« Reprendre le contrôle » : la relocalisation contre le nationalisme ? J. SAPIR | A. BERNIER

  • il y a 8 mois
(Republication d'une vidéo publiée le 25 janvier 2022)

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Transcription
00:00 [Musique]
00:27 Nous nous sommes gravement trompés. Le constat de François Bayrou était amer.
00:32 Le 6 janvier, auditionné par la délégation aux entreprises du Sénat,
00:36 le haut commissaire au plan présentait son dernier rapport sur la reconquête de l'appareil productif,
00:40 qualifié d'urgence nationale, et n'hésitait pas, ou plus, au sujet de la désindustrialisation de la France,
00:47 à dire, je le cite, que "ce déclassement sans cause lié à notre capacité est purement et simplement inacceptable".
00:54 Voilà plusieurs années que les enquêtes d'opinion, les unes après les autres,
00:58 montrent une société française inquiète des délocalisations de son appareil productif
01:03 et qui ne semble plus croire au fait que ces destructions d'emplois dans le secteur secondaire,
01:08 rappelez-vous, seraient compensées par des créations d'emplois dans le tertiaire.
01:11 Quant à la présente campagne présidentielle, eh bien aucun des candidats n'argumenterait aujourd'hui
01:17 contre l'idée de relocalisation, mais les visions et les projets pour y rémédier de leur côté divergent,
01:23 bien évidemment. Alors faut-il en finir avec certains tabous ?
01:26 Quels outils concrètes politiques économiques pour relocaliser réellement ?
01:30 Quels liens également entre relocalisation et protectionnisme ?
01:33 Est-ce si évident que ça ? Peut-on et doit-on tout relocaliser ?
01:37 Et le risque serait-il au final de tomber dans un nationalisme qui ferait mine de croire
01:41 que les intérêts des groupes sociaux ne sont pas toujours les mêmes ?
01:45 Second volet aujourd'hui de notre série de deux émissions sur la mondialisation et le protectionnisme,
01:49 bienvenue dans Ressort Express.
01:52 Un État qui déciderait d'être, comme tout le monde dit, stratège, mais fédérateur,
02:03 pourrait changer les choses, mais ça doit devenir une obsession nationale pour tout le monde.
02:08 Parce que, encore une fois, c'est exactement du modèle de société française qu'il s'agit,
02:15 et de sa durabilité, et de notre capacité à le maintenir en vie et efficace au travers du temps.
02:23 Bonjour Jacques Zapier.
02:25 Bonjour Clément.
02:26 Et au bout du fil avec nous aujourd'hui Aurélien Bernier, bonjour.
02:29 Bonjour Clément.
02:30 Bonjour Jacques.
02:31 Journaliste, journaliste notamment au monde diplomatique et séiste,
02:34 vous venez de faire paraître l'urgence de relocaliser pour sortir du libre-échange et du nationalisme économique.
02:41 C'est aux éditions Utopia, merci d'être à nouveau des nôtres ici Aurélien Bernier.
02:46 Jacques Zapier, je rappelle que vous publiez quant à vous ces jours-ci un petit que sais-je sur le protectionnisme,
02:52 au puf dont on a déjà parlé la semaine dernière avec votre camarade Yves Perez,
02:57 dans le premier volet de cette série d'émissions.
03:00 Alors votre édito face à la mondialisation, relocalisé, mais pourquoi faire Jacques ?
03:05 Oui tout à fait.
03:06 Alors il faut commencer par dire que la crise de la mondialisation est aujourd'hui quelque chose qui est tout à fait évident.
03:13 C'est un phénomène qui dure maintenant depuis à peu près une dizaine d'années
03:18 et qui a remis au centre des débats la question évidemment de la relocalisation des activités les plus importantes.
03:25 Cette relocalisation est désormais défendue que ce soit dans une perspective de décroissance par certains,
03:30 de redéveloppement de l'économie française par d'autres ou de changement stratégique de son cours.
03:36 Le dernier livre d'Aurélien Bernier se propose donc d'analyser cette question sous ses divers angles.
03:43 Il faut cependant revenir sur le contexte.
03:46 La démondialisation, il faut le comprendre, elle est bien là
03:49 et il faut toujours rappeler ce qu'en avait dit Carmen Reinhardt
03:53 qui est désormais la chief économiste, l'économiste en chef de la Banque mondiale.
04:00 Donc la démondialisation est bien là, mais Aurélien Bernier a tout à fait raison de dire qu'il faut une volonté
04:07 et que celle-ci devient impérative si l'on veut justement contrôler le cours de cette démondialisation.
04:14 Alors il faut nous rappeler Jacques Sapir, pourquoi vous jugez que ce que vous mettez sous ce terme de démondialisation
04:19 et bien c'est quelque chose qui selon vous est déjà en cours ?
04:22 On en a la preuve par divers chiffres et si vous voulez, quand j'ai réactualisé mon livre de 2011
04:30 "La démondialisation" qui est ressorti au mois de juin 2021,
04:35 tout le travail de réactualisation portait justement sur l'établissement de toute une série de chiffres.
04:41 Alors on le voit, la part des exportations dans le PIB mondial est stagnante depuis 2008 et en baisse depuis 2018.
04:49 Donc avant même la crise sanitaire, une autre donnée significative,
04:54 le taux d'ouverture des principaux pays émergents, ce qu'on appelle l'indice de Balassa,
04:59 environ entre nous économistes, bon ça fait partie un petit peu du jargon.
05:03 Donc ce taux d'ouverture des fameux BRICS, il est passé d'environ 53% en 2006, ce qui était son sommet,
05:11 à 37% en 2016. Donc en 10 ans, on a eu une baisse tout à fait considérable.
05:18 Pour être très clair, ça veut dire qu'ils exportent moins et qu'ils importent moins.
05:21 Exactement, c'est une baisse tant de leurs exportations que de leurs importations.
05:25 Enfin, nous avons l'importance croissante des mesures non tarifaires de protection,
05:31 alors ça s'appelle les MMT dans le jargon du commerce international,
05:37 et dont on peut suivre la trace à travers la base de données TRAI-NS, de l'OMC.
05:45 Alors on voit bien là aussi qu'il y a eu une volonté de très nombreux pays
05:50 de protéger leurs économies nationales, et que cette volonté ne fait que s'accroître
05:55 depuis environ une dizaine d'années.
05:57 En tout cas, la démondialisation, elle est fréquemment associée au protectionnisme.
06:01 Tout à fait, alors le protectionnisme est naturellement considéré comme la première arme
06:04 pour mettre en place cette démondialisation.
06:06 Pourtant, il faut toujours rappeler que le commerce mondial peut parfaitement s'accroître
06:11 dans un contexte protectionniste, comme il le fit de 1880 à 1914,
06:17 ce dont on avait parlé avec Yves Perest.
06:19 Alors quel est l'apport...
06:20 - Vous parliez dans votre "Que sais-je" à tous les jours.
06:22 - Tout à fait. Quel est l'apport spécifique du protectionnisme ?
06:25 C'est peut-être de protéger certains marchés, de découpler les évolutions mondiales
06:31 et les évolutions intérieures de chaque pays.
06:34 De ce point de vue, il est important de se rappeler que la présence d'un cadre protectionniste
06:39 a en règle générale permis une amélioration de la condition des travailleurs
06:43 et en particulier, comme ce fut le cas dans les 30 années qui ont succédé à la Seconde Guerre mondiale,
06:49 donc de 1945 à 1975.
06:51 - Alors si on démondialise, on relocalise ?
06:53 - Là, Aurélien Bernier a tout à fait raison de rappeler que tout n'est pas relocalisable.
07:01 Mais cette relocalisation s'impose, alors parfois pour des raisons stratégiques
07:07 et parfois pour des raisons beaucoup plus pragmatiques.
07:10 Le cas des productions de santé par exemple, qui a été évidemment mis au premier plan avec la crise sanitaire,
07:16 mais aussi la question de l'énergie, mais aussi la question de la finance, mais aussi la question de certaines industries.
07:23 Bref, globalement, si le protectionnisme et le retour à une certaine flexibilité des taux de change
07:30 constituent de puissantes incitations à la relocalisation,
07:35 elles ne suffisent pas pour autant à en faire un processus qui soit à la fois construit et maîtrisé.
07:41 Pour cela, il faudrait avoir une vision globale des filières industrielles,
07:47 de leur place dans un projet de développement du pays, de leurs insertions dans l'économie.
07:52 Et tout ça, ça s'appelle en fait un plan.
07:55 Tiens, tiens, un plan, ça me dit quelque chose.
07:58 Reviendrait-on à la situation des années 1940, ou de la France à l'Inde, de l'Inde au Japon ?
08:03 La planification a eu son heure de gloire.
08:05 Et ce n'est pas pour rien que vous avez rappelé cette intervention de François Perroux,
08:10 qui est aujourd'hui le haut commissaire au plan.
08:12 Alors bien sûr, le haut commissariat au plan est un organisme qui est uniquement chargé de prospective,
08:18 mais on voit bien qu'il y a là, à l'évidence, une prise de conscience de la nécessité d'avoir une vision
08:25 concertée du développement et de ses relocalisations.
08:30 Mais pour traiter cela, comme dirait Kipling, c'est vraiment une autre histoire.
08:35 Une autre histoire. Aurélien Bernier, on vous laissera évidemment répondre à Jacques Sapir et à Kipling.
08:41 Un mot d'abord sur le constat.
08:43 Vous êtes plutôt d'accord l'un avec l'autre sur les dégâts liés à la mondialisation,
08:48 les drames sociaux, les fermetures d'usines, etc.
08:50 En revanche, vous n'êtes pas exactement d'accord tous les deux sur cette démondialisation.
08:55 Jacques Sapir vient de nous l'expliquer, ça remonte en fait à 10 ans.
08:59 Vous êtes d'accord avec vous-même, Jacques Sapir, quand vous publiez la démondialisation en 2011,
09:04 que cette démondialisation, elle est déjà là. C'est ce que vous expliquez.
09:09 Et dans votre "Que sais-je" vous écrivez ceci.
09:12 "Jacques, ce retour du protectionnisme a commencé à se manifester ouvertement avec la crise de 2008-2010."
09:17 De votre côté, Aurélien Bernier, vous nous dites que, je vous cite,
09:21 "la démondialisation n'aura pas lieu spontanément",
09:24 en rappelant que les traités de libre-échange se sont intensifiés
09:29 et que le commerce international a augmenté dès la crise de 2009 passée.
09:34 Oui, alors, peut-être un premier point quand même sur l'impact du libre-échange sur les questions démocratiques.
09:47 On parle beaucoup, évidemment, de l'impact sur l'emploi.
09:51 On parle beaucoup de questions stratégiques.
09:55 Il y a une question, à mon sens, dont on parle très peu,
09:59 que Jacques Sapir évoque dans son "Que sais-je" sur le protectionnisme.
10:05 C'est vraiment la question démocratique, c'est-à-dire qu'on ne peut pas contrôler démocratiquement
10:11 une production qui est délocalisée.
10:15 Et on ne peut pas non plus imposer des contraintes fortes,
10:21 qu'elles soient écologiques ou sociales, à des entreprises sur le territoire national
10:27 qui peuvent à tout moment faire du chantage à l'emploi
10:31 parce qu'on est dans un système de libre-échange.
10:34 Et on voit bien l'incapacité à mettre en place des normes,
10:39 par exemple sur les émissions de gaz à effet de serre, des normes sérieuses.
10:43 On voit la difficulté à enrayer les différentes attaques sociales
10:51 contre le droit du travail,
10:55 contre ce qui est présenté comme des avantages acquis par les salariés,
11:02 parce qu'on a cet argument massue de la concurrence internationale
11:07 et la possibilité, en tout cas pour les grandes multinationales
11:12 et pour certains sous-traitants, de délocaliser.
11:16 Donc si on veut reprendre un contrôle démocratique,
11:20 un contrôle politique sur l'économie, y compris sur l'économie intérieure,
11:26 il faut casser ce chantage aux délocalisations.
11:31 Sur le fait que la démondialisation soit déjà entamée,
11:36 disons qu'on a une divergence d'analyse qui est relativement peu importante.
11:43 Effectivement, on a une contraction du commerce international,
11:48 une stagnation sur les dernières années.
11:52 Il faut quand même remarquer que les investissements directs à l'étranger,
11:57 eux, continuent à augmenter,
12:00 ce qui veut dire qu'on a peut-être une contraction du commerce international,
12:06 mais on a une délocalisation des investissements dans un certain nombre de secteurs
12:14 et qui est tout aussi grave, de mon point de vue, que la délocalisation des entreprises.
12:21 Et puis surtout, on a une contraction du commerce international
12:25 qui, à mon sens, est temporaire,
12:30 c'est-à-dire que ce n'est pas sûr que ça dure,
12:34 que ce soit une tendance de long terme, en tout cas pas dans toutes les filières,
12:40 mais on n'a pas de remise en cause de la division internationale du travail
12:45 avec une mondialisation qui, finalement, fonctionne toujours
12:53 sur cette division internationale du travail,
12:57 c'est-à-dire qu'on garde au maximum,
13:00 en tout cas on tente de garder les activités à forte valeur ajoutée dans les pays occidentaux,
13:05 on délocalise les productions à bas coût de main d'œuvre, à faible valeur ajoutée,
13:12 dans les pays où, évidemment, les contraintes environnementales et sociales sont les plus faibles.
13:20 C'est « designed in California, assembled in China », comme on peut le lire sur certains ordinateurs à pommes.
13:27 On a un problème structurel qui est rarement abordé,
13:34 en tout cas aujourd'hui, qui n'est pas remis en cause
13:37 par les nouvelles politiques néo-protectionnistes,
13:43 lancées notamment par Trump et reprises dans un certain nombre de discours politiques.
13:51 Est-ce que ce désaccord sur le constat, vous diriez que c'est tout simplement la définition
13:56 de ce qu'on peut mettre sous le terme de démondialisation, Aurélien Bernier ?
13:59 Qu'est-ce que vous mettez sous ce terme ?
14:01 Oui, peut-être. Encore une fois, désaccord, le mot pour ça…
14:06 Je ne cherche pas la polémique entre vous.
14:09 Je ne suis peut-être pas aussi optimiste que Jacques Sapir sur le fait que la démondialisation a déjà commencé.
14:17 En tout cas, ce que je mets derrière le terme de démondialisation,
14:23 c'est une relocalisation de la production, et pas seulement d'un certain nombre de productions à forte valeur ajoutée,
14:35 mais relocaliser une production qui répond aux principaux besoins sociaux,
14:42 et avoir un contrôle démocratique sur cette production.
14:49 Effectivement, une planification, je suis tout à fait d'accord avec l'objectif,
14:54 et une reprise de contrôle de l'État sur l'économie et sur la stratégie industrielle.
15:00 Et là, force est de constater, en tout cas pour la France et l'Union européenne, qu'on en est loin.
15:08 Et puis, dans la démondialisation, je mets également une réorientation des choix et des modes de production
15:19 qui permettent notamment d'apporter des réponses sérieuses à la crise environnementale.
15:26 Et là encore, on en est extrêmement loin avec des productions polluantes qui continuent,
15:34 et des productions "vertes" qui finalement viennent s'ajouter aux productions polluantes, et absolument pas s'y substituer.
15:44 Donc, il y a tout un processus politique qui va beaucoup plus loin que simplement la réduction des flux du commerce international.
15:55 Jacques Zapier, est-ce que vous êtes optimiste ? Est-ce que c'est de l'optimisme, comme disait Aurélien Maillot ?
15:59 Alors, non, je pense que c'est effectivement une question de point de vue.
16:03 La démondialisation, à mon avis, elle est là. Elle est en particulier là dans les flux de capitaux.
16:10 On le voit bien, tout mouvement protectionniste a justement pour conséquence d'accroître les flux de capitaux vers l'étranger.
16:18 En particulier parce que si on ne peut plus importer d'un pays extérieur, il va falloir qu'on produise à l'intérieur.
16:27 Ce qui implique pour des pays moins riches d'importer du capital de la part des pays riches.
16:35 Donc il est tout à fait logique, dans une période où monte le protectionnisme,
16:40 et où, d'une certaine manière, on démondialise les flux de produits, que l'on accroisse la mondialisation des flux de capitaux.
16:51 Ça, c'est une évidence. Et c'est d'ailleurs ce qui s'était passé à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle.
16:57 Alors, je crois que la divergence, elle est très simple.
17:03 Est-ce qu'on considère que la démondialisation est nécessairement un phénomène progressiste ?
17:10 Ou est-ce qu'on considère que c'est un phénomène qui peut avoir aussi bien un cours progressiste qu'un cours qui peut être plutôt régressif ?
17:20 Moi, c'est plutôt ma vision, disons, et je conserve ces points-là.
17:24 Je pense qu'effectivement, le choix politique est décisif pour donner à celle des mondialisations un cours progressif qu'elle n'aura pas spontanément.
17:34 Mais la démondialisation, néanmoins, a commencé.
17:39 Elle a commencé même un petit peu avant 2008, comme on peut le constater sur toute une série de données.
17:45 Et la montée en particulier des mesures non tarifaires est un excellent exemple de ça.
17:53 Alors après, ce qui est aussi important, c'est la question de savoir, est-ce que chaque pays peut s'approprier la totalité des technologies nécessaires ?
18:08 Et là, j'avoue que j'ai un doute. J'avoue que j'ai un très grand doute, parce que, en particulier si on prend dans le domaine de la production de médicaments,
18:17 on voit qu'il n'y a qu'un certain nombre de pays qui sont capables, même quand les licences sont libres, de produire ce type de médicaments.
18:28 Grosso modo, l'Inde, la Corée du Sud, etc.
18:33 Et on a eu un très bel exemple avec l'achat par l'Algérie de la licence de Spoutnik V.
18:42 La licence a été achetée, je crois, au mois d'avril dernier.
18:49 Les Algériens avaient dit qu'en six mois, ils commenceraient la production.
18:53 Actuellement, elle n'a toujours pas commencé.
18:57 Pour une raison très simple, c'est qu'ils se heurtent à des problèmes, à la fois en termes de mise en place du processus industriel, mais aussi de contrôle de qualité.
19:08 Et ça, ça peut se démultiplier, en particulier sur les productions électroniques.
19:15 Donc, il y a un véritable problème dans la capacité d'un pays à digérer de nouvelles technologies.
19:28 Ce qui, par ailleurs, rendrait le protectionnisme encore plus nécessaire pour ce type de pays,
19:36 dans le sens où, en attirant chez eux, puisqu'on ne pourrait plus exporter chez eux,
19:44 mais en attirant chez eux des capacités de production étrangères,
19:49 ils se mettraient à l'école de ces capacités de production pour faire monter leurs compétences.
19:56 C'est très exactement le modèle qu'a développé Friedrich List dans son ouvrage de 1841.
20:05 Mais, ça pose à ce moment-là le problème de savoir quelle est la taille de marché des différents pays.
20:13 Et on voit là que, autant c'est une stratégie qui est jouable à l'échelle du Vietnam,
20:19 qui est un pays qui est quand même de plus de 70 millions d'habitants,
20:23 c'est évidemment une stratégie qui est d'ailleurs très employée par l'Inde, etc.
20:28 Autant d'autres pays n'ont tout simplement pas les moyens de le faire.
20:35 Et donc, là, il y a un problème réel sur quelle est la logique de la démondialisation,
20:44 quelle est la logique du protectionnisme,
20:46 et quelles sont les logiques nécessaires parfois de coopération internationale.
20:50 Alors, question démocratique, Aurélien Bernier vous l'avez dit, question d'inégalité également.
20:56 Vous rappelez que les classes populaires subissent plus les effets de la mondialisation que les autres.
21:04 Et vous vous en prenez donc à un raccourci qu'il suffirait d'un patriotisme économique pour arranger les choses.
21:12 Ce qui, pour le coup, sous-entendrait que tout le monde au sein d'un même pays a les mêmes intérêts.
21:18 Et c'est d'ailleurs quand je citais en introduction François Bayrou qui se désolait,
21:22 comme ça que la désindustrialisation de la France ait lieu.
21:25 Ce qui est intéressant, c'est que pour rémédier à ça, le maire de Pau en appelait une prise de conscience de l'opinion
21:30 et il employait ce terme de patriotisme économique.
21:33 Donc, finalement, vous renvoyez ce discours libéral dos à dos
21:36 avec un discours nationaliste d'un Trump, d'un Orban ou d'un Zemmour ?
21:40 Ce qui est quand même spectaculaire, c'est qu'aujourd'hui tout le monde veut relocaliser.
21:48 C'est un discours dans la sphère politique, ça fait un consensus absolu.
21:54 Mais vous avez plusieurs visions des moyens d'y arriver.
21:59 Il faut quand même dire qu'un libéral, un ultra-libéral comme Macron,
22:07 veut relocaliser, mais avec une approche tout à fait libérale.
22:11 C'est-à-dire que pour relocaliser, il faut être plus compétitif que les autres.
22:16 Et donc, ça vient justifier tout ce qu'on connaît, la réforme des retraites,
22:23 la baisse du coût du travail, etc.
22:25 Ensuite, ce qui est quand même assez frappant, c'est qu'on a une évolution à droite
22:32 avec une évolution véritablement d'une position à l'origine très libérale
22:41 à un nationalisme économique qui est très inspiré par ce qui s'est passé aux États-Unis
22:48 avec la présidence de Donald Trump.
22:51 C'est ce que j'appelle le trumpisme économique qui a véritablement contaminé
22:57 les droites européennes et en particulier la droite française.
23:03 Et en fait, ce trumpisme économique, c'est un nationalisme agressif.
23:14 C'est-à-dire qu'on n'a aucune remise en cause de la concurrence internationale.
23:21 On n'a aucune perspective de coopération internationale,
23:25 comme l'évoquait Jacques Sapir, qui est un sujet absolument fondamental
23:30 et que j'ai commencé à évoquer dans "La démondialisation ou le chaos"
23:37 il y a quelques années et dont je reparle évidemment beaucoup dans ce livre
23:42 sur la relocalisation, puisque l'objectif n'est pas pour moi
23:47 de restaurer la compétitivité de la France dans une économie internationale,
23:52 une concurrence internationale qui serait inchangée.
23:55 Je pense qu'il faut amorcer un changement de l'ordre commercial
24:01 et de l'ordre économique international et revoir notamment les rapports Nord-Sud
24:06 et engager de véritables coopérations.
24:10 Et il est évident que le trumpisme et cette inspiration trumpiste
24:20 qu'on voit aujourd'hui dans la droite française ne s'intéressent absolument pas
24:26 aux rapports internationaux et n'a en tête que le fait de regagner
24:35 un peu de compétitivité dans la concurrence internationale
24:40 et sans aucune remise en cause de la division internationale du travail.
24:45 C'est-à-dire garder le cadre actuel et être plus performant à l'intérieur.
24:49 Qu'est-ce que vous reprochez par exemple au bilan de Donald Trump pour Alain Bernier ?
24:54 Je m'en tiens au bilan économique, il y aurait beaucoup trop de choses à dire sur le bilan global.
25:03 Mais finalement, Trump l'a dit lui-même, il est en faveur du libre-échange,
25:12 il reste en faveur du libre-échange, mais d'un libre-échange juste.
25:19 Et donc le protectionnisme vient simplement limiter les excès du libre-échange.
25:29 Et donc on n'a pas finalement de remise en cause de l'ordre économique.
25:36 Et puis surtout derrière les discours, il y a une réalité qui est que Trump avait en ligne de mire la Chine,
25:45 voulait contrer notamment la montée de la Chine dans la haute technologie
25:51 et que tout le jeu protectionnisme était orienté vers cet objectif.
25:59 Alors voilà ce qui a produit un certain nombre de résultats,
26:04 c'est-à-dire que les échanges commerciaux avec la Chine,
26:09 la dégradation en tout cas en défaveur des États-Unis a été stoppée.
26:17 Par contre, les importations se sont dans un certain nombre de secteurs déplacées,
26:25 c'est-à-dire que plutôt que d'importer des produits chinois, on a importé des produits d'autres pays d'Asie.
26:32 Voilà donc finalement un bilan relativement contrasté,
26:36 qui est globalement intéressant en termes d'emploi,
26:42 mais finalement qui ne change pas grand-chose à la division internationale du travail et au logique de la mondialisation.
26:51 Je pense que c'est la tendance finalement.
26:56 Là où je rejoins Jacques-Sapir, c'est que je pense qu'on est à un point de bascule dans la mondialisation,
27:03 où on passe finalement d'un libre-échange débridé à une nouvelle phase,
27:09 dont on ne connaît pas encore tous les ressorts,
27:12 mais qui serait une sorte de libre-échange qui reste finalement dominant,
27:19 mais teinté de nationalisme économique, avec des mesures protectionnistes à certains endroits,
27:27 mais toujours une concurrence internationale acharnée,
27:31 et qui va sans doute se renforcer dans un certain nombre de domaines,
27:36 dans l'électronique, dans l'automobile, dans les télécommunications évidemment,
27:46 dans un certain nombre de secteurs technologiques.
27:49 Jacques-Sapir, ce que nous dit Aurélien Bernier, c'est que le protectionnisme douanier n'est pas suffisant en soi ?
27:55 Alors, il faut toujours rappeler que le protectionnisme n'est pas que douanier.
28:00 C'est pour ça que je vous pose la question.
28:02 Non, non, si vous voulez, mais c'est une évidence.
28:04 En réalité, une politique protectionniste joue toujours à la fois sur des droits de douane,
28:10 qui en règle générale ciblent certains secteurs, qui visent à créer des marchés protégés,
28:17 ça cible aussi le taux de change.
28:20 Car on voit bien que l'un des principaux instruments dans la concurrence internationale, c'est le taux de change.
28:32 Et là encore, les pays en règle générale, les pays qui ont appliqué un protectionnisme
28:37 et qui ont appliqué ce protectionnisme de manière intelligente,
28:42 ont combiné des mesures réglementaires, et donc des droits de douane,
28:48 et une baisse importante de leur taux de change.
28:53 Après, ce protectionnisme n'a jamais mis fin à la concurrence internationale.
29:00 Jamais. C'est-à-dire que même dans les grandes périodes protectionnistes,
29:04 1880-1914, 1945-1970-1975,
29:12 grosso modo, période où globalement l'ensemble des échanges sont plutôt dans un cadre de protectionnisme,
29:20 eh bien il y avait malgré tout une concurrence internationale qui était forte,
29:25 mais qui était filtrée, justement, par ces éléments protectionnistes.
29:32 D'une certaine manière, l'industrie automobile française,
29:37 elle était, dès la fin des années 1950 et le début des années 1960,
29:43 en concurrence avec l'industrie automobile allemande, italienne, américaine, etc.
29:51 Ce qui a entraîné d'ailleurs une forme de restructuration,
29:55 la disparition des producteurs les moins efficients,
29:59 Panhard, par exemple, qui a disparu.
30:02 Il faut toujours rappeler qu'en 1946, il y a grosso modo 26 producteurs de voitures en France.
30:11 26. Quelques années après, on en retrouve 4-5, en réalité.
30:18 Donc il y a un processus de concentration qui est tout à fait évident.
30:24 La question qui se pose, c'est de savoir, 1) quel niveau de compétition internationale ?
30:34 Autrement dit, à quel moment la concurrence internationale destructure les institutions internes,
30:42 en particulier par la concurrence au niveau des salaires ?
30:48 Donc ça c'est un point.
30:50 Et à quel moment cette compétition internationale est, en réalité, un facteur important pour l'innovation ?
31:01 Alors, les libéraux disent "la concurrence, c'est l'innovation"
31:06 et ils oublient tout à fait l'impact de destructuration des institutions nationales.
31:11 Les gens qui ne sont pas réellement des protectionnistes, qui sont des autarciques, en fait,
31:18 qui pensent plutôt le fonctionnement d'une économie nationale fermée,
31:23 "fichte", en grosso modo.
31:25 Eux, ils ne voient dans la concurrence internationale que l'aspect destruction des institutions internes.
31:34 Et je pense personnellement que la concurrence internationale, c'est la dialectique des deux.
31:41 Et que la seule manière de contrôler cela, c'est de faire varier les mesures de protection,
31:49 qu'il s'agisse de protection douanière, donc tarifaire,
31:53 qu'il s'agisse de mesures de protection non douanière, qui sont aussi importantes,
31:58 ou qu'il s'agisse des mesures du taux de change.
32:01 Et je pense que c'est un des éléments qui sont les plus importants.
32:05 Et je pense que c'est un des éléments qui sont les plus importants.
32:08 Et je pense que c'est un des éléments qui sont les plus importants.
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35:01 Et je pense que c'est un des éléments qui sont les plus importants.
35:03 Et je pense que c'est un des éléments qui sont les plus importants.
35:05 Tout ce qui vient d'un pays, ciblé par exemple précisément tel ou tel domaine.
35:11 Venons-en à des exemples concrets.
35:13 C'est toute la deuxième moitié de votre livre.
35:17 Vous en donnez beaucoup.
35:19 Et notamment l'automobile dont Jacques a parlé.
35:21 Mais dont Jacques a parlé.
35:23 Parlons plutôt de quelque chose de plus central qui sont les capitaux.
35:27 Parlons plutôt de quelque chose de plus central qui sont les capitaux.
35:29 Avec cet objectif d'orienter l'investissement privé.
35:31 Avec cet objectif d'orienter l'investissement privé.
35:33 Oui, tout à fait.
35:35 Quand je parle de pensée magique protectionniste,
35:39 C'est quand même assez spectaculaire de voir les déclarations politiques et les programmes politiques
35:47 où on a l'impression qu'il suffirait de mettre en place du protectionnisme pour spontanément relocaliser.
35:55 Et en fait c'est ce lien que j'ai voulu, qui est fait de façon quasi automatique.
36:01 C'est ce lien que j'ai voulu critiquer.
36:05 Pas du tout la nécessité du protectionnisme.
36:09 Je suis tout à fait favorable, je pense, au protectionnisme nécessaire et indispensable pour parvenir à relocaliser.
36:17 Nécessaire mais pas suffisant.
36:21 Et notamment si on veut réorienter l'économie, si on veut réinvestir dans un certain nombre de domaines,
36:33 déjà il faut avoir une vision stratégique, c'est-à-dire identifier dans quel domaine il faut réinvestir,
36:43 redévelopper une production, relocaliser.
36:47 Ce qui n'est absolument pas le cas actuellement, c'est-à-dire que les partis politiques qui prétendent au pouvoir
36:55 prennent finalement tous les secteurs d'activité qui semblent promis à un avenir
37:03 qui permettrait de réaliser des profits qui finalement intéressent les grands lobbies patronaux,
37:15 considèrent que ce sont des domaines d'avenir.
37:19 Alors que de mon point de vue, il faut faire une analyse des besoins
37:25 et faire en sorte de relocaliser des productions qui répondent à des besoins essentiels,
37:33 qui ont une vocation stratégique.
37:36 On en parlera peut-être plus tard, mais la fabrication d'ibuprofène,
37:41 la fabrication d'anticancéreux, la fabrication de médicaments courants,
37:47 n'est absolument pas une activité à haute valeur ajoutée, mais elle est absolument stratégique.
37:55 Évidemment, la crise sanitaire a montré à quel point des produits aussi simples et aussi peu coûteux à fabriquer
38:04 que le gel hydroalcoolique, les masques ou l'équipement de base a été absolument stratégique.
38:11 Donc, il y a cette réflexion et pour réinvestir, on a besoin de capitaux.
38:20 Et donc, les capitaux, il n'y a pas 36 solutions, soit on cherche à attirer les capitaux privés
38:29 par différents mécanismes et donc on reste dans une logique libérale
38:36 où on cherche à démontrer à quel point la France est compétitive
38:43 et à quel point les capitaux peuvent être investis en toute sécurité dans le pays,
38:49 soit on reprend un contrôle politique sur une partie des capitaux
38:55 de façon à pouvoir décider démocratiquement des choix d'investissement.
39:01 Et c'est pour ça que j'ai traité cette question avant toutes les autres.
39:07 C'est-à-dire qu'on comprend bien que ce contrôle des capitaux conditionne tout ce qu'on peut faire ensuite
39:14 dans les filières, dans le domaine de la santé, dans l'énergie, dans l'automobile, dans l'alimentation.
39:21 J'ai raconté comment se passait le contrôle des capitaux
39:31 avant qu'il soit démantelé par la construction européenne.
39:39 Et jusque dans le milieu des années 80, tous les pays européens avaient,
39:47 presque tous les pays européens avaient un contrôle des capitaux qui était tout à fait sérieux,
39:53 où on contrôlait les investissements étrangers dans le pays,
39:59 où on contrôlait également les sorties de capitaux,
40:04 et où on n'était évidemment pas dans un système autarcique,
40:07 mais où on avait des autorisations administratives,
40:11 des systèmes aussi quand des investisseurs étrangers investissaient en France,
40:17 de dépôts de garantie qui faisaient que les capitaux ne pouvaient pas entrer et ressortir quand ils le voulaient,
40:24 et donc des mécanismes qui seraient tout à fait possibles de restaurer
40:30 et qui permettraient de contrôler ces entrées et ces sorties de capitaux.
40:38 Et puis il y a un deuxième sujet qui est celui de la mobilisation de l'épargne,
40:45 avec aujourd'hui des banques privées qui collectent l'épargne et qui la réorientent,
40:57 et donc qui décident des choix d'investissement.
41:01 Et je considère qu'on doit avoir une maîtrise publique d'au moins une partie de cette épargne
41:08 pour orienter peut-être pas vers des secteurs extrêmement profitables pour les investisseurs,
41:16 mais des secteurs extrêmement utiles à la population.
41:21 Et donc on a des possibilités avec des systèmes de placement.
41:29 On connaît bien le livret A, avec un système de collecte de l'épargne
41:35 qui permet d'orienter cette épargne vers une utilisation particulière,
41:41 en l'occurrence essentiellement le logement social.
41:45 On pourrait très bien avoir des systèmes de livret qui permettent de collecter l'épargne
41:50 et de l'orienter vers l'économie, mais avec des conditions,
41:56 qu'ils soient d'investissement, des conditions de rémunération de cette épargne,
42:00 qui soient encadrées par la puissance publique,
42:03 et qui permettent de répondre à un besoin de réindustrialisation, de relocalisation de l'économie.
42:10 Jacques Sapir, on a souvent parlé du circuit du trésor qu'il faudrait selon vous remettre à jour.
42:16 Vous ne serez pas en désaccord avec Aurélien Bernier là-dessus ?
42:19 Non, tout à fait. Il faut effectivement que l'État et les moyens,
42:23 non pas de diriger, mais en tous les cas d'orienter en partie le mécanisme des investissements à l'intérieur du pays.
42:30 Au niveau international, c'est intéressant parce qu'on a une grande étude qui a été faite par
42:36 Dany Roderick et Harvey Subramanian, qui date de 2001 ou de 2002,
42:42 et qui montre que la liberté totale des capitaux n'a pas amélioré
42:50 les conditions d'investissement et de développement des pays.
42:53 Donc, ça veut dire qu'il faut très réellement dissocier les mouvements de capitaux de court terme,
42:59 qui peuvent être très fermement contrôlés, des mouvements capitaux de long terme,
43:05 et qui eux peuvent s'imposer.
43:07 Et ça permettra peut-être de faire la transition avec la question de la santé.
43:12 Il y a un très bon exemple dans la question,
43:16 si vous voulez, le développement de l'industrie pharmaceutique au Vietnam.
43:22 Alors, fin des années 90, une grande firme française, Sanofi pour ne pas la nommer,
43:28 a développé au Vietnam la production d'antipaludéens,
43:36 et de quinines, etc.
43:40 Le point important, c'est que le Vietnam avait créé un cadre protectionniste
43:48 qui empêchait cette entreprise d'exporter vers le Vietnam,
43:54 ou disons qui rendait ses exportations, d'une certaine manière, non compétitives
43:59 par rapport à la production interne.
44:00 Donc, on voit bien que là, le protectionnisme a servi à attirer les capitaux dans le cadre.
44:07 Et deuxièmement, à partir de là, s'est construit progressivement
44:12 une véritable industrie pharmaceutique vietnamienne.
44:16 Alors, je le sais, pour avoir un petit peu travaillé avec les responsables de Sanofi sur ce projet,
44:24 mais c'était très intéressant, c'est que le gouvernement vietnamien
44:28 a demandé des transferts de technologie à l'entreprise française,
44:32 ce qui a permis au Vietnam de progressivement remonter en gamme.
44:36 Et c'est là où on voit tout l'intérêt d'un cadre protectionniste,
44:41 à la fois pour attirer des capitaux qui, autrement, se contenteraient d'exporter vers ce pays,
44:48 mais aussi d'une réglementation interne qui dit "OK, vous venez produire chez nous, très bien, merci beaucoup,
44:56 mais maintenant, vous n'allez pas vous contenter de produire,
44:59 vous allez aussi apprendre à nos ouvriers et à nos cadres comment produire des choses de plus en plus complexes".
45:07 Alors Aurélien Bernier, vous parliez de secteurs utiles aux citoyens, en voilà un, effectivement, la santé.
45:13 Question qui n'est pas nouvelle, mais qui est devenue évidente aux yeux de tous avec la crise sanitaire
45:19 et la dépendance qu'elle a montrée avec une grande acuité.
45:24 Là, est-ce qu'on pourrait dire que c'est surtout d'investissements publics massifs qu'il faudrait ?
45:30 Oui, alors d'une part, le secteur de la santé montre les limites de cette pensée magique protectionniste,
45:39 parce que pour mettre en place du protectionnisme, il faut avoir quelque chose à protéger.
45:45 Et quand on a délocalisé, enfin quand les multinationales ont délocalisé la quasi-totalité de la production,
45:55 il n'y a plus rien à protéger.
45:57 C'est vrai aussi, par exemple, dans l'énergie, avec les panneaux photovoltaïques.
46:01 Vous mettriez un protectionnisme aux importations de panneaux photovoltaïques,
46:05 vous ne feriez que renchérir les composants de ces panneaux,
46:10 mais vous ne créerez pas une industrie nationale qui a disparu.
46:16 Et donc, il faut une stratégie publique dans un certain nombre de domaines
46:22 pour reconstruire une industrie et choisir ce sur quoi il faut baser la réindustrialisation et la relocalisation.
46:33 Et comment le faire ?
46:36 Moi, je considère que le secteur de la santé devrait être un secteur public,
46:43 y compris jusqu'à la fabrication de médicaments, de base en tout cas,
46:51 et la fabrication de matériel médical qui va équiper les hôpitaux.
46:59 Pourquoi ? D'une part parce que c'est un secteur qui est financé par la sécurité sociale,
47:08 qui est financé par le public, et il n'y a aucune raison que ces financements
47:13 bénéficient aux actionnaires des grands groupes privés.
47:17 Et puis, il y a des secteurs qui sont trop importants pour être laissés aux mains des actionnaires privés.
47:26 Et je pense que la santé, l'énergie en font partie.
47:31 Donc, la relocalisation que j'essaye d'imaginer dans le secteur de la santé,
47:37 parce que si j'ai pris ces secteurs d'activité, si j'ai écrit un chapitre pour chaque secteur d'activité,
47:45 c'est pour essayer de montrer comment on pouvait s'y prendre pour envisager une relocalisation progressiste,
47:53 c'est-à-dire pas rester sur un discours généraliste, mais essayer d'aller plus loin
47:59 et de montrer comment ça pourrait se passer, évidemment dans la perspective que j'adopte,
48:03 c'est-à-dire une relocalisation progressiste qui vise à refonder un ordre international un peu différent.
48:14 Et sur la santé, est-ce que vous n'avez pas peur que les savoir-faire en recherche,
48:19 peut-être qu'ils sont toujours présents et qu'en investissant massivement on peut les récupérer,
48:24 mais les savoir-faire en production, est-ce que justement on n'a pas un risque qu'ils aient disparu
48:29 et que donc ce soit très compliqué de relocaliser ça ?
48:33 Non, ça n'a pas disparu parce que les multinationales françaises sont parmi les principales multinationales du médicament
48:42 et on a des entreprises françaises qui vont produire à l'étranger mais qui savent produire.
48:51 Donc la question de savoir comment on s'y prend, c'est à la fois comment on s'y prend pour relocaliser
49:00 et comment on s'y prend pour passer progressivement ce secteur sous contrôle public.
49:06 Et je pense que typiquement dans ce domaine d'activité, ça pose la question de la propriété des moyens de production
49:15 et je défends dans le livre une nationalisation progressive de l'industrie du médicament.
49:23 Alors évidemment progressive parce que c'est quelque chose de très sensible, de très complexe,
49:30 qu'on ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi dans un tel domaine
49:35 et évidemment qu'il faudra affronter des puissances économiques colossales.
49:42 Mais je pense qu'on peut y arriver en nationalisant, pour commencer,
49:49 quelques entreprises françaises qui ont gardé des activités productives sur le territoire national,
49:58 il y en a encore, et en jouant finalement au jeu de la concurrence avec les grandes entreprises privées.
50:07 C'est-à-dire que l'industrie du médicament fait des profits tellement scandaleux,
50:13 il y a un tel différentiel entre les coûts de production et les prix de vente des médicaments
50:21 qu'on peut très bien imaginer qu'une entreprise publique du médicament
50:27 mette sur le marché des produits courants à des coûts nettement inférieurs
50:33 à ce que pratique aujourd'hui l'industrie pharmaceutique.
50:37 Et donc on crée une concurrence publique-privée qui est quelque chose de tout à fait sain
50:44 et voilà ce qui montre que la concurrence n'est pas entièrement à jeter
50:49 et effectivement, comme le disait Jacques Sapir, il y a des avantages à la concurrence.
50:53 Moi je vois notamment celui-là d'une entreprise publique qui pourrait concurrencer le privé
50:59 et qui pourrait gagner au jeu de la concurrence.
51:03 Parce que finalement, face à une production disons à prix coûtant à peu près,
51:10 c'est-à-dire qu'on couvrirait les coûts de production et les investissements
51:15 et on vendrait les médicaments beaucoup moins cher,
51:19 le secteur privé aurait deux options, soit il s'aligne, donc il baisse ses prix
51:26 et c'est tout bénéfice pour la protection sociale,
51:30 c'est tout bénéfice évidemment pour les acheteurs de médicaments,
51:35 donc les hôpitaux, les particuliers, soit le secteur privé déserte le marché
51:42 et à ce moment-là, l'entreprise publique peut prendre sa place.
51:48 Surtout si on a mis en place un système qui permet de canaliser les capitaux
51:56 vers des secteurs stratégiques, ça ne pose aucun problème progressivement
52:01 d'augmenter la production et d'aller vers une entreprise nationale du médicament
52:07 qui prendrait l'essentiel du marché.
52:12 Jacques Zavial.
52:13 Oui, alors ce modèle est intéressant, mais il pose quand même le problème
52:19 de la distinction entre produit générique et produit innovant.
52:24 Il est tout à fait possible de développer une production de produit générique
52:28 à prix quasi-coûtant, bon, ça, ça ne pose pas de problème.
52:33 Après, il faut savoir que 10% des médicaments qui sont utilisés en France,
52:38 alors c'est très peu, mais c'est des médicaments qui sont souvent absolument
52:41 nécessaires au traitement d'un certain nombre de maladies,
52:44 sont des médicaments hautement innovants.
52:47 Et là, on voit qu'il y a la nécessité d'apporter beaucoup d'argent.
52:53 Alors, ça se fait dans le privé, si vous voulez, parce que les entreprises
52:57 réalisent d'énormes profits sur un certain type de produits
53:01 et réinvestissent une partie, une autre partie va chez les actionnaires,
53:04 mais ils réinvestissent néanmoins une partie de ces profits
53:08 dans la recherche et dans le développement de ces nouveaux médicaments.
53:11 Donc, la question qu'il faut se poser, c'est comment articuler
53:18 ces deux registres entre production de générique, production de choses innovantes
53:25 et surtout, comment penser la relation entre le secteur public,
53:31 le secteur privé qui sera, à mon avis, toujours nécessaire,
53:35 et la recherche. Et pas simplement la recherche fondamentale,
53:38 mais aussi la recherche en développement de médicaments.
53:42 On comprend bien, par exemple, sur la question des vaccins à ARN messager,
53:47 nous avons une recherche fondamentale très ancienne, en réalité,
53:51 sur l'ARN messager qui a été mise au point en France.
53:55 Nous avons eu des développements qui ont duré des décennies, en réalité,
54:01 puisque pendant très longtemps, on n'arrivait pas à stabiliser l'ARN messager.
54:06 Et ce n'est que grâce à des investissements extrêmement importants
54:10 qui ont été réalisés de 2000 à 2015-2016,
54:15 qu'un certain nombre d'entreprises ont commencé à maîtriser cette technique.
54:21 Alors, ils l'ont maîtrisée sur d'autres choses, en particulier par rapport au virus Ebola,
54:27 et ils ont pu réutiliser cette technique contre la Covid.
54:32 Mais là, on voit bien qu'il y a une stratégie recherche fondamentale,
54:38 recherche de développement, capacité d'industrialisation,
54:41 qui est complexe et qui doit être parfaitement pensée,
54:46 à la fois au niveau public, mais aussi dans une articulation entre le public et le privé.
54:51 Un rapide mot de conclusion, peut-être pour remonter en généralité, pour conclure, Aurélien Bernier.
54:57 Vous parlez de redéfinir la notion de puissance des nations.
55:02 On a parlé pendant toute cette émission des moyens que pourraient se donner les États
55:07 à leur échelle individuelle dans le grand tableau.
55:12 Vous êtes quelqu'un qui revendiquait la notion de décroissance.
55:16 Est-ce que la relocalisation, le protectionnisme,
55:19 c'est la manière que un pays peut avoir d'entrer dans une phase décroissante,
55:25 alors qu'il est dans un monde qui est ému par la croissance ?
55:31 L'objectif politique doit être à la fois de répondre aux enjeux environnementaux,
55:40 c'est-à-dire d'organiser une décroissance de la production matérielle.
55:46 Sans rentrer dans le débat sur l'utilisation du terme de décroissance,
55:51 on voit bien qu'il faut baisser la consommation matérielle,
55:56 qu'on a un certain nombre de matériaux non renouvelables qui vont s'épuiser,
56:05 qu'on a un certain nombre de pollutions qui s'accumulent.
56:09 Donc, on doit réduire cette consommation matérielle.
56:12 L'enjeu est de le faire de façon organisée et de façon juste.
56:21 C'est-à-dire que ça n'impacte pas les classes populaires,
56:26 que ce ne soit pas une nouvelle forme d'austérité pour les classes populaires.
56:30 Donc, ça doit s'organiser politiquement.
56:32 Je pense que la relocalisation est, par le fait de remettre sous contrôle politique
56:42 les choix et les modes de production, le moyen d'y arriver.
56:50 Ça peut paraître paradoxal, parce que relocaliser,
56:53 ça veut dire aussi relocaliser des activités polluantes.
56:56 Sauf que, jusqu'à maintenant, ces activités polluantes,
57:00 on les a délocalisées dans les pays à bas coût de main d'œuvre,
57:02 elles existent, mais elles sont loin des yeux des écologistes français,
57:08 loin des yeux des classes moyennes, des classes favorisées,
57:14 qui pourtant consomment cette production, mais qui polluent loin des yeux.
57:19 Donc, il va falloir relocaliser y compris des productions polluantes,
57:23 mais pour faire évoluer, évidemment, les normes de production.
57:29 Et puis, la relocalisation, et je terminerai là-dessus,
57:33 est aussi un moyen de repenser les rapports internationaux,
57:38 et notamment les rapports Nord-Sud.
57:40 Et, voilà, pour revenir sur la question du protectionnisme,
57:45 moi je ne défends pas un protectionnisme à sens unique,
57:49 comme certains conservateurs peuvent le faire.
57:54 Je défends un protectionnisme qui serait finalement un droit fondamental
57:59 des peuples à protéger leur économie des investissements spéculatifs,
58:07 du dumping, etc.
58:10 Et qui permettrait d'aller vers des relations commerciales choisies,
58:16 et non pas subies, et de rééquilibrer les termes de l'échange,
58:22 ce qui est un sujet fondamental.
58:25 Alors, tous les écrits sur les échanges inégaux dans les années 60 et 70
58:32 sont toujours d'actualité, c'est-à-dire qu'il y a toujours un problème structurel
58:36 entre l'économie du Nord et l'économie du Sud.
58:39 On est toujours dans une logique d'exploitation des ressources
58:43 et de la main-d'oeuvre des pays du Sud.
58:45 Et c'est par la relocalisation, et c'est par une volonté de refonder
58:53 un ordre international plus juste, qu'on peut arriver à changer cet état de crise.
58:59 Merci Aurélien Bernier.
59:01 L'urgence de relocaliser pour sortir du libre-échange et du nationalisme économique
59:06 est donc disponible chez Utopia, Jacques Sapir, que sache le protectionnisme, au puf.
59:11 Et merci à vous qui nous écoutez d'avoir été avec nous cette semaine encore.
59:15 On retrouve ce numéro et celui de la semaine dernière avec Yves Pérez en vidéo
59:19 et sur toutes les plateformes de podcast.
59:21 Choses impossibles sans l'aide indispensable de Jeanne de Matopi,
59:25 Pupi Chider et Hervé Machine.
59:26 Rendez-vous au prochain épisode de Rue Sauron Pax Prasse avec Jacques Sapir.
59:30 D'ici là, faites pas vos jacques. Salut !
59:33 [Musique]

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