• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « T'es là » de France Culture *
00:17 Bonjour à tous, metteurs en scène prolifiques sur toutes les scènes du monde,
00:20 de New York à Milan, de Salzbourg au festival D'Aix-en-Provence.
00:24 Le Canadien Robert Carson est de retour à l'Opéra de Paris
00:27 où il vient de monter l'Ariodente de Handel,
00:30 à voir à l'Opéra Garnier jusqu'au 20 mai, dirigé par Harry Bickett.
00:35 Il montre dans cette opéra, dans sa mise en scène,
00:38 toute la modernité de cette opéra baroque en trois actes de 1735.
00:42 Une histoire de cours et de chœurs où les réputations sont mises à mal.
00:47 Larme fatale encore de nos jours ?
00:49 Notre invité Robert Carson nous le dira.
00:52 Il est aujourd'hui dans Bienvenue au club.
00:54 * Extrait de « T'es là » de France Culture *
01:05 Une émission programmée par Henri Leblanc et à Douc Delphineau,
01:07 préparée par Théa Corlaire, coordonnée par Laura Dutèche-Pérez.
01:10 Avec Olivier Guérin aujourd'hui à la réalisation et Jacques Azubert à la technique.
01:14 Bonjour à tous et bonjour Robert Carson.
01:17 Bonjour Elia.
01:18 Ami des artistes, metteurs en scène mais parfois aussi scénographe d'exposition,
01:22 vous êtes de retour en France, bienvenue.
01:24 Quelle est la première exposition que vous êtes allé voir ou que vous irez voir ?
01:28 Est-ce que ce serait Basquiat Warhol à la Fondation Vuitton ?
01:31 Est-ce que ce serait Sarah Bernard au Petit Palais ?
01:34 Est-ce que ce serait David Hockney au Musée Granet Aix en Provence ?
01:36 Ou encore Manet Degas au Musée d'Orsay ?
01:38 Je vous donne des pistes.
01:40 J'ai déjà vu l'exposition Basquiat Warhol que j'ai adoré à la Fondation Louis Vuitton.
01:48 Je suis passé pas mal de temps. C'est une exposition très surprenante.
01:53 Je connais assez bien le travail des deux artistes.
01:57 Je pense que j'ai vu seulement deux toiles de collaboration et j'étais très heureux de voir ça.
02:01 C'est cet expo à quatre mains.
02:03 David Hockney au Musée Granet, je vais peut-être aller le voir quand je serai dans le Sud en quelques semaines.
02:10 Et Degas, c'est Degas Manet non ? Que je voulais absolument voir.
02:16 Je me rappelle que j'avais l'intention d'aller le voir mais ils ont reporté la date de l'ouverture de l'exposition à cause de la visite annulée de le Roi Charles.
02:27 Du coup, je ne pouvais pas le voir puisqu'on était dans les répétitions finales pour Ariadne.
02:34 Alors Hockney c'est l'ami. C'est votre ami Robert Carson.
02:38 Si vous passez le voir dans le Sud, ce sera l'occasion de vacances ou vous préparez quelque chose pour le Festival d'Aix en Provence ?
02:45 Non, ce serait pour voir l'exposition puisque David habite en Normandie actuellement.
02:50 Donc ce serait pour voir l'exposition quand je serai dans le Sud juste pour la détente.
02:58 Pour la détente. Parce que le Festival d'Aix, et on va y revenir, vous avez aussi noué avec ce festival d'art lyrique une relation toute particulière.
03:06 Qu'est-ce que vous trouvez chez les peintres ? Qu'est-ce que vous aimez dans cet art pictural ?
03:11 Est-ce que vous y trouvez aussi votre inspiration à vous comme scénographe et comme metteur en scène ?
03:16 Parfois. Parfois. L'art, pour moi, il n'y a pas vraiment de séparation entre les arts.
03:23 La façon dont les artistes travaillent me donne réflexion. Dans le sens qu'un écrivain ou un artiste travaille tout seul.
03:33 Pour nous, dans le théâtre, dans l'opéra, dans le ballet, dans la comédie musicale, c'est un art de collaboration.
03:42 Nous sommes plusieurs à faire une réalisation. Tandis que ces artistes-là, ils travaillent tout seuls.
03:49 Mais c'est un univers qui m'intéresse énormément. L'univers créé par un artiste, une réflexion de son époque.
03:59 Je me rappelle une fois, David, quand je l'ai rencontré tout jeune, il m'avait dit une fois, quand on est allé voir une exposition ensemble,
04:06 il m'avait dit "quoi qu'on fait, quoi qu'on pense, on fait toujours partie de son époque".
04:11 Il me faisait des explications en regardant des tableaux en États-Unis, s'il se trouve.
04:17 Qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
04:21 Parlons de quelque chose comme Ariodante d'Indel. Quand je travaille sur une partition, sur une pièce qui est écrite à pratiquement 300 ans avant nous, 1735 pour le cas d'Ariodante,
04:33 je regarde ça comme si ça vient d'être écrit. Je dis toujours, ce n'est pas la faute à l'œuvre que X ans années se sont passées, que le temps a passé.
04:42 Puisque l'œuvre, quand elle a été écrite, comme toute œuvre, a été moderne. Et on sait combien d'efforts les artistes, les compositeurs ont dû donner pour créer l'art.
04:55 Trouver le livret qui va les inspirer, trouver l'histoire qui va leur aider à inventer ce paysage émotionnel qui est la musique, abstrait, qui n'appartient que à eux.
05:09 Qui, contrairement au texte qui est lisible par tout le monde, est une chose que chacun de nous appréhende d'une manière différente.
05:18 Donc, j'aime regarder les pièces comme s'ils viennent d'être écrits. Et ne pas du tout...
05:24 C'est compliqué, ce que je veux dire, dans le sens que ce n'est pas une question de comment on fait la mise en scène, décors, costumes, d'époque, pas d'époque.
05:32 Je ne parle pas du tout de ça. Je parle de le regard sur l'œuvre. Je n'aime jamais mettre la voile sur la distance du temps.
05:39 Et c'est fascinant quand on lit comme Händel, les problèmes qu'il a eus. Il est arrivé en 1711 à Londres.
05:48 Grande explosion, c'était un théâtre que personne n'avait jamais vu. Ses opéras d'Italien.
05:54 Et puis avec le temps, avec son succès, les ennemis contre lui, les factions qui démolissaient ce qu'il faisait, tous les problèmes qu'il a eus.
06:04 Et tout ce qu'il a dû faire pour renouveler son travail. Et dans le cas d'Ariodente, on sait qu'il a ajouté la danse.
06:14 Ça c'était le "new secret weapon", c'était Marie Salé, les danseurs. Donc on sent dans la création de chacun de ses œuvres.
06:25 Et j'essaie de trouver ce qui est immédiat dans le travail.
06:30 Mais au fond du coup, pour vous, qu'est-ce que c'est la modernité ? À quoi ça tient ?
06:38 Mais la modernité, c'est peut-être ne pas chercher à être moderne. C'est chercher à être juste dans le rapport que l'oeuvre peut avoir avec le public d'aujourd'hui.
06:51 Puisque bien évidemment, on peut dire que l'être humain en soi-même n'a pas tant changé en 300 ans.
06:59 Mais le public a changé dans ce qu'il connaît. Ce que le théâtre représente aujourd'hui, ce que le théâtre représentait.
07:11 Entre-temps, il y a tous les développements, pas seulement du théâtre, mais du cinéma, des médias.
07:17 Ce qui est très intéressant quand on travaille sur Nopal Dendel, c'est que nous sommes très peu habitués à se concentrer pour si longtemps.
07:27 Tout est 15 secondes, 12 secondes, 42 mots, X signes. Tandis que là, avec Dendel, on est plongé dans l'émotion.
07:35 Des airs qui durent jusqu'à 12, 13, 14, 15 minutes. Incroyable.
07:41 Donc, il y a de toute façon pour moi, avec tout l'art, une relation au temps qui est très particulière.
07:48 On visite, on peut être devant un tableau, on peut être devant un morceau de musique, un ballet, une danse, le cinéma.
07:55 C'est l'arrêt du temps. Et Dendel, pour moi, c'est le maître de savoir nous faire suspendre ou arrêter le temps.
08:03 Et c'est un opéra plein, plein, plein, tout plein d'arias qui sont totalement virtuoses.
08:10 Et puis, il y a un air, un grand air, le beau, la mento de Dendel dans cette pièce qu'on va écouter, si vous le voulez bien.
08:18 Il clôt plutôt l'acte II.
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11:15 Amour, honneur, complot, trahison à la cour d'Ecosse
11:20 pour cette Ariodante de Händel.
11:23 Qui sont vos Ginevra et votre Ariodante ?
11:27 Qui est le traître Pauline Esso dans cet opéra Robert Karsen
11:32 que vous mettez en scène actuellement à l'Opéra de Paris ?
11:35 Qui sont-ils dans notre production ?
11:39 Vous savez que Ariodante c'est peut-être le troisième ou le quatrième opéra
11:45 que Händel a composé basé sur Orlando Furioso de l'Arioste
11:51 avec Alcina, Orlando et peut-être certainement un autre, peut-être un deuxième que j'ai oublié.
11:59 Mais c'est dans toutes les œuvres que Händel a écrite, c'est la seule œuvre qui est située au Royaume-Uni
12:06 où Händel a vécu tellement longtemps.
12:10 Il arrive en 1711 et Ariodante le compose 25 ans plus tard.
12:15 Il est là tout le temps avec les premières, une après l'autre.
12:19 Donc avec mon co-scénographe Luis Carvalho, on a décidé que c'était peut-être intéressant
12:26 étant donné que nous sommes entièrement à la cour du roi d'Ecosse
12:31 avec sa fille la princesse Ginevra, son amant le prince Ariodante
12:36 et son frère le prince Lurcagno, le duc d'Olboni Pauline Esso, le méchant.
12:41 Elle doit épouser, Ginevra doit épouser Ariodante
12:45 mais elle va devoir subir les mauvais coups du sort et les mauvais coups du traître.
12:50 Avec la dame d'honneur Dolinda et avec le secrétaire privé, private secretary du roi Odoard.
12:57 Donc on a décidé de rester en Angleterre, au Royaume-Uni, en Ecosse
13:01 et d'imaginer la famille royale peut-être d'aujourd'hui ou d'aujourd'hui
13:07 avec le roi Charles et bien sûr on a deux frères royaux là avec Prince Harry et Prince William
13:13 en reflet avec Lurcagno et Ariodante si vous voulez.
13:17 D'avoir un peu cet oeil sur les scandales de cour, les problèmes de trahison,
13:23 d'agenda, comment dire en anglais, que chacun essaie de faire vendre son point de vue.
13:29 Et bien évidemment Pauline Esso qui est vraiment le plus méchant méchant qu'on ait jamais composé
13:36 puisque d'habitude c'est plutôt gris, plus que blanc et noir.
13:41 Mais là on a vraiment quelqu'un qui d'emblée tel un Richard Thaw dans la pièce de Shakespeare
13:46 sait et nous dit dans son premier air "je sais ce que je fais, je veux faire du mal
13:51 mais je sais pourquoi je le fais et c'est comme ça qu'il faut faire".
13:55 Chaque fois on le voit il nous souligne que c'est plus facile et mieux de se comporter
14:01 comme on veut au lieu d'être vertueux et ennuyant.
14:05 Poussant Ariodante jusqu'au suicide, c'est aussi le sujet de ce lamento
14:10 de ce "Lamento cerds afi infida" qui est un sommet musical.
14:16 Il démolit la réputation de Ginevra en montrant à Ariodante à quel point elle est infidèle
14:24 avec personne d'autre que lui-même.
14:27 Il explique qu'elle couche avec lui et qu'elle n'aime pas du tout Ariodante
14:33 qui elle doit marier le lendemain.
14:35 Il démolit sa réputation de la fille du roi, le roi refuse de lui parler,
14:40 il pousse son fiancé Ariodante au suicide et il s'organise le tout du point de vue
14:46 qu'il peut être le champion qui va venir défendre la fille pour pouvoir l'épouser
14:53 et devenir le futur roi puisque le roi d'Ecosse a déjà déterminé
14:58 que celui qui va marier sa fille deviendra le prochain roi après lui.
15:03 - Je pense aussi que c'est une des premières fois, en tout cas c'est la première fois
15:08 que d'une manière aussi aiguë, Händel, Robert Kersen, entre à ce point-là
15:13 dans la forêt de nos psychés avec cet opéra.
15:17 À comprendre les douleurs, les états d'âme, les songes funestes que sont ceux de ces personnages.
15:24 - Je ne sais pas si c'est la première fois puisqu'il y a plein d'autres.
15:28 - Ce que je dis avec cet opéra, pour moi c'est unique dans le sens que,
15:32 étant donné qu'il n'y a aucun caractère mythologique ou magique,
15:36 il n'y a pas de mages, il n'y a pas de magicien, il n'y a pas de dieu,
15:39 on reste complètement dans une réalité.
15:42 C'est un opéra qui est beaucoup plus réel dans le développement du synopsis, du complot
15:50 que la plupart des opéras d'Händel et il n'y a pas de deuxième couche de métaphore ou poétique même.
15:56 Bien évidemment, dans l'exploration des douleurs et des souffrances des caractères,
16:00 Genevra quand elle ne comprend plus rien, comment elle a pu, dans l'espace de 20 minutes,
16:05 perdre son amant, son mari et l'affection de son père,
16:10 quand elle est innocente de tout, elle ne comprend plus rien.
16:13 Et elle aussi, elle est proche du suicide.
16:17 Mais l'histoire, où tous les caractères sont liés dans la même histoire,
16:24 n'a pas du tout cette complexité de l'histoire que des opéras comme Alcina ou bien bien bien d'autres ont,
16:33 avec la présence des magiciens ou des dieux, comme j'ai dit,
16:36 qui peuvent amener un deuxième, troisième niveau de lecture.
16:41 Elle va en perdre littéralement la raison et il reste à savoir si Händel va la sauver.
16:46 Et finalement dans cette société, dans cette société de cours qu'il représente,
16:51 qui est toujours éventuellement d'actualité, comme vous le soulignez Robert Kersen,
16:55 qui est propre à l'humanité, ses sentiments à la fois vils et bas et nobles d'un autre côté,
17:01 qu'est-ce qui va la sauver ? Comment Händel va la sauver ? Est-ce qu'il va faire le choix ?
17:06 - Oui, bien sûr, puisque tel d'une série, on apprend que Ariadante est mort
17:12 et puis après le deuxième entracte, on découvre qu'il n'est pas mort,
17:17 qu'il a survécu à sa tentative de suicide. Il a été sauvé, on ne sait pas exactement pourquoi.
17:24 Il se plaigne de ne pas être mort et c'est à ce moment-là qu'il se trouve qu'on par hasard
17:29 d'aligne la Dame d'honneur de Ginevra qui fout folle d'amour de Polynèse sur la suivie dans son complot
17:37 et l'a aidée dans la tromperie en faisant, endossant la robe de Ginevra,
17:44 donner l'impression à Ariadante et à son frère qui était présent,
17:48 que Ginevra a fait l'amour avec Polynèse tandis que c'était elle.
17:53 Polynèse veut s'en débarrasser d'elle puisque, comme dans les bonnes histoires criminelles,
17:59 il a compris que c'est elle la faiblesse et le risque, qu'elle risque de parler.
18:03 Donc il organise qu'elle soit tuée et c'est à ce moment-là qu'Ariadante la sauve
18:08 et elle explique tout et il court à sauver Ginevra et s'excuser qu'il a douté d'elle
18:16 et d'avoir une sorte de happy ending.
18:19 - Ah bah, une happy ending qui fait du bien quand même, vous nous rassurez.
18:22 Cet opéra a été conçu, vous le disiez, dans l'adversité pour Hendel et pour l'ouverture du Théâtre Royal de Covent Garden.
18:28 Vous y avez, vous, mis en scène, notamment la première fois, "Iphigénie anthoryde de Gluck".
18:35 C'était en 2007. Est-ce qu'à cette occasion-là, vous avez croisé, en 2007, le fantôme de Hendel ?
18:41 Et est-ce qu'il vous a dit, à vous, Robert Karsen, ces jeux de cour qui sont propres à l'humanité,
18:48 comment s'en protéger ? Vous les avez subis parfois ?
18:51 - La Cour Royale, pas trop. Mais bien évidemment dans chacun de...
18:58 - Le Bande de l'Opéra est une grande cour aussi, non ? On l'imagine ?
19:01 - Oui, le théâtre, bien sûr. Oui, il y a toujours des pours et des contres, mais c'est une question intéressante.
19:12 Je ne sais pas exactement comment répondre à ça, mais bien évidemment, on doit apprendre à suivre son chemin.
19:22 Je trouve que c'est normal, dans la vie, il y a toujours des gens qui aiment ce qu'on fait,
19:26 des gens qui n'aiment moins ou n'aiment pas du tout, mais je pense que la seule façon de bien travailler,
19:33 c'est de croire en ce qu'on fait, et quand on ne sait pas ce qu'on fait, de se poser des questions,
19:38 pour être sûr qu'on est toujours dans la sincérité et la vérité telle qu'elle existe.
19:44 Chacun de nous, on a une autre réponse à la vérité, mais j'essaie toujours d'être sincère dans ce que je fais.
19:53 Aussi, d'avoir une réaction sincère et avec une certaine compréhension sur ce que les créateurs des œuvres ont voulu,
20:03 puisque pour moi, c'est très important de comprendre pourquoi un artiste a créé quelque chose.
20:07 - De rester dans ce dialogue avec eux, de comprendre le sens profond des œuvres aussi.
20:12 - Nous sommes des artistes interprétives. Je n'écris pas une pièce, je l'interprète en faisant une mise en scène.
20:19 Donc c'est bien de comprendre qui était à l'origine de la pièce.
20:23 Évidemment, par exemple, dans Ariadne, il y avait cette "secret weapon" que Haendel a utilisée pour attirer l'intérêt vers lui à Londres.
20:33 C'était la présence de la danse. Marie Salé, la célèbre danseuse française avec sa troupe qui était à Londres,
20:40 qui l'a inclue dans l'œuvre pour cloire chacun des trois actes. Ça, c'est très intéressant.
20:47 - Pour apprendre, on y a introduit Jean Le Ballet dans un opéra, ce qui ne se faisait pas.
20:51 Vous pensez vos mises en scène comme des tableaux. On parlait de votre rapport à l'art pictural, aux peintures, aux peintres, au début de cet entretien.
20:58 Et c'est vrai que votre Ariodante nous y fait furieusement penser, puisqu'il s'ouvre sur la vue d'une chambre
21:03 avec une symétrie parfaite entre le bureau et la coiffeuse et ce grand lit à bal d'aquin au centre.
21:09 Il faut parler du vert qui est quand même la couleur dominante de cet opéra et qui, normalement, est censé porter malheur au théâtre.
21:17 Pourquoi l'avoir choisi ? Qu'est-ce que ce vert symbolise pour vous, Robert Kersen ?
21:22 - Le vert, c'était un choix que nous avons fait, puisque dans cet opéra, il y a quelques scènes à l'extérieur.
21:30 Et le décor qu'on a conçu devait fonctionner pour l'intérieur et pour l'extérieur. Donc, en Écosse, le vert, ça semblait un choix.
21:38 Si on aurait choisi une autre couleur, ça n'aurait absolument pas fonctionné quand on était dehors.
21:43 La deuxième scène de le premier acte, on a situé ça dehors. Il y a aussi une scène de pique-nique royale, comme ce fait à Balmoral, la chasse et tout ça.
21:55 Donc, le vert est venu, mais ça semblait aussi une couleur très juste pour cette œuvre.
22:01 Mais je ne peux pas le justifier dans des termes intellectuels, ça nous semblait juste.
22:05 Mais il faut que je vous dise une chose, je ne pense pas vraiment en termes de tableau, puisque le tableau est une chose qui ne change pas.
22:12 Et pour moi, un morceau de théâtre, une pièce de théâtre doit être très, très, très vivant.
22:18 Donc, je n'aime pas du tout l'idée que ça soit fixé. Bien évidemment, il y a des images, puisqu'on passe d'une scène à une autre.
22:24 Mais il faut que ce soit en action et en changeant tout le temps, pas figé.
22:31 Robert Karsen, une culture et un raffinement européen alliés à une précision de travail nord-américaine.
22:37 Voilà ce que disait de vous Nathalie Dessais, reine de la nuit dans votre flûte enchantée mausartienne.
22:43 Tout en louant vos mille et une qualités, le journal Le Monde disait à son tour il y a dix ans, le Canadien a tout ou presque du gendre parfait.
22:52 Avec vous, il semblerait que la promesse de ne jamais être déçu est toujours tenue.
22:56 C'est ce que confirme aussi en 2016 le Figaro, si on lit la presse française.
23:00 Trente ans que le Canadien s'est imposé comme l'incontournable artisan de réussite majeure,
23:04 avec une constance dont la qualité qui laisse songeur au regard de sa cadence de production.
23:09 Est-ce que vous, vous mettez un point d'honneur, Robert Karsen, à ne pas décevoir, à maintenir la promesse Karsen ?
23:16 - Ouh là ! - L'heure des contes.
23:20 - Non, je ne me rends pas compte de ça. Je me rends compte juste d'une chose, c'est que chaque production qu'on fait, c'est comme la première.
23:27 Je veux dire, je ne pense pas du tout en termes d'une réputation. Je pense juste qu'en termes d'essayer d'être à l'auteur des œuvres.
23:36 Il y a tellement de facteurs qui contribuent à un spectacle, avec les artistes surtout, l'orchestre, le chef d'orchestre, le chorégraphe, les danseurs, et toute la technique derrière.
23:49 Et l'opéra est quand même un miracle quand on pense aussi aux ateliers, les ateliers d'Op. de Paris qui sont juste fabuleux.
23:57 Les chœurs, tout le monde qui se donne, les techniciens.
24:01 - Bien sûr, mais il y a quand même vous au milieu, vous dans tout ça, avec votre propre envie de vous renouveler, de parfois j'imagine aussi casser cette image un peu, même pas sage, parfaite, une image de perfection.
24:12 Quand on vous appelle pour un nouvel opéra, où est la prise de risque pour vous ? Où est-ce que vous la placez ?
24:18 - Mais c'est toujours différent et moi j'aime beaucoup la risque. Je n'aime pas du tout me répéter et faire la même chose.
24:24 C'est pour ça que j'aime faire les expositions, faire les pièces de théâtre, parfois dans une langue qui n'est pas du tout la mienne, faire de la comédie musicale et pas continuer à faire que de l'opéra.
24:38 Donc la risque est une chose que je recherche activement, que je pense est très importante pour apprendre.
24:45 Parce que c'est ça qui est la chose la plus intéressante dans la vie, c'est d'apprendre.
24:49 Au théâtre, pour créer un spectacle, on doit répéter pour les répétitions, mais on ne veut pas du tout se répéter dans la vie.
24:57 On veut essayer d'être confronté à des nouveaux challenges et c'est ce que je recherche tout le temps.
25:04 - Vous vous souvenez, j'imagine, de votre première mise en scène à l'Opéra de Paris, 1995, "Nabucco de Verdi" programmé par Hugues Galles.
25:11 L'année dernière c'était "Elektrade" Richard Strauss que vous nous donniez à voir et à entendre.
25:15 Gluck, Mozart, Verdi, Strauss, Poulenc, Offenbach, Puccini, Wagner, vous avez tout fait.
25:20 Mais si on devait vous rattacher à un opéra, lequel serait-ce pour vous, Robert Kersen, celui qui vous parle le plus intimement ?
25:28 - C'est très difficile, c'est comme demander à un parent de dire lequel de ses enfants il préfère.
25:34 - Peut-être simplement, lequel de vos enfants vous ressemble le plus ?
25:38 - Oh, ça, je ne pourrais vraiment pas vous dire.
25:42 Je sais celui qui a été donné peut-être le plus, c'est "Le singe de nuit d'été" qu'on avait monté en 91 au Festival d'Aix-en-Provence,
25:53 qu'on a remonté 32 ans plus tard cette année à l'Opéra de Rouen.
25:57 Et ça a été monté beaucoup, beaucoup de fois entre-temps en Chine, aux Etats-Unis, beaucoup en Europe, etc.
26:07 Donc c'est une oeuvre, puisque j'adore Shakespeare, bien sûr, donc c'est une oeuvre pour laquelle j'ai beaucoup, beaucoup de tendresse.
26:13 Surtout qu'il y a tellement de caractères différents, donc selon comment on se sent, on peut se projeter dans un auberrant,
26:21 ou on peut être un peu monaute et penser à Pâques ou les Amants ou Bortum, les travailleurs.
26:29 Je veux dire, c'est une oeuvre qui est tellement riche.
26:32 Ce que j'adore beaucoup, c'est "Dialogue des Carmelites" de Poulenc, qu'on a aussi donné plusieurs fois.
26:39 Donc peut-être, ce sont les enfants avec lesquels j'ai été le plus régulièrement en contact,
26:44 puisqu'ils sont ceux qui sont venus visiter leur père le plus souvent.
26:50 - Voilà, et le parrain, c'est peut-être William Christie, cette amitié qui vous lie ensemble, vous partagez cette passion,
26:56 une passion pour le baroque et vous avez noué beaucoup de projets ensemble.
27:00 Le Grand-Oncle, ce serait la bonne étoile, celui qui a veillé sur vous depuis toujours,
27:04 depuis des cours de diction pour maîtriser ce fameux "S" que vous n'arriviez pas à dompter,
27:09 en passant par vos premières émotions théâtrales jusqu'aux mises en scène que vous avez réalisées.
27:13 Vous citiez à l'instant "Le songe d'une nuit d'été" et c'est Shakespeare, Shakespeare que vous avez mis en scène à la Comédie-Française pour la première fois.
27:21 C'était du théâtre et dont vous disiez une très belle chose.
27:24 Il y a dans cette pièce toute une musique du non-dit, une autre musique que vous mettez en scène encore dans cette opéra de Haendel aujourd'hui.
27:33 Cette musique du non-dit qui est au cœur de cet "Ariodente" qui est à voir jusqu'au 20 mai.
27:39 Merci mille fois à vous, Robert Kersen, d'avoir été avec nous.
27:42 - Merci Olivia.
27:44 France Culture
27:46 L'Esprit d'ouverture

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