(Republication d'une vidéo publiée le 23 septembre 2022)
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 [Musique]
00:05 Laura Écrivain, spécialiste de la Russie, elle est avec nous sur ce plateau.
00:08 Bonjour Monsieur.
00:10 C'est un plaisir de vous recevoir sur ce plateau.
00:12 Alors, Sargheil Lavrov, dès le début de son discours,
00:16 c'était dans le cadre d'une réunion ministérielle du Conseil de sécurité de l'ONU,
00:21 il est revenu sur les actions de Kiev depuis 2014 dans le Donbass,
00:25 des actions qui ont motivé la guerre qu'on connaît aujourd'hui selon Moscou.
00:29 C'est vrai qu'on n'entend jamais parler des raisons invoquées par la Russie pour mener son opération militaire ?
00:35 Non, effectivement, il y a une sorte de consensus dans les pays occidentaux
00:40 de considérer que la guerre a commencé le 24 février dernier
00:46 par l'invasion injustifiée de l'Ukraine par la Russie.
00:51 Or, en réalité, pour les Russes, la guerre a commencé en 2014
00:57 par un coup d'État qui a renversé le pouvoir légitime à Kiev
01:03 et qui a instauré un système qui a lancé une opération antiterroriste
01:10 contre les populations russes et prorusses du Donbass.
01:16 Et c'est ça que le ministre a voulu rappeler,
01:21 c'est-à-dire que pendant 8 ans,
01:23 les régions qui n'acceptaient pas le changement de pouvoir par la rue et non pas par les urnes,
01:29 rappelons que le président Yanukovych devait se présenter au suffrage des Ukrainiens
01:36 à la fin de l'année 2014.
01:40 C'est-à-dire qu'il suffisait d'attendre 8 mois pour que le pouvoir change éventuellement légitimement.
01:49 Et là, ça a été un coup d'État qui a créé les désordres que l'on connaît.
01:53 Ça, c'est la position de la Russie.
01:55 Et depuis 8 ans, l'armée ukrainienne bombarde la ville, en particulier la ville de Donetsk,
02:03 qui est une ville très importante, faisant en permanence des morts civiles dont personne ne parlait.
02:09 Donc voilà ce que le ministre a rappelé.
02:12 Et évidemment, cette version-là s'oppose à ce que l'on entend régulièrement sur les ondes
02:23 et ce que l'on dit dans les journaux sur le fait que la Russie a attaqué l'Ukraine sans aucune justification.
02:33 - Alors c'est vrai que dans cette guerre, il y a véritablement deux versions qui s'opposent, hein ?
02:38 - Absolument.
02:39 - Via maître allemand. On a rarement vu ça.
02:41 - Bon, dans toutes les guerres, il y a forcément, vous savez, c'est...
02:45 D'un côté, on dit...
02:46 - Une histoire de version, toujours comme ça.
02:47 - "Nous sommes les meilleurs et Dieu est avec nous."
02:49 Et l'autre partie dit "Dieu est avec nous et nous sommes les meilleurs."
02:53 Ça a toujours été.
02:54 Mais simplement, il y a des fondements, comment dirais-je, légitimes aux guerres.
03:00 Et il faut les analyser avec le recul, bien entendu.
03:06 Et je crois que les Occidentaux actuellement, en particulier la France et l'Allemagne,
03:10 qui ont vu aux premières loges, puisqu'ils faisaient partie du groupe des médiateurs
03:16 pour l'application des accords de Minsk,
03:18 ils ont vu aux premières loges ce qui se passait et dans beaucoup de cas, ils ont fermé les yeux.
03:24 - C'est exactement ce que disait Sergei Lavrov, hein.
03:27 Il accuse les parrains occidentaux de l'Ukraine d'avoir toujours fermé les yeux.
03:31 - Ce qu'il faut dire également, c'est que très souvent, sur ce conflit, les torts étaient partagés.
03:38 C'est-à-dire qu'il n'y avait pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants.
03:41 Mais ce qui est très clair, c'est qu'il y avait un accord international,
03:45 qui est l'accord de Minsk. C'est un traité.
03:49 Le traité en question a été ratifié par les Nations Unies par une résolution,
03:55 la résolution 2022, en 2015, qui demandait à toutes les parties de le respecter.
04:00 Alors, pour quelle raison mystérieuse une résolution contraignante du Conseil de sécurité n'est pas à respecter
04:10 et que ceux qui sont censés veiller à son respect disent "ah non, non, non, c'est pas ça, en fait, non,
04:19 les Ukrainiens n'ont pas à respecter parce qu'il y a des circonstances".
04:24 Effectivement, il y a des circonstances. Mais lorsque l'on se sent approché du bord du gouffre de la guerre,
04:32 eh bien, à un moment, il faut peut-être taper du poing sur la table et dire "non, mettez-vous d'accord,
04:38 respectez les accords" et comme ça, les choses seront claires, elles seront tranchées
04:43 et on évitera le risque de ce qui se passe actuellement.
04:47 Monsieur Lorrain, toute chose a un intérêt, bien évidemment, on le sait tous.
04:51 Mais pour quelles raisons Paris, Berlin, Washington également ont fermé les yeux
04:56 sur ce qui se passait dans le Donbass depuis 2014 ?
04:59 Parce que depuis un certain moment, l'administration américaine en particulier
05:06 estimait que la Russie était un pays qui était faible, qui présentait éventuellement un risque.
05:17 Réellement, ils ne pensaient pas réellement qu'il y aurait un risque de voir un général félon
05:22 prendre le contrôle des armements nucléaires comme dans les films, vous savez, dans les années 90,
05:27 c'était la hantise. Non, ils étaient beaucoup plus... Mais simplement, dans la perspective de 20-30 ans,
05:34 la perspective d'une guerre éventuelle ou d'un conflit limité ou pas avec la Chine,
05:41 il valait peut-être mieux mettre de côté un belligérant potentiel qui était en situation de faiblesse.
05:48 Et tous les stratèges font cela, pas seulement les États-Unis.
05:52 Et donc, l'affaiblissement de la Russie était une constante depuis pratiquement les années 2004-2005
06:02 jusqu'à maintenant de la diplomatie américaine. Il fallait affaiblir la Russie.
06:07 Et pour cela, l'instrument de l'Ukraine était relativement facile à employer,
06:14 avec l'éventualité d'une entrée dans l'OTAN. L'entrée dans l'Union européenne, ça ne gênait pas la Russie.
06:24 D'ailleurs, depuis très longtemps, l'accord d'association était acté.
06:29 C'était vraiment l'OTAN qui posait prêt.
06:31 - Laurent, très rapidement, on est pressé par le temps. On a entendu les discours à la tribune de tous les chefs d'État à l'ONU,
06:38 les critiques contre Moscou, les accusations, les sanctions. Je voudrais savoir où en est le dialogue ?
06:46 - Le dialogue, c'est ailleurs et demain. Pour le moment, il n'y a pas de dialogue.
06:53 - Il n'y a pas de dialogue.
06:54 - Il n'y a pas de dialogue. À partir du moment où la Russie dit "négotions, mais à nos conditions"
07:01 et que les Ukrainiens disent "négotions, mais d'abord retirez toutes vos troupes de l'Ukraine" et de la Crimée, c'est bloqué.
07:09 Il n'y a pas de possibilité de dialogue. Ce qu'il peut y avoir, c'est une possibilité éventuelle de cessez-le-feu.
07:16 Mais vous savez, il y a un cessez-le-feu qui a été établi en Corée en 1953, qui perdure encore aujourd'hui,
07:25 mais le cas de la Corée n'a pas été tranché. À Chypre, il y a également un cessez-le-feu, puisque la Turquie a envahi le nord de Chypre,
07:35 qui était turcophone. En 1974, depuis 74, c'est-à-dire 48 ans, le cessez-le-feu continue, mais la situation n'est pas tranchée.
07:45 Il est possible, et même probable, que ce schéma se reproduise en Ukraine. Un cessez-le-feu, mais certainement pas la paix.
07:55 Pierre Laurent, merci d'avoir répondu à nos questions. Je rappelle que vous êtes écrivain et spécialiste de la Russie. Ce fait un plaisir.
08:02 Merci.
08:03 (Générique)