Grand témoin : Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, fondateur du blog « Tenzer strategics » et auteur de « Notre guerre » (L'Observatoire)
GRAND DÉBAT / Transition écologique : le recul ?
« Le récap » par Bruno Donnet
Lors de sa campagne électorale de 2022, Emmanuel Macron avait annoncé : « La politique que je mènerai dans les 5 ans à venir sera donc écologique ou ne sera pas ». Entre temps, la crise agricole et la guerre en Ukraine ont fait leur apparition, forçant le Président de la République française à revoir ses objectifs écologiques à la baisse. Pour calmer la colère des agriculteurs, Gabriel Attal a annoncé plusieurs mesures qui pourraient donner lieu à une pause dans la transition écologique opérée dans le secteur. Il a par exemple déclaré que la France allait abandonner l'indicateur qu'elle utilise actuellement pour mesurer la réduction de l'usage des pesticides, le Nodu. Le plan Ecophyto visant à réduire de 50% l'usage des pesticides d'ici 2030 a été mis en pause. Les ONG environnementales voient dans ces décisions une capitulation écologique face aux intérêts économiques du pays. Faut-il sacrifier l'écologie sur l'autel de l'agriculture et de l'industrie ?
Invités :
- Pascal Lavergne, député Renaissance de Gironde,
- Sophie Lenaerts, vice-présidente du syndicat agricole « Coordination rurale »,
- Léa Falco, co-fondatrice de l'association « Construire l'écologie »,
- Stéphane Zumsteeg, directeur du département politique et opinion à l'institut Ipsos.
GRAND ENTRETIEN / Nicolas Tenzer : la « diplomatie de guerre » pour faire plier Vladimir Poutine ?
Dans son nouvel essai « Notre guerre. Le crime et l'oubli : pour une pensée stratégique », Nicolas Tenzer expose sa vision du conflit russo-ukrainien et la nécessité d'une nouvelle stratégie mondiale. Il remet en cause l'idée préconçue de la diplomatie actuelle, de l'empiètement sur le droit international mais aussi d'une guerre qui est, à son sens, davantage idéologique qu'impérialiste. Nicolas Tenzer revient sur le rôle des pays alliés à l'Ukraine dont l'implication financière n'est pas suffisante pour sortir vainqueur d'un conflit à 3000 kilomètres. Selon lui, le conflit ukrainien est également « notre guerre » tant les enjeux qui se cachent derrière menacent nos démocraties. Comment l'Union Européenne et la France peuvent-elles réellement aider l'Ukraine ?
Grand témoin : Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, fondateur du blog « Tenzer strategics » et auteur de « Notre guerre » (L'Observatoire)
LES AFFRANCHIS
- Mariette Darrigrand, sémiologue,
- Bertrand Périer, avocat,
- « Bourbon express » : Clément Perrouault, journaliste LCP.
Ça vous regarde, votre rendez-vous quotidien qui prend le pouls de la société : un débat, animé par Myriam Encaoua, en prise directe avec l'actualité politique, parlementaire, sociale ou économique.
Un carrefour d'opinions où ministres, députés, élus locaux, experts
GRAND DÉBAT / Transition écologique : le recul ?
« Le récap » par Bruno Donnet
Lors de sa campagne électorale de 2022, Emmanuel Macron avait annoncé : « La politique que je mènerai dans les 5 ans à venir sera donc écologique ou ne sera pas ». Entre temps, la crise agricole et la guerre en Ukraine ont fait leur apparition, forçant le Président de la République française à revoir ses objectifs écologiques à la baisse. Pour calmer la colère des agriculteurs, Gabriel Attal a annoncé plusieurs mesures qui pourraient donner lieu à une pause dans la transition écologique opérée dans le secteur. Il a par exemple déclaré que la France allait abandonner l'indicateur qu'elle utilise actuellement pour mesurer la réduction de l'usage des pesticides, le Nodu. Le plan Ecophyto visant à réduire de 50% l'usage des pesticides d'ici 2030 a été mis en pause. Les ONG environnementales voient dans ces décisions une capitulation écologique face aux intérêts économiques du pays. Faut-il sacrifier l'écologie sur l'autel de l'agriculture et de l'industrie ?
Invités :
- Pascal Lavergne, député Renaissance de Gironde,
- Sophie Lenaerts, vice-présidente du syndicat agricole « Coordination rurale »,
- Léa Falco, co-fondatrice de l'association « Construire l'écologie »,
- Stéphane Zumsteeg, directeur du département politique et opinion à l'institut Ipsos.
GRAND ENTRETIEN / Nicolas Tenzer : la « diplomatie de guerre » pour faire plier Vladimir Poutine ?
Dans son nouvel essai « Notre guerre. Le crime et l'oubli : pour une pensée stratégique », Nicolas Tenzer expose sa vision du conflit russo-ukrainien et la nécessité d'une nouvelle stratégie mondiale. Il remet en cause l'idée préconçue de la diplomatie actuelle, de l'empiètement sur le droit international mais aussi d'une guerre qui est, à son sens, davantage idéologique qu'impérialiste. Nicolas Tenzer revient sur le rôle des pays alliés à l'Ukraine dont l'implication financière n'est pas suffisante pour sortir vainqueur d'un conflit à 3000 kilomètres. Selon lui, le conflit ukrainien est également « notre guerre » tant les enjeux qui se cachent derrière menacent nos démocraties. Comment l'Union Européenne et la France peuvent-elles réellement aider l'Ukraine ?
Grand témoin : Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, fondateur du blog « Tenzer strategics » et auteur de « Notre guerre » (L'Observatoire)
LES AFFRANCHIS
- Mariette Darrigrand, sémiologue,
- Bertrand Périer, avocat,
- « Bourbon express » : Clément Perrouault, journaliste LCP.
Ça vous regarde, votre rendez-vous quotidien qui prend le pouls de la société : un débat, animé par Myriam Encaoua, en prise directe avec l'actualité politique, parlementaire, sociale ou économique.
Un carrefour d'opinions où ministres, députés, élus locaux, experts
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Générique
00:02 ...
00:04 -Bonsoir à tous et bienvenue dans "Ca vous regarde".
00:08 Au sommaire, ce soir, la guerre en Ukraine
00:10 et la menace russe au lendemain du discours de Vladimir Poutine.
00:14 Quelle ligne la France et l'Union européenne
00:16 doivent-elles tenir sur ce dossier ?
00:18 Faut-il envisager l'envoi de troupes en Ukraine ?
00:21 On en débat avec notre grand témoin,
00:23 Nicolas Tenzer. Bonsoir. -Bonsoir.
00:25 -Vous les abordez en détail dans votre dernier ouvrage,
00:29 "Notre guerre", aux éditions de l'Observatoire.
00:31 Dans l'actualité, également,
00:33 une pause pour le plan éco-phyto,
00:35 1 milliard en moins pour la rénovation thermique,
00:38 10 ans de plus pour le glyphosate
00:40 et un Green Deal européen sur la sellette.
00:42 Pourquoi l'Europe et la France revoient-elles
00:45 leurs ambitions écologiques à la baisse ?
00:47 On en débat avec nos invités.
00:49 Enfin, nos affranchis,
00:50 nous serons avec Mariette Darigrand pour le mot de la semaine.
00:53 On parlera aussi de la dame de fer avec Bertrand Perrier.
00:56 On va parler de la rénovation du chlordécone
00:59 dans la chronique "Bourbon Express" de Clément Perrot.
01:02 Vous êtes prêts ? -Oui.
01:03 -C'est parti.
01:04 Générique
01:06 ...
01:16 L'environnement, ça commence à bien faire.
01:18 C'était en 2010, dans la bouche de Nicolas Sarkozy,
01:21 mais cela traduit l'état d'esprit de toute une partie
01:24 de la politique aujourd'hui.
01:26 De Marine Le Pen à Eric Ciotti, mais aussi à Gabriel Attal.
01:29 Tout le monde dénonce aujourd'hui l'écologie punitive.
01:32 Plus question d'avancer à marche forcée ou de contraindre.
01:35 L'écologie doit être populaire ou elle ne sera pas.
01:38 Derrière les différents reculs qui ont été constatés,
01:41 ces dernières semaines, une question.
01:43 Nos modèles démocratiques sont-ils capables
01:46 de s'attaquer aux défis climatiques ?
01:48 On en débat avec nos invités ce soir.
01:50 Sophie Lennartz, bonsoir. -Bonsoir.
01:52 -Vous êtes vice-présidente de la Coordination rurale,
01:55 le troisième syndicat agricole français.
01:57 Léa Falco, bonsoir.
01:59 Vous êtes chroniqueuse au sein de l'émission "Ça vous regarde"
02:02 et cofondatrice de l'association Construire l'écologie.
02:05 Pascal Lavergne, bonsoir. -Bonsoir.
02:07 -Député Renaissance.
02:08 Vous êtes un ancien éleveur bovin. -Tout à fait.
02:11 -Stéphane Zumsteg, directeur du département Opinion
02:14 et Recherche sociale au sein de l'institut Ipsos,
02:17 et notre grand témoin, Nicolas Tenzer,
02:19 enseignant à Sciences Po et fondateur
02:21 du blog Tenzer Strategics.
02:23 Mais d'abord, pour se mettre les idées au clair,
02:26 rien ne vaut un petit récap signé Bruno Donnet.
02:28 Bonsoir, Bruno. -Bonsoir, Clément.
02:40 -Ce soir, dans votre récap,
02:42 il est question d'un revirement de Jacques Chirac
02:45 et d'un super-héros. -Oui, et on va commencer,
02:47 Clément, avec Jacques Chirac,
02:49 qui a ému l'ensemble de la planète politique
02:53 en 2002 à Johannesburg, avec cette formule.
02:57 -Notre maison brûle.
02:59 Et nous regardons ailleurs.
03:04 -Une mise en garde qui a sonné le coup d'envoi
03:06 de ce qu'on appelle la prise de conscience environnementale,
03:10 au point que, depuis cette date,
03:12 tous les successeurs de Chirac ont placé l'écologie
03:15 au coeur de leurs préoccupations,
03:18 à telle enseigne qu'en pleine campagne 2022,
03:21 un certain Emmanuel Macron nous a promis ceci.
03:24 -La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir
03:28 sera donc écologique ou ne sera pas ?
03:31 -Bam ! On allait voir ce qu'on allait voir.
03:34 Toute la politique serait repeinte en vert,
03:37 le programme serait vert, les décisions vertes aussi,
03:41 et même le périmètre du Premier ministre
03:44 se trouverait verdi.
03:45 -Mon prochain Premier ministre,
03:48 sera directement chargé de la planification écologique.
03:52 Applaudissements
03:53 -Bien, seulement voilà, depuis quelques semaines,
03:56 depuis que les tracteurs des agriculteurs
03:59 ont bloqué les routes, les plans du président de la République
04:02 et de son Premier ministre semblent avoir un peu changé de couleur.
04:06 -Qu'on arrête d'expliquer que notre agriculture,
04:09 nos agriculteurs, nos agriculteurs sont des ennemis de l'environnement.
04:13 Le plus souvent, ils protègent l'environnement.
04:16 -Plus question de jeter l'opprobre sur les agriculteurs.
04:19 Et pour que le bonheur retrouve le prêt d'Ardar,
04:22 le sommet de l'Etat est donc prêt à avaler
04:25 son grand chapeau environnemental.
04:27 -Qu'est-ce qui a changé, Bruno ?
04:29 Et pour quelles raisons vous évoquez ce revirement ?
04:32 -C'est l'ordre des priorités.
04:34 Fini l'écologie en tête de gondole,
04:36 le président de la République l'a annoncé
04:38 depuis le salon de l'agriculture.
04:40 Son nouveau mantra, c'est "labourage et pâturage".
04:43 -On va mettre dans la loi
04:45 que l'agriculture, c'est un intérêt général,
04:48 un majeur pour la nation française.
04:50 -Voilà, la loi va changer.
04:52 Les agriculteurs pourront donc construire
04:54 de nouvelles retenues d'eau, les fameuses méga-bassines,
04:58 le plan éco-phyto qui vise à réduire de 50 %,
05:01 l'usage des pesticides a été mis sur pause,
05:04 l'obligation de mettre 4 % des terres en jachère, oubliée,
05:09 quant aussi contesté glyphosate.
05:11 Il a finalement été réautorisé pour 10 ans de plus.
05:15 Bref, Emmanuel Macron a cessé d'imiter Chirac.
05:18 Il s'inspire désormais d'un autre président.
05:21 -Je voudrais, au point où j'en suis,
05:24 dire un mot de toutes ces questions d'environnement.
05:27 Parce que là aussi, ça commence à bien faire.
05:30 -Reste toutefois une question. Pourquoi ?
05:33 Pourquoi le président de la République
05:36 opère-t-il un pareil revirement ?
05:38 La réponse, elle était peut-être.
05:40 Dans cette une qu'a publiée Libération lundi,
05:43 les Européennes, vous le savez, approchent à grands pas.
05:46 Pas question pour la majorité de se faire labourer
05:49 par le Rassemblement national.
05:51 Alors, Emmanuel Macron imite Hulk.
05:54 Hulk, ce super-héros qui a bercé votre enfance,
05:57 Clément Hulk, dont la couleur changeait
05:59 en fonction de son état de colère.
06:01 Et la colère, précisément, le président sait à la fois
06:05 la sentir et l'interpréter à merveille.
06:08 -On va aussi arrêter tous collectivement
06:10 de dire que l'agriculture est foutue.
06:13 Sinon, c'est pas la peine d'aller chercher des jeunes.
06:16 Si le discours ambiant, c'est de dire que l'agriculture est foutue,
06:20 il y a pas la peine de faire une loi d'orientation.
06:23 On ferme tout de suite le magasin.
06:25 -Et voilà, Clément, il y a pas la peine
06:27 de réécouter Chirac.
06:28 La politique, ça change à toute vitesse,
06:31 tout dépend des colères.
06:33 Emmanuel Macron est exactement comme Hulk,
06:35 un couche-huiver, un couche-huible.
06:37 -Merci beaucoup, Bruno Donnet.
06:39 La liste des reculs est effectivement impressionnante.
06:43 L'été présenté comme priorité du quinquennat
06:45 semble presque devenu secondaire.
06:47 Pascal Lavergne, vous êtes le représentant de la majorité.
06:51 Qu'est-ce qui s'est passé sur cette question de l'écologie ?
06:54 -Vous parlez de recul, aujourd'hui.
06:56 Je crois pas qu'il faille parler de recul.
06:59 C'est redonner un timing
07:01 pour que l'agriculture puisse intégrer
07:03 les demandes que la société lui envoie.
07:06 Depuis longtemps, les agriculteurs ont compris ce message.
07:10 Depuis longtemps, on veut faire appliquer aux agriculteurs
07:13 un rythme à marche forcée.
07:15 Les agriculteurs ont dit "stop".
07:17 Je crois qu'ils ont eu raison,
07:19 parce qu'à chaque fois, finalement,
07:21 que l'on baisse la productivité de la ferme France,
07:24 c'est de la déforestation importée
07:26 que l'on va chercher au Brésil
07:28 ou qu'on va chercher en Indonésie.
07:30 Il faut remettre les choses en ordre.
07:32 -C'est-à-dire qu'on est allé trop vite,
07:35 on n'a pas suffisamment accompagné les agriculteurs ?
07:38 -C'est accompagné.
07:39 Ca a été des injonctions, parfois contradictoires.
07:42 On demande de produire un prix bas,
07:45 mais aujourd'hui, on ne peut pas faire
07:47 de la transition agro-environnementale
07:50 en sacrifiant les prix et donc en sacrifiant
07:52 ceux qui produisent l'alimentation
07:55 qui permet de nourrir tout un chacun.
07:57 Si on condamne l'agriculture française
07:59 en ayant des objectifs agro-environnementaux
08:02 trop forts...
08:03 -Vous partez du principe que les deux sont incompatibles.
08:06 -Non, c'est pas incompatible,
08:08 sauf qu'il faut un temps, un rythme.
08:10 Le rythme ne peut pas être donné par des fonctionnaires,
08:14 le rythme ne peut pas être donné par des politiques
08:17 qui n'ont jamais mis les mains dans le cambouis.
08:19 J'ai été agriculteur, je sais combien il faut investir
08:22 pour pouvoir produire, je sais quels efforts il faut faire
08:26 pour pouvoir appliquer les règles, les normes qui sont demandées.
08:29 L'agriculture ne récolte qu'une fois par an,
08:32 elle ne se rénove pas à la envie comme l'industrie.
08:35 Il faut pouvoir appliquer des process,
08:37 les appliquer et les intégrer économiquement
08:40 dans le coût de l'alimentation.
08:42 Chacun a sa responsabilité, y compris le citoyen consommateur.
08:46 -Léa Falco, comment vous analysez-vous
08:48 ces différentes annonces de ces derniers jours ?
08:51 Partagez-vous le point de vue de Pascal Lavergne ?
08:53 On est allé trop vite, on n'a pas assez accompagné ?
08:56 Ou est-ce un manque de courage politique
08:59 face à la pression des agriculteurs ?
09:01 -Je suis assez surprise,
09:02 vous nous dites que les politiques environnementales et agricoles
09:06 ne peuvent pas être faites par des fonctionnaires,
09:09 mais votre parti est au pouvoir depuis 2017.
09:11 Ca fait quelques années que c'est votre parti qui s'occupe
09:14 de ces questions-là. Sur la question précise,
09:17 ça a été trop vite.
09:18 Un point sur lequel je vous rejoins,
09:20 c'est la question des injonctions contradictoires,
09:23 qui sont celles des agriculteurs et d'un certain nombre de citoyens
09:26 où on demande à la fois de consommer vert
09:29 et qui, pourtant, sont contraints,
09:31 que ce soit économiquement, en termes de temps,
09:33 tout un tas de choses qui font qu'on n'est pas libre de choix
09:36 dans notre quotidien.
09:38 La réponse à ça, c'est l'accompagnement.
09:40 Sur la temporalité, il faut dire que quand on parle
09:43 du pacte vert, comme on en parle ces dernières semaines,
09:46 il a été seulement partiellement voté.
09:48 -Le pacte vert européen, au coeur du mandat
09:50 d'Ursula von der Leyen. -Il n'est pas dans la loi
09:53 française, donc, de fait, il est aussi beaucoup utilisé
09:56 comme épouvantail pour faire peur,
09:58 pour rendre l'écologie coupable d'un certain nombre de choses.
10:02 Ce qui n'est pas toujours le cas.
10:04 Sur la question de l'accompagnement,
10:06 évidemment, on est face à des transformations
10:08 tellement majeures qu'elles ne peuvent pas
10:11 ne pas être accompagnées financièrement
10:13 par les pouvoirs publics.
10:15 Il y a cette vraie question derrière.
10:17 Comment est-ce qu'on fait en sorte que la transformation
10:20 du modèle agricole ne pèse pas que sur les agriculteurs,
10:23 voire primairement pas sur les agriculteurs,
10:26 mais que, de l'autre côté, les consommateurs, les citoyens,
10:29 sont restreints ? Quand on parle de ce débat-là,
10:32 il y a toujours les émetteurs, les éleveurs, les agriculteurs,
10:35 et des consommateurs.
10:37 Entre les deux, il y a un tas de parties qu'on peut regarder,
10:40 et surtout, il y a une grosse machine,
10:42 l'Etat, les pouvoirs publics, qui doit être le fer de lance
10:46 du financement du changement de ce modèle.
10:48 -Vous partez du principe qu'il faut changer
10:51 de modèle agricole.
10:52 Est-ce que vous partagez, vous, ce diagnostic-là ?
10:55 -Il faut changer le modèle, parce qu'il est au bout du bout.
10:58 -Ca veut dire quoi, dans votre bouche,
11:00 "changer le modèle" ? -Il est contradictoire
11:03 en permanence. D'abord, si je peux me permettre,
11:05 par rapport au petit tableau que vous aviez mis,
11:08 vous marquez "plus de jachères". Faux.
11:10 -Non, c'est une dérogation pour cette année.
11:13 -D'abord, nous, on aimerait, dans la bouche de la politique,
11:16 ne plus entendre "dérogation" sur "saut" et "attente".
11:20 On aimerait une visibilité à 10 ans.
11:22 Vous l'avez bien dit, on ne peut pas faire des choses
11:25 et, six mois après, nous dire, hop, changement de cap,
11:28 on fait autre chose.
11:29 Il y a quand même 4 % de démarches
11:33 qui s'appellent les IAE, c'est les haies, les bosquets,
11:36 les bandes enherbées.
11:37 Là-dedans, vous intégrez les cultures fixatrices d'azote.
11:40 Là-dedans, vous intégrez les légumineuses,
11:43 tous ces 4 %, sans produits phyto.
11:45 Je ne peux pas vous laisser dire que tout a été arrêté
11:48 du jour au lendemain. Les spectateurs doivent savoir
11:51 que ce n'est pas vrai. Ca a été transformé par autre chose,
11:54 par d'autres modes d'expression.
11:56 Donc, déjà ça.
11:57 Plan éco-phyto, c'est pas parce qu'il y a une suspension
12:01 du plan d'éco-phyto que ça arrête la demande de baisse
12:04 de 50 % de l'utilisation des produits phyto.
12:06 Ca aussi, je pense qu'il faut arrêter de faire peur
12:09 là où c'est pas nécessaire.
12:11 Si je peux me permettre de revenir sur le glypho,
12:13 il y a l'utilisation qu'on fait hors Europe
12:17 et à l'intérieur de l'Europe.
12:19 Le glyphosate, chez nous, ne peut être utilisé
12:21 qu'en nettoyant de parcelles, sans culture,
12:24 pour pouvoir avoir une parcelle propre
12:26 avant d'implanter. Vous vous doutez bien
12:28 que quand on implante n'importe quoi,
12:31 on sème en octobre du blé, on nettoie la parcelle
12:34 avant d'implanter et on récolte en août d'après.
12:36 Donc, il n'y a pas de traces de glyphos
12:39 dans l'alimentation française. -On vous entend bien.
12:42 Sur le principe de changer de modèle agricole,
12:44 je ne suis pas convaincue que vous ayez la même idée en tête.
12:48 -L'écologie, on n'est pas contre, mais une écologie
12:51 qui doit être dans la globalité
12:53 de la société. On ne peut pas nous demander
12:55 à nous de faire de l'écologie et de faire croire
12:58 que l'agriculture française met la planète en danger
13:02 alors qu'on fait faire des transports,
13:05 on implante, on fait venir du blé d'ailleurs,
13:08 des oeufs d'ailleurs, du sucre d'ailleurs.
13:10 Je vous rappelle quand même
13:12 notre colère d'aujourd'hui.
13:13 Hier a été signé à l'Europe
13:15 le traité de libre-échange avec le Kenya et le Chili,
13:19 où va rentrer à tout va des haricots verts,
13:23 des légumes, des fruits, des fleurs,
13:25 de la viande, contre quoi ? Contre du lithium, du cuivre,
13:28 des minéraux, des produits chimiques.
13:30 L'agriculture française ne peut plus être cette monnaie d'échange.
13:34 C'est dans ce sens-là qu'on vous dit que le modèle est au bout du bout.
13:38 -Je tiens à rebondir dessus. On est sur un point important.
13:41 Entre l'écologie et l'agriculture, il n'y a pas d'opposition.
13:45 -On peut produire plus et mieux ? -Je finis là-dessus.
13:48 Ce qui est dit dans votre reportage, dans la bouche de Gabriel Attal,
13:52 c'est que les agriculteurs sont les ennemis de l'environnement.
13:55 Je pense qu'il n'y en a pas beaucoup.
13:57 Je parle en tant qu'écolo non-partisane,
14:00 mais on sait très bien qu'on a besoin des agriculteurs
14:03 et qu'on a besoin de les aider, de les accompagner.
14:06 Là où je vous rejoins, c'est sur cette idée de visibilité.
14:09 Le terme de planification est entré dans l'espace public,
14:12 dans l'espace médiatique et politique.
14:14 C'est une très bonne chose,
14:16 mais on n'en voit pas encore les contours.
14:19 On n'a pas justement cette visibilité à 10, 20, 30 ans
14:22 pour les agriculteurs, pour les aider à avancer
14:25 sur les terres et les exploitations qu'ils ont déjà
14:28 et voir à envisager des changements de modèles.
14:30 Là, on est dans des dimensions de complexité
14:33 qui sont inimaginables du côté des praticiens de l'agriculture.
14:37 Il y a cette volonté et cette nécessité de planification,
14:40 et j'y reviens, qui demande de l'argent,
14:43 du financement dans l'agriculture.
14:45 -Je voudrais intervenir sur ce changement de modèle.
14:48 -On part pas de 1 pour aller vers 0
14:51 ou de 0 pour aller vers 1.
14:52 Le modèle, il évolue.
14:54 Je peux vous assurer que pour être un observateur
14:57 depuis de longues années du monde agricole,
14:59 parce que je travaille dans le monde agricole depuis 40 ans,
15:02 ce monde agricole, le modèle, il a constamment évolué
15:06 et il continuera constamment d'évoluer.
15:08 Le problème, c'est qu'il lui faut un rythme.
15:10 Il faut un rythme qui soit soutenable,
15:13 parce que le modèle agricole, il produit des denrées alimentaires
15:17 qui sont en concurrence avec d'autres denrées alimentaires
15:20 qui sont produites sur la planète
15:22 avec des conditions qui ne sont pas les mêmes.
15:24 Donc, il faut à un moment donné avoir le courage
15:27 de dire qu'on remet l'ouvrage sur le métier
15:30 et on réécrit la copie de façon parfaite.
15:32 -Ca fait des années qu'on dit ça.
15:34 -On a l'impression quand même que cette copie
15:37 du monde agricole,
15:39 elle a été écrite sans le concours des agriculteurs,
15:42 sans leur laisser le temps.
15:44 C'est pour ça qu'aujourd'hui, il y a vraiment une forme de révolte.
15:48 Quand on voit la façon dont les manifestations
15:51 se sont produites, il y a quand même ce sentiment de révolte.
15:54 On veut mettre une pause pour que l'on remette l'ouvrage
15:57 sur le métier et redonner des perspectives
16:00 à ce monde agricole.
16:01 Vous avez dit fort juste au titre que ce ne sont pas des perspectives
16:05 à un ou deux ans, mais à 20 ou 30 ans,
16:08 parce que l'agriculture a aussi besoin de s'inspirer
16:11 de ce que la recherche trouve en termes d'agriculture.
16:14 En termes d'évolution, qui permettent d'utiliser
16:17 moins de produits phytosanitaires,
16:19 qui permettent d'avoir des plantes
16:22 qui sont beaucoup plus résistantes à la sécheresse,
16:25 aux maladies, également.
16:27 Donc il faut intégrer également que la recherche
16:30 n'a peut-être pas été suffisamment soutenue
16:33 pour aider et venir en appui de l'évolution
16:35 qu'on demandait au monde agricole.
16:37 -Il faut attendre les solutions scientifiques, technologiques
16:41 pour mener la transition écologique ?
16:43 -Tous les jours. -On n'a pas d'échéance.
16:45 -Non, mais vous savez que pour le cancer,
16:48 ça fait des années qu'on cherche,
16:50 et pourtant, on n'a jamais trouvé de solution.
16:52 -Et pour ces questions liées aux produits phytosanitaires ?
16:56 -Je pense que c'est plus simple, sauf que pendant longtemps,
16:59 on n'a pas mis des moyens suffisants pour la recherche,
17:02 alors qu'on donnait des injonctions à l'agriculture
17:05 de faire mieux et de faire sans produit
17:07 et de lui supprimer des possibilités.
17:10 Quand les gens sont en concurrence avec des modèles agricoles
17:13 moins vertueux que les nôtres,
17:15 il faut faire une pause, mais ça ne veut pas dire
17:18 revenir à des années-lumière.
17:19 Quand on dit "pause", on ne revient pas à la tracine
17:22 qui est interdite chez nous depuis 30 ans,
17:25 et on ne revient pas au chlordécone.
17:27 -J'aimerais vous entendre, Stéphane Zumsteg,
17:30 pour voir où on en est dans l'opinion publique française
17:33 sur ces questions environnementales.
17:35 Les Français sont-ils un peu schizophrènes
17:37 sur cette question, avec les citoyens et les consommateurs,
17:41 ceux qui payent leurs courses au supermarché ?
17:43 -C'est ça, bien sûr. Il faut rappeler un point,
17:46 c'est que l'écologie ou la cause écologique
17:49 reste populaire et n'a cessé de progresser
17:51 ces dernières décennies en France.
17:53 Quand on confronte les Français à des réalités économiques,
17:57 dans ce contexte très particulier de baisse du pouvoir d'achat,
18:00 il nous explique très rapidement qu'il faut faire des efforts,
18:04 dégager de l'argent pour accélérer la transition énergétique,
18:07 mais ce n'est pas eux qui vont payer par le biais des impôts.
18:11 C'est souvent, si les Etats n'y arrivent pas,
18:13 de la faute de l'étranger, pas de l'Europe,
18:16 mais d'autres pays qui jouent sur le dumping agricole
18:19 ou sur le dumping social dans d'autres domaines.
18:22 Ou alors, ce sont aux grandes entreprises de payer.
18:25 C'est la limite de l'exercice.
18:26 La préoccupation environnementale reste présente,
18:29 mais quand on la met en concurrence avec d'autres préoccupations,
18:33 ça peut être le climat anxiogène actuellement,
18:35 l'inflation et la baisse du pouvoir d'achat,
18:38 on voit bien qu'à chaque fois que l'on teste
18:41 des choses telles que les pauses environnementales,
18:44 des actions en faveur des agriculteurs
18:46 plutôt qu'en faveur d'une accélération
18:48 de la transition écologique,
18:50 là, ils nous disent qu'il faut faire une pause.
18:52 Ca ne rend pas le gouvernement plus populaire,
18:55 ça ne rendra pas Gabriel Attal plus populaire.
18:58 Ca n'avait pas rendu populaire Nicolas Sarkozy,
19:01 vous l'avez montré en 2010, quand il disait
19:03 que l'environnement commençait à bien faire,
19:06 mais ils sont confrontés à des injonctions contradictoires.
19:09 Donc, quelque part, il faut arrêter, marquer une pause.
19:12 Nous sommes allés trop loin.
19:14 Un exemple très illustratif, c'est toute la sympathie
19:17 qui a pu susciter le mouvement agricole récent.
19:20 Il s'explique par plein de raisons.
19:22 D'une part, parce que c'est une profession très sympathique
19:25 pour les Français. -C'est eux qui les font vivre.
19:28 Il vaut mieux qu'ils soient sympathiques.
19:30 -Il y a une certaine compassion à l'égard du monde agricole
19:33 qu'on imagine comme un monde homogène
19:35 de gens qui travaillent 7 jours sur 7 pour rien.
19:38 Il y avait cet élément, mais il y avait aussi une sympathie,
19:41 car derrière, il y avait des consommateurs
19:44 qui avaient l'impression d'être eux-mêmes les victimes
19:47 du mal-être de l'agriculture française.
19:49 -Sur ce balancier politique, sur les enjeux écologiques,
19:53 est-ce que vous pensez que c'est directement lié
19:55 au scrutin des Européennes ?
19:57 Est-ce que ce sera un thème clé de ces élections ?
20:00 -Pour répondre à votre première question,
20:02 oui, c'est directement lié aux élections.
20:04 Il n'était pas prévu que l'on parle d'agriculture
20:07 et de la migration. Les gens pensaient parler,
20:10 les observateurs, les analystes,
20:12 d'immigration et du projet européen.
20:14 Une crise agricole se produit, elle n'a pas lieu qu'en France.
20:17 Regardez ce qui se passe en Pologne ou dans d'autres pays européens.
20:21 Ca va être un thème majeur, mais là où c'est négatif
20:24 et un fait que l'on peut déflorer pour l'idée européenne,
20:27 c'est qu'on va assister aux premières élections européennes
20:30 cette année, où l'Europe sera considérée non plus
20:33 comme un projet censé faciliter les choses,
20:36 protéger les citoyens européens,
20:38 mais plutôt comme une Europe, une Union européenne,
20:41 qui est un handicap et qui, en fait,
20:43 rend la vie plus compliquée à un certain nombre de personnes.
20:46 Ca peut être les consommateurs, les citoyens,
20:49 les agriculteurs. Ca, c'est une réelle nouveauté.
20:52 J'en veux pour preuve la progression de tous les partis,
20:55 populistes ou de droite radicale,
20:57 dans toute une série de pays européens.
20:59 J'insiste sur cette différence entre extrême droite et populiste.
21:03 Les discours à l'égard de l'ouverture,
21:05 de la fermeture des frontières, ne sont pas issus
21:08 de partis traditionnellement catégorisés
21:10 dans l'extrême droite ou la droite,
21:12 mais dans des partis qui jouent sur la fibre
21:15 la plus populiste de la population.
21:17 C'est ce qui explique pourquoi en France,
21:19 il y a cette course à l'échalote de certains partis,
21:22 surtout pour critiquer l'Union européenne.
21:25 -Sophie Lénard ? -Si je peux revenir
21:27 à l'agriculture ou à l'agronomie, rappelez de tout à chacun,
21:30 les spectateurs qui ne le savent pas,
21:32 tous les efforts qu'on a faits, agronomiquement parlant,
21:35 quand vous parlez de traitement ou de soins aux plantes,
21:39 on fait ça à des moments où l'hygrométie est la plus haute,
21:42 on est en demi-dose, voire quart-dose,
21:44 donc on fait quatre fois moins fort que c'est nécessaire
21:47 pour être sûr de n'apporter que ce qui est nécessaire pour soigner.
21:51 Qui mieux que l'agriculteur est le meilleur écologiste
21:54 aujourd'hui sur Terre ? Ce patrimoine,
21:57 c'est quelque chose, en l'occurrence pour moi,
21:59 que je vais remettre à ma petite fille.
22:01 Vous m'expliquez en quoi je vais détruire mon capital,
22:05 mon patrimoine, quelque chose qui doit être préservé,
22:08 qui doit durer dans le temps, qui doit nourrir
22:10 et qui doit produire, mais dans le temps,
22:13 donc on a... Enfin, on sait...
22:14 -Ce sont des enjeux qui vous tiennent à coeur.
22:17 Sur la question d'acheter des produits français,
22:20 qu'attendez-vous de la classe politique
22:22 pour inciter les Français à acheter français,
22:25 même quand c'est parfois plus cher,
22:27 que les autres ? Qu'attendez-vous de la classe politique ?
22:30 -La politique et moi, ça fait deux, je suis désolée,
22:33 je suis très mauvaise en politique.
22:35 -Ca vous désespère, Pascal Lavergne ?
22:37 -Non, c'est un fait.
22:39 Je préfère parler d'agriculture que de politique
22:42 car j'y connais rien et ça ne me passionne pas.
22:44 Je préfère pas partir sur des sujets.
22:46 -Manger, c'est un acte politique, finalement.
22:49 Au travers de l'alimentation... -Pas pour moi.
22:52 -C'est un acte politique, au sens double du terme.
22:55 Quand on va acheter, effectivement, un poulet français
22:58 plutôt qu'un poulet brésilien, qui coûte deux fois moins cher,
23:01 c'est un acte politique. -Non, je vais parler de santé.
23:04 -C'est un acte politique que de soutenir son agriculture
23:08 et de manger mieux pour soi-même. -Pas pour moi.
23:10 Pour moi, l'agriculture, c'est une condition de santé.
23:14 Je parle de santé de notre population.
23:17 Manger français, ça n'a rien à voir
23:20 avec manger à ce qui est importé.
23:22 Désolée, l'agriculture française est une excellence,
23:25 on le voit, je le vois.
23:26 Quand je vends des produits, je fais des colis de viande.
23:29 Je les mets dans la fête des voisins,
23:32 je les mets sur le barbecue, où mes voisins me disent
23:35 "T'as trouvé où ta viande ?" "Chez moi."
23:37 Je constate, dans le goût, dans la qualité de la viande,
23:42 que mes voisins, qui achètent en grande surface,
23:45 ne trouvent pas la même qualité que ce que je produis.
23:48 C'est très bien, je vends ma viande.
23:50 Je sais que ça n'a rien à voir avec...
23:52 A mes yeux, ça n'a rien à voir avec la politique.
23:55 -C'est un acte politique que d'acheter.
23:57 -On ne vous mettra pas d'accord.
23:59 -Nicolas Tenzer, je voudrais vous entendre
24:02 sur l'enjeu de la transition écologique,
24:04 qui implique des choix difficiles, souvent douloureux et impopulaires.
24:08 Vous avez enseigné la philosophie politique à Sciences Po.
24:12 Est-ce que nos démocraties sont capables d'assumer
24:15 une politique écologique réellement ambitieuse ?
24:18 -La réponse est oui, parce qu'il n'y a pas le choix.
24:20 Je fais référence à un auteur assez connu,
24:23 qui s'appelle Al Jonas,
24:24 qui avait écrit "Le principe responsabilité".
24:27 Dans ce livre, il imaginait quelque chose
24:29 par rapport au changement climatique
24:31 qu'il appelait "l'heuristique de la peur".
24:34 C'est un terme compliqué, il faut avoir une attitude
24:37 fondée sur la peur du changement climatique.
24:39 Pour résoudre tout cela, je fais simple,
24:42 il imaginait une sorte de gouvernement
24:44 de super technocrates
24:45 qui imposerait, pour guider, en quelque sorte,
24:48 le peuple vers la conscience,
24:50 une sorte de transformation menée mani militari,
24:53 en quelque sorte.
24:54 C'est impensable, c'est non démocratique,
24:56 et c'est impensable. Aujourd'hui, on n'a pas le choix.
24:59 -Un gouvernement peut afficher un programme...
25:02 -Je pense qu'il ne demande pas nécessairement.
25:05 Quand je vois la plupart des débats,
25:07 prenons un seul débat, qui a été évoqué,
25:09 c'est la question de l'Europe.
25:11 S'il n'y avait pas eu la politique agricole commune,
25:14 les agriculteurs seraient morts.
25:16 Ils seraient morts.
25:17 La politique agricole commune, il faut le répéter,
25:20 c'est l'Europe, et ça a été quelque chose
25:22 qui a sauvé les agricultures européennes.
25:25 Que, deuxièmement, tous les sujets évoqués,
25:27 y compris sur les sujets de concurrence déloyale
25:30 et de normes qui ne sont pas du tout au même niveau
25:33 dans d'autres pays du monde,
25:34 en tout cas au sein de l'Union européenne,
25:37 et avec les nouveaux pays qui vont entrer,
25:39 je pense à l'Ukraine, à Moldavie,
25:41 et quelques autres, ça va être un territoire
25:44 où il faut imposer des normes communes
25:46 pour y éviter, et ça, c'est essentiel,
25:48 cette distorsion de concurrence,
25:50 cette concurrence déloyale.
25:52 Quand on a une Europe forte par rapport aux négociations
25:55 qu'on va pouvoir conduire avec d'autres zones du monde,
25:58 vous avez évoqué le Chili, le Kenya,
26:00 on pourrait évoquer le Mercosur,
26:02 qui a fait beaucoup parler ces derniers temps,
26:04 si une Europe est forte,
26:06 ça nous permet de négocier quelque chose.
26:08 Ca, je crois que c'est important.
26:10 Troisième remarque, on en a beaucoup parlé,
26:13 c'est juste de l'ambiguïté, de l'attitude contradictoire
26:16 du consommateur, qui est en même temps contribuable,
26:19 qui est parfois, d'ailleurs, lui-même ou elle-même,
26:22 agriculteur ou agricultrice, etc.
26:24 Mais en même temps, pour l'agriculture,
26:26 lutter contre le changement climatique,
26:28 sur tout ce que l'on voit très concrètement,
26:31 avec les désastres, dans un grand nombre de régions,
26:34 que ce soit pour les vignopes,
26:36 pour le blé, pour l'ensemble des cultures,
26:38 eh bien, il faut absolument expliquer tout ça.
26:41 Tout ceci doit être accompagné, doit être planifié,
26:43 mais je pense que ça peut être expliqué.
26:46 Je ne pense pas qu'il y ait une opposition.
26:48 Sinon, on ne s'en sortira pas.
26:50 Alors, il y a la responsabilité politique
26:53 et il y a potentiellement la responsabilité des entreprises.
26:56 On a parlé beaucoup d'agriculture,
26:58 je voudrais qu'on se penche sur l'industrie,
27:01 le service. Certaines entreprises
27:03 innovent et font des choix courageux
27:05 pour s'attaquer aux enjeux écologiques,
27:07 que ce soit dans l'industrie ou dans les services.
27:10 -Marco Pommier.
27:11 -La neutralité carbone en 2050,
27:18 objectif ambitieux pour la zone industrielle de Dunkerque,
27:21 l'une des plus polluées d'Europe.
27:24 Son port est responsable
27:25 de 20 % des émissions industrielles de la France.
27:29 Alors, pour verdir l'industrie existante,
27:31 ArcelorMittal, poids lourd de la sidérurgie française,
27:35 a lancé de grands chantiers.
27:37 -La 1re étape, c'est d'augmenter la recyclabilité de l'acier.
27:41 Ici, vous avez l'illustration très concrète
27:43 de comment on traite l'acier recyclé
27:45 quand il arrive sur l'usine.
27:47 Il arrive dans des camions, il est trié,
27:49 et ça va terminer à l'acierie, le bâtiment derrière nous.
27:52 C'est ce qui nous permet de gagner déjà 10 à 15 %
27:55 de réduction de gaz à effet de serre.
27:57 -Pour décarboner, l'entreprise va remplacer
28:00 certains hauts fourneaux du site par des fours à hydrogène
28:03 et installer des pièges à carbone, des capteurs de CO2.
28:07 Autre secteur en mutation, le transport de livraison.
28:11 Il représente un quart des émissions de gaz à effet de serre
28:14 dans les grandes villes.
28:16 Les camions thermiques devraient bientôt être bannis
28:19 de nos centres-villes.
28:20 Cette célèbre renseigne d'ameublement a pris les devants.
28:23 En Ile-de-France, elle a choisi la voie fluviale,
28:26 1,5 million d'euros d'investissement.
28:28 -Il y a un petit surcoût, c'est un petit investissement,
28:31 mais l'objectif, c'est vraiment d'anticiper
28:34 ces futures réglementations thermiques
28:37 qui feront qu'on ne pourra plus livrer nos clients à terme
28:41 dans Paris avec des véhicules thermiques et polluants.
28:44 -La péniche peut contenir jusqu'à 450 commandes.
28:48 Pour assurer la livraison jusqu'aux clients,
28:51 les colis sont ensuite transportés par des camions électriques.
28:54 Selon la marque, cette stratégie permet d'éviter
28:57 12 000 poids lourds par an sur les routes.
29:00 Changement radical aussi pour cet autre distributeur de meubles.
29:04 Lui a décidé d'arrêter de vendre les produits fabriqués
29:07 en dehors de l'Europe.
29:08 -Plus de salons de jardin, comme ça, rien.
29:11 Ca, c'est tout fabriqué en Chine.
29:13 Fauteuil relax, c'est fini.
29:14 Canapé cuir, fabriqué en Chine, pareil.
29:17 Donc ça, c'est terminé. On ne trouvera plus ça.
29:20 -Une nouvelle stratégie assumée, 12 000 références en moins,
29:24 30 % de chiffre d'affaires de perdus sur 10 ans,
29:27 mais l'entreprise a compensé en vendant ses meubles plus chers,
29:31 attirant, en passage, une clientèle plus jeune
29:33 et sensible aux virages verts de l'entreprise.
29:36 -C'est apporter la preuve
29:38 qu'on peut réconcilier l'économie et l'environnement.
29:41 -Léa Faco, quel regard portez-vous sur ces exemples ?
29:44 Est-ce que, pour vous, c'est juste du greenwashing,
29:47 une façon de s'acheter une bonne conscience écologique ?
29:50 Ou est-ce que la solution peut venir des entreprises
29:53 sans attendre les politiques ? -Il n'y a pas la solution.
29:56 C'est difficile, il n'y a pas la solution.
29:59 En fait, là, industrie, mais agriculture,
30:01 puis mobilité, tous les secteurs,
30:03 c'est des dispositifs sociotechniques.
30:05 Il y a une partie sociale et une partie technique.
30:08 On a des connaissances établies dans chacun de ces deux domaines.
30:12 Ce qui manque, c'est, d'une part,
30:14 les outils pour mener ces transformations,
30:16 ces modifications, et je le répète,
30:18 mais du financement, de l'argent.
30:20 Là, ce qui est évoqué un peu à travers le renoncement
30:24 qu'a fait de l'entreprise sur une partie de son catalogue,
30:27 c'est la question de la sobriété,
30:29 comment est-ce qu'on fait en sorte de systémiquement,
30:32 pas seulement au niveau individuel,
30:34 mais systémiquement réduire une partie de la consommation
30:37 dont on n'a pas besoin ?
30:39 Je prends l'exemple de l'agriculture.
30:41 Où est-ce qu'il y a une place pour la sobriété ?
30:44 Quand vous regardez le gaspillage au niveau systémique,
30:47 ça vous fait à peu près 136 kg de gaspillage par an par personne.
30:50 -Vous parlez du gaspillage alimentaire.
30:53 -Oui, mais pas seulement du gaspillage à la maison,
30:56 mais de la production, de la production, de la production,
30:59 de la production, de la production, de la production, de la production.
31:03 C'est un des endroits où il faut regarder pour réduire progressivement
31:07 l'empreinte et le gaspillage alimentaire.
31:09 C'est un sujet relativement consensuel.
31:12 Il y a une question aussi à bien regarder le cadrage du débat.
31:15 Quelle question se pose quand on aborde les sujets environnementaux ?
31:19 Il ne faut pas faire de pause environnementale,
31:21 il faut pouvoir accompagner les agriculteurs,
31:24 et se demander si le narratif est dans ce sens-là.
31:27 Est-ce que la colère des agriculteurs vient principalement
31:30 des normes environnementales ? Je ne pense pas.
31:33 Je pense qu'elle vient du modèle de revenu agricole,
31:36 qui est, je trouve, assez indécent.
31:38 Il y a une question à se demander d'où vient systématiquement
31:41 à la racine le problème.
31:43 Si les agriculteurs étaient payés à la mesure des services
31:46 qui rendent à la société, ils n'auraient pas de problème
31:49 avec les normes environnementales.
31:51 -Ceci est un sujet à parler, que je veux remettre en fin de débat.
31:55 -Le mot de la fin, pour vous. -Complètement d'accord.
31:58 Je voudrais revenir sur ce que vous disiez,
32:00 les normes fortes, mais harmonisées.
32:02 Dans ce cas-là, il faut réguler les volumes.
32:05 Je fais quoi, moi, à mes producteurs de betteraves,
32:08 quand il y a 700 000 tonnes de sucre ukrainien qui rentrent ?
32:11 Il y en a autant, enfin, peut-être pas autant,
32:14 mais beaucoup qui vont rentrer dédouanés par le Chili.
32:17 Qu'est-ce qu'on fait de la betterave en France ?
32:20 Est-ce qu'il y a des projections ?
32:22 Vous dites, une Europe, je veux bien tout avoir,
32:25 mais si on fait rentrer ces produits-là,
32:27 donc, nous, on les fait plus ?
32:29 Ou on les fait comment ?
32:30 Donc, il y a là tout un paradoxe que je ne peux pas comprendre,
32:35 ou une hypocrisie, je ne sais pas quoi,
32:37 où l'agriculture, elle a monnaie d'échange dans cette Europe.
32:41 Je ne dis pas qu'elle est mauvaise,
32:43 je n'ai pas les réponses à vous donner.
32:45 Ce que je constate, c'est que dans ce mode d'échange,
32:48 aujourd'hui, c'est l'agriculture qui est saignée à blanc.
32:51 -Ca, c'est peut-être à vous, Pascal Lavergne,
32:54 de répondre à cette interpellation.
32:56 -Je crois pas que l'agriculture soit saignée à blanc.
32:59 L'idée est quand même, malgré tout,
33:01 de remettre l'église au milieu du village,
33:04 et je crois avoir été très clair dans mon propos
33:06 au début de cette émission, c'est de faire une pause
33:09 dans le rythme qu'on a voulu imposer à l'agriculture,
33:12 mais je ne suis pas, non plus, je ne partage pas le modèle
33:16 de la vie de l'agriculture, mais je suis un peu plus clair.
33:19 Ma contraductrice en face, qui est de dire, c'est,
33:22 à la puissance publique, de mettre de l'argent
33:24 pour compenser le fait que l'alimentation va coûter plus cher.
33:28 Non, il faut quand même que le marché puisse aussi régler tout cela,
33:32 parce que si, comme ça a été dit dans le reportage,
33:35 le fabricant d'un meuble, il peut fabriquer des meubles
33:38 beaucoup plus vertueux, mais il les vend 30 % plus cher,
33:41 il n'a pas demandé de subvention à l'Etat pour vendre ces meubles,
33:45 et on doit avoir, quand on est consommateur,
33:47 le porte-monnaie à la hauteur de ses exigences.
33:50 -On attend les prochaines mesures.
33:52 -Stéphane Zumsteg, à qui peut profiter politiquement
33:55 ce débat à l'occasion des Européennes ?
33:58 -Eh bien, probablement au profit des partis
34:00 qui militent le plus pour la fermeture des frontières,
34:03 pour la limitation des pouvoirs de l'Union européenne,
34:06 même si les deux ne vont pas de soi.
34:09 Je ne porte aucun jugement sur ce que je dis,
34:11 mais en ayant placé ce débat de la crise agricole
34:14 sur un certain nombre de thèmes, notamment sur l'Europe,
34:17 qui ne protège pas et parfois même asservit,
34:20 ce sont des thèmes qui ont été entendus,
34:22 je pense que c'est aux partis les plus anti-européens,
34:25 les plus radicaux, les plus populistes,
34:28 que ce débat profitera. -Merci à tous les quatre
34:30 d'être venus sur le plateau de Savoie-Garde pour débattre.
34:33 Dans un instant, nos affranchis,
34:35 Mariette Darrigrand, pour le mot de la semaine,
34:38 Bertrand Perrier, qui nous parlera de la dame de fer,
34:41 et la chronique Bourbon Express.
34:43 Nicolas Rouault, quelle est votre actualité ?
34:46 -Je vais vous parler d'une proposition de loi
34:48 qui a été votée hier soir à l'Assemblée
34:50 et que certains aux Antilles qualifient d'historique.
34:53 Il s'agit de la reconnaissance par l'Etat français
34:56 de sa responsabilité dans le scandale sanitaire du chlordécone.
35:00 -Merci à tous les trois.
35:01 Notre grand témoin, à présent, Nicolas Tenzer.
35:04 Vous êtes enseignant à Sciences Po,
35:06 spécialiste de politique internationale.
35:08 On peut vous suivre sur le blog Tenzer Strategics.
35:11 C'est pour parler de l'actualité de cette semaine
35:14 qui entre en résonance avec votre dernier ouvrage
35:17 intitulé "Notre guerre, le crime et l'oubli",
35:20 pour une pensée stratégique.
35:21 C'est aux éditions de l'Observatoire.
35:24 On commence par votre invitation, signée Elsa Mondingava.
35:27 Musique douce
35:29 ...
35:32 -Si on vous invite, Nicolas Tenzer,
35:34 c'est parce qu'en appelant votre livre "Notre guerre",
35:38 vous aviez anticipé le débat qui nous occupe.
35:40 Nicolas Tenzer, vous êtes politologue,
35:43 enseignant-chercheur à Sciences Po Paris,
35:45 spécialiste des questions internationales.
35:48 Lundi, deux ans après le début de l'attaque russe,
35:51 la France organise une conférence de soutien à l'Ukraine
35:55 et une déclaration du président Macron sème le trouble.
35:59 -Il n'y a pas de consensus aujourd'hui
36:01 pour envoyer de manière officielle,
36:04 assumer et endosser des troubles au sol,
36:07 mais en dynamique, rien ne doit être exclu.
36:12 Nous ferons tout ce qu'il faut
36:14 pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre.
36:17 -Depuis, le gouvernement a nuancé.
36:19 Il s'agirait de forces de déminage, de formation,
36:22 mais ses propos ont suscité un tollé
36:24 chez les oppositions en France.
36:27 -Emmanuel Macron a franchi une étape supplémentaire
36:30 vers la co-belligérance,
36:31 faisant planer un risque existentiel
36:33 sur 70 millions de Français.
36:35 Nous serions alors de fait en guerre avec la Russie.
36:38 Deux puissances nucléaires
36:40 qui s'affrontent sur le territoire d'un tiers,
36:43 ce n'est pas une option.
36:44 -Sur la scène européenne, Paris s'est retrouvé isolé.
36:48 ...
36:50 -Il n'y aura aucune troupe au sol,
36:52 aucun soldat envoyé ni par les Etats européens
36:55 ni par les Etats de l'OTAN sur le sol ukrainien.
36:59 -Hier, dans son discours à la Nation,
37:02 devant un parterre de responsables politiques et militaires,
37:06 Vladimir Poutine a mis en garde les Occidentaux.
37:09 -Et que font-ils ?
37:11 -Tout ce qu'ils inventent en ce moment,
37:14 en plus d'effrayer le monde entier,
37:16 est une menace réelle de conflits
37:19 avec l'utilisation de l'arme nucléaire
37:22 et donc, destruction de la civilisation.
37:25 -Utiliser les nuages,
37:26 c'est détruire la civilisation.
37:28 -Pour une défaite de la Russie et une victoire de l'Ukraine,
37:32 vous appelez à une diplomatie de guerre,
37:34 ce qui peut paraître contradictoire.
37:37 Alors, ce soir, une question,
37:39 Nicolas Tenzer.
37:40 -Je vous repose la question, Nicolas Tenzer.
37:48 Qu'est-ce qu'une diplomatie de guerre ?
37:50 -C'est une diplomatie qui prend en compte la réalité
37:53 qui, à un moment, s'arrête.
37:54 C'est-à-dire que la diplomatie ne peut pas tout résoudre.
37:58 Il y a une sorte de mantra,
37:59 qui est souvent utilisé par les chancelleries,
38:02 c'est-à-dire les diplomaties occidentales,
38:04 "il n'y a pas d'autre solution que diplomatique".
38:07 Dans la plupart des cas, heureusement, c'est exact.
38:10 Il faut se terminer par des négociations.
38:12 Mais quand on est devant le mal absolu, radical,
38:16 devant un Etat qui vise à détruire, d'abord un autre Etat,
38:19 l'Ukraine, en l'occurrence,
38:21 mais également à soumettre d'autres Etats
38:23 qui commettent depuis 24 ans des crimes de guerre,
38:26 crimes contre l'humanité, crimes de génocide,
38:29 alors il faut le rappeler, la Russie de Vladimir Poutine
38:32 a tué des centaines de milliers de civils à travers le monde,
38:35 en Tchétchénie, en Syrie, en Géorgie, en Ukraine, en Afrique, etc.
38:39 C'est plus de victimes que si l'on prend Al-Qaïda,
38:42 Daesh et le Hamas combinés. C'est ça, la réalité.
38:44 -Est-ce qu'une diplomatie de guerre doit concerner uniquement la Russie
38:48 ou aussi des pays qui participent
38:50 à contourner les sanctions qui visent la Russie ?
38:53 Je pense, par exemple, à l'Inde.
38:55 Il paraît qu'elle achète du pétrole russe.
38:58 Quelle est la réponse de la France en termes de diplomatie ?
39:01 La réponse adaptée ?
39:02 -Je pense qu'il y a un certain moment
39:04 où il faut que les démocraties placent les autres Etats
39:08 devant leurs responsabilités.
39:10 -C'est un coût économique.
39:12 Par exemple, l'Inde, elle achète beaucoup à la France.
39:15 Elle achète des rafales, des métros.
39:17 -Oui, mais sauf qu'à un certain moment,
39:19 je dirais, pour un pays comme l'Inde,
39:21 les fournisseurs sont des fournisseurs occidentaux
39:24 pour l'essentiel, même s'il y a aussi,
39:27 notamment, du matériel de guerre russe,
39:29 dont l'Inde voudrait essayer de se défaire.
39:31 -C'est-à-dire que faire pression sur l'Inde,
39:34 ça implique d'assumer un coût économique pour la France.
39:37 Une diplomatie de guerre, c'est un coût.
39:40 -Vous donnez un autre exemple, les Emirats arabes unis,
39:43 qui ont été actifs pour la réintroduction d'Assad,
39:46 l'un des pires criminels contre l'humanité du XXe siècle
39:49 au sein de la Ligue arabe, qui a rétabli les relations diplomatiques.
39:53 On est très proches des Emirats arabes unis,
39:55 mais il faut leur dire qu'il y a un certain nombre de comportements,
39:59 sur le contournement des sanctions par ce pays,
40:01 qui a des conséquences.
40:03 Je crois qu'on peut user de moyens de pression.
40:06 C'est pas la France seule. Il faut aussi qu'il y ait
40:08 une alliance plus forte de l'ensemble des démocraties,
40:12 pas seulement occidentales,
40:13 car c'est pas l'Occident.
40:15 Surtout, n'ayons pas cette idée en tête d'un Occident vertueux
40:18 par rapport à un Sud.
40:20 Il y a beaucoup de démocraties dans le Sud qui partagent.
40:23 Regardez, par exemple, le Kenya, le Chili, etc.,
40:26 qui partagent nos objectifs, nos valeurs et nos principes.
40:29 -Sur la question de cet envoi potentiel de troupes en Ukraine,
40:32 est-ce qu'Emmanuel Macron a eu raison
40:34 de mettre cette question sur la table ?
40:37 -Je ne vais pas vous dire le contraire,
40:39 car je vous le propose depuis plus d'un an,
40:41 je l'ai dit lors de nombreuses émissions,
40:44 dans de nombreux articles. -Vous n'étiez pas envoyé
40:46 des troupes au sol, vous étiez pour des frappes aériennes ?
40:50 -Il y a deux choses. Je pense,
40:52 le 24 février 2022, au cours des différentes émissions
40:54 que j'ai pu faire, j'ai proposé
40:57 que l'on vise les troupes russes
41:00 entrées en Ukraine par des frappes d'artillerie.
41:03 C'est une chose.
41:04 Je considérais que la Russie aurait arrêté,
41:07 qu'il n'y aurait pas eu... -D'escalade.
41:09 -Ce terme qu'on utilise de manière trop commode.
41:12 -Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
41:14 -On s'est aperçus que la Russie
41:16 essaie de nous dissuader depuis toujours,
41:18 essaie de fixer des lignes rouges.
41:20 En fait, elle a réussi, pendant 24 ans,
41:22 à nous effrayer, à déterminer l'agenda,
41:25 et chaque fois, la Russie est devenue plus dangereuse,
41:28 chaque fois, elle s'est réarmée davantage.
41:30 Si nous avions eu l'intelligence,
41:32 je ne parle pas de courage,
41:34 mais vraiment l'intelligence d'intervenir après 2008,
41:37 vous savez, quand les troupes russes
41:40 ont attaqué la Géorgie,
41:41 vous avez toujours 20 % du territoire géorgien,
41:44 l'Abkhazie, le Cité du Sud, qui sont aux mains des Russes,
41:47 eh bien, nous ne serions pas là aujourd'hui.
41:50 Si nous étions intervenus en 2014,
41:52 déjà, quand vous avez eu l'invasion du Donbass
41:55 et l'invasion de la Crimée,
41:56 soi-disant annexion de la Crimée,
41:58 eh bien, là aussi, je pense que nous ne serions pas
42:01 à ce point de gravité. -Quand Vladimir Poutine
42:04 agite la menace nucléaire, il ne faut pas le prendre au sérieux ?
42:07 -Surtout pas. -Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
42:10 -Je vais vous dire plusieurs choses.
42:12 D'abord, c'est quelque chose qu'il fait
42:15 depuis extrêmement longtemps.
42:17 Ce n'est pas uniquement aujourd'hui,
42:19 ce n'est pas uniquement depuis le 24 février.
42:21 Il le fait depuis toujours et chaque fois, il dit,
42:24 par exemple, après le 24 février,
42:26 "Si vous, Occidentaux, vous envoyez des armes à l'Ukraine,
42:29 "vous franchirez une ligne rouge avec des conséquences terribles."
42:33 Il a dit la même chose s'il y a des frappes ukrainiennes
42:36 qui touchent le territoire russe,
42:38 ça va être aussi absolument terrible.
42:40 Si des frappes ukrainiennes frappent la Crimée,
42:43 ça va être... Chaque fois, il ne sait rien passer.
42:46 Quand il parle de dissuasion, nous aussi,
42:48 nous pouvons atteindre le Kremlin.
42:50 C'est pas parce que nous avons moins de givres nucléaires
42:53 que la Russie que nous ne pouvons pas,
42:56 exactement au même moment, si la Russie déclenchait
42:59 ce type de frappe, anéantir non seulement la Russie,
43:02 ça, je pense que Poutine s'en moque complètement
43:04 quand on voit la légèreté avec laquelle il considère
43:07 la vie de ses propres soldats, mais lui-même,
43:10 lui-même, personnellement.
43:12 Une petite seconde sur les troupes au sol.
43:14 Je proposais, notamment le 24 février,
43:16 et c'était parfaitement conforme à l'article 51
43:19 de la Charte des Nations unies,
43:21 puisque nous pouvons nous porter au secours d'un Etat agressé,
43:25 sur les troupes au sol, dans l'immédiat,
43:27 ce que j'ai proposé, c'est d'envoyer des troupes
43:30 qui permettent, dans les zones libérées de l'Ukraine,
43:33 de dissuaser la Russie, d'avancer d'un côté
43:37 et d'attaquer, comme elle le fait depuis toujours,
43:40 des bâtiments civils, des écoles, des hôpitaux, des marchés, etc.
43:44 Là, je pense que la Russie ne prendra pas le risque
43:47 de prendre le risque de frapper
43:48 un soldat français, allemand, polonais, britannique,
43:53 que sais-je encore, parce que là, le pays qui serait frappé
43:57 pourrait invoquer l'article 5 de l'OTAN.
44:00 Là, je crois qu'on est sur une mesure de déterrence.
44:03 Il faut arrêter que Poutine fixe l'ordre du jour.
44:06 Nous devons être proactifs, pas uniquement passifs.
44:09 -Quand vous voyez les réactions au propos d'Emmanuel Macron
44:12 et de son groupe, avez-vous le sentiment
44:14 que les Européens sont prêts à assumer cela,
44:17 que les opinions publiques sont prêtes à l'accepter ?
44:20 -Il y a deux choses. D'abord, il y a ce que les dirigeants
44:23 disent publiquement, surtout à l'approche
44:25 des élections européennes.
44:27 Il y a également le cas spécifique des Etats-Unis,
44:30 qui a peur, depuis le début,
44:32 d'un engagement trop marqué en Ukraine
44:35 où il serait impliqué à un moment où, rappelez-vous,
44:38 Biden avait dit, c'était un très mauvais signal
44:41 pour Poutine, en mars 2022,
44:43 "surtout, nous n'enverrons pas de troupes au sol".
44:46 C'était la suite de son retrait d'Afghanistan.
44:49 Ils ont peur d'être impliqués.
44:51 Mais quand on regarde ce qu'il se dit en privé,
44:53 à Washington, du côté des démocrates
44:56 que des républicains anti-Trump,
44:57 que d'un certain nombre de mes collègues et amis
45:00 allemands, polonais, baltes, nordiques, etc.,
45:03 vous avez un tout autre discours.
45:05 Aujourd'hui, il considère que cette proposition d'Emmanuel Macron,
45:09 qui est acceptable, avec un certain nombre d'aspects,
45:12 des minages, aide logistique, etc.,
45:14 c'est vraiment quelque chose qui permet de débloquer la situation.
45:18 Il y a un certain moment où fournir des armes,
45:20 fournir des munitions, et nous devons le faire davantage,
45:24 c'est clair, on n'est pas à la hauteur.
45:26 L'économie de guerre promise par Macron
45:28 dans son discours du 13 juin 2022 à Eurostari,
45:31 nous en sommes loin.
45:32 Nous devons le faire, c'est l'urgence.
45:34 Il s'agit de sauver des dizaines de milliers de vies.
45:37 C'est la culpabilité, notre culpabilité,
45:40 de ne pas l'avoir fait.
45:41 Mais je pense qu'il faut, à un certain moment,
45:44 faire un saut qualitatif.
45:45 Il y a un moment où, devant la guerre,
45:48 que Poutine mène, pas seulement à l'Ukraine,
45:50 mais aussi à l'Europe, à nos principes.
45:53 Le temps joue pour lui, il va continuer à se réarmer.
45:56 -Si Donald Trump remporte la présidentielle
45:58 aux Etats-Unis à la fin de l'année,
46:00 on peut imaginer qu'il réduira fortement
46:03 le soutien militaire américain à l'Ukraine.
46:05 Il pourrait réduire l'engagement américain au sein de l'OTAN.
46:09 Comment l'Europe doit-elle se préparer
46:11 à cette perspective ?
46:13 -Se réarmer, se réarmer, se réarmer.
46:16 Et consacrer beaucoup plus.
46:17 Là, je pense que nous pouvons parfaitement,
46:20 quand j'entends "nous", je l'entends,
46:22 les dirigeants européens, peuvent parfaitement
46:25 parler aux opinions publiques et expliquer le danger.
46:28 On parlait de planification tout à l'heure.
46:30 -C'est à la fin de l'année, l'élection.
46:33 -Il faut se préparer dès maintenant.
46:35 Les 3 ou 4 % du PIB, je dirais, pour la défense,
46:38 voire un peu plus, ça ne doit pas être un tabou.
46:41 Certains pays européens y sont,
46:43 ça ne doit pas être un tabou pour nous non plus.
46:45 Il y a un moment où nous étions à 6 %.
46:47 -Pour conclure, je voulais vous faire réagir
46:50 à l'image du jour dans l'actualité internationale.
46:53 Ces milliers de Russes ont fait la queue à Moscou
46:56 pour rendre un dernier hommage à Alexei Navalny,
46:59 l'opposant numéro un à Vladimir Poutine.
47:01 C'est un président qui est réservé en Russie
47:04 à ceux qui s'opposent au régime, au pouvoir.
47:06 Est-ce que ces images vous ont surpris ?
47:08 -Non, parce que je trouve qu'il y a quand même
47:11 un certain nombre de Russes, une minorité, selon Claire,
47:14 extraordinairement courageuse, qui sait d'ailleurs
47:17 que la victoire de la liberté en Russie
47:20 passe par la victoire de l'Ukraine.
47:24 -C'est une prise de risque pour chaque individu
47:27 qui s'est rendu à ses objets ? -Bien sûr.
47:29 Il y a des caméras de surveillance, des policiers partout.
47:32 Après cet assassinat, l'assassinat de Navalny,
47:35 parce que c'est un assassinat décidé par Poutine lui-même,
47:38 car dans le système russe, il ne peut pas en être autrement,
47:42 c'est une défiance. Navalny, c'est aussi quelqu'un
47:44 dont on peut compaisser les idées, mais qui était
47:47 un homme extraordinairement courageux,
47:50 qui défiait Poutine. On voit effectivement
47:52 un Poutine, même son discours sur les armes nucléaires,
47:55 un Poutine qui a peur, qui est apeuré,
47:58 un petit être misérable qui a peur devant la grandeur d'un homme
48:02 qui était seul et qui le défiait.
48:04 -Merci beaucoup, Nicolas Tenzer.
48:06 Je rappelle le titre de votre ouvrage,
48:09 "Notre guerre, le crime et l'oubli",
48:11 pour une pensée stratégique aux éditions de l'Observatoire.
48:14 Vous restez avec nous, puisqu'on accueille nos affranchis.
48:18 Générique
48:20 ...
48:26 -Eh oui.
48:27 -On commence par vous, Bertrand Perrier.
48:30 Bonsoir. -Bonsoir.
48:31 -Vous êtes avocat. Ce soir, vous vous penchez
48:34 sur la Tour Eiffel et ses 6 millions de visiteurs par an.
48:37 Une dame de fer au coeur de toutes les inquiétudes
48:39 assis-moi des JO, perturbée par des grèves
48:42 et surtout rongée par la rouille.
48:44 -Eh oui, la Tour Eiffel
48:46 donne des signes inquiétants de corrosion.
48:48 Les syndicats parlent de symptômes
48:51 d'une dégradation inquiétante du monument.
48:54 Certains parlent d'un monument délabré.
48:57 Alors, évidemment, il est normal que la Tour Eiffel rouille.
49:00 La Tour Eiffel est en fer, au contact de l'atmosphère
49:03 et de l'humidité, donc elle rouille.
49:05 Mais précisément parce qu'elle rouille,
49:08 elle doit être repeinte tous les 7 ans
49:10 avec une peinture anticorrosion.
49:12 Or, la dernière campagne de peinture a maintenant 14 ans.
49:16 Ca fait 14 ans que la Tour Eiffel n'a pas été
49:18 intégralement repeinte comme elle doit l'être.
49:21 Il y a eu plusieurs raisons. La crise Covid
49:24 a fait la découverte de plomb.
49:26 Vous savez que pour décaper du plomb,
49:28 il y a des normes de sécurité qui sont plus rigoureuses.
49:31 Alors, évidemment, les spécialistes disent
49:34 que la structure n'est pas en danger,
49:36 que la Tour Eiffel n'est pas rouillée de façon dangereuse,
49:39 mais tout de même, il y a eu sur les réseaux sociaux
49:42 la publication d'un certain nombre d'images
49:45 qui ne rendaient pas très confiants sur l'état de la Tour Eiffel.
49:49 -C'est dans ce contexte qu'une grève a été déclenchée,
49:52 c'est l'une des plus longues de l'histoire.
49:54 -Oui, c'est l'une des grèves les plus longues.
49:57 Il faut savoir que six jours de fermeture de la Tour Eiffel,
50:00 c'est environ 100 000 spectateurs,
50:03 visiteurs, pardon, perdus,
50:06 et entre un et deux millions de manque à gagner.
50:09 C'est absolument considérable pour des finances
50:12 qui sont déjà dégradées de la Tour Eiffel
50:14 du fait de la crise Covid.
50:16 La raison, c'est l'inquiétude des 360 salariés.
50:20 D'une part, sur la santé financière d'une Tour Eiffel
50:25 dont les finances sont ponctionnées de façon importante
50:28 par la ville de Paris, qui est propriétaire de la Tour Eiffel,
50:31 et puis, deuxième inquiétude, l'insuffisance
50:34 des investissements de travaux qui doivent être faits
50:37 pour maintenir la Tour Eiffel en état.
50:39 Évidemment, rencontre de tout cela,
50:41 augmentation des tarifs d'entrée,
50:43 puisque dès le mois de mai, les tarifs vont augmenter de 20 %,
50:47 ce qui est assez considérable,
50:49 sachant que, déjà, pour un adulte,
50:51 le prix du billet d'entrée est compris
50:54 entre 11,80 et 29,40 euros,
50:57 selon que vous allez au premier, au deuxième ou au troisième,
51:00 que vous prenez l'escalier ou les ascenseurs.
51:03 -Pour couronner le tout, il y a une nouvelle bisbille
51:06 entre Anne Hidalgo et Rachida Dati.
51:08 -Elle ne pouvait pas s'empêcher.
51:10 Il faut quand même qu'elle maintienne le duel à distance.
51:13 Cette semaine, il y a eu un nouvel épisode
51:16 de ce duel entre Hidalgo et Dati,
51:19 sur le statut de la Tour Eiffel.
51:21 C'est compliqué, mais pas invraisemblablement complexe.
51:24 Aujourd'hui, la Tour Eiffel n'est pas classée monument historique.
51:28 Elle est inscrite, ce qui est différent.
51:30 Du coup, le statut d'inscription donne une protection moindre
51:34 que le classement comme monument historique.
51:36 Rachida Dati a proposé de classer la Tour Eiffel,
51:40 ce qui permet d'avoir plus de subventions de l'Etat,
51:43 mais, en contrepartie, plus de contrôle de l'Etat
51:46 sur les travaux. Le coup politique était évident.
51:49 Il s'agissait pour Rachida Dati, devenue ministre,
51:51 de mettre un pied dans la gestion par Anne Hidalgo de la Tour Eiffel.
51:55 Ça n'a pas échappé à Anne Hidalgo,
51:57 qui a immédiatement refusé cette proposition de classement
52:00 et a expliqué que l'inscription suffisait.
52:03 Vous voyez que, finalement, ça feuilletonne,
52:05 même à la Tour Eiffel, et on verra bien qui,
52:08 de la Tour, de la ministre ou de la maire,
52:10 est la plus inoxydable.
52:12 -Merci, Bertrand Perrier.
52:13 On passe au mot de la semaine.
52:15 Mariette Darrigrand, bonsoir.
52:17 Vous vouliez revenir sur un mot un peu compliqué
52:20 que personne ne sait définir,
52:21 mais qui a été prononcé cette semaine,
52:23 c'est le mot de "co-belligérance".
52:25 -Je vais parler sous l'oeil d'un expert.
52:28 Pour l'homme de la rue ou la femme de la rue,
52:30 pour tout un chacun, c'est compliqué.
52:32 "Co-belligérance", on ne comprend pas très bien de quoi il s'agit.
52:36 On a compris, quand le président de la République a parlé
52:39 d'envoyer des troupes en Ukraine,
52:41 et que ce terme est arrivé pour contrer son argument,
52:44 qu'on était dans le vocabulaire de la guerre.
52:47 Il est là, dans son écosystème,
52:49 parce qu'en latin, la guerre, c'est "bellum",
52:52 d'où "belligérance", "co-belligérance".
52:54 "Belliciste", quelqu'un qui veut la guerre,
52:56 "belligérant", celui qui fait la guerre.
52:59 On voit bien que Poutine et Zelensky correspondent
53:02 aux définitions, mais nous, qu'est-ce qu'on fait ?
53:05 Cette histoire de co-belligérance,
53:07 on ne sait pas très bien où nous situer
53:09 et jusqu'où allons-nous.
53:10 -C'est un nouveau mot ?
53:12 -Non, le mot est apparu en 1914,
53:14 donc il réfère vraiment à un contexte de guerre
53:17 bien défini.
53:18 Il est très chargé, terriblement chargé,
53:21 parce qu'il concernait les pays qui n'étaient pas
53:24 parmi les alliés, mais qui étaient en soutien,
53:26 comme par exemple la Belgique, qui a payé un prix lourd
53:30 pour résister aux forces allemandes.
53:32 Donc, pour nous, aujourd'hui, si vous voulez,
53:34 le mot reste dans un flou,
53:36 parce que c'est extrêmement touchy,
53:38 c'est le langage de la diplomatie,
53:40 et du coup, ce "cum", du "cum", "bellum",
53:44 "être avec", c'est lui qui porte le degré,
53:47 et d'une certaine façon, je dirais qu'il nous met,
53:50 avant, "ante", c'est-à-dire que c'est une espèce de limite
53:53 à ne pas franchir.
53:54 Nous sommes juste avant la guerre.
53:57 -La co-belligérance est donc une position un peu équilibriste
54:00 entre pacifisme et interventionnisme ?
54:03 -Exactement. Alors, je ne connais rien à la diplomatie,
54:06 mais sur le plan du langage, on peut dire que c'est un euphémisme,
54:10 c'est-à-dire que c'est un mot qui ne dit pas tout à fait
54:13 la chose et qui, justement, a de la valeur
54:15 parce qu'il ne va pas au bout de la pensée.
54:18 Et si l'on dit le mot "guerre",
54:20 on la déclare dans le contexte politique.
54:23 Donc là, on est devant un cas rare de langage performatif,
54:26 on en parle beaucoup, mais il y a deux ou trois situations,
54:30 quand on déclare son amour ou quand on déclare la guerre,
54:33 mais c'est à peu près tout.
54:34 Donc, pour finir, je dirais que ce qui nous pose problème
54:38 aussi avec ce mot, c'est que le mot usuel,
54:40 c'est celui de votre titre,
54:42 c'est-à-dire que c'est la guerre.
54:44 Et la guerre, ça ne vient pas de notre source latine,
54:47 ça vient de notre source francique,
54:49 comme on dit, c'est-à-dire c'est de l'allemand,
54:52 W-E-R-A, qui, dans les langues romanes, fait "gueu",
54:55 le W fait "gueu", en anglais, ça fait "war".
54:57 Bon, c'est pas... C'est devenu notre mot.
55:01 "Bellum" n'a rien donné, sauf un petit mot
55:04 tout à fait innocent, qui est "faire la belle".
55:07 Quand on fait la belle, à la pétanque, à la belote...
55:10 -C'est lié à la même racine. -C'est lié à la même racine,
55:13 et à ce moment-là, c'est la victoire éventuelle,
55:16 en troisième mi-temps, mais c'est dérisoire
55:18 dans le contexte actuel.
55:19 -D'un mot, très vite, une réaction à cette chronique,
55:23 "cobelligérance", c'est un euphémisme,
55:25 mais aussi un mot qui peut faire peur.
55:27 -Ce n'est pas un terme juridique, il faut le rappeler,
55:30 la cobelligérance n'existe pas en droit international.
55:33 Deuxièmement, c'est un langage de propagande.
55:36 Quand on envoie le terme "cobelligérance",
55:38 c'est du côté de certains, qui défendent parfois la Russie,
55:41 qui disent... -Pour intimider.
55:43 -Ne nous engageons pas.
55:45 Troisièmement, ça occulte complètement la réalité,
55:48 qui est la réalité d'une agression,
55:50 des crimes de guerre, contre l'humanité,
55:52 et ça, vous voyez que là aussi, on entre dans la propagande,
55:56 dans l'occultation de la réalité de l'agresseur.
55:58 -On passe à notre chronique Bourbon Express.
56:01 ...
56:09 -Bonsoir, Clément Perreault.
56:10 Vous nous parlez d'une proposition de loi socialiste
56:13 qui a été adoptée hier, un texte qui reconnaît
56:16 la responsabilité de l'Etat dans le scandale du chlordécone.
56:19 Vous avez enquêté sur ce sujet en vous rendant aux Antilles
56:23 pour LCP il y a quelques mois.
56:24 D'abord, de quoi est-ce qu'on parle ?
56:27 Qu'est-ce que c'est que le chlordécone ?
56:29 -Le chlordécone prend une résonance particulière
56:32 si vous le prononcez aux Antilles.
56:34 Là-bas, c'est associé à un scandale sanitaire énorme.
56:37 Le chlordécone, c'est un pesticide
56:39 qui a été utilisé dans les bananeraies des Antilles.
56:42 A partir de 1972, il permettait de lutter
56:45 contre le charançon, qui est un insecte nuisible.
56:48 Le problème, c'est que cet insecticide, le chlordécone,
56:52 s'est révélé très toxique, à la fois pour les sols,
56:55 mais aussi pour les planteurs, pour les hommes.
56:58 Il est aussi un cancer de la prostate
57:00 pour les femmes des accouchements prématurés.
57:02 Cette dangerosité du chlordécone,
57:04 Clément, elle était connue très tôt.
57:07 Dès 1975, ce produit a été interdit aux Etats-Unis.
57:09 En France, il a fallu attendre 1993.
57:12 Jusqu'à cette date, il y a eu des dérogations
57:14 accordées par le ministère de l'Agriculture.
57:17 Alors que l'on savait la toxicité,
57:19 on a privilégié les enjeux économiques
57:21 sur la sécurité sanitaire.
57:23 On est 30 ans plus tard, et aujourd'hui encore,
57:26 les Antillais sont traumatisés par ce produit
57:28 parce que les surfaces agricoles antillaises
57:31 sont massivement infectées de chlordécone.
57:33 C'est un produit très toxique
57:35 et qui peut rester jusqu'à 7 siècles dans les sols.
57:38 -Ce texte adopté hier soir,
57:40 c'est une victoire symbolique pour les Antillais ?
57:43 -Oui, d'abord, une victoire symbolique.
57:45 Je vous lis un court extrait.
57:47 "La République française reconnaît sa responsabilité
57:50 "dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques
57:53 "et économiques."
57:54 Ce sont des mots forts, importants pour les Antillais.
57:57 En réalité, Clémence l'a fait déjà à un moment.
58:00 Il n'y a plus de doute sur la responsabilité
58:02 de l'Etat français dans ce scandale sanitaire.
58:05 Tout le monde en est conscient.
58:07 Des documents ont été exhumés, notamment par une commission
58:10 d'enquête parlementaire.
58:12 Je vous propose d'entendre Elie Califère,
58:14 le député socialiste de Guadeloupe,
58:16 qui est à l'origine de ce texte.
58:18 -Face à ces préjudices,
58:20 la responsabilité de l'Etat ne fait pas débat.
58:24 On le dit, ne fait pas débat.
58:25 Elle a été reconnue par le président de la République en 2018
58:30 et aussi par la justice, qui a mis en avant
58:33 les négligences fautives de la part de l'Etat.
58:35 Cette responsabilité a été longuement étayée
58:39 par le rapport de la commission d'enquête parlementaire,
58:42 conduite en 2019 par Serge Leccemi.
58:46 -Au-delà de la victoire symbolique,
58:48 il y a la question des dénommagements
58:50 et de la dépollution.
58:52 Cette question est abordée dans le texte,
58:54 qui fixe des objectifs, mais qui ne sont pas chiffrés.
58:57 La réponse de l'Etat français, c'est "des plans".
59:00 Il y en a eu une série, on en est au quatrième.
59:03 Cette reconnaissance va-t-elle permettre
59:05 de mettre davantage de moyens dans la dépollution ?
59:08 -On suivra ça sur LCP.
59:09 Merci à vous, Clément Perreault,
59:11 merci à nos affranchis venus ce soir.
59:14 C'est la fin de cette émission.
59:16 Nicolas Tenzer, merci d'avoir été notre grand témoin.
59:19 Je rappelle le titre de votre ouvrage,
59:21 "Les plans aux éditions de l'Observatoire".
59:24 Merci à toutes les équipes qui aident à préparer cette émission
59:27 avec un remerciement particulier à Joanne Sergent,
59:30 notre stagiaire qui nous a accompagnés
59:33 pendant plusieurs mois et qui a été d'une grande utilité.
59:36 Bonne soirée à tous.
59:37 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
59:39 Générique
59:41 ...