• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « Les Midis de Culture » de Géraldine Mossna Savoie *
00:19 Tous les jours, l'équipe des « Midis de Culture » vous concocte une table critique
00:23 et on débute cette semaine avec l'opéra et la musique classique.
00:26 Nous parlons d'abord d'une nouvelle mise en scène à Paris, de Don Giovanni de Mozart.
00:31 C'est à l'Opéra Bastien, on verra d'ailleurs si c'est si nouveau que cela.
00:34 Et puis, on parlera de cette sortie d'album, un album de la pianiste Yuha Wang,
00:39 qui a notamment joué les 4 concertos pour piano de Rachmaninov.
00:44 C'est à l'occasion du 150e anniversaire de la naissance du compositeur.
00:47 - Et on en parle avec vous, Anna Cigalevitch, bonjour !
00:50 - Bonjour Géraldine, bonjour Nicolas !
00:52 - Vous êtes journaliste et autrice et on en parle aussi avec vous, Charles Arden, bonjour !
00:56 - Bonjour !
00:57 - Vous êtes directeur des contenus d'Olyrix et de Classique et O,
01:00 bienvenue donc à tous les deux dans les « Midis de Culture ».
01:02 - Merci !
01:03 * Extrait de « Midis de Culture » de Charles Arden *
01:08 - Don Giovanni de Mozart est donc de retour à l'Opéra Bastien avec une mise en scène signée, « Close Goutte ».
01:14 * Extrait de « Close Goutte » de Charles Arden *
01:33 * Extrait de « Don Giovanni » de Mozart *
01:44 Créé à Prague en 1787 par Mozart, « Don Giovanni » est un classique de l'opéra,
01:49 mettant en scène donc le mythe de Don Juan.
01:52 L'acte 1 s'ouvre sur un combat et sur le meurtre d'un père.
01:55 Alors que Donna Anna est violentée, violée, on pourra en débattre par Don Giovanni,
02:00 son père, le commandeur, le provoque en duel et succombe à ses blessures.
02:03 Alors l'originalité de cette mise en scène qui est à découvrir à Paris depuis un peu moins d'une semaine,
02:10 maintenant mise en scène de « Close Goutte », c'est qu'il imagine que Don Giovanni a été blessé
02:14 lors de ce duel avec le commandeur.
02:17 Une bonne occasion pour Don Giovanni de consacrer les dernières heures de sa vie au désir et à la jouissance
02:24 sur un plateau transformé en forêt, forêt noire, brumeuse et en perpétuel mouvement.
02:30 Anna Sigalevitch, que pensez-vous d'abord de cette ouverture, de ce prologue qui a été ajouté dans cette mise en scène ?
02:38 Anna Sigalevitch - Je trouve que c'est un concept qui est fort et qui tient.
02:42 Parce que ce n'est pas juste un concept qui se plaque comme ça sur la scène,
02:47 mais c'est un concept qui se déploie du début à la fin de l'œuvre.
02:50 Ça joue tout le temps, ça vit, ça raconte quelque chose et ça reconditionne un petit peu notre vision du personnage et de l'œuvre.
02:57 Donc ça, ça me plaît beaucoup.
03:00 Alors, il faut dire que cette forêt, elle est quand même assez particulière.
03:03 Elle est tout fu, elle est nocturne, elle est éclairée par des lumières blanches,
03:08 que ce soit les lumières de la lune ou des lumières de phares de voiture ou de néon.
03:13 Mais en tout cas, c'est une forêt qui est presque un peu psychédélique
03:16 où on imagine une population un peu interlope à l'intérieur,
03:21 où les personnages sont un petit peu essolés, ils ne savent pas où ils vont,
03:26 elle est sur une tournette, ils sont un petit peu perdus.
03:28 Donc, elle raconte quelque chose de particulier, cette forêt, elle est belle esthétiquement et elle joue.
03:33 Ça, c'est la première chose.
03:35 Dans ce concept, il y a bien sûr le fait que Don Giovanni est mortellement blessé,
03:42 mais ça commence par une première scène qui est comme un zoom.
03:47 C'est comme si on nous montrait à la loupe ou dans un focus des personnages
03:54 qui sont comme des rats de laboratoire qu'on va observer et se débattre pendant toute la pièce.
03:59 Donc, on nous montre le drame, le point, le climax de l'œuvre, ce meurtre, ce double meurtre pour le coup.
04:06 Et ensuite, l'action va commencer et tout va se rejouer.
04:09 - Charles Arden, vous avez été séduit aussi par cette presque préouverture,
04:13 puisque le rideau ne se lève véritablement qu'après cette première scène que vient d'écrire Anna.
04:17 - Absolument, exactement comme Anna l'a expliqué.
04:20 Ce qui est fascinant, c'est que ce geste initial de montrer Don Giovanni blessé lui-même,
04:28 mortellement en fait, mais à mort lente par le commandeur dans son duel,
04:32 eh bien, ça donne à tout le spectacle une urgence.
04:36 Son temps est compté, ça justifie, ça explique dans la vision, dans la lecture de Klaus Guth,
04:41 pourquoi de fait, Don Giovanni va se précipiter sur un maximum de chair fraîche
04:46 dans un temps le plus court et rapide.
04:50 Alors, j'ai quand même envie de dire à nos auditeurs et aux futurs spectateurs, n'ayez pas peur,
04:56 même si vous allez avoir peur devant cette forêt, mais n'ayez pas peur de ce concept.
04:59 Parce que c'est vrai qu'on a beaucoup de publics, on a beaucoup de lecteurs qui nous disent
05:04 "Ah, il change l'oeuvre, ça ne me plaît pas".
05:07 C'est du régie-théâtre, c'est le metteur en scène qui impose sa vision sur l'oeuvre.
05:12 Des fois, en effet, ça peut être excessif, mais là, c'est justifié et ça donne une dynamique au spectacle qui est impressionnante.
05:19 Après, je ne suis pas sûr qu'il y ait besoin de le montrer deux fois,
05:22 parce que Klaus Guth le montre au ralenti.
05:25 - C'est-à-dire, comment ça se passe, de le montrer deux fois ?
05:27 - D'abord, il le montre pendant l'ouverture instrumentale, où traditionnellement, le rideau est fermé.
05:33 On profite de cette musique que Mozart, selon la légende, a écrite la nuit précédant la création de l'oeuvre.
05:39 Génie parmi les génies.
05:41 On ne montre rien pendant l'ouverture, mais là, il ouvre un rideau et derrière le rideau,
05:46 il y a un rideau en forme d'optique de caméra.
05:49 - Un grand cercle qui se détache et qui nous montre cette forêt avant de nous la montrer.
05:54 Focus vraiment sur cette scène de combat.
05:56 - Et qu'il la montre au ralenti, il y aura d'autres effets, comme ça, cinématographiques.
05:59 Et pour moi, c'est aussi une clé de l'oeuvre.
06:00 C'est un film d'horreur, cette mise en scène.
06:02 - Complètement, c'est le projet Blair Witch, la forêt.
06:04 - Absolument, c'est le projet Blair Witch.
06:05 Ce qui est incroyable, c'est qu'il ne met pas pourtant de vidéos en temps réel.
06:09 Alors que pour un metteur en scène moderne, normalement, c'est presque devenu un geste incontournable.
06:13 - On va parler de la modernité de cette mise en scène.
06:16 On va parler des personnages, bien sûr, mais d'abord sur cette forêt qui est présente tout au long de l'opéra.
06:22 Les deux actes, elle ne bouge quasiment pas.
06:24 En tout cas, elle est devant nous en permanence et elle tourne.
06:28 Elle tourne, cette forêt.
06:29 C'est ce qui permet aux acteurs et aux chanteurs d'entrer, de ressortir, de changer de lieu,
06:34 même si le décor ne change pas vraiment.
06:37 Anna Sigalevitch, est-ce qu'on se lasse pas un peu ?
06:39 - Non, je ne me suis pas lassée de ça.
06:41 C'est un décor très utilisé à l'opéra, les tournettes, parce qu'évidemment, c'est commode.
06:46 Ça permet les entrées et les sorties.
06:48 Ça permet des changements de décors, sans changement de décor.
06:50 Non, ça, pour le coup, je trouve que ça fonctionne tout à fait.
06:54 - C'est une vraie question que je me suis posée en revoyant ce spectacle, qui n'est pas si nouveau.
06:58 On l'a évoqué.
06:59 Bref, c'est une vraie question que je me suis posée.
07:01 On se dit, bon, un plateau, une forêt comme ça, des arbres qui tournent un peu de temps en temps.
07:06 Est-ce que vraiment, ça suffit à faire une mise en scène de tout un opéra ?
07:09 Mais justement, c'est là où ça devient très intéressant de voir ce que Klaus Gutt en fait.
07:13 Comment il joue avec les lumières, ces personnages qui se tapissent dans l'ombre, qui sortent de l'ombre.
07:18 Ces personnages qui s'enfoncent dans cette forêt, qui y tournent et qui retournent.
07:22 Et aussi, bien sûr, ça lui permet de creuser un jeu d'acteur, une psychologie des personnages qui est passionnante.
07:30 - Alors, vous, comme Pierre-Géraldine, vous deviez.
07:33 Alors pourquoi ?
07:35 - Oui et non.
07:35 Parce que je trouve que ce concept très fort, il marche impeccablement sur Don Giovanni.
07:42 Incarné par Peter Matthey, le Don Giovanni des Don Giovanni.
07:46 Franchement, c'est le roi des Don Giovanni.
07:47 - Ça veut dire ? Ça fait combien de temps qu'il joue Don Giovanni ?
07:49 - Ça fait plus de 20 ans, 25 ans.
07:51 Il était le Don Giovanni de Peter Brook à Aix-en-Provence dans les années 2000.
07:57 Ça, moi, je ne l'ai pas vu, mais moi, je l'ai quand même vu, je crois, en 2005 ou 2006,
08:00 au moment de la création d'un queue à garnier.
08:04 La première, c'était à garnier.
08:06 Il était hallucinant à cette époque.
08:09 Et alors, là, il faut dire qu'il y a une double distribution.
08:12 Il y a Calcatelson aussi, qui est l'autre Don Giovanni.
08:14 Donc, nous, on l'a vu avec la première distribution Peter Matthey.
08:17 Et moi, je me disais, je le verrais plutôt avec Calcatelson, Peter Matthey, on l'a vu,
08:22 on l'a tellement vu, etc.
08:24 Et en fait, mais non, mais quelle joie de voir un chanteur qui se tient à ce point.
08:29 Le timbre est sublime.
08:32 Il est épanoui.
08:33 Il a une ligne superbe.
08:34 Il est humain.
08:34 Il est carnassier.
08:35 Il est beau.
08:36 Il est dangereux.
08:37 C'est fou, cette incarnation qui ne bouge pas 25 ans plus tard de ce rôle monumental.
08:43 - Mais, mais...
08:44 - Il faut se rendre au régénère, parce que...
08:46 - Oui, oui, tout avait été l'air de Don Giovanni.
08:48 - Merci.
08:49 - Mais il y a eu l'armée.
08:50 - Oui, sur les personnages, autant Don Giovanni, je trouve que c'est formidable.
08:53 Je trouve que le personnage de Donna Anna est très intéressant.
08:56 Parce que, mais bon, ça, il faut aussi y revenir.
08:58 Parce que, bon, alors, il n'en fait pas la victime d'un viol comme...
09:02 Non, c'est une Don Giovanni, une Don Giovanna, j'allais dire, mais une Don Anna qui est active,
09:08 qui est absolument consentante dans la scène sexuelle, dans la première scène, qui se
09:12 fait prendre par son père et qui s'enfuit.
09:14 Et donc, voilà, mais elle n'est pas violée.
09:16 Ce n'est pas du tout ça.
09:17 Et c'est un personnage beaucoup plus trouble, complexe et même pervers.
09:20 - Ça, c'est un choix de mise en scène ?
09:21 - Totalement un choix de mise en scène de Klaus Guth.
09:24 Ce personnage est très intéressant, ces deux personnages.
09:27 Et je trouve qu'il y a un trio intéressant formé aussi avec le personnage de Don Ottavio,
09:31 qui est donc le mari, enfin, pas le mari, mais le fiancé de Donna Anna, qui est un
09:36 personnage un petit peu d'un don de la farce.
09:38 Parce que là, il n'est pas complètement dupe.
09:41 Il comprend bien qu'il y a quelque chose entre Don Giovanni et Donna Anna, mais il
09:45 avance quand même.
09:46 Ces trois personnages ont de l'épaisseur.
09:48 Les autres, à mon sens, sont un petit peu convenus.
09:51 Et je ne trouve pas qu'il y ait d'idée forte, ni sur le personnage de Leporello,
09:55 qui est assez consensuel.
09:57 - Le valet de Don Giovanni ?
09:58 - Le valet de Don Giovanni.
10:00 Pareil pour Zerlina et Mazetto.
10:03 Et Elvira, c'est pareil.
10:05 Je trouve qu'il y a ce trio fort que le reste…
10:08 - Charles Arden, est-ce que vous sauvez d'autres personnages dans cette opéra ?
10:12 - Oui, oui, oui.
10:13 C'est l'intérêt aussi de l'art vivant.
10:15 Je ne suis pas d'accord.
10:16 Moi, tous les personnages m'ont intéressé.
10:17 J'ai trouvé que c'était, pour certains interprètes, un problème d'incarnation.
10:21 Mais vous avez fait un très honorable lapsus tout à l'heure en parlant des chanteurs
10:25 comme d'acteurs.
10:26 Il y a vraiment un travail d'acteurs.
10:28 Certains sont allés plus loin que d'autres dans ce que voulait Klaus Guth.
10:31 Mais moi, j'ai vu chaque personnage creuser, y compris…
10:35 Alors moi, j'ai vraiment admiré Leporello.
10:38 C'est vraiment ce double à la fois bouffon et cruel.
10:43 Et puis, on a dit que c'était un milieu interlope.
10:45 C'est plus que ça.
10:46 Leporello et Don Giovanni, c'est des vagabonds.
10:49 - Ils sont câblés.
10:50 - Oui, ils sont complètement…
10:51 Ils sont accro à la bière et à l'épreuve dure.
10:52 - Ils boivent de la bière en canette sur le plateau, des tatouages.
10:57 - Voilà, parce que Don Giovanni est blessé, il faut bien le soigner.
10:59 - Enfin bon, boire de la bière et avoir des tatouages, c'est pas non plus…
11:02 - Non, non, pas dur.
11:03 - Le traitement, c'est un coup de seringue, de drogue dure.
11:07 - Ah voilà, c'est ça, parce que vous ne l'aviez pas dit en fait.
11:09 - C'est d'un autre niveau, on va dire.
11:12 - C'est pas juste boire des bières sur un terrain vague.
11:14 - Non, non, absolument pas.
11:15 Et la manière dont les autres personnages aussi sont creusés, même Zerlina.
11:19 Zerlina, qui dans sa robe de mariée immaculée, va suivre Don Giovanni,
11:23 va faire de la balançoire avec lui dans une espèce de jeu.
11:26 Là encore, ça m'a beaucoup rappelé des films d'horreur d'ailleurs.
11:29 Et ensuite, va retourner d'elle-même après à cette balançoire,
11:32 comme pour retenter le diable, comme pour se frotter à nouveau à ce grand méchant loup,
11:37 qui est d'autant plus dangereux et qui a l'air attendrissant parce que blessé.
11:41 - Oui, sauf que je trouve, si je peux me permettre, que conceptuellement, oui.
11:46 Mais est-ce que ça joue vraiment ? Est-ce qu'on sent des enjeux forts ?
11:49 Moi, je ne l'ai pas ressenti comme vous Charles.
11:52 Peut-être parce que c'est une reprise d'une production qui a été créée il y a 15 ans,
11:57 que le metteur en scène n'est pas revenu.
11:59 Et les enjeux, la tension dramatique, ne m'a pas paru très forte, en tout cas en ce soir de première.
12:05 - Vous voulez dire que c'est une mise en scène datée ?
12:08 - Alors, c'est compliqué à dire.
12:09 - Parce que 2008-2023, il s'est passé beaucoup de choses, surtout si on veut faire une mise en scène,
12:13 si je comprends bien, assez moderne, avec de la bière, des tatouages, des feux d'agneau, des terrains vagues.
12:21 - Cet abribus au milieu de la forêt, la voiture qui débarque sur scène.
12:24 - C'est ringard ? Non, c'est pas du tout ringard.
12:28 Mais est-ce qu'il y a l'excitation et la tension d'une nouvelle production ?
12:31 Pour moi, non. Parce que je trouve que par moments, les chanteurs sont placés, c'est bien fait, il n'y a pas de problème.
12:38 Mais qu'est-ce qui les meut réellement ? Je ne l'ai pas toujours senti.
12:41 - On se rejoint en fait. Et c'est aussi ça le problème d'annoncer ça comme une nouvelle production,
12:46 ou comme un spectacle "nouveau", alors que ça n'en est pas un.
12:49 - Mais ça c'est un truc de com !
12:51 - Oui mais ce n'était pas le cas avant. Avant, il y avait clairement à l'Opéra de Paris,
12:55 les nouvelles productions, qui étaient des nouvelles productions, et les reprises.
12:59 Donc là, il joue sur le fait qu'on ne l'a pas vu à Paris, mais tout est dans la catégorie "nouveau".
13:03 Quel autre problème ça pose ? Du coup, c'est dans la même catégorie que "Exterminating Angel", qu'on va voir plus tard,
13:08 qu'une entrée au répertoire comme "Beatrice di Tanda".
13:11 - Qui là pour le coup sont des vraies nouveautés.
13:12 - Qui sont des grandes, grandes nouveautés, avec des metteurs en scène qui signent une nouvelle vision,
13:16 qu'on a un passion de découvrir dont on n'a aucune idée.
13:18 Et au-delà du nouveau, comme l'a parfaitement dit Anna, le problème c'est que quand il y a une reprise,
13:22 Klaus Guth et les metteurs en scène ne se déplacent pas.
13:24 Ils envoient un assistant qui fait un travail sans doute formidable.
13:27 - Ça dépend, il y a des metteurs en scène qui viennent.
13:29 - Bob Wilson, il vient parce qu'il veut régler toutes ces lumières au minimum scénatiques.
13:32 - Et ça se sent, Warnikowski aussi revient.
13:34 Vous voulez dire aussi qu'il a loupé, en ne revenant pas, peut-être des enjeux qui se sont produits entre 2008 et 2023.
13:39 On a parlé par exemple du viol, ou du consentement, ou de la personnalité perverse.
13:42 - Tout à fait, surtout une oeuvre comme "Don Giovanni", qui est tellement emblématique,
13:46 qui raconte tellement de choses. Il y a eu "Me Too" quand même entre temps.
13:49 - Voilà, je veux dire, on ne peut pas nier ça.
13:51 - Donc comment on montre ça aujourd'hui, comment on l'adapte, c'est peut-être par des petits détails.
13:55 Mais pour moi, on sent qu'il ne s'est rien passé depuis 15 ans dans cette mise en scène.
14:00 - Mais en même temps, de fait, ça nous montre qu'il avait vu les choses aussi,
14:04 on pourrait dire avant tout le monde, que c'est une mise en scène avant-gardiste dans le bon sens du terme.
14:08 Parce que voir aujourd'hui cette représentation, comme l'a dit Anna, de femmes qui ne sont pas dans un statut victimaire complet.
14:18 Mais en même temps, on se pose cette question taraudante, c'est que si elles retournent vers leur agresseur,
14:23 est-ce que ça veut dire qu'elles sont consentantes ? Non, bien sûr que non.
14:26 Et c'est toute cette fascination aussi du danger.
14:31 Et là où c'est passionnant, c'est que ça inscrit vraiment l'oeuvre dans la trilogie "Mozart à Ponte".
14:35 Donc "Mozart à Ponte", trois chefs-d'oeuvre. "Les noces de Figaro", "Don Giovanni", "Così fan tutte".
14:40 C'est une trilogie du désir et de tous ces problèmes.
14:43 À quel point le désir nous rend esclave de nous-mêmes, esclave des cases sociales dans "Les noces de Figaro",
14:48 esclave de manipulation dans "Così fan tutte".
14:51 Donc c'est aussi Mozart qui a été visionnaire avant l'heure.
14:54 - On a parlé des solistes, on a parlé de la mise en scène, on a parlé du décor.
14:57 Un mot sur la musique, tout de même, direction musicale du chef italien Antonello Manacorda.
15:02 Vous m'avez dit, Anna Sigalevitch, étrange cette direction musicale. Qu'est-ce que vous entendez par là ?
15:08 - Alors ce que j'entends par là, c'est qu'il y a par moments des tempi qui sont extrêmement rapides,
15:13 par moments des tempi beaucoup plus étirés.
15:15 J'ai senti, alors c'était la première, mais les chanteurs un petit peu perdus.
15:19 Il y avait quand même pas mal de décalage, en tout cas le soir de la première.
15:22 Après on va voir comment ça évolue.
15:24 Je n'ai pas senti de souffle grand, de vision de l'oeuvre et de tension dramatique importante.
15:29 Voilà, c'est une direction qui se tient, mais qui ne m'a pas du tout emportée.
15:35 - Charles Arden pour conclure.
15:37 - J'ai été placé assez près pour voir vraiment très précisément sa direction,
15:41 selon comment on est placé dans la salle aussi, ce n'est pas les mêmes perceptions.
15:44 J'ai vu à quel point il se donnait, il s'investissait.
15:48 J'en veux un peu sur cette affaire plutôt aux musiciens.
15:52 Alors encore une fois, bien sûr, comme l'a dit Anna, c'était une première,
15:55 c'était même le premier spectacle de la reprise.
15:57 Donc ça nous arrive à tous de ne pas avoir nos crayons bien taillés, nos gommes bien affûtées.
16:02 Pour l'orchestre de l'Opéra...
16:04 - Non !
16:05 - Sauf que j'ai rien dit, bravo !
16:06 Pour l'orchestre de l'Opéra National de Paris, c'est problématique.
16:09 Il y avait même des problèmes sur des attaques, il y a des sons qui dérapaient.
16:13 Ce n'était pas au niveau, espérons que ça s'améliore.
16:16 - Et ça vous l'expliquez comment ? Juste par curiosité.
16:18 - Est-ce que ça n'est pas lié aussi au sujet dont on va parler tout à l'heure,
16:21 Gustavo Dudamel, et le fait que pour que les instrumentistes d'une maison
16:25 soient impliqués dès le premier jour, il faut une direction ferme de l'établissement.
16:30 - Et bien voilà, c'est une belle transition.
16:32 * Extrait du "Opera" de Gustavo Dudamel *
16:52 Voilà pour l'Opéra Don Giovanni de Mozart, jusqu'au 12 octobre à l'Opéra,
16:59 bâti dans une mise en scène de Klaus Guth et sous la direction musicale d'Antonello Manacorda
17:03 et de Giancarlo Risi en alternance.
17:06 * Extrait du "Opera" de Giancarlo Risi *
17:15 Et nous parlons à présent d'un album, celui de la pianiste Yuja Wang,
17:19 qui rend hommage au compositeur Sergei Rachmaninoff à l'occasion du 150e anniversaire de sa naissance.
17:26 * Extrait du "Opera" de Yuja Wang *
17:51 D'un côté une pianiste hors pair, Yuja Wang, de l'autre un chef d'orchestre charismatique,
17:56 Gustavo Dudamel, entouré des musiciens du philharmonique de Los Angeles.
17:59 Le résultat, cet album enregistré et publié par le label de Utsugramophone.
18:03 On y retrouve les 4 concertos de Rachmaninoff et la rhapsodie sur un thème de Paganini.
18:08 5 oeuvres pour piano et orchestre qui font partie du répertoire de Yuja Wang depuis le tout début de sa carrière.
18:14 On va évidemment parler de cette pianiste avec vous deux.
18:17 D'abord Charles Arden, la rencontre, en tout cas le travail en commun entre Yuja Wang et Gustavo Dudamel, ça fonctionne pour vous ?
18:24 Oui, ça fonctionne. Ce sont des retrouvailles, c'est une collaboration au long cours.
18:29 Ils ont déjà beaucoup travaillé ensemble, ils ont enregistré ensemble, y compris avec l'autre phalange de Dudamel.
18:36 Il n'est plus à Paris, il nous a abandonnés.
18:39 On va éclaircir pour ceux qui ne savent pas. Gustavo Dudamel a été directeur musical de l'Opéra de Paris jusqu'en 2021 et il a claqué la porte.
18:50 A partir de 2021, il a claqué la porte pour cette rentrée. Sur un contrat de 6 ans, il en a fait 2.
18:55 Pourquoi c'est problématique ? Parce qu'il s'était engagé quand même sur 6 ans.
19:01 Pourquoi je suis un peu amer et il y a de quoi l'être ?
19:04 Parce que comme ce n'était plus trop le cas, on nous a servi des raisons personnelles et familiales.
19:10 Au final, quand on creuse un peu, ce n'était pas pour ça visiblement du tout.
19:16 Le directeur même de l'Opéra de Paris ne les traite plus. Je ne veux pas trop rentrer dans des polémiques.
19:20 Ce qui est dommage et problématique, c'est qu'il faut un directeur musical qui inscille une vision.
19:27 Quand on écoute un tel disque, ça entraîne d'autant plus de regrets.
19:34 C'était à cause de problèmes de direction, d'investissement, d'argent ?
19:38 Justement, à son départ, le directeur de l'Opéra de Paris a fait un communiqué parlant des raisons familiales.
19:46 Ensuite, il a donné une interview en disant que le problème, c'était l'Opéra de Paris qui est un ogre.
19:51 C'est toute cette grosse machine, des difficultés d'organiser des tournées, des difficultés...
19:57 Quand on est directeur musical, Gustav Woodhamel adore diriger.
20:00 Mais ce qu'a dit le directeur de l'Opéra de Paris, c'est que le reste de la fonction,
20:03 c'est aussi une fonction statutaire, administrative, de direction, ça l'intéresse.
20:08 Et puis c'est un chef symphonique aussi, Woodhamel.
20:11 C'est pour ça que ça fonctionne avec Yusha Wang et l'Orchestre symphonique de Los Angeles ?
20:17 Oui, ça fonctionne. Quand on les voit tous les deux, ces deux personnalités, ils sont doués.
20:21 Ils sont doués comme des cochons tous les deux.
20:23 Franchement, c'est deux surdoués. Et donc la rencontre entre deux surdoués, ça fait des étincelles.
20:29 Et c'est extrêmement joyeux. Et on sent que tout est facile.
20:32 Elle, elle s'envoie des morceaux d'une virtuosité avec une facilité extrême.
20:39 Lui, il dirige ça aussi avec beaucoup de panache.
20:42 C'est ça, je trouve, qui se dégage avant tout du disque.
20:45 Une vitalité, une fraîcheur et une facilité à jouer cette musique qui est tout sauf facile quand même.
20:51 C'est de la musique difficile, mais c'est de la musique qui est gratifiante.
20:56 Ils aiment tous les deux ça. Et donc ils prennent un plaisir fou.
21:01 Je dirais que c'est la première chose qui se dégage immédiatement de ce disque.
21:05 Alshall Harden sur Yusha Wang, en quelques mots, son parcours, comment elle en est arrivée là ?
21:10 Parce qu'elle est quand même assez incroyable en termes de parcours et de reconnaissance.
21:14 C'est ce type de parcours assez surdoué.
21:17 Pour elle, de famille musicale, on n'a pas non plus la success story absolue de quelqu'un qui viendrait du peuple,
21:27 qui n'aurait eu aucun accès à la musique. Non, elle est d'une famille de musiciens.
21:32 Mais bien entendu, elle est de ces parcours, un peu comme Rachmaninoff d'ailleurs, en son temps,
21:37 très tôt repéré pour des qualités, des dons et que des professeurs et des institutions vont savoir orienter,
21:45 notamment avec un déménagement aux Etats-Unis pour Yusha Wang.
21:50 Rachmaninoff aussi, il déménagera aux Etats-Unis, bien plus tard et pour d'autres raisons,
21:54 contre la révolution de 1917, bien sûr, notamment, et puis la guerre.
21:58 Mais voilà, c'est un parcours brillant.
22:00 Ce que j'ai trouvé incroyable, encore une fois dans cet album,
22:03 justement, comme le dit très bien Anna, c'est qu'on a cette image de ces deux artistes,
22:08 ou d'Hamel et Yusha Wang, qui sont des bêtes de scène, qui sont des people aussi,
22:13 qui ont une image incroyable, qui peuvent faire la une des magazines.
22:16 Mais leur célébrité est liée à leur talent technique, à leur maîtrise.
22:22 Et ce qui m'a vraiment le plus impressionné, encore une fois dans cet album,
22:27 c'est qu'ils ne sont pas du tout dans l'excès, dans la virtuosité flamboyante.
22:31 Ils sont dans la vraie virtuosité, et la vraie virtuosité, c'est une maîtrise technique
22:35 qui n'est jamais dans l'excès, ni dans le trop, ni dans le trop peu,
22:39 qui vraiment se met au service de la musique.
22:41 Ils mettent toute leur inspiration, toute leur expression au service de la musique.
22:45 Il y a six mois, sur le même label de Schrammophon, a été réédité le même programme,
22:50 les quatre concertos de Rachmaninoff et puis les variations Paganini,
22:55 par Daniel Trifonoff, avec Yannick Nézet-Séguin, le Philadelphia Orchestra,
22:59 qui est un peu, voilà, une autre Dream Team, on pourrait dire, pour ce répertoire.
23:04 Et du coup, je l'ai re-réécouté un peu aussi en parallèle.
23:08 Trifonoff, lui, ça s'envole, ça s'élève, c'est un avion à réaction.
23:14 À l'inverse, quand on écoute en comparaison Yuzha Wang de Dammel, c'est sérieux, c'est...
23:20 - C'est plus carré, franchement. - C'est plus carré, c'est la musique.
23:22 - Anna Zinelevich, vous la reconnaissez à l'oreille, quand elle joue Yuzha Wang ?
23:26 - Oh, je ne sais pas. Vous savez, il faut se méfier de soi-même,
23:28 parce que parfois, on croit très bien qu'on est, puis on se fait complètement avoir.
23:31 Donc, je n'aurai pas cette prétention. - Mais c'est plus précis.
23:33 - Non, ce n'est pas que c'est plus précis. Moi, je vais vous dire, entre les deux,
23:35 je préfère largement la version de Trifonoff et de Nézet-Séguin.
23:38 Franchement, je trouve que c'est très bien, la version de Yuzha Wang et de Doudamel.
23:43 C'est du beau piano, c'est du piano qui sonne, qui est ample.
23:46 Il y a en effet une virtuosité très facile. Il y a de la rigueur aussi.
23:51 Parce que Charles a raison quand il dit "attention, c'est des personnages people, médiatiques, etc."
23:57 Mais musicalement, ils ne sont pas du tout comme ça.
23:59 Yuzha Wang, je le rappelle, elle arrive en scène avec des tenues complètement invraisemblables.
24:03 Enfin, invraisemblables, non, pas invraisemblables, disons voyantes.
24:06 Micro-jupes, robe pailletée, talons de 15 cm, coupe de cheveux un peu.
24:11 C'est presque un personnage de manga, mais il n'y a aucun cinéma dans son jeu.
24:15 Il n'y a aucun effet, il n'y a aucun effet de manche.
24:17 Et Doudamel, c'est pareil, c'est des grandes personnalités, mais ils sont concentrés sur la musique.
24:21 Pour ce programme, je trouve que c'est de la très belle musique.
24:27 C'est très bien fait, c'est large, c'est très américain comme sonorité.
24:30 C'est-à-dire que c'est rond, c'est ample, c'est hyper séduisant.
24:34 Vraiment, ça ravit l'oreille de bout en bout.
24:36 Pour moi, Trifonov, il y a un mystère, il y a un drame.
24:40 Il y a quelque chose de plus métaphysique qui me touche plus profondément.
24:47 Là, je prends énormément de plaisir à écouter, mais je ne tombe pas de ma chaise comme je peux avec Trifonov.
24:54 Et pour ceux qui ne connaissent pas bien la musique classique,
24:56 Erach Maninow, ils vont quand même reconnaître une petite mélodie.
24:59 * Extrait de « La vieille chanson de Trifonov » de Erach Maninow *
25:22 Charles Arden.
25:23 Il y a beaucoup de plaisir d'être critique musicale.
25:25 Un des plaisirs les plus délicieux et savoureux, c'est d'aller à un concert où on joue le deuxième concertant de Erach Maninow.
25:31 Ce deuxième mouvement, c'est de regarder les voisins qui disent « Mais c'est Céline Dion ! »
25:34 Et bien oui, c'est la même musique, c'est la même mélodie.
25:37 Eric Carman a eu beaucoup de problèmes d'ailleurs.
25:39 Il a dû renverser 12% de ses royalties aux royalties de Erach Maninow.
25:42 « All by myself » pour ceux qui n'auraient pas reconnu.
25:44 Et on ne chantera pas.
25:45 Merci beaucoup Charles Arden d'être venu.
25:47 Anastasia Galevits avant de partir, un coup de cœur que vous vouliez nous partager.
25:51 Un coup de cœur, grand coffret Calas qui sort vendredi.
25:55 Il y avait eu le coffret des enregistrements studio, le coffret des enregistrements live.
25:59 Aujourd'hui, tout est réuni.
26:00 Ça sort chez Warner vendredi pour les 100 ans de la naissance de Calas.
26:05 Il y a tout.
26:06 C'est merveilleux.
26:07 C'est toujours aussi magique.
26:08 C'est une voix, un timbre qui immédiatement nous transperce et nous touche au cœur.
26:13 Et il y a ses premiers enregistrements en 49, en 52.
26:18 Jusqu'à aujourd'hui, on voit toute l'étendue de la voix et tout son génie.
26:22 Qu'on soit connaisseur ou néophyte, c'est quand même un coffret extraordinaire que je recommande chaleureusement.
26:27 Et vous nous en portez.
26:28 On mettra évidemment les références sur le site de France Culture à la page de l'émission Les Midis de Culture.
26:32 Merci beaucoup Anna Sigalevitch, journaliste et autrice.
26:34 Merci à vous Charles Arden, directeur des contenus de l'Eryx et de Classe Ikeo.
26:38 Et on se retrouve dans quelques instants pour la suite des Midis de Culture.
26:41 !

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