18 - Lionel Pabion

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Lionel Pabion – Université de Rennes 2 : « Les riches archives sportives d’une fédération aux marges du sport : l’Union des sociétés de préparation militaire »
Transcript
00:00 Donc je vais faire écho un peu à l'intervention de tout à l'heure sur ces archives liées au monde militaire ou aux franges de différents champs sportifs et militaires.
00:18 Avant 1914, le sport est encore assez peu développé, il n'y a pas de club sportif. En revanche, il y a de nombreuses sociétés de gymnastique, de tir et de préparation militaire.
00:31 Il y a plusieurs grandes fédérations qui deviennent de véritables mouvements de masse au début du XXe siècle, qui regroupent plusieurs milliers d'adhérents et qui revendiquent plus de 500 000 membres.
00:44 Ce sont des véritables institutions républicaines soutenues par le régime, à l'image de l'USGF, la fédération de gymnastique, ou de l'USTF, la fédération de tir.
00:54 Alors ces sociétés visent essentiellement à former des jeunes hommes en bonne santé, en amont de leur service militaire, pour en faire de bons soldats, grâce à la gymnastique, au tir et aux activités physiques.
01:09 C'est ce qu'on appelle à l'époque cette préparation militaire, sous-entendu en amont du moment du service militaire.
01:18 Le but, c'est aussi de compenser la réduction du temps de service militaire, qui devient un service de deux ans à la toute fin du XIXe siècle.
01:30 Donc quand la conscription devient vraiment universelle, c'est beaucoup trop coûteux de tenir trop de jeunes gens sous les drapeaux trop longtemps.
01:40 Donc ce pré-entraînement est une façon de réduire ce poids du service militaire.
01:47 Ce mouvement associatif de la préparation militaire se structure, s'institutionnalise, et reçoit une reconnaissance de l'État à la fin du XIXe siècle, et encore plus au début du XXe siècle.
02:00 La date vraiment centrale, c'est 1908. Il y a la création d'un brevet d'aptitude militaire et du statut de société agréée que tous les historiens du sport ici et présents auront rencontré à un moment ou à un autre.
02:12 C'est un succès, puisque ce statut, avant 1914, c'est déjà plus de 6000 clubs et associations qui sont agréés par le ministère de la Guerre.
02:22 C'est aussi des lieux où les promoteurs essayent de proposer des "loisirs sains" à la jeunesse.
02:32 Ce sont des structures républicaines d'encadrement qui essayent aussi de concurrencer les structures catholiques, qui créent leur propre patronage. On en a parlé hier.
02:43 Et donc pourquoi le sport aussi ? Il y a de nombreuses hybridations entre ces pratiques conscriptives, comme disait Pierre Arnaud, et des formes d'activités sportives.
02:55 On a des sociétés de tir qui organisent des matchs de football, ou à l'inverse, on va retrouver des clubs de sport qui vont se mettre à faire de la préparation militaire.
03:05 Et donc par là, c'est aussi une forme de première politique sportive qui se met en place. La première fois que l'État met des subventions sur la table, c'est dès les années 1900,
03:16 par ce biais de la préparation militaire, et ce premier sous-scrétariat d'État qui se structure finalement dès ces années-là, rattaché au ministère de la Guerre.
03:27 Donc on en a parlé tout à l'heure. Une autre découverte que j'ai faite au cours de ma thèse, c'est que ces sociétés ne disparaissent pas dans les années 1930.
03:48 Presque au contraire, il y a un regain à la fin des années 1930, et on a plus de 3000 clubs qui font de la préparation militaire.
03:55 C'est un ordre d'idée de 10% des clubs sportifs de l'époque, donc ça reste encore considérable.
04:00 Après cette présentation un peu rapide et générale, j'en arrive à ma fédération, l'Union des sociétés de préparation militaire, l'USPMF.
04:10 Je vous ai mis la photo. Je passe rapidement. C'est une structure qui est créée à la toute fin du XIXe siècle, notamment à la suite de la guerre de 1870.
04:24 Au départ, ça s'appelle l'Union des sociétés d'instruction militaire de France, et on retrouve beaucoup de vétérans, des soldats réservistes ou territoriaux,
04:34 qui cherchent vraiment à donner une instruction très militarisée. En 1906, il y a un changement. Il y a une fusion entre deux entités.
04:44 Adolphe Chéron prend la tête de cette nouvelle fédération qui se "démilitarise" et qui n'est plus tournée vers l'éducation physique.
04:53 Donc des progrès rapides. Dès 1910, c'est plus de 300 sociétés, 70 000 membres. Et en 1914, la fédération revendique 1895 sociétés affiliées et 400 000 membres.
05:07 Bon, avec les chiffres de l'époque toujours gonflés, avec notamment les membres honoraires.
05:13 Et donc, à la veille de la guerre, l'USP... Pardon, je vais accrocher le nom plusieurs fois. L'USPMF, c'est devenu une des fédérations qui compte,
05:23 avec un profil particulier, on pourrait dire "omnisport", qui s'occupe de toutes les formes d'éducation physique, éducative, puisque c'est aussi un lieu d'éducation civique et républicaine,
05:36 et centré sur cette idée de la préparation militaire, et qui est un peu le double républicain et laïque de la FGSPF, donc la Fédération Catholique.
05:47 Alors, c'est une fédération aussi qui est importante et intéressante par la figure d'Adolphe Chéron, d'où ce nom officieux d'Union Chéron,
05:56 puisqu'il reste le président jusqu'aux années 1950, sans discontinuer. Alors c'est un lobbyiste hors pair, qui a l'habileté d'entretenir plusieurs réseaux croisés,
06:08 donc des réseaux militaires, des réseaux politiques, il baigne dans les milieux radicaux, et donc un milieu plus éducatif, il est aussi à la ligue de l'enseignement.
06:20 Et donc ce tripositionnement lui donne une place d'acteur incontournable. Dès les années 1900, on le retrouve dans tous les groupes ministériels liés à l'éducation physique au sens large.
06:34 Alors il essaye de se faire élire député plusieurs fois, il n'y arrive pas avant la guerre. Pendant le conflit, il se conduit bien.
06:41 Donc c'est un manque de chance pour lui, on pourrait dire. Il est fait prisonnier dès 1915, et donc il finit la guerre en prison, où il rencontre De Gaulle d'ailleurs.
06:49 Dans les archives, j'ai vu une lettre de De Gaulle à Chéron. Et donc il devient député après le conflit.
06:57 Et ça devient un parlementaire bien installé, qui s'occupe notamment des questions sportives, des questions d'éducation physique et des questions militaires.
07:07 Et donc il reste député jusqu'en 1936. Donc un député important. Il y a juste une courte période en 1924-1928 où il perd une élection.
07:17 Mais sinon, il reste député presque sur tout l'entre-deux-guerres. Et c'est aussi le défenseur acharné de Joinville.
07:24 On pourrait dire que c'est le champion de Joinville avec les deux sens du mot. Lui-même était un ancien Joinvillais.
07:31 Et c'est le député de Saint-Maur. Donc voilà, on a plusieurs intérêts croisés là encore. Donc vous voyez la photo.
07:37 Toutes les visites sous scrétère d'État à Joinville dans les années 1920, dans les années 1930, si vous regardez dans les coins de la photo,
07:43 ou même au centre de la photo, bien souvent, on retrouve Adolphe Chéron. Et donc il devient lui-même sous scrétère d'État à l'éducation physique.
07:52 Très brièvement, en 1933-1934. Alors, pour en venir aux archives, moi je commence ma thèse en septembre 2016.
08:02 Je commence à me renseigner sur la question, sur les pratiques conscriptives. Enfin, j'avais déjà commencé à travailler sur le sujet.
08:08 Mais très vite, je me rends compte que cette fédération est incontournable. Et donc j'essaye de prendre contact avec la fédération,
08:16 qui a évolué, puisque, évidemment, aujourd'hui, elle n'a plus le sens de l'époque. Et donc je prends contact avec le directeur, je cite,
08:25 du centre d'entraînement au Close Combat, qui est aussi président de l'association Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire,
08:33 l'association fondée en 1885, reconnue d'utilité publique. Et donc on échange quelques messages et on trouve un accord.
08:41 En gros, je vais consulter les archives et, en échange, je leur fais une sorte d'inventaire. Alors, avec une méthode très approximative,
08:51 je m'excuse de cet orgueil devant les archivistes professionnels d'ici présent. Mais donc je fais des recherches pendant une semaine.
09:00 Donc on m'amène une douzaine de cartons, alors vraiment des cartons de déménagement plutôt que des cartons d'archives,
09:06 dans un local parisien près de Jussieu, dans un sous-sol aménagé dans une boutique de chaussures. Bon, c'est les aventures de la recherche, parfois.
09:18 Et donc je dépouille ces documents pendant une semaine. Et notamment, je prends en photo tout le buktin fédéral, le soldat de demain,
09:25 que les historiens connaissent bien aussi, qui est l'acunaire à la BNF. Mais du coup, moi, j'ai toute la collection grâce à ce fond.
09:33 Et je parcours aussi les âgés, puisque tous les... J'y reviendrai tout à l'heure. Tous les âgés de la Fédération ont été contenus...
09:40 Enfin, les procès-verbaux ont été rassemblés et reliés. Donc je visite aussi le centre, le siège de la Fédération.
09:50 Donc vous voyez la carte Google Maps. Alors j'ai mis des coups de blanc parce qu'il y avait des publicités.
09:55 Donc un immeuble des années 30, en plein milieu de Paris, à deux pas de la rue de Rivoli, avec deux salles de gymnases.
10:05 Donc aujourd'hui, l'association est un peu perdue de son utilité sociale. Donc elle cherche un peu une fonction, en quelque sorte.
10:12 Et donc là, pour la question des archives, ça pose la question des archives d'une fédération fantôme. On dit bien, qu'est-ce qu'on fait de ces papiers ?
10:20 Donc le bâtiment... Enfin, à partir des années 1980, la mairie de Paris semble vouloir... Ah oui, je suis vraiment déjà très en retard.
10:29 La mairie de Paris cherche à relancer un peu cette association. C'est pas très clair. Mais le bâtiment devient un lieu associatif dans les années 2000.
10:38 Donc aujourd'hui, tourné vers les arts martiaux, notamment. C'est aussi une salle de yoga. Bon, il y a des activités comme ça. Les écoles s'en servent.
10:46 Ça s'appelle le Centre d'études et d'action sociale et culturelle. Effectivement, entre la place Vendôme, la rue de Rivoli et le Palais Royal, il n'y a pas beaucoup de gymnases pour les Parisiens ici présents.
10:57 Donc voilà un bâtiment très beau, avec une mosaïque, par exemple, au nom de la fédération. Et donc, c'est ce bâtiment qui... Enfin, rien à part sur la façade Union des sociétés d'éducation physique.
11:14 Il n'y a aucune forme de mise en valeur de ce patrimoine. Alors le fond en lui-même. Oui, j'avance. Non, pardon, je me suis perdu dans mon PowerPoint.
11:25 C'est pas très grave. Donc c'est un petit fond, mais qui est très riche. Donc il y a une bibliothèque relative à la préparation militaire, mais à l'éducation physique au sens large, avec des ouvrages assez rares.
11:35 Une cinquantaine d'ouvrages, des originaux, tous reliés pour les bibliophiles. C'est une bibliothèque quand même assez précieuse. On a, par exemple, un original de Philippe Tissier,
11:46 l'éducation physique rationnelle de 1922, avec une dédicace à Adolphe Chéon. On a toutes les revues préparatrices. J'en ai parlé, qui sont reliées des années 1914 aux années 1950.
11:57 Donc vraiment un volume documentaire et qu'on ne retrouve pas forcément à la BNF. Par exemple, j'ai consulté le Ver l'armée, le bulletin de la Fédération Latèse, qu'on ne trouve pas à la BNF,
12:09 mais qui existe là. Et on a aussi des annuaires, donc les annuaires de la Fédération en 1913 et 1922. Alors là, pour ma thèse, ça a été vraiment magnifique.
12:18 Alors un intérêt pour l'histoire du sport, puisque vraiment, comme je disais, Adolphe Chéon, c'est un personnage incontournable. Donc les âgés de l'union Chéon,
12:28 c'est une mine d'informations qui resterait encore à explorer. On a aussi toute la comptabilité de la Fédération pour tout l'entre-deux-guerres, pareil relié, dans des très belles relures.
12:40 Alors je passe rapidement, mais il y a aussi toute la gestion d'un fonds qui donnait des prix lors du concours. Donc c'est pareil, il y a une volumineuse documentation là-dessus.
12:54 Et donc aussi, ce qui montre l'importance de cette fédération, c'est l'inauguration de cet immeuble dans les années 30. Donc là, vous avez la médaille commémorative.
13:03 Donc on est en plein milieu de la crise économique. C'est des travaux de 1 million de francs avec 300 000 francs de subvention. Le jour de l'inauguration, il y a le président de la République,
13:13 le sous-secrétaire d'État, Hippolyte Ducos, mais tous les anciens titulaires du poste, Henry Pathé, Mourinho, par exemple. Donc vraiment, ça montre l'importance de cette fédération.
13:26 Alors pour finir rapidement, c'est un peu un cas d'école finalement, de ce qui arrive à ces archives. Alors là, encore pire que des archives sportives, c'est des archives aux marges du sport.
13:39 Donc un héritage qui n'est pas forcément facile à assumer. Donc quand vous rentrez dans le bâtiment, vous avez un grand escalier très beau, et vous avez ce grand tableau
13:49 dont les gérants ne savent pas trop quoi faire, parce que vous voyez bien l'iconographie. Donc les historiens savent que c'est plutôt le salut de Joinville.
13:59 Donc un tableau d'un célèbre peintre militaire, George Scott, devant la tribune avec le président de la République. En fait, nous, contemporains, ça nous évoque une iconographie totalitaire.
14:11 Donc comment mettre en valeur ce patrimoine ? Et donc les plaques commémoratives, pour vous donner une idée, dans le hall, elles sont même cachées par des pots de fleurs.
14:21 Donc comment on préserve ce patrimoine ? Alors non seulement les archives, si le SHD s'en parle de la question, ce serait très bien, mais aussi ce bâtiment, il y aurait certainement des choses à faire là-dessus.
14:34 Et donc, encore un cas d'école, puisque ces archives qui ne font pas l'objet d'une mise en patrimoine ont été prises dans les sous-brosseaux de la vie associative.
14:47 Vous avez peut-être entendu parler du fonds Marianne. Le fonds Marianne, une des personnes qui est accusée d'avoir détourné de l'argent, est devenue présidente de cette fédération,
14:58 et donc apparemment a un peu maltraité les archives, d'après ce que j'ai compris, et donc je ne suis même pas sûr qu'il reste beaucoup de choses.
15:07 Et donc, pour conclure, voilà les trous dans la raquette, pour faire une métaphore sportive. C'est un cas d'école, comme je disais, de ce que peut devenir un fonds associatif mal conservé,
15:19 avec ses sous-brosseaux associatifs, parce que finalement c'est un fonds modeste, mais aussi un fonds riche, et au-delà de ce cas précis, c'est l'occasion de mettre en évidence un second problème,
15:31 c'est le périmètre sportif. En écho à ce qu'on disait hier, par exemple, sur le sport ouvrier, ce qui n'a pas vraiment l'étiquette sport, et encore moins pris en compte que les archives sportives,
15:43 c'est encore un non-archivage au carré, on pourrait dire, et d'autant plus quand on est dans des phases un peu sombres du sport, en quelque sorte.
15:57 Donc c'est une appelle aussi pour élargir peut-être le périmètre d'archivage de ces documents, qui ont quand même beaucoup de traits au monde sportif.
16:07 Et pour finir avec Henri-René Marou, la phrase que j'aime bien, on risque toujours d'oublier l'existence de ce qu'on avait décidé de ne pas regarder.
16:16 Donc voilà, à l'inverse, faire l'effort de conserver aussi ces documents-là.
16:21 Merci beaucoup M. Lionel Pabillon.
16:25 Merci.
16:27 [SILENCE]

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