Patrick Clastres – Université de Lausanne : « Faire l’histoire de la Fédération Française de Tennis (FFT) »
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00:00 Bonjour à toutes et à tous.
00:07 Il me revient de présenter une aventure en vérité riche d'aléas, de joie et de déception,
00:16 qui est celle de faire l'histoire de la Fédération française de tennis.
00:21 Elle tient en trois mots-clés qui sont très signifiants, je pense, pour beaucoup de collègues.
00:25 A. P. S. A pour aventure, P pour projet collectif et S pour stand-by.
00:32 Donc une aventure parce que ce projet s'inscrit dans une relation de confiance
00:37 qui s'est nouée dès 2006 avec Jean-Christophe Piffaud,
00:42 qui à l'époque était le directeur du Tenniséum à Roland-Garros,
00:45 sur la base de notre passion partagée pour le tennis et puis son histoire,
00:50 et qui a donné lieu à une publication aux éditions Nouveau Monde
00:55 qui prenait la suite de la publication qu'on avait pu faire avec Françoise Baussman et Paul Jetschy
01:02 sur les archives du sport, puis sur les images du sport.
01:06 On avait voulu ouvrir la réflexion sur l'histoire d'un sport individuel,
01:10 puis après sur l'histoire d'un sport collectif, et le quatrième volume a porté sur le rugby.
01:15 Et puis je veux insister sur l'importance de ce type de relation qui est devenue amicale finalement
01:21 entre un historien et puis un chargé du patrimoine, un sportif fédéral,
01:26 parce que ça me semble encore aujourd'hui la meilleure entrée en matière
01:30 pour susciter l'intérêt des fédérations à sauvegarder leur fond,
01:34 et on en a vu plusieurs exemples de ces relations amicales
01:38 qui se sont nouées entre des chercheurs et puis des dirigeants fédéraux,
01:43 des acteurs du sport fédéral.
01:45 Et cette relation s'est maintenue en pointillé depuis 2006 avec des actions ponctuelles,
01:51 jusqu'à la fermeture du Ténisséum par le président Christian Bim.
01:56 Et elle a redémarré à Dinard sous une autre forme, celle de journée culturelle consacrée au tennis français,
02:03 à l'initiative de Marie-Christine Peltre, qui était à la fois la présidente de ce club historique,
02:08 le club de Dinard, considéré longtemps comme le premier club de tennis en France,
02:14 et puis on a pu démontrer que ce n'était pas le plus vieux.
02:17 En tout cas, il y a un club plus vieux qui est un club fermé aux Français
02:22 et uniquement ouvert aux Anglais, qui a existé à Paris.
02:26 Et Marie-Christine Peltre, elle a pour particularité d'être aussi enseignante d'histoire-géographie,
02:31 donc elle avait une sensibilité particulière aussi pour tout ce qui peut, vous voyez,
02:35 concerner le patrimoine, la culture du tennis et son histoire.
02:39 Et puis tout a changé avec son arrivée à la vice-présidence de la Fédération.
02:44 C'est une ancienne joueuse de première série, donc elle a aussi une belle expérience de sport de haut niveau.
02:49 Et ça nous a encouragé Florence Carpentier, qui travaille à Rouen, donc en Normandie, où se situe Dinard,
02:56 et puis Emmanuel Bale et moi-même à proposer un projet patrimonial et historique pour la Fédération française de tennis.
03:07 C'est là que c'est devenu un projet collectif.
03:10 On a pu organiser la rencontre avec la vice-présidente, le service du tennis et hommes.
03:16 Le président Bernard Giudicelli lui-même est venu nous rencontrer, ce qui n'était pas très habituel.
03:22 Ça faisait 20 ans qu'on essayait d'avoir ce type de rencontre.
03:25 Et nous avons bénéficié de moyens, je ne dirais pas considérables, mais on nous a remboursé deux allers-retours.
03:32 Ça a permis de mobiliser des collègues de tout le pays.
03:35 On nous a remis une clé USB qui contenait la numérisation de toutes les revues de la Fédération française de tennis,
03:43 de la belle époque jusqu'aux années 1980,
03:47 et des séances de travail qui se sont toujours très bien déroulées avec un soutien logistique important.
03:54 On a pu réunir toute une équipe de collègues qui avaient déjà travaillé sur l'histoire du tennis,
04:00 sur les sports de raquettes, ou bien encore sur l'histoire des sports dans leur région,
04:07 puisque l'ambition de notre projet, ce n'était pas simplement de faire l'histoire des présidences des présidents,
04:13 mais aussi celle de faire l'histoire des clubs pionniers,
04:15 puisqu'on proposait un ouvrage finalement pour le centenaire de la Fédération française de tennis, 1920-2020.
04:22 Et comme ça a été montré depuis hier, il y a un mouvement historique qui est celui de la fondation des clubs,
04:28 dont les dirigeants sont souvent d'ailleurs les premiers dirigeants fédéraux.
04:31 Et il fallait embarquer avec nous aussi, pour des raisons ensuite de déploiement patrimonial de cette aventure
04:39 par la Fédération en direction des clubs et des territoires,
04:42 c'était aussi important d'initier des histoires de clubs pionniers avant 1914
04:47 que la Fédération a identifié à peu près une trentaine de clubs.
04:52 Nos enquêtes ont montré qu'il y en avait au moins 200, peut-être beaucoup plus,
04:57 ce qui en fait finalement une des dynamiques sportives les plus puissantes,
05:08 et pas aussi bien identifiée jusque-là, je pense, à ce niveau-là.
05:13 Cette Fédération, bien sûr, elle est née en 1920, mais sa genèse remonte à 1891,
05:19 lorsqu'un comité de tennis est créé au sein de l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques.
05:24 Et on a tendance à croire que les fédérations naissent seulement après la première guerre mondiale
05:28 du fait de l'éclasement de l'ESF-ESA, mais en vérité, quand on regarde de près les archives
05:33 qui sont conservées au CNESF, on s'aperçoit que ces communautés bénéficient d'une autonomie très grande.
05:38 Et en l'occurrence, celui de tennis est celui qui a la plus forte autonomie,
05:43 parce qu'aussi il est porté par les personnalités les plus hautement positionnées socialement,
05:50 et qui n'ont a priori rien à attendre de l'autorité suprême de cette union
05:56 qui ne correspond pas toujours dans ses décisions à leurs attentes.
06:00 Donc en vérité, nos fédérations, à travers les comités disciplinaires de discipline sportive,
06:07 ont une histoire beaucoup plus longue que l'on peut croire parfois.
06:11 Quant aux biographies de présidents que nous avions envisagées de retracer,
06:16 elles nous ont permis, en allant dans des archives assez classiques finalement,
06:20 celles de l'état civil, celles des rôles d'imposition, des domiciliations, des inventaires après décès, etc.,
06:28 on a pu reconstituer des itinéraires qui sont tout à fait inédits,
06:33 pour des personnalités qui ont quand même une très belle surface sociale,
06:39 des dirigeants très importants.
06:43 Ce qui se dégage au travers de ces portraits présidentiels, en quelque sorte,
06:47 c'est l'histoire même de la démocratisation de la pratique,
06:51 puisqu'on a des présidents qui sont des CSP++, on va dire, à la belle époque et dans l'année de l'entre-deux-guerres,
07:01 et puis on en arrive à Bernard Giudicelli, qui est un acteur social en Corse.
07:07 Cela explique aussi pourquoi il n'aura pas été réélu, peut-être.
07:10 Il y a d'autres problèmes dans cette fédération, mais il y a un certain décalage entre son propre itinéraire
07:16 et puis la tradition quand même de grande bourgeoisie.
07:22 Mais d'une certaine manière, Christian Bim, le président précédent, c'était un peu pharmacien toulousain,
07:27 même si par sa famille il était propriétaire du plus vieux golfe de Toulouse.
07:32 Il n'était pas au niveau de richesse des deux premiers présidents, Henri Vallée et Albert Canet.
07:39 La centration parisienne aussi nous a paru assez évidente et très forte,
07:48 même si les portes d'entrée du tennis, on le sait depuis longtemps, sont la côte normande et puis la côte d'Azur.
07:55 En vérité, c'est à Paris qu'arrive la plupart des sports.
07:59 François Bourbeau l'a encore montré récemment dans sa thèse, mais c'est très flagrant pour le tennis,
08:05 avec un rôle qui est joué par les Britanniques, qui parfois ferment leur colonie de tennis,
08:11 parfois l'ouvrent aux Français, et des Français qui très rapidement prennent le relais pour fonder leur sport.
08:17 On a aussi dans ce travail des chapitres plus économiques, sociaux, culturels,
08:22 voire liés à l'internationalisation du tennis, qui donnent des éléments de contexte et des éléments de compréhension sur la gestion,
08:30 par la FFT et par exemple des autres sports de raquettes.
08:33 On a des éléments sur les revues fédérales et spécialisées, qui nous introduisent au cœur de l'économie du tennis.
08:40 Et on voit les conflits d'intérêts, qui aujourd'hui nous paraissent très évidents,
08:44 mais qui à l'époque ne posaient pas de problème, entre des dirigeants fédéraux, qui sont aussi des directeurs de revue,
08:49 comme tu l'as montré tout à l'heure, Sylvain, qui sont aussi les actionnaires des clubs, les actionnaires des revues.
08:56 Et ça génère un certain nombre de conflits intrafédéraux, qui sont illisibles,
09:01 si on ne mobilise pas ces questions de revues spécialisées, et qui se font d'ailleurs pour un certain nombre d'entre elles, la concurrence.
09:09 On a aussi un chapitre sur le tennis dans les Outre-mer, le sponsoring, plus récent, le patrimoine aussi.
09:16 J'espère ne pas oublier grand monde, mais Serge Vossel, Jean-Michel Péter, François Staliano Desgarais,
09:24 qui est aussi une ancienne joueuse classée à -4,6, et Manuel Beyl, qui était classé à 2,6 comme moi.
09:29 C'est important d'avoir ce lien sportif aussi avec les fédérations.
09:33 Lionel Cronier, -2,6, sur la pédagogie fédérale.
09:38 Claude Bolly, lui, était plutôt dans la fédération française au-delà de l'Hexagone.
09:42 Bertrand Pullman, qui est un joueur de tennis, mais surtout un anthropologue de Roland Garros.
09:48 Et Françoise et Henri Wasserman pour le patrimoine du tennis.
09:52 Et puis toute une série de collègues, on va dire, dans les territoires, qui nous ont accompagnés.
09:57 Parfois aussi des érudits qu'on a embarqués avec nous, comme Jean-Pierre Chevalier pour le tennis club de Dinard, par exemple.
10:05 Mais sinon, d'autres collègues, comme François Bourmeau pour les clubs parisiens.
10:09 Jean Michel aussi pour les clubs normands.
10:13 Dans la région centre, on a eu Thomas Bauer.
10:17 Pour la Guyenne, c'était essentiellement François Staliano-Dégaré.
10:21 Philippe Labcombrade pour le Languedoc.
10:23 Claude Bolly pour toute la région qu'on appelait Paca encore il y a quelques temps.
10:29 Sébastien Moreau pour le Nord-Est.
10:31 Voilà, donc ça nous a permis de produire un volume qui est prêt à l'édition.
10:36 Mais, ça a été l'arrivée d'un nouveau président à la tête de la Fédération française de tennis, Gilles Mourton.
10:42 Et la Fédération a été dans l'incapacité de trouver les 10 000 euros nécessaires pour soutenir l'éditeur pour un beau livre.
10:49 Quand je reparlerai tout à l'heure, puisque c'est à peu près le montant que nous devons réunir pour publier les actes de nos deux journées d'hier et d'aujourd'hui.
10:59 On va avoir un beau livre au format 21/29/7, en quadrichromie, cartonné, aux presses universitaires de Rennes.
11:09 Tout est prêt, mais voilà, 10 à 12 000 euros, c'est le coût d'un événement cocktail banal à Roland-Garros.
11:18 Et j'oserais dire le quart du salaire mensuel de la directrice administrative de FFT, qui est devenue la ministre des Sports.
11:25 Vous avez suivi ça dans l'actualité.
11:27 Alors on n'est pas amers particulièrement, parce qu'on s'en doutait un peu.
11:32 Ça avait été déjà le cas en 2006. La Fédération nous proposait de mettre son logo sur l'ouvrage qui avait été publié au Nouveau Monde Édition.
11:39 On n'avait pas été capables à l'époque de trouver 1 000 euros. Alors on se disait bien que 10 000, c'était quand même une mission impossible.
11:45 Voilà pour la Fédération qui a le plus gros budget après celle de football.
11:49 Mais en tout cas, ce n'est pas à peine perdu, puisque 60 % de notre travail va être publié au printemps prochain dans une revue britannique,
11:58 donc en anglais, Sporting Society. Ça sera un numéro spécial.
12:02 On n'a jamais publié de numéros sur l'histoire des fédérations. On leur a proposé cela. C'est accepté.
12:07 Je reste très désolé pour les collègues qui ont travaillé sur les clubs, parce que là, on est un peu dans une impasse.
12:12 Mais je vais revenir vers chacun de vous pour voir comment on pourrait constituer un numéro spécial, une revue, pour le coup, d'histoire française,
12:22 puisqu'on a affaire à une typologie extrêmement variée, assez singulière pour le tennis, mais qu'on retrouverait sur d'autres activités,
12:28 comme le golf, par exemple, où l'on voit la place importante des sociétés commerciales dans l'émergence associative des clubs.
12:36 En fait, on n'a pas des clubs associatifs. Les grands clubs historiques de tennis, comme ceux de golf, sont des sociétés commerciales par action.
12:44 C'est aux archives de France que j'ai pu retrouver aussi ces éléments-là. Mais pour une société comme la Société des sports de l'île de Puto, par exemple,
12:55 on voit très bien les grands banquiers parisiens, les grands industriels français. On voit aussi la présence des peintres américains,
13:04 qui sont liés souvent à des familles de milliardaires aux États-Unis, qui investissent dans la fondation de ce club, qui est le plus beau club parisien,
13:12 qui est le club mondain par excellence, et qui a malheureusement disparu après la Première Guerre mondiale, et dont les archives, à ma connaissance, ne sont pas conservées.
13:21 Après, on a des formes d'organisation assez originales, comme ces clubs privés anglais, qui, eux, ne donnent pas lieu à dépôts d'associations.
13:31 C'est une sorte de "gentlemen's agreement". Ils fonctionnent comme cela. On a des cercles, dans la grande tradition, des cercles qui ne sont pas sous le format
13:43 de l'associationnisme loin de 1901. Et puis, il y a toute cette problématique des clubs multisport. Et on voit, dès avant 1914, une première démocratisation du tennis,
13:55 en vérité, dans des clubs d'entreprise, dans des clubs syndicaux, où le tennis est pratiqué, parmi d'autres sports, avec des matériels qui sont probablement de seconde
14:10 ou de troisième main, ce qui a été étudié, on sait, pour le cyclisme, par exemple. Il y a tout un business des vieux vélos, qui permettent une descente des pratiques sportives
14:19 vers des classes plus populaires. Voilà. En tout cas, on a encore relancé la Fédération française de tennis pour une publication... On avait pensé pour 2024,
14:31 mais là, c'est vraiment trop tard. Et puis, 2025, c'est le centenaire des Internationaux de France. Donc, on aura peut-être une audience auprès de son Excellence
14:40 Moroton pour une publication. J'ai besoin de toute force pour arriver à publier cet ouvrage. Mais voilà, je voulais vous rendre compte de ces aléas, parce que c'est à la fois
14:51 de belles rencontres, des joies, et puis, effectivement, des déceptions. Et j'espère que ça ne se reproduira plus et que nos deux journées vont permettre de donner
15:01 un élan définitif et de permettre aux fédérations de comprendre tout l'intérêt qu'il y a à travailler avec les historiens, qui sont plutôt des passionnés des sports concernés,
15:10 qui n'ont peut-être pas la même vision. Et puis j'espère surtout qu'on en finira avec les commissions marketing qui prennent en charge toutes les questions d'histoire
15:19 et de patrimoine du sport en France. S'il vous plaît, pour ceux qui sont là, les fédérations, laissez cela aux commissions culture, parce que là, c'est la pire des choses.
15:28 C'est ce qu'on voit au niveau international. Dès lors que ça passe du côté de marketing, c'est la catastrophe, parce qu'ils veulent tout vérifier, ils veulent tout relire.
15:35 Il faut se dire qu'ils ne comprennent pas grand-chose à ce qui se joue dans les textes. Ils viennent caviarder nos documents et ça génère ensuite des frustrations.
15:43 Et on aboutit à plus rien. Faites confiance aux historiens. Nous ne sommes pas des "mackrakers", des fouilleurs de merde, comme les journalistes américains étaient dénommés
15:51 à la fin du 19e siècle par les patrons des machines américaines. On est là pour rendre compte d'une histoire équilibrée. Et dans cet équilibre, on est capable d'explorer
16:02 des thématiques nouvelles. On a des entrées diagonales qui vont enrichir et qui vont permettre de redéployer l'histoire du sport, du tennis, vers toutes les populations,
16:11 dans leur diversité et dans tous les territoires. Il faut juste nous faire confiance. Voilà, je vous remercie.
16:16 (Applaudissements)
16:20 (...)