauf terre à terre.
02:08 La fusée sera placée en orbite basse, à 250 km d'altitude, sur une trajectoire excentrée qui placera le Périgé dans l'atmosphère.
02:16 L'orbite est calculée pour que la capsule intersecte l'atmosphère après une révolution.
02:21 Donc, Jim aura le temps d'une orbite complète, 89 minutes, pour faire sa sortie.
02:26 Après ça, la capsule reviendra d'elle-même et se posera en mer, au large de la Vendée.
02:31 Mais comment on ira la récupérer ?
02:33 Il y a une balise épaisse dans la capsule, et avec tous les bateaux qu'il y a dans le coin...
02:36 Sans parler des militaires, qui réappliqueront ?
02:39 On devrait peut-être prendre un avocat, histoire d'avoir un coup d'avance.
02:42 Si on prévient un avocat qu'on va commettre un délit, il est obligé de nous dénoncer.
02:46 Si on réussit, tous les avocats se battront pour nous défendre.
02:49 Et si on échoue ?
02:51 Avec l'instabilité du XB-3, il y a quand même un risque que le lanceur explose au décollage.
02:57 Ça va, c'est bon, on sait.
02:59 Et une fois que tu seras en orbite, on n'est pas à l'abri d'une collision avec des débris spatiaux, d'un problème de moteur, ou même que tu fasses une crise cardiaque ?
03:05 Si, ça peut arriver.
03:08 En fait, j'ai calculé, et tout risque cumulé, j'arrive à un taux d'échec...
03:11 Bon, ça va, avec les stats. On n'est pas à la NASA, là.
03:14 Moi, ça m'intéresse.
03:16 Il est de combien, le taux d'échec ?
03:22 32%.
03:27 Une chance sur trois de mourir.
03:33 Tu ne m'avais jamais dit que ce serait si risqué.
03:35 Mamie, fais-moi confiance.
03:37 Tout se passera bien.
03:39 L'astronaute de Nicolas Giraud en orbite, dès mercredi au cinéma.
03:45 Bonjour Hélène Vincent.
03:46 Bonjour.
03:47 La mamie, c'est vous.
03:48 Oui, c'est moi la mamie.
03:49 Je n'ai pas été recalée.
03:52 Vous n'avez pas été recalée.
03:53 Je n'ai pas été recalée de l'amour.
03:55 Odette, de son vrai nom.
03:57 Oui, oui.
03:58 La grand-mère de Jim, ce rêveur invétéré qui a loupé de peu ce concours,
04:04 mais qui n'a pas renoncé pour autant à ses rêves et son grand rêve à lui,
04:07 c'est d'aller voyager dans l'espace.
04:10 Le personnage d'Odette, la grand-mère,
04:12 est-ce que vous diriez qu'elle est un peu un satellite,
04:15 un satellite naturel pour lui, pour Jim ?
04:18 Ah, l'image est belle.
04:19 Je vais la reprendre vraiment avec plaisir.
04:23 Oui, il y a d'ailleurs, il organise autour de lui un certain nombre de satellites.
04:29 Elle est là en première position depuis toujours.
04:33 Il faut beaucoup d'amour pour accepter que quelqu'un qu'on aime
04:37 aille jusqu'au bout de ses rêves et l'aider à la réalisation de ses rêves.
04:43 C'est ce qu'elle fait modestement.
04:45 Là, c'est dans l'extrait qu'on vient d'entendre presque le seul moment
04:48 où elle commence à angoisser un peu, en tout cas à laisser poindre une inquiétude.
04:52 Oui, parce qu'il a quand même été assez discret
04:57 sur les conséquences dramatiques possibles de son aventure.
05:01 Donc, elle prend ça en pleine face, comme ça, d'un seul coup.
05:07 Et en même temps, elle décide de continuer à le soutenir, à l'accompagner.
05:11 C'est vrai que c'est une figure lunaire, cette grand-mère, dans le film, non ?
05:14 Oui, c'est vrai.
05:17 Par sa permanence et par sa douceur et par sa lumière aussi.
05:26 Accomplir le premier vol spatial habité en amateur,
05:30 voilà le défi qu'il se fixe avec son équipé,
05:34 avec cette équipe qui va se reconstituer au fur et à mesure.
05:40 C'est une folie dont elle ne va jamais essayer de dissuader.
05:44 Au contraire. Pourquoi, d'après vous ?
05:47 Parce qu'elle l'aime.
05:49 Parce qu'elle a conscience de la densité incroyable du rêve qui l'habite.
05:56 Parce qu'elle sait qu'il n'y a pas de réalisation intime pour lui
06:02 et de bonheur pour lui en dehors de l'avènement de ce rêve.
06:08 Ce rêve qu'il tient depuis longtemps, qu'il tient depuis qu'il est petit,
06:12 depuis sa relation avec son grand-père.
06:15 Il y a une filiation qui vient de loin.
06:20 Je pense que c'est pour ça qu'elle l'accompagne, qu'elle le soutient et qu'elle le défend.
06:28 Ça fait presque un siècle que le cinéma nous envoie dans l'espace,
06:33 que ça reste un terrain d'exploration aussi pour les cinéastes.
06:37 Pourquoi ? Pourquoi, d'après vous, le cinéma est peut-être l'art
06:41 qui nous permet de toucher le plus concrètement ou vraiment avec le bout des doigts
06:46 cet espace qui est longtemps resté aussi plein d'imaginaire ?
06:51 Pourquoi ça continue à nous faire rêver ?
06:54 Pourquoi l'espace nous fait rêver ? Parce qu'il est infini.
06:58 Il est infini. On découvre une chose et demain une autre.
07:02 Et à nouveau un anneau autour d'une petite planète dans un coin.
07:09 C'est la vie, le principe vital jusqu'au bout.
07:18 Donc, ce n'est pas étonnant que ça nous fasse rêver encore et aujourd'hui.
07:27 Par exemple, ma grand-mère, lorsque les hommes ont marché sur la Lune, les premiers,
07:34 ma grand-mère s'est mise à genoux et elle a prié.
07:39 Et je suis persuadée qu'elle pensait que là, enfin, on verrait Dieu.
07:46 C'était là la demeure de Dieu.
07:49 Bon, voilà, moi je n'ai pas cru à ça.
07:54 Je ne crois pas à ça, mais je crois que l'espace est peut-être l'avenir de l'homme.
08:01 Elle fait partie de cette génération, votre grand-mère, qui comme le personnage que vous incarnez
08:07 et son mari, peut-être collectionnait dans des albums les coupures de presse
08:11 qui racontaient ce rêve d'espace, ce rêve des pionniers aussi, des premiers voyageurs dans l'espace.
08:19 Est-ce que vous pensez qu'on est nous, d'une génération plus terre à terre,
08:23 qu'aujourd'hui l'espace est devenu peut-être un endroit de plus en plus accessible,
08:29 pas simplement par le cinéma, mais aussi avec cette idée du premier vol spatial habité en amateurs,
08:35 c'est-à-dire cette idée d'un espace qu'on pourrait un jour accueillir de manière plus artisanale
08:43 et que ces voyages-là pourront se faire.
08:46 C'est ça le risque, s'il réussit.
08:48 Je ne sais pas, mais en tout cas, c'est le challenge que se donne Tim, Jim plutôt,
08:59 le personnage du film et l'astronaute.
09:03 Mais comment vous dire ?
09:09 Je ne sais pas si c'est possible de rêver comme ça et d'aboutir ce rêve,
09:15 mais je suis persuadée que les hommes ne cesseront jamais d'essayer d'aller voir là-haut,
09:21 s'ils y sont, avec plus ou moins de moyens.
09:26 Et beaucoup de moyens, il y a déjà des gens qui ont décidé d'aller faire des petits week-ends.
09:31 Mais je pense que c'est infini.
09:36 Votre imaginaire, à vous, il s'est ouvert avec quoi ?
09:41 Avec quel livre, cet imaginaire de l'espace, de l'ailleurs, cette poésie de l'espace, comme vous l'évoquez ?
09:49 Moi, je n'ai pas rêvé de ça.
09:53 Je suis fascinée par le cycle de la Lune, que je regarde comme j'habite à la campagne,
09:59 que je regarde très régulièrement.
10:02 Je suis fascinée par ça, par ces myriades d'étoiles l'été et au mois d'août
10:08 qui illuminent, qui prennent tout le ciel.
10:12 Mais je suis restée très modestement sur la Terre.
10:21 Parfois, j'ai très peur que cette Terre n'explose, qu'on la mette à mal.
10:28 D'ailleurs, on la met à mal.
10:30 Mais non, je n'ai pas rêvé aussi haut.
10:34 Je suis là et je regarde là-haut et je suis extrêmement émue, extrêmement consciente
10:42 de la fragilité et de la précarité de mon existence de petite bonne femme.
10:48 Et vous ne voyez pas le petit prince posé sur sa planète, là-haut ?
10:52 On entendait un extrait à l'instant du Petit Prince de Saint-Exupéry,
10:56 lu par Bernard Giraudot en ouverture de l'émission.
10:59 Il nous a fait rêver aussi, ce Petit Prince, de ses ailleurs.
11:03 On a peut-être avec cet astronaute un conte moderne, une version moderne du Petit Prince.
11:08 Est-ce qu'il y a des rêves que vous n'avez-vous jamais réalisés ?
11:12 Vos rêves à vous, Hélène Vincent, qui ne sont peut-être pas des rêves d'espace d'ailleurs,
11:15 et ça n'a pas besoin d'être, qui sont des rêves de comédie, des rêves de théâtre ou de cinéma ?
11:21 Aucune vie ne peut dire, aucune personne ayant vécu un certain nombre d'années,
11:25 comme c'est mon cas, ne peut se vanter d'avoir réalisé tous ses rêves.
11:31 Il y en a beaucoup qui sont passés, comme ça, à ma portée et que certainement je n'ai pas attrapé.
11:40 Et pourquoi ? Parce que vous n'étiez peut-être pas prête à tout, comme lui il l'est dans ce film ?
11:46 Je suis certaine que, par exemple, dans ma carrière, dans ma vie de comédienne,
11:55 il y a eu des choix, des carrefours où j'ai choisi autre chose que ma carrière,
12:01 où j'ai choisi des enfants, des amours, etc.
12:06 Je n'ai pas mis comme Nicolas mon rêve de partir, de construire une fusée,
12:14 de partir dans l'espace, je n'ai pas mis ça au premier plan.
12:20 Donc forcément, ça fait un chemin avec des pleins et avec des creux,
12:29 mais que j'ai assumé très bien.
12:34 J'avais l'impression que mon rêve d'être actrice, qui est vraiment fondateur,
12:40 j'ai rêvé de ça depuis que je suis toute petite, je voulais ça absolument,
12:44 mais je crois que je n'ai pas voulu ça à tout prix.
12:50 Et que donc, je me suis lancée à corps perdu dans chacune des propositions
12:57 qui sont venues à moi et que j'ai attrapées,
13:01 mais entre, je n'ai pas cherché, comment je dirais, à soulever des montagnes
13:09 pour que le voyage soit plus extraordinaire.
13:14 - Et en même temps, vous avez dit "le théâtre m'a empêchée de croire
13:17 que les étoiles orientaient leurs pointes vers moi".
13:20 C'est un travail dans la durée que le cinéma n'offre pas,
13:23 un travail d'artisan profond, obstiné, modeste, mais acharné.
13:27 Vous rediriez cela aujourd'hui ? Est-ce que la scène vous a permis de garder les pieds sur terre ?
13:31 - Absolument.
13:35 Et le théâtre vous permet, par la modestie de votre participation quand on est comédien,
13:46 vous permet de garder conscience que vous êtes des voyageurs,
13:53 que vous transmettez quelque chose qui est la parole de poète.
13:59 Vous êtes un outil, vous êtes un messager de la poésie.
14:05 Ce n'est pas vous, vous, vous.
14:10 Et puis, en plus, ce que j'ai aimé dans le théâtre,
14:15 c'est la richesse des aventures collectives dans lesquelles je me suis inscrite.
14:22 J'ai toujours eu conscience, mais même au cinéma, que ce n'est pas moi,
14:29 c'est moi mais les autres, les autres.
14:32 Et c'est nous tous, nous tous ensemble, qui formons quelque chose qui devient absolument magnifique,
14:38 si tout va bien, qui fait rire, qui fait pleurer, qui fait rêver, mais ce n'est pas une personne.
14:45 - C'est cet esprit d'équipe qu'on retrouve d'ailleurs dans le film "L'astronaute".
14:49 Seul, il ne peut pas construire sa fusée, seul, il ne peut pas aller au bout de son rêve.
14:55 Pour ça, il va falloir qu'il accepte aussi de faire confiance et de s'entourer.
14:58 Et ensemble, ils vont pouvoir faire mûrir ce projet et rêver aussi avec lui.
15:04 C'est peut-être une métaphore du cinéma, du théâtre aussi, tel que vous le racontez, Hélène Vincent,
15:08 cette idée du collectif, sans qui, sans quoi, rien ne pourrait arriver.
15:13 - Je ne crois pas, ou disons je crois difficilement, que quelqu'un tout seul, tout à coup, ait je ne sais quelle révélation.
15:21 Je pense qu'on est fait, au fil des siècles, de génération en pré-génération,
15:26 on est fait par des successions d'influences sensibles, émotionnelles, intellectuelles, culturelles.
15:36 On voit un tableau et tout à coup, ça donne une envie, ça ouvre l'imaginaire vers quelque chose d'autre.
15:45 On est fait de multiples influences et je crois que rien ne se fait de vraiment très très très important
15:58 sans qu'il y ait association de plusieurs personnes, de plusieurs rêveurs, de plusieurs hommes, femmes, voilà.
16:08 Et qu'on fait en plus ces choses qu'on invente, on les fait pour les donner, pour les offrir, pour rejoindre le public.
16:15 Ça c'est quelque chose de tout à fait... Voilà.
16:18 C'est plus sensible au théâtre qu'au cinéma parce que le cinéma fractionne nos participations.
16:27 - Il y a trois grands metteurs en scène qui ont traversé votre vie théâtrale Hélène Vincent.
16:32 Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent, Christian Schiaretti.
16:36 Patrice Chéreau c'était la comète ?
16:39 - Patrice Chéreau c'était le plus jeune de nous trois.
16:45 Patrice avait 17 ans, Jean avait 18 et Jean-Pierre Vincent 19.
16:50 Mais Patrice ça a très vite, tout de suite, été le leader, le phare, le...
16:58 Voilà, il était, Jean-Pierre le dit dans un très beau livre d'ailleurs, il dit, il était en avance sur nous.
17:07 Il avait déjà fait, découvert beaucoup de choses que...
17:11 Et j'ai eu conscience disait Jean-Pierre qu'il fallait que je m'accroche là, à cet endroit là,
17:17 et que je suive cet homme là. Quelque part, plus modestement, j'ai eu conscience très vite qu'il fallait...
17:26 Là a été ma voie, mon chemin, ma chance incroyable de rencontrer ces deux hommes là.
17:34 Moi qui n'avais pas lu trois livres...
17:37 - Parce que celui que vous avez surtout suivi c'est Jean-Pierre Vincent quand même.
17:40 - Pardon ?
17:41 - Celui que vous avez surtout suivi c'est Jean-Pierre Vincent.
17:43 - Ah c'est...
17:44 - Hélène Vincent, on peut quand même le dire.
17:46 - Oui, oui, oui, ce fut pendant de longues années mon compagnon et...
17:53 - Et vous avez partagé beaucoup, y compris à la scène ensemble.
17:57 - J'ai travaillé avec lui dans plusieurs spectacles. J'ai pas fait tous ses spectacles, mais j'en ai fait beaucoup.
18:04 Et tout ce que je sais, tout ce que je sais, je le dois à Patrice, je le dois à Jean-Pierre,
18:14 qui étaient des forcenés du travail, des acharnés, des passionnés comme Nicolas, des perfectionnistes comme Nicolas,
18:23 et qui m'ont appris à travailler en serrant les dents.
18:31 Et il n'y avait pas d'espace pour se plaindre. Il fallait écouter, apprendre et avancer.
18:37 - Écouter, apprendre et avancer parfois avec un peu de souffrance.
18:42 Aujourd'hui, cette notion de souffrance dans le jeu, dans le théâtre, dans l'apprentissage du jeu,
18:46 elle est beaucoup remise en question. On discute notamment autour de la pensée de Stanislavski,
18:54 des grandes recettes aussi pour enseigner et apprendre le théâtre,
18:58 savoir s'il faut aller chercher au fond de soi les émotions les plus dures, les traumatismes aussi.
19:03 Qu'est-ce que vous en dites, Hélène Vincent ? Est-ce qu'il faut aussi travailler avec ces blessures, avec ces bosses ?
19:09 - C'est effilant. De toute façon, les choses, les bonnes choses qui nous arrivent,
19:15 les choses tragiques qui nous arrivent, on ne peut pas les évacuer.
19:19 Quand on est comédien, je dirais qu'on est à nous-mêmes notre propre outil.
19:24 Donc on travaille avec le pire et avec le meilleur.
19:29 La difficulté, c'est de savoir qu'on s'en sert au moment où on joue.
19:35 Sinon, on est dans le psychodrame, ce qui n'a absolument aucun intérêt.
19:39 Et l'art est très loin du psychodrame.
19:41 Mais voilà, on ne joue pas impunément certains textes.
19:49 On ne joue pas impunément certains rôles.
19:53 Et moi, c'est vrai, j'ai appris à travailler durement.
19:58 Mais vous savez, quand on regarde la carrière d'un danseur,
20:04 il n'y a pas de recette autre que d'accepter,
20:13 pour aller vers le meilleur, vers le plus beau, d'accepter la souffrance.
20:18 Moi, j'ai appris à travailler en serrant les dents et en souffrant.
20:21 Il n'était pas question de dire "là, ça ne va pas",
20:24 "non, non, mais je ne le sens pas", "non, mais je le ferai quand il y aura le public",
20:28 "je ne sais pas quoi, je ne sais pas quoi", c'était avant, c'est travail.
20:31 Réfléchi et fait.
20:33 Et c'est que l'action, que la mise en route, pas après pas,
20:37 qui fait qu'un jour, on aboutit à quelque chose
20:40 qui s'approche de la réalisation d'un rêve qu'on avait.
20:47 - Peut-être que cette souffrance, pardon, si j'essaie de comprendre aussi ce que vous dites,
20:52 et les débats aujourd'hui pour une jeune génération d'apprentis comédiens ou d'acteurs,
20:58 c'est que, est-ce que vous avez eu le sentiment que cette souffrance, ce travail-là acharné,
21:02 vous l'avez choisi ? Ou est-ce que par moment ça a été subi pour vous ?
21:06 Est-ce que ça venait du metteur en scène un peu autocrate, très influent, tyrannique ?
21:11 - Non, non, non, je pense que s'il n'y avait pas eu ces deux-là à l'origine de ma vie de comédienne,
21:18 j'aurais peut-être été en danger de me satisfaire de peu.
21:23 Je pense, et je suis prête à souffrir pour travailler.
21:28 Je pense qu'il est difficile de réaliser quelque chose de beau sans que ça fasse mal par moment.
21:38 Je crois que... Ou alors on rêve pas grand.
21:44 - Et là, vous avez eu envie de rêver grand, et vous l'avez fait aussi à travers des rôles que vous, vous êtes choisie,
21:51 comme celui de Molly, de Molly Bloom, ce monologue de Joyce.
21:54 Ça, ça a été une vraie prise de risque dans votre parcours.
21:58 Est-ce que ce rôle qui vous a quand même sonné, qui vous a épuisé,
22:02 après un nombre incalculable de représentations, vous l'avez dit, après coup vous le regrettez ?
22:07 - Ah non, non, non, je ne le regrette pas.
22:10 Je pense, quand la proposition m'a été faite de jouer ça, je pensais que c'était pas pour moi.
22:16 Je pensais que c'était fait pour une comédienne que j'estime beaucoup, que j'admire beaucoup,
22:20 qui s'appelle Christiane Cohenby.
22:22 Je me disais, elle, elle l'est faite pour ça, pas moi.
22:24 Bon, on a insisté autour de moi pour que j'accepte de le faire, je me suis mise à apprendre ce texte.
22:30 Et là, pendant six mois, j'ai fait que ça, apprendre ce texte, qui est...
22:34 C'est une torture d'apprendre ce texte.
22:37 Et ça a été une des belles choses que j'ai faites, et Jean-Michel Dupuy, qui m'a mis en scène,
22:45 m'avait fait travailler lui aussi, avec une exigence certaine.
22:52 Mais c'est sans doute un des plus beaux rôles que j'ai joué au théâtre.
22:58 Mais l'épreuve, je dis l'épreuve, l'aventure a été telle, a été telle,
23:05 la terreur de ne pas être à la hauteur a été telle,
23:08 la terreur des trous de texte a été telle que j'ai arrêté de jouer au théâtre.
23:14 Je ne pouvais plus remonter sur le plateau.
23:17 J'étais dans un état de panique absolu, et donc j'ai arrêté pendant 15 ans de jouer au théâtre.
23:25 - Et c'est là que le cinéma est revenu ?
23:27 - Alors, le cinéma était là, mais bon, le cinéma, ça m'a semblé à l'époque
23:37 une chose incroyablement plus douce, plus facile.
23:43 Et quand j'ai recommencé à travailler, c'était avec Christian Scaretti dans Coriolan de Shakespeare,
23:50 c'était 15 ans après, le jour de la première, la terreur était là au rendez-vous.
23:57 Elle n'avait pas changé.
23:59 C'était, voilà, le diable était là.
24:02 - Elle était en vous, Hélène Vincent, comédienne,
24:05 invitée pour quelques minutes encore de l'entretien de Bienvenue au club,
24:09 ce qui est intriguant dans votre filmographie,
24:13 c'est la succession de prénoms un peu vieilles France de vos personnages,
24:17 que toutes les Marielle, Odette, Marie-Paul, Yvette, Marcel, Odile, Nicole,
24:23 me pardonnent de les citer dans ce cadre-là.
24:26 Vous êtes le contraire pourtant de ce personnage de grande bourgeoise
24:29 que vous avez endossée à 40 ans dans la vie est un long fleuve tranquille
24:32 et qui vous a longtemps collé à la peau.
24:34 Vous venez d'un milieu plutôt modeste, mais qui avait quand même le cinéma pour boussole.
24:38 Et vous avez retrouvé depuis des très, très beaux rôles.
24:41 On peut penser aux deux films d'Albert Dupontel avec lesquels vous avez tourné,
24:45 Grinçant à l'origine du monde, aussi de Laurent Laffitte, totalement mordant.
24:49 Et puis à ce très beau film de Stéphane Brizet, Quelques heures de printemps.
24:53 Ça, c'est un rôle qui a un moment été un tournant pour vous aussi ?
24:57 - Ah ça, c'est le rôle que je voulais.
24:59 Je ne savais pas que ça allait m'arriver, mais quand on me l'a proposé,
25:03 j'ai lu ce scénario et j'ai été immédiatement, comment je dirais, charnelle.
25:13 J'étais prête pour cette aventure-là, qui n'a pas été facile,
25:22 mais c'est un des plus beaux rôles qui m'a été donné de jouer au cinéma.
25:26 À travers ce rôle-là, en plus, pour une fois, moi qui avais joué des bourgeois,
25:30 des bourgeoises à répétition, sans mépris pour les bourgeois en question que j'ai joué,
25:36 mais pour la première fois, j'avais l'occasion au cinéma de rejoindre les femmes de ma famille,
25:43 d'investir quelque chose que j'avais vu chez ma mère, chez ma grand-mère, chez mes tantes.
25:49 Voilà, elles étaient là avec moi, dans leur simplicité, dans leur modestie,
25:57 dans leur destin secret, avec tous ces mots qu'elles n'ont jamais dits, qu'elles sont parties avec.
26:05 J'avais l'impression de jouer pour elles, d'être là pour elles, de les représenter.
26:12 C'est quelque chose qui s'est...
26:15 Ça a été un cadeau inouï pour moi, ce rôle, vraiment.
26:19 Là, Stéphane Brisé, il m'a donné quelque chose de tellement beau.
26:24 - D'avoir trouvé votre place, ou retrouvé une certaine place, en tout cas avec ce film.
26:29 Merci beaucoup à vous Hélène Vincent, vous serez à l'affiche de l'Astronaute en salle ce mercredi.
26:35 Le nouveau film de Nicolas Giraud est bien entouré aussi, par ailleurs, dans ce film.
26:40 Merci à vous. - Merci à vous.

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