(Republication d'une vidéo publiée le 2 octobre 2023)
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00:00:00 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:00:03 Comme tous les dimanches, on va tâcher de prendre du recul, de la hauteur sur l'actualité.
00:00:08 Par exemple, Emmanuel Macron a ouvert la voie jeudi dernier à une autonomie de la Corse.
00:00:12 Mais qu'est-ce que c'est l'autonomie ? Ce n'est pas l'indépendance que redoutent certains.
00:00:16 Mais c'est un peu plus que ce qu'a laissé entendre le président de la République dans son discours.
00:00:20 Comme nous l'expliquera à 23h30 la professeure de droit public Vanda Mastor.
00:00:25 À 23h, la philosophe Barbara Stiegler qui vient de publier un manifeste "Démocratie" avec un point d'exclamation.
00:00:32 Nous expliquera pourquoi d'après elle, nous ne sommes pas en démocratie.
00:00:36 La France n'est pas une dictature, mais ça n'est pas une véritable démocratie. C'est bien ça.
00:00:42 Arnaud Tessier, qui est un spécialiste de la Ve République, sera là pour vous répondre.
00:00:47 Barbara Stiegler. À 22h20, on reviendra sur la décision du Conseil d'État de classer le Rassemblement national à l'extrême droite.
00:00:54 Alors que Marine Le Pen répète depuis 10 ans que son parti n'est pas d'extrême droite.
00:00:58 Le politologue Jean-Yves Camus, l'auteur des "Droites extrêmes en Europe"
00:01:03 et le journaliste Eliott Mamann qui a publié dans le Figaro cette semaine une tribune intitulée
00:01:08 "Pourquoi le Conseil d'État n'a pas à renvoyer le RN à l'extrême droite" sont là pour en discuter.
00:01:16 Ainsi que l'historien Jean-François Cyrinelli à qui l'on doit une histoire des droites en France en trois tomes.
00:01:21 Intéressons-nous au manifeste que vient de publier Barbara Stiegler avec Christophe Febart.
00:01:26 Il s'intitule "Démocratie" avec un point d'exclamation.
00:01:30 D'après ce que vous dites, nous vivons bien dans un État de droit.
00:01:32 La France n'est pas une dictature, mais ce n'est pas une démocratie.
00:01:36 Alors face à vous, il y a deux historiens, Jean-François Cyrinelli, qui vient de publier "Le Temps qui passe",
00:01:41 "La France qui change", on en a parlé au début de cette émission, mais qui est aussi l'auteur de "Vie et survie de la Ve République"
00:01:48 et Arnaud Tessier qui vient de nous rejoindre, c'est un spécialiste de "La Ve République" et du gaullisme.
00:01:52 C'est l'auteur de "Demain, la Ve République" avec Hervé Guémard.
00:01:57 Alors Barbara Stiegler, expliquez-nous pourquoi, en quelques mots, expliquez-nous pourquoi nous ne vivons pas dans une démocratie.
00:02:04 – Parce que je pense qu'il faut prendre au sérieux le terme de "demos" et le terme de "kratos".
00:02:10 Et il faut prendre au sérieux l'histoire de l'expérience démocratique et des idées qui lui ont...
00:02:16 qui l'ont accompagnée ou qui lui ont répondu.
00:02:19 Donc c'est à partir de cette matrice historique et à partir de cette attention au concept,
00:02:24 bon, les deux auteurs de ce manifeste sont l'un historien et l'autre philosophe,
00:02:29 donc on a uni nos forces sur la question de la généalogie historique et la question de la définition conceptuelle,
00:02:37 qu'on arrive à ce constat qu'en fait on avait déjà, mais là on a vraiment affûté nos analyses avec une bibliographie extrêmement fournie.
00:02:46 Le livre d'ailleurs, étant un fruit d'un autre livre, il n'aurait jamais eu lieu s'il n'y avait pas eu le livre précédent,
00:02:55 il y a un an et quelques, "Athènes, l'autre démocratie", chez Passé Composé,
00:03:00 qui est un livre majeur sur... qui fait véritablement le point sur tout ce que l'historiographie, la recherche en histoire grecque
00:03:10 nous apprend de la démocratie athénienne et qui propose une interprétation.
00:03:14 — Alors donc là, pour vous, parce qu'aujourd'hui on est censé dire non mais la démocratie athénienne, ça n'était pas vraiment la démocratie.
00:03:21 Vous vous disez au contraire. C'était la démocratie et la démocratie représentative n'est pas la démocratie.
00:03:27 — Oui. Alors la démocratie athénienne, ça a duré 2 siècles. Il y avait la constitution de ce qu'ils ont appelé eux-mêmes un démos,
00:03:35 c'est-à-dire... Qu'est-ce que ça signifie, un démos ? Ça signifie un collectif délibérant.
00:03:41 Ça ne veut donc pas dire un individu plus un autre, plus encore un autre et à la fin une masse qu'on consulterait isolément.
00:03:49 C'est pas une masse d'opinions individuelles. C'est un collectif délibérant. Et c'est extrêmement sérieux, puisque pendant 2 siècles,
00:03:55 le démos s'est réuni à peu près tous les 10 jours sur la colline de la Pnyx, qui était le lieu – ce qu'on appelle l'ecclesia, l'assemblée –
00:04:04 qui était le lieu où se prenaient toutes les décisions les plus importantes de cette cité-État athénienne.
00:04:11 Et donc, ce démos, on pourrait dire, il n'existe pas. En un sens, c'est effectivement une idée qui est très difficile à saisir,
00:04:21 puisque les à peu près 60 000 citoyens qui appartiennent à ce collectif délibérant ne peuvent pas physiquement se retrouver sur la colline de la Pnyx.
00:04:30 Elle est trop étroite pour contenir 60 000 personnes. Mais ils arrivent quand même, ils trouvent le tour de force – et ça va durer 2 siècles –,
00:04:38 trouvent un système qui est de faire en sorte qu'entre 6 et 10 000 citoyens de ces 60 000 viennent régulièrement, donc tout au long de leur vie,
00:04:54 par rotation, c'est-à-dire que tous sont appelés à venir. Et cet extrait du démos prend les décisions pour le démos.
00:05:03 – Et gouverne le... – Voilà. Il n'y a pas de gouvernant athènes, il n'y a pas de chef, il n'y a pas de président de la République,
00:05:09 il n'y a pas de roi, il n'y a rien de tout ça, ça n'existe pas. Le seul souverain, celui qui a le kratos, c'est le démos.
00:05:16 Alors ça nous paraît complètement ahurissant, mais c'est que ça nous plaise ou non, ainsi que ça s'est produit.
00:05:21 Par exemple, Périclès n'est pas le chef des Athéniens, c'est quelqu'un qui a une compétence extrême, qui est très talentueux.
00:05:27 On le consulte, mais ce n'est pas lui qui décide d'entrer en guerre. Il est consulté, comme plein d'autres citoyens.
00:05:33 Donc on a un extrait, et là on peut dire que quelque part, ces 6 000, 10 000 qui vont voter la guerre par exemple,
00:05:40 ou qui vont voter une décision sur l'inflation du cours du blé, des décisions aussi graves qu'aujourd'hui, ou sur la peste,
00:05:48 l'épidémie, l'inflation, la guerre, ça nous rappelle les mauvais souvenirs actuels,
00:05:52 exactement les mêmes questions aussi difficiles, aussi graves, aussi techniques,
00:05:56 ces 6 000 à 10 000, on peut considérer qu'ils ont le rôle de représentants du démos.
00:06:01 Donc il y a une logique de représentation, mais ce qui est fondamental, c'est que la démocratie athénienne refuse absolument
00:06:10 que le représentant soit un individu esselé, ou un petit groupe qui s'isolerait du démos et qui deviendrait irrationnel du même coup dans ses comportements.
00:06:19 – Que vous appelez aujourd'hui l'oligarchie.
00:06:21 – Ce que eux appellent, c'est pas moi, c'est un terme grec, ce que eux appelaient l'oligarchie.
00:06:27 Ils n'en voulaient pas, ils ne voulaient pas qu'un petit nombre gouverne pour les autres.
00:06:32 Donc parce qu'ils pensaient, et c'est ce que dit la tragédie grecque,
00:06:35 que dès qu'il y a du kratos, il y a un risque d'ivresse, du brice par rapport au kratos,
00:06:40 il est extrêmement dangereux de donner à un seul, Thyranos, ou à quelques-uns le pouvoir,
00:06:45 parce que de toute façon le pouvoir est dangereux, comme le dira bien plus tard Montesquieu.
00:06:49 Donc on a un système qui a existé, nous on le prend très au sérieux,
00:06:54 parce que ce système, il se trouve qu'il a percuté notre histoire contemporaine,
00:06:58 dans plein d'endroits, dans plein de pays dans le monde évidemment, et on n'a pas le temps là.
00:07:02 Mais si on parle depuis ici, il a percuté la France en 1789, en 1781-1789,
00:07:08 la révolution athénienne, la démocratie athénienne, l'absus révélateur,
00:07:12 parce que c'est une révolution, le moment où les athéniens, c'est une sorte d'insurrection,
00:07:17 ils deviennent le démos, sans charnier, sans massacre, sans violence.
00:07:22 La révolution n'implique pas nécessairement la violence, je tiens à le rappeler.
00:07:26 Donc la révolution française, elle va remettre alors du jour, pour beaucoup de révolutionnaires,
00:07:31 le modèle athénien, qu'ils connaissent plus ou moins bien, mais qui les inspire, vraiment.
00:07:36 Qui les inspire, mais ils choisissent la représentation, ils choisissent...
00:07:40 Alors ils sont, c'est très juste ce que vous dites, mais ils sont dans une tension permanente,
00:07:44 je vous rappelle que les athéniens aussi ont une logique de représentation,
00:07:48 mais pas au sens où il y aurait des représentants qui personnaliseraient le pouvoir.
00:07:53 Ils refusent la personnalisation.
00:07:55 En revanche, ils voient bien que les 60 000 ne vont pas décider ensemble.
00:07:58 Donc il y a cet extrait qui représente le démos.
00:08:04 La révolution française, j'y travaille beaucoup en ce moment,
00:08:06 elle est travaillée, les démocrates, ce qu'on appelle les démocrates,
00:08:09 Camille Desmoulins, Robespierre, etc., travaillée par la tension entre la Chambre,
00:08:13 l'Assemblée nationale et les communes insurrectionnelles, la démocratie type athénienne.
00:08:18 Donc en fait, c'est très compliqué pour eux, ils essaient de concilier les deux.
00:08:22 Comme aujourd'hui, quand on essaie d'entendre ce qui se passe dans la rue,
00:08:24 ce qui se passe chez les Gilets jaunes, ce qu'on peut faire à l'Assemblée nationale,
00:08:27 exactement ce qui s'est passé pendant ce printemps.
00:08:29 Donc il y a un effort de réaliser la démocratie dans un grand pays,
00:08:37 et pendant la révolution française, il va y avoir tous ces districts
00:08:40 qui seront autant de petites pnics, de petites collines délibérantes,
00:08:44 des communes qui vont un peu partout prendre des collectifs délibérants.
00:08:48 Il y a aussi les salons, les cercles.
00:08:51 Enfin, il y a une effervescence démocratique extraordinaire
00:08:54 puisque tous les Français qui sont engagés dans cette révolution délibèrent en permanence ensemble.
00:08:59 Et ça, c'est quelque chose qui est profondément, qui est une condition de la démocratie.
00:09:03 Alors réaction Arnaud Tessier.
00:09:06 Ce qui paraît que la Ve République que vous défendez, ce n'est pas la démocratie.
00:09:11 Ce que je viens d'entendre me rappelle beaucoup de souvenirs de l'être classique.
00:09:18 Mais aujourd'hui, gouverner une démocratie de 70 millions d'habitants,
00:09:22 ça ne peut pas se faire à la manière de la démocratie grecque,
00:09:25 qui par ailleurs présente des caractéristiques assez peu démocratiques.
00:09:30 Mais enfin, ce n'est pas le débat du jour.
00:09:31 Je crois qu'il y a au cœur, ça a été très bien expliqué dans un ouvrage récent
00:09:34 par un grand politologue qui est Yves Ményi,
00:09:37 il y a au cœur de la démocratie une frustration originelle,
00:09:40 qui est qu'elle repose sur la souveraineté du peuple
00:09:42 et que le peuple est presque immédiatement,
00:09:45 soit presque immédiatement confisqué de cette souveraineté
00:09:47 parce que pour l'exercer concrètement, il faut qu'il la délègue.
00:09:50 D'où la démocratie représentative avec différentes formes.
00:09:54 Alors la France, sur le plan constitutionnel, la révolution, ça a été plutôt un désastre,
00:09:58 il faut bien le dire.
00:09:59 Et il a fallu le passage par la moulinette consulaire et impériale
00:10:03 pour remettre les choses un peu en ordre.
00:10:04 Et ensuite, on a expérimenté à peu près tous les régimes.
00:10:07 Il faut bien voir que la construction de la démocratie en France a été longue,
00:10:10 difficile et qu'on a vraiment tout expérimenté,
00:10:13 toutes les formes d'empire, de monarchie constitutionnelle,
00:10:15 toutes les formes de république.
00:10:16 Donc c'est difficile la démocratie par nature parce que le peuple,
00:10:20 effectivement, il y a une frustration d'origine qui s'atténue
00:10:23 lorsque la démocratie montre qu'elle est synonyme de progrès.
00:10:26 Et à partir du moment où elle apporte du progrès et du bien-être
00:10:29 et une certaine justice sociale, évidemment,
00:10:32 imparfaite, mais on a bien vu comment la Troisième République
00:10:35 et la Quatrième République et puis la Cinquième République
00:10:37 ont mis en avant la question sociale.
00:10:39 Parce qu'il est évident qu'il y a une dimension sociale dans la démocratie,
00:10:42 ce n'est pas seulement des libertés politiques,
00:10:44 c'est une dimension sociale.
00:10:46 Donc il a fallu beaucoup de temps pour arriver au modèle de la Cinquième République,
00:10:50 qui n'est pas un modèle parfait de démocratie représentative.
00:10:53 On cumule sous la Cinquième la démocratie représentative
00:10:57 et la démocratie directe.
00:10:58 L'article 3 de la Constitution dit "le peuple est souverain,
00:11:01 il exerce sa souveraineté par deux voies qui sont mises sur le même plan,
00:11:05 l'élection de ses représentants et le référendum".
00:11:08 – Oui mais il n'a pas l'initiative du référendum.
00:11:10 – Voilà, bien sûr, mais quand même,
00:11:12 et l'élection du président de la République au suffrage universel est passée en 1962.
00:11:15 Donc il y a un équilibre dans la Cinquième République
00:11:18 qui est assez judicieux puisqu'il tire les leçons
00:11:20 de deux siècles laborieux d'échecs et de recherche démocratique
00:11:25 pour essayer d'atténuer cet effet de frustration démocratique
00:11:28 dont de Gaulle était très conscient.
00:11:29 C'est lui qui avait remis à l'honneur le référendum en 1945,
00:11:32 en même temps d'ailleurs qu'il donnait le droit de vote aux femmes
00:11:35 parce qu'il ne faut pas oublier que le droit de vote des femmes
00:11:37 est quelque chose d'assez récent en France.
00:11:39 – Il n'existait pas dans la démocratie athénienne non plus.
00:11:42 – Il n'existait nulle part, je tiens à le rappeler.
00:11:45 – Ni sous la Révolution française.
00:11:46 Donc l'idée de Gaulle et de la Constitution de 1958
00:11:49 et pas seulement de Gaulle, des Constituants,
00:11:50 c'était d'avoir une sorte d'équilibre.
00:11:52 Alors je crois qu'aujourd'hui il y a une frustration démocratique,
00:11:54 ce qui est certain, qui ne vient pas des défauts inhérents
00:11:57 à la démocratie représentative ni à la démocratie directe,
00:12:00 mais qui vient de trois phénomènes.
00:12:01 Premier phénomène, c'est le climat lié à la mondialisation
00:12:04 et ce sentiment qu'ont les citoyens dans les démocraties occidentales
00:12:09 que finalement on ne leur promet plus du bien-être,
00:12:12 qu'on leur dit simplement, et là je rejoins votre propos,
00:12:16 on leur dit simplement de s'adapter à un monde,
00:12:18 à s'adapter à la mondialisation,
00:12:20 donc c'est une première source de frustration.
00:12:22 La contrepartie qui est à la base du contrat démocratique n'existe plus
00:12:26 puisqu'on ne vous propose plus du progrès,
00:12:28 mais la transition écologique, un horizon assez sombre,
00:12:34 et tout cela évidemment est une source de frustration.
00:12:36 Et puis il y a une deuxième source de frustration,
00:12:38 c'est que les institutions de la Ve République
00:12:40 ne marchent plus de la manière dont elles ont été conçues,
00:12:43 c'est-à-dire qu'il n'y a plus de référendum,
00:12:45 on a élargi le champ du référendum en 1995,
00:12:47 mais les gouvernants ont peur de s'en servir,
00:12:49 surtout depuis suite 2005,
00:12:51 puisque la réponse n'était pas celle qui était attendue ou espérée,
00:12:54 donc là on voit bien que le peuple s'exprime,
00:12:56 même si il s'exprime de manière collective,
00:12:58 il s'exprime, il dit quelque chose
00:13:00 qui ne correspond pas à ce qui est attendu par le pouvoir en place,
00:13:03 donc il va contourner, comme l'a fait Nicolas Sarkozy,
00:13:05 il va passer par d'autres voies,
00:13:06 et donc le référendum tombe en désuétude.
00:13:08 Donc ce mélange, je trouve, assez original,
00:13:12 et qui est le fruit encore une fois de deux siècles
00:13:14 de laborieuses constructions démocratiques.
00:13:17 Cette construction originale qui est la Ve République justement,
00:13:20 cette combination de démocratie directe
00:13:22 et de démocratie représentative,
00:13:24 elle ne marche plus à cause de ce phénomène,
00:13:26 de cette appréhension de la mondialisation,
00:13:28 c'est pas propre à la France,
00:13:29 à cause aussi de ce déséquilibre,
00:13:31 c'est comme si les institutions marchaient sur une seule jambe.
00:13:33 - Est-ce qu'il n'y a pas une troisième raison
00:13:35 qu'on évoquait tout à l'heure
00:13:37 quand on parlait du monde d'avant, Jean-François Cyrinelli,
00:13:39 c'est que dans le monde d'avant,
00:13:41 on ne contestait pas la démocratie représentative
00:13:44 parce qu'il y avait une petite minorité
00:13:45 qui faisait des études supérieures,
00:13:47 et que tous les autres en fait ne se sentaient pas
00:13:50 de venir contester l'autorité des élus ou des gouvernants.
00:13:55 Aujourd'hui, tout le monde a fait des études supérieures,
00:13:57 tout le monde est très informé,
00:13:58 et tout le monde a à peu près l'impression
00:14:01 que le ministre ou le député n'en sait pas beaucoup plus que lui.
00:14:04 - Oui et non, vous avez raison,
00:14:06 probablement ça crée de la distance
00:14:09 entre le bon et le mauvais sens du terme.
00:14:11 En même temps, il y avait de très grands partis
00:14:12 qui étaient des véritables puissances tribuniciennes,
00:14:15 notamment le Parti communiste français,
00:14:17 et qui était capable de relayer en quelque sorte
00:14:20 la voix des absents ou de ceux qui étaient,
00:14:24 si vous voulez, apparemment tenus en lisière.
00:14:27 Si vous m'autorisiez à garder la parole quelques secondes,
00:14:30 j'aurais tendance pour ma part à plaider pour la Ve République,
00:14:34 mais auparavant je veux dire que j'ai lu ce livre
00:14:36 avec vraiment beaucoup d'intérêt,
00:14:38 j'allais dire avec passion, je m'explique.
00:14:40 On est en face actuellement d'une crise
00:14:43 de la démocratie représentative,
00:14:45 et plus largement de la démocratie libérale.
00:14:47 Et donc qu'une grande spécialiste de philosophie politique
00:14:50 et qu'un grand spécialiste d'histoire grecque
00:14:53 essayent de conjuguer leurs réflexions dans un manifeste,
00:14:57 donc qui est une forme d'engagement,
00:14:59 c'est un livre aussi d'intellectuels engagés,
00:15:01 mais pour essayer de nous dire voilà,
00:15:03 au temps du néolibéralisme,
00:15:05 voilà selon nous ce qu'est l'état de la démocratie libérale,
00:15:09 à leurs yeux, s'il me semble, un mauvais état,
00:15:12 un état plutôt défaillant, un état fait de trompe-l'œil
00:15:16 et de travers, je trouve ça passionnant
00:15:19 parce que c'est argumenté et c'est très fort.
00:15:23 En plus ça s'interroge sur les Gilets jaunes
00:15:28 et je trouve qu'il faut, en historien, en philosophe,
00:15:31 il faut réfléchir sur les Gilets jaunes.
00:15:33 Cela étant, j'en reviens très brièvement
00:15:35 à la Ve République, ne jamais oublier
00:15:38 que dans quelques jours, début octobre,
00:15:41 nous y sommes, la Ve République va avoir 65 ans,
00:15:45 alors vous allez me dire, c'est l'âge de la retraite.
00:15:47 Je répondrai, pas forcément, car elle est en train de battre
00:15:52 le record de longévité de tous les régimes politiques
00:15:56 depuis 1789. Donc certes, peut-être proche de la retraite,
00:16:00 mais pour le moment, quelque chose qui a tenu
00:16:03 et qui a traversé, notamment le passage du monde d'avant
00:16:07 au monde d'après. Et par ailleurs,
00:16:09 comme le disait mon voisin, c'est vrai que c'est difficile,
00:16:11 me semble-t-il, en tout cas je vous soumets cette remarque,
00:16:14 de comparer des communautés humaines de 60 000 citoyens
00:16:20 au rouage extrêmement complexe d'un Etat-nation
00:16:24 de 67 millions de personnes et à peu près 47 millions
00:16:28 d'électeurs et d'électrices. Et enfin, et j'en ai terminé,
00:16:32 la démocratie représentative actuellement est en crise.
00:16:36 Mais moi, il me semble qu'il ne faut plutôt que de l'attaquer,
00:16:39 mais au demeurant, c'est du débat,
00:16:41 donc c'est parfaitement votre droit.
00:16:43 Moi, je suis dans le camp des défenseurs
00:16:45 parce que cette démocratie représentative,
00:16:47 j'allais dire dans le monde qui nous entoure,
00:16:50 c'est, comme l'avait dit Churchill, le pire des régimes,
00:16:54 à l'exception de tous les autres. Et donc, il faut,
00:16:58 me semble-t-il, défendre la démocratie directe
00:17:01 de mon point de vue, mais c'est le débat de fond.
00:17:04 Ce n'est pas de la démocratie représentative.
00:17:07 Ça l'a fait blipus.
00:17:08 - Mais c'est quand même intéressant qu'il y ait tant de débats
00:17:10 autour de la démocratie aujourd'hui qu'il n'existait pas
00:17:13 il y a 20 ou 30 ans. La semaine dernière,
00:17:16 il y avait Pascal Horry à votre place et lui,
00:17:18 il nous disait qu'on n'avait jamais vécu en France
00:17:20 en démocratie libérale. Ça avait toujours été
00:17:23 une démocratie autoritaire. Vous nous dites qu'on n'avait
00:17:25 jamais vécu en démocratie. C'est autre chose.
00:17:28 C'est la démocratie représentative.
00:17:30 Mais effectivement, on se dit, mais comment ça pourrait être différent ?
00:17:33 Alors, pas pour que ça devienne une démocratie libérale.
00:17:36 On sait la différence entre notre démocratie
00:17:38 et les démocraties libérales des pays voisins.
00:17:40 Mais dans la démocratie dont vous manifestez
00:17:45 dans votre livre, pour laquelle vous manifestez
00:17:47 dans votre livre "Un certain engouement",
00:17:49 ça ressemblerait à quoi aujourd'hui ?
00:17:51 - On a une réelle admiration, une certaine passion
00:17:54 pour la démocratie athénienne, mais on ne considère pas
00:17:55 que c'est un modèle qu'on pourrait transposer.
00:17:57 On a une passion pour la démocratie athénienne
00:17:59 comme on a une passion pour les tragédies qui essaient
00:18:01 de dépenser les problèmes de la démocratie athénienne, etc.
00:18:04 Et on est très remonté contre les philosophes
00:18:06 qui ont fait passer cette démocratie athénienne
00:18:08 pour le règne du n'importe quoi et du chaos,
00:18:10 ce qui est extrêmement malhonnête de la part de Platon.
00:18:12 Bon, ça c'est nos...
00:18:14 Mais si vous voulez, on ne considère pas
00:18:16 qu'on n'a pas à vous proposer une Pnyx
00:18:18 qui serait par exemple la place de la Concorde, pour un peu.
00:18:20 En revanche, en 1789 jusqu'en 93,
00:18:24 je ne crois pas que 89 jusqu'à 93 soit un désastre.
00:18:27 Au contraire, je pense que c'est fondationnel
00:18:29 de l'histoire de France et je suis extrêmement fière
00:18:31 qu'on ait fait cette grande révolution française.
00:18:34 Il y a vraiment la question de la démocratie
00:18:36 qui revient à l'ordre du jour.
00:18:37 Et ils essaient d'affronter cette question
00:18:39 par la République, une République sociale et démocratique
00:18:43 qui va ensuite, ou démocratique et sociale, c'est selon,
00:18:45 qui va ensuite inspirer tout le XIXe siècle
00:18:48 social et républicain, dont effectivement
00:18:51 la révolution citoyenne promue par LFI,
00:18:55 enfin attendue par LFI, et l'héritière.
00:18:58 C'est un parti révolutionnaire, LFI,
00:19:00 mais au sens de la révolution française,
00:19:02 au sens des grandes révolutions,
00:19:04 1830, 1848, 1870, la Commune,
00:19:07 et pas au sens d'autres modèles révolutionnaires.
00:19:11 Je voulais répondre à votre question sur la révolution.
00:19:14 Ensuite, le diagnostic très critique que nous avons,
00:19:17 c'est sur la réponse des libéraux
00:19:19 à cet énorme poussé démocratique,
00:19:21 qui n'était pas qu'en France à la fin du XIXe siècle,
00:19:23 mais comme vous le savez, dans le monde entier.
00:19:25 Dans le monde entier en réalité.
00:19:26 Les libéraux vont répondre par des textes majeurs,
00:19:29 les textes de l'abbé Sieyès, Benjamin Constant,
00:19:32 et plein d'autres, en disant
00:19:34 la démocratie n'est pas possible.
00:19:35 C'est-à-dire le peuple n'est pas,
00:19:37 soit il n'est pas rationnel et il n'est pas compétent,
00:19:40 il n'a pas les moyens d'affronter des problèmes,
00:19:45 donc seuls les notables, eux,
00:19:47 parce qu'ils sont aux affaires, ont la compétence.
00:19:50 Et ont le sentiment de l'intérêt général.
00:19:52 Et ils savent saisir l'intérêt général
00:19:54 parce qu'ils gèrent des normes.
00:19:56 Alors que le peuple, lui, ne sait pas.
00:19:57 Il est ignorant, donc ça c'est le premier argument.
00:20:00 Bon, je vais vite.
00:20:01 Et donc c'est la logique de l'élection, de l'élu,
00:20:05 qui est très bien décrite par Bernard Manin
00:20:06 dans "Les principes du gouvernement représentatif".
00:20:09 L'élu sort du peuple.
00:20:11 Il a, voilà, par sa compétence.
00:20:14 Donc ça c'est le premier argument des libéraux,
00:20:17 qui est un argument aujourd'hui qui ne tient plus
00:20:18 pour la raison que vous avez dite,
00:20:19 à savoir qu'on est tous à peu près éduqués.
00:20:21 Et je vais être un peu dure,
00:20:22 mais il m'arrive quand je vois un certain nombre de ministres
00:20:24 être assez inquiètes sur leur niveau scolaire,
00:20:26 et de me dire comment est-il possible que cette jeune fille
00:20:28 ou ce jeune homme soit ministre de l'éducation nationale
00:20:30 ou de je ne sais quoi.
00:20:31 C'est effrayant.
00:20:32 Et c'est effrayant pour énormément de gens.
00:20:34 Je parle beaucoup avec des chauffeurs de taxi
00:20:35 qui m'expliquent qu'ils sont consternés de...
00:20:38 Quand je viens dans les émissions, vous savez.
00:20:40 Ils sont consternés du niveau scolaire,
00:20:44 intellectuel des gouvernants.
00:20:46 Et on appelle ça des arguments populistes.
00:20:47 Mais ce n'est pas vrai, c'est juste du bon sens.
00:20:49 Il y a un problème de ce côté-là.
00:20:50 Deuxième grand argument, c'est l'argument,
00:20:53 et ensuite je répondrai sur la taille,
00:20:55 c'est l'argument, ça n'intéresse pas le peuple.
00:20:57 Parce que, et ça c'est la notion,
00:21:00 la fiction libérale de la société civile,
00:21:02 il y aurait la cité, l'État, l'ordre politique, les citoyens,
00:21:07 et puis à côté, il y aurait un autre ordre
00:21:09 qui est la société civile, qui est le lieu où on échange.
00:21:12 On échange des idées, on échange des avis,
00:21:13 on échange des chaussures contre de la bière, etc.
00:21:17 Et ce lieu d'échange serait un lieu
00:21:20 dans lequel on a envie de s'occuper de nos affaires.
00:21:22 Le mot business, mais au sens le plus large,
00:21:24 s'occuper de ses affaires, de vos intérêts.
00:21:27 Donc ce serait le lieu de l'intérêt individuel, et c'est tout.
00:21:30 Et ce serait ça qui intéresserait le peuple.
00:21:33 Ça c'est une fiction, enfin c'est une fiction.
00:21:34 - Et vous pensez que cette fiction a toujours cours aujourd'hui ?
00:21:37 - Non, je pense plutôt que c'est une théorie très puissante des libéraux.
00:21:41 Moi je suis extrêmement admirative de la théorie libérale
00:21:44 du gouvernement représentatif, c'est très fort intellectuellement.
00:21:47 Mais c'est une réponse, c'est contre la démocratie.
00:21:51 C'est pour expliquer que la démocratie n'est pas possible.
00:21:52 Et qu'il faut donc déléguer un petit nombre d'élus
00:21:55 qui eux sont intéressés à l'intérêt général, etc.
00:21:59 Ça n'a plus cours aujourd'hui pour deux raisons.
00:22:02 Le niveau d'éducation qui fait qu'on est tous à peu près...
00:22:05 Evidemment il y a des normes disparaissantes,
00:22:07 mais pas entre les gouvernants et les gouvernés.
00:22:09 Donc ça ne tient plus.
00:22:10 Et puis surtout, le fait que tout le monde est saisi
00:22:13 par la question générale de savoir où allons-nous.
00:22:16 C'est-à-dire que plus personne n'a envie de déléguer
00:22:18 à je ne sais pas qui les affaires de la cité
00:22:21 parce qu'il y a une grosse inquiétude sur notre destin collectif.
00:22:26 - Arnaud Tessier.
00:22:27 - Je n'étais pas d'accord avec vous.
00:22:28 D'abord, cette idée de vision libérale de la démocratie,
00:22:31 elle ne résume pas l'histoire de la démocratie en France.
00:22:34 - Je n'ai pas dit ça.
00:22:35 - La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
00:22:37 Parce que vous avez parlé de la révolution de 89-93.
00:22:41 C'est la monarchie jusqu'en 1792.
00:22:43 Et 1791, c'est une constitution qui crée une monarchie constitutionnelle.
00:22:47 La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
00:22:49 a été promulguée sous la monarchie, sous le règne de Louis XVI.
00:22:52 - Non, non, c'est juste que vous disiez que la révolution...
00:22:54 Non, mais je répondais...
00:22:56 - Ça s'est gâté assez vite après.
00:22:57 - Non, mais parce que vous répondez...
00:22:58 Non, non, je répondais juste à votre proposition
00:23:00 qui était que la Révolution française avait été un désastre.
00:23:02 - Non.
00:23:03 - Je ne suis pas d'accord.
00:23:04 - Sur le plan constitutionnel.
00:23:05 - Je n'ai jamais dit que 89 a mis à l'ordre du jour la démocratie.
00:23:08 - J'ai dit sur le plan constitutionnel.
00:23:10 Je n'ai pas dit que c'était un désastre pour le reste.
00:23:12 Et en particulier, moi, j'admire beaucoup
00:23:13 la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
00:23:15 Parce qu'il y a une idée très forte dans cette déclaration
00:23:18 qu'on oublie, c'est qu'elle définit l'individu
00:23:22 comme étant un individu, effectivement,
00:23:24 mais qui a aussi la qualité de citoyen.
00:23:26 Et c'est-à-dire que l'individu, lorsqu'il agit dans l'ordre politique,
00:23:30 agit comme citoyen et qu'il est pris dans un réseau
00:23:32 de droits et de devoirs réciproques.
00:23:34 La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
00:23:35 est un texte assez extraordinaire
00:23:36 parce qu'à chaque fois qu'elle énumère un droit individuel,
00:23:39 elle met une contrepartie d'ordre public
00:23:42 parce qu'il y a l'intérêt collectif,
00:23:44 il y a ce qu'on appelle l'intérêt général, l'intérêt collectif,
00:23:46 qui n'est pas une fiction, qui est quelque chose
00:23:47 qui a fondé toute l'expérience de l'État en France
00:23:51 et du rôle de l'administration comme élément de la démocratie,
00:23:53 comme inscription dans la durée de l'expérience démocratique.
00:23:56 Donc cette dimension du citoyen est essentielle
00:23:59 parce que cela veut dire qu'il y a un acte de foi
00:24:03 dans la tradition française.
00:24:04 - Ah non, mais moi je revendique...
00:24:05 - C'est que l'individu qui va dans un isoloir,
00:24:07 il ne va pas se comporter forcément...
00:24:09 - Non mais attendez, là on ne se comprend pas.
00:24:10 Je revendique, comme d'ailleurs les Républicains
00:24:14 aujourd'hui que je soutiens, la République précisément,
00:24:17 je revendique la déclaration des droits de 1780 normes.
00:24:19 Donc là, il n'y a pas de débat.
00:24:20 - Alors là où j'ai l'impression qu'il y a un débat,
00:24:23 si vous me le permettez, c'est que les Français,
00:24:25 enfin une partie des Français,
00:24:26 a l'air de plus en plus avoir de mal à supporter l'idée
00:24:32 qu'on délègue son pouvoir à quelqu'un
00:24:37 pour cinq ans, par exemple,
00:24:40 et qu'ensuite on n'est plus consulté.
00:24:42 J'ai l'impression que c'est ça qui passe mal aujourd'hui
00:24:45 dans la démocratie représentative.
00:24:47 - Je crois, et je crois d'ailleurs,
00:24:50 que je parlais du référendum de 2005,
00:24:52 je crois que ça joue un rôle important,
00:24:54 je ne crois pas du tout qu'ils contestent le principe,
00:24:56 qu'ils contestent le fait que ce pour quoi
00:24:58 ils ont voté finalement n'aboutit à rien
00:25:00 ou qu'une certaine manière le politique a abdiqué.
00:25:03 C'est le problème qu'on connaît depuis 30 ans.
00:25:05 Je crois qu'il y a un désenchantement vis-à-vis de la politique
00:25:08 et de la capacité des politiques à changer les choses,
00:25:11 à proposer à la société un véritable progrès,
00:25:14 mais je ne crois pas que ce soit une critique
00:25:16 contre la démocratie elle-même.
00:25:17 - Mais je ne dis pas ça !
00:25:19 - Non mais contre la démocratie représentative !
00:25:21 - On écrit un manifeste pour la démocratie !
00:25:23 - Mais contre le principe de la démocratie !
00:25:24 - Alors Jean-François Sieyeli,
00:25:25 vous n'avez pas l'impression que ça pose un problème aujourd'hui
00:25:29 se dire qu'on est consulté une fois tous les cinq ans
00:25:32 et que pendant le reste du temps,
00:25:34 on attend, on regarde, on voit ce qui se passe,
00:25:37 mais on n'a plus son mot à dire.
00:25:39 - De remarque.
00:25:40 C'est vrai que les chiffres de l'abstention
00:25:43 nous montrent un désenchantement.
00:25:45 Pour autant, ce désenchantement est-il contre la démocratie
00:25:49 ou au contraire parce que cette démocratie ne fonctionnerait pas ?
00:25:53 Et donc là, on est au cœur du débat.
00:25:55 Et vous-même, je vous en remercie,
00:25:57 vous l'avez amené sur ce point, le débat.
00:25:59 C'est-à-dire l'intérêt général.
00:26:01 Il y a tout un chapitre,
00:26:02 pas des chapitres, mais tout un passage du livre
00:26:05 sur l'intérêt général.
00:26:07 Et c'est là qu'est probablement notre désaccord.
00:26:09 Je ne veux pas vous donner l'impression
00:26:10 d'être tombé dans un guet-apens.
00:26:12 - Non, pas du tout.
00:26:13 - Vous avez compris, je suis plutôt d'accord
00:26:15 avec ce que vous avez fait.
00:26:17 Bon, voici ça.
00:26:17 Je ne vois pas comment, si vous voulez,
00:26:21 une myriade d'avis personnels,
00:26:24 au demeurant chacun respectable,
00:26:26 peut dégager l'intérêt général
00:26:29 mieux que ne l'ont fait...
00:26:30 - Là, je peux vous répondre.
00:26:31 - Oui, je vous en prie.
00:26:32 - Et ça m'inquiète un peu,
00:26:33 parce que ça veut dire qu'on n'a pas suffisamment...
00:26:35 Parce que je sais que vous êtes un très bon lecteur,
00:26:37 un très fin lecteur,
00:26:37 donc ça veut dire qu'on ne s'est pas très clairement
00:26:38 fait comprendre.
00:26:39 - Je vous en prie.
00:26:40 - Il n'y a pas d'avis personnel.
00:26:42 Vous arrivez à l'Assemblée...
00:26:43 Bon, imaginons les Assemblées municipales
00:26:45 de la Révolution française,
00:26:46 où vous avez cette idée de rotation,
00:26:49 de mandat impératif.
00:26:50 Ils se sont posés pendant des années ces questions,
00:26:53 et ce n'est pas seulement en France qu'on l'a fait.
00:26:54 D'ailleurs, il ne faut pas non plus...
00:26:55 - Aujourd'hui, on parle de tirage au sort.
00:26:57 - Mais bien sûr.
00:26:57 En fait, il y a énormément de réflexions là-dessus,
00:26:59 il y a énormément d'imagination,
00:27:00 et qu'il faudrait peut-être un peu mettre au pouvoir là-dessus.
00:27:02 Bon.
00:27:03 Donc, on avait...
00:27:05 Quand on arrive à l'Assemblée, à l'Ecclésia,
00:27:07 quand on est dans cette logique-là,
00:27:09 vous arrivez effectivement avec un avis personnel.
00:27:11 Mais au fond, ce n'est pas très intéressant.
00:27:13 C'est-à-dire que ce qui est intéressant,
00:27:15 c'est le fait d'endurer pendant une journée
00:27:17 sur l'Apnix ou dans votre commune démocratique,
00:27:20 votre district,
00:27:21 d'endurer la confrontation avec les autres points de vue,
00:27:24 et comprendre qu'en réalité, personne,
00:27:26 aucun individu n'est capable,
00:27:28 et ça, c'est quelque chose...
00:27:29 C'est une sorte d'épistémologie
00:27:32 qui correspond tout à fait à la pensée tragique des Grecs.
00:27:35 Personne n'est capable de saisir la réalité en soi.
00:27:39 Donc, seul le travail
00:27:43 d'affectation réciproque des points de vue
00:27:46 permet, au bout d'un moment,
00:27:47 de fabriquer ce qu'on appelle dans le livre,
00:27:49 ce que les Grecs appelaient une "doxa",
00:27:51 c'est-à-dire,
00:27:52 le peuple,
00:27:53 il lui apparaît que la meilleure des hypothèses,
00:27:56 à cet instant-là, finalement, c'est ça,
00:27:58 par exemple, de partir à la guerre
00:27:59 ou de ne pas y partir,
00:28:01 et on a bien conscience
00:28:02 que c'est un avis collectif provisoire
00:28:04 qui essaie de saisir au mieux l'intérêt général.
00:28:07 Donc, ce n'est pas une myriade d'avis personnels.
00:28:10 Ça suppose un travail de délibération.
00:28:13 - Je vous suis là-dessus,
00:28:14 d'autant que vous le dites dans votre livre,
00:28:15 vous vous appuyez sur votre expérience personnelle
00:28:18 à l'intérieur même de l'université,
00:28:20 de votre participation à un certain nombre de réunions
00:28:23 où on sort plus informé
00:28:25 qu'on est entré dans la réunion.
00:28:26 - Exactement.
00:28:27 - Dont acte a une remarque près,
00:28:29 c'est que ça suppose que même
00:28:31 que les gens dans cette réunion soient égalités.
00:28:34 Or, regardez les initiatives récentes
00:28:36 prises par notre président de la République
00:28:38 sans politiser notre débat.
00:28:40 On voit, par exemple, que sur l'écologie,
00:28:43 on s'est réunis à 150,
00:28:45 mais on a très bien vu,
00:28:46 parce qu'il ne faut pas avoir une vision naïve des choses,
00:28:49 qu'au bout de quelques jours,
00:28:51 en tout cas quelques semaines,
00:28:52 quelques personnes avaient pris le pouvoir intellectuel,
00:28:55 et donc d'une certaine façon politique,
00:28:57 à l'intérieur de la réunion.
00:28:59 Donc cette démocratie directe était encore plus biaisée
00:29:03 que ne l'aurait été, j'allais dire,
00:29:05 le débat parlementaire entre des partis informés.
00:29:08 En tout cas, vous voyez, là, résidons scepticises.
00:29:10 - Je ne me prononcerai pas sur la Convention citoyenne
00:29:12 sur le climat, parce que je ne suis pas à l'intérieur
00:29:14 et je ne sais pas le travail qu'a fait Cyril Puy.
00:29:16 - Moi non plus, et qu'en plus, il nous reste 40 secondes.
00:29:18 - Non, mais voilà, je dirais juste que les Athéniens
00:29:21 étaient parfaitement conscients de tous ces problèmes,
00:29:23 d'où la notion d'ostracisme, etc.
00:29:26 Donc il y a toute une série de contrepoids,
00:29:29 de garde-fous à mettre en place
00:29:32 pour, dans le rapport à la parole,
00:29:34 qu'on ne se retrouve pas avec un petit groupe, finalement,
00:29:37 de factieux qui prennent le pouvoir.
00:29:39 Donc voilà, il y a des possibilités de répondre à ça.
00:29:42 Le problème, c'est que, et aujourd'hui,
00:29:43 il y a une attente populaire,
00:29:44 on n'a pas parlé des Gilets jaunes,
00:29:46 mais c'est quand même ce qu'ils ont demandé.
00:29:47 L'assemblée des assemblées, etc.
00:29:49 C'est ce qu'ils demandent, un référendum non pas plébiscitaire,
00:29:53 pour dire oui au grand homme et à ses propositions,
00:29:56 qui risque d'ailleurs de revenir à l'ordre du jour,
00:29:57 il y en a des questions,
00:29:58 mais un référendum véritablement démocratique,
00:30:00 c'est-à-dire qu'on réfléchit.
00:30:02 C'est les citoyens qui imposent une question,
00:30:04 ce n'est pas un grand homme qui décide
00:30:08 voulez-vous ceci, voulez-vous cela,
00:30:10 c'est-à-dire êtes-vous pour moi ou pas.
00:30:11 Donc on a des outils,
00:30:14 je crois qu'il faut un peu débloquer notre imaginaire,
00:30:16 la société fourmille,
00:30:19 fourmille contrairement à la manière dont on met en scène,
00:30:21 comme un peu crétin, apathique,
00:30:23 la société fourmille d'inventivité,
00:30:26 d'envie de démocratie.
00:30:28 Le populisme, soi-disant le culte du chef chez le peuple,
00:30:32 ce n'est pas vrai, pas forcément,
00:30:34 la preuve, les Gilets jaunes ne voulaient pas de chef.
00:30:36 Et donc je crois qu'il faut vraiment
00:30:38 s'intéresser à cette hypothèse démocratique,
00:30:40 peut-être l'essayer avant de passer à quelque chose de dictatorial.
00:30:43 Voilà, c'est ce que l'on propose.
00:30:45 On va laisser féliciter Kindoky,
00:30:49 faire le rappel des titres.
00:30:50 En août dernier, pour décider comment attribuer
00:30:53 les nuances politiques aux candidats aux élections,
00:30:55 le ministère de l'Intérieur avait publié une circulaire
00:30:58 où il classait le Rassemblement national à l'extrême droite.
00:31:01 Le parti de Marine Le Pen avait alors saisi le Conseil d'État
00:31:04 pour contester cette décision.
00:31:06 Marine Le Pen répète en effet depuis 10 ans
00:31:08 que son parti n'est pas d'extrême droite,
00:31:10 que l'on dit ça pour la dénigrer.
00:31:12 Mais jeudi dernier, le Conseil d'État a rendu son verdict,
00:31:14 il a donné raison au ministère de l'Intérieur.
00:31:17 Tout candidat du Rassemblement national
00:31:19 peut donc être classé à l'extrême droite
00:31:21 sur les cartes des résultats électoraux.
00:31:23 Ce qui fait que Libération, Mediapart ou le Huffington Post
00:31:26 ont pu écrire que pour le Conseil d'État aussi,
00:31:29 le Rassemblement national est bien d'extrême droite.
00:31:32 Alors d'extrême droite ou pas d'extrême droite,
00:31:34 le parti de Marine Le Pen, pour en débattre,
00:31:36 nous avons ici présent Jean-François Cyrinelli,
00:31:38 à qui l'on doit une histoire des droites en France,
00:31:40 en trois volumes.
00:31:41 La philosophe Barbara Stiegler,
00:31:43 qui publie "Démocratie", le manifeste,
00:31:47 et qui a soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon
00:31:50 à la dernière présidentielle.
00:31:51 Je précise d'ailleurs que le parti de Jean-Luc Mélenchon
00:31:53 n'est pas classé, lui, à l'extrême gauche
00:31:55 par le ministère de l'Intérieur.
00:31:57 Jean-Yves Camus, vous êtes politologue,
00:31:59 spécialisé dans l'extrême droite.
00:32:01 On vous doit notamment le Front national
00:32:03 histoire et analyse, c'était en 1997,
00:32:06 et les droites extrêmes en Europe,
00:32:08 coécrit avec Nicolas Lebourg et publié au Seuil en 2015.
00:32:11 Et le journaliste Eliot Mamann,
00:32:13 qui a publié dans le Figaro cette semaine,
00:32:15 une tribune intitulée "Pourquoi le Conseil d'État
00:32:18 n'a pas à renvoyer le RN à l'extrême droite".
00:32:20 Et bien ouvrez le débat, Eliot Mamann,
00:32:22 vous avez quelques minutes,
00:32:23 avant le rappel des titres, pourquoi ?
00:32:25 D'abord, pour une raison technique,
00:32:27 parce que le Conseil d'État n'a pas renvoyé le RN
00:32:29 à l'extrême droite.
00:32:30 Il a simplement...
00:32:31 Donc vous disiez que la décision concernée,
00:32:34 le nuançage politique du Rassemblement national,
00:32:37 le Conseil d'État distingue,
00:32:39 et plus largement l'arrêté sur lequel
00:32:42 ce genre de décision distingue l'étiquette politique
00:32:45 et la nuance politique.
00:32:46 Le Conseil d'État précise que le ministère de l'Intérieur,
00:32:48 dont la circulaire qui posait problème à Marine Le Pen,
00:32:51 n'a jamais prétendu définir l'appartenance idéologique,
00:32:55 donc l'étiquette politique du Rassemblement national.
00:32:57 Il a simplement confirmé que dans les hémicycles
00:32:59 où le RN était invité à envoyer des élus,
00:33:02 les élus en question s'asseyaient à l'extrême droite des hémicycles.
00:33:05 Le problème, en effet, c'est qu'une partie de la gauche,
00:33:07 une partie de la presse de gauche,
00:33:09 dont vous avez rappelé certains titres,
00:33:10 ont considéré qu'on avait une espèce de caution morale,
00:33:14 que le Conseil d'État avait établi que le RN était d'extrême droite,
00:33:18 or la question n'était pas idéologique.
00:33:20 Ensuite, il y a en effet une deuxième question,
00:33:22 le RN d'un point de vue idéologique et historique
00:33:25 est-il d'extrême droite ?
00:33:26 Et ça, je pense que c'est le débat...
00:33:27 Mais le ministère de l'Intérieur ne classe pas les filles
00:33:33 à l'extrême gauche, pourtant dans les hémicycles,
00:33:35 les filles sont bien placées à l'extrême gauche.
00:33:38 Moins à gauche, par exemple, à l'Assemblée nationale
00:33:40 que le groupe GDR dans lequel siège notamment Fabien Roussel.
00:33:43 En effet, ce sont les préfets des départements
00:33:48 qui sont invités à réaliser une enquête tous à leur échelle
00:33:50 dans le cadre des élections sénatoriales,
00:33:52 pour ensuite faire remonter les résultats de leur enquête
00:33:54 au ministère de l'Intérieur,
00:33:56 pour déterminer, ils ont le choix entre six blocs politiques,
00:33:59 pour déterminer duquel de ces blocs politiques
00:34:02 les différents partis en lice appartiennent.
00:34:06 Et en l'occurrence, l'enquête se base notamment
00:34:10 sur la position dans les hémicycles,
00:34:11 sur les agissements et les alliances passées
00:34:14 notamment à l'international au Parlement européen
00:34:16 par les différents partis.
00:34:17 Et il semble qu'une majorité de préfets
00:34:19 ait considéré que la France insoumise
00:34:20 n'était pas d'extrême gauche.
00:34:22 Et c'est pourquoi la décision,
00:34:24 la circulaire du ministère de l'Intérieur
00:34:26 ne renvoyait pas la France insoumise à l'extrême gauche.
00:34:29 Jean-François Sirignelli, la décision du Conseil d'État,
00:34:33 ça vous semble logique ?
00:34:35 - Oui, puisque le Conseil d'État est une instance
00:34:38 qui juge sur le plan juridique,
00:34:41 et donc il était saisi par un référé,
00:34:44 il rend une ordonnance,
00:34:45 le mieux est de regarder les attendus de l'ordonnance.
00:34:48 Or, dans les attendus de l'ordonnance,
00:34:49 le Conseil d'État s'en tient simplement
00:34:51 à un certain nombre d'arguments d'ordre juridique.
00:34:54 C'est vrai que, d'une certaine façon,
00:34:56 cette bonne guerre, le Rassemblement national,
00:34:58 tente ce type de plainte,
00:35:00 parce que si jamais le Conseil d'État, au contraire,
00:35:03 disait "vous n'êtes pas d'extrême droite,
00:35:04 ce serait une caution extraordinaire pour lui",
00:35:07 mais il faut s'en tenir là,
00:35:10 en aucun cas le Conseil d'État prend une position politique.
00:35:16 Donc moi, là, ça ne me choque absolument pas,
00:35:19 je trouve qu'il y a des instances différentes.
00:35:20 Après, si le pouvoir judiciaire se superposait
00:35:25 au pouvoir politique, là, ça me poserait un problème.
00:35:27 Mais là, on a justement, me semble-t-il,
00:35:29 je ne sais pas ce que pensent les autres participants,
00:35:33 un bel exemple où les deux registres sont dissociés,
00:35:37 le registre administratif et juridique
00:35:41 et le registre politique.
00:35:43 Donc pour moi, après, on discutera, si vous voulez,
00:35:45 et on le fera, bien sûr.
00:35:47 - Mais au fond, ce que vous disiez dans votre article,
00:35:50 on n'a plus que 30 secondes,
00:35:51 mais Eliott Marmène, c'est que le Rassemblement national
00:35:54 n'aurait jamais dû faire un référé auprès du Conseil d'État.
00:35:57 - Non, absolument, parce qu'ils ont de fait
00:35:59 renforcé la confusion extrêmement prégnante aujourd'hui
00:36:02 dans le débat entre ce qui relève du politique
00:36:04 et ce qui relève du judiciaire.
00:36:06 On assiste, de manière générale, à une judiciarisation
00:36:08 de la vie politique qui me semble tout à fait délétère.
00:36:11 Et en l'occurrence, le Conseil d'État n'a en effet pas
00:36:14 la légitimité de juger idéologiquement
00:36:16 les différents partis présents en France.
00:36:19 Or, le Rassemblement national, de par son référé,
00:36:22 a forcé le Conseil d'État à se positionner
00:36:25 sur cette question-là.
00:36:26 - On laisse féliciter qui ne n'a pas obtenu
00:36:30 auprès du Conseil d'État le fait de ne pas être classé
00:36:34 d'extrême droite.
00:36:35 En revanche, Nicolas Dupont-Aignan avait obtenu, lui,
00:36:37 que son parti, le Boula France, ne soit pas classé
00:36:40 à l'extrême droite.
00:36:41 Vous trouvez ça logique ?
00:36:42 Vous, qui êtes un spécialiste de ces questions,
00:36:45 Jean-Yves Camus ?
00:36:46 - Écoutez, moi, je ne me prononce pas sur les décisions
00:36:49 du Conseil d'État, parce qu'encore une fois,
00:36:50 et ça a été dit, le Conseil d'État juge en droit.
00:36:53 Ce sont les politistes et les historiens qui sont là
00:36:57 pour établir ce qui est un exercice
00:36:59 extraordinairement difficile, une tentative de classification
00:37:03 des familles politiques, c'est-à-dire essayer de voir
00:37:06 quelles formations dans différents pays,
00:37:09 alors on va s'en tenir ici à l'Europe, par exemple,
00:37:12 peuvent être assimilables à la famille sociale-démocrate,
00:37:14 qui à la famille conservatrice, qui à la famille libérale,
00:37:17 à la famille de l'extrême droite, de l'extrême gauche,
00:37:21 communiste, etc.
00:37:22 Ça, c'est un exercice qui est fait depuis le début
00:37:28 des années 80, c'est-à-dire depuis qu'un certain nombre
00:37:30 de formations qu'on a appelées tantôt d'extrême droite,
00:37:33 tantôt nationales populistes, ont commencé à prendre
00:37:37 électoralement une certaine importance.
00:37:39 Alors que, je le rappelle, on parlait tout à l'heure
00:37:41 des années 60, mais jusqu'aux années 80,
00:37:43 nos bons maîtres à l'Institut d'études politiques
00:37:46 nous apprenaient que la famille extrême droite
00:37:49 avait en quelque sorte un acte de décès signé lui-même en 1945
00:37:54 et que jamais, sauf sous la forme groupusculaire,
00:37:57 elle ne reparaîtrait.
00:37:58 Certains sont revenus par la suite sur ce jugement
00:38:01 un petit peu péremptoire, mais je crois qu'on n'a pas bien
00:38:04 pris justement la mesure de ce qu'est le choc
00:38:09 qui a été subi par les opinions publiques
00:38:12 lorsqu'elles se sont aperçues.
00:38:13 On leur avait expliqué pendant plusieurs décennies
00:38:16 que l'extrême droite, le fascisme, le nazisme, etc.
00:38:19 étaient morts, que la victoire des démocraties
00:38:22 et des alliés était complète, et puis que non, finalement,
00:38:26 il y avait quand même quelque chose qui était en train
00:38:28 de revenir sur scène.
00:38:29 Sur les questions de classification,
00:38:32 il faut d'abord préciser deux choses.
00:38:33 À partir de quoi est-ce qu'on classifie ?
00:38:36 Qu'est-ce qu'on regarde ?
00:38:37 On a une option qui est de regarder les programmes
00:38:39 des partis politiques et ensuite de comparer,
00:38:42 de voir ce qu'ils ont de commun, ce qu'ils ont de divergent.
00:38:45 On a une autre option qui consiste à interroger
00:38:50 leurs électeurs et à voir sur quoi ils se déterminent
00:38:53 et à regarder ensuite si les électeurs de tel parti
00:38:56 sont en proximité avec les électeurs de tel autre
00:38:58 parce qu'ils ont tel souci en commun.
00:39:02 Aujourd'hui, pour en venir au Rassemblement national,
00:39:04 l'étude réalisée par le CIVIPAF après les élections législatives
00:39:09 de 2022 montre que le sujet qui préoccupe le plus
00:39:14 les électeurs du Rassemblement national,
00:39:16 c'est le pouvoir d'achat.
00:39:18 Le pouvoir d'achat arrive très loin devant
00:39:21 les questions de sécurité et devant les questions d'immigration.
00:39:26 Le différentiel est énorme, c'est 38% pour le pouvoir d'achat,
00:39:29 c'est 11% je crois pour les questions liées à la délinquance
00:39:33 et 10% pour les questions d'immigration.
00:39:35 Il y a d'ailleurs une divergence absolue avec l'électorat de Reconquête
00:39:41 qui lui ne considère le pouvoir d'achat comme n'étant pas un problème.
00:39:47 Il n'y a que 7% des sondés qui en font l'item clé
00:39:51 et par contre tout ce qui concerne la délinquance et l'immigration
00:39:55 est très largement au-dessus du panier,
00:39:59 dans une proportion plus forte que chez les électeurs du RN.
00:40:03 Alors, est-ce que dans ces conditions-là,
00:40:05 c'est encore un parti d'extrême droite ?
00:40:08 Je préfère pour ma part utiliser un terme qui est assez courant aux États-Unis,
00:40:13 qu'utilisent aussi les Allemands avec une définition juridique
00:40:16 qui est beaucoup plus forte, beaucoup plus solide que la nôtre,
00:40:20 qui est celui de droite radicale.
00:40:22 Droite radicale parce qu'il y a quand même quelque chose qui me semble évident,
00:40:26 c'est que l'extrême droite a été très largement déterminée en tant qu'étiquette
00:40:31 par rapport au fascisme.
00:40:35 – C'est pour ça que c'est considéré comme un famand de la part de Marine Le Pen et d'autres.
00:40:40 – De toute évidence, ça n'est pas cela.
00:40:44 De toute évidence, ça n'est pas cela.
00:40:46 Il faut quand même raison garder.
00:40:47 Donc, je garde aujourd'hui plutôt le qualificatif de droite radicale
00:40:52 en précisant bien que dans ma pensée, la radicalité,
00:40:55 qu'elle soit de droite ou qu'elle soit de gauche, n'est pas un gros mot.
00:40:59 C'est-à-dire que toute société, pour être sainement constituée,
00:41:03 pour être vivante, doit tolérer une part de radicalité,
00:41:08 y compris une part de rejet, par exemple, de l'ordre constitutionnel.
00:41:13 La seule question étant de savoir comment on veut arriver à le changer, cet ordre constitutionnel.
00:41:18 Les Allemands font là encore une distinction qui est très intéressante
00:41:21 entre ceux qui veulent changer l'ordre constitutionnel
00:41:25 à partir de l'intérieur du système démocratique
00:41:28 et ceux qui veulent l'abattre, qui veulent l'abattre par la violence
00:41:31 ou par tout autre moyen de prise de contrôle de l'État.
00:41:34 Je pense qu'il faut effectivement prendre en compte cette classification
00:41:38 et accepter qu'il y ait dans la vie politique française une part de radicalité
00:41:42 et non pas une espèce de centromou auquel on serait obligé d'adhérer,
00:41:46 sauf à être subitement quelqu'un de déraisonnable et dangereux.
00:41:49 – Vous qui avez écrit trois tomes sur les droites en France,
00:41:54 le Rassemblement national pour vous, c'est l'extrême droite,
00:41:57 c'est la droite nationale, comme le dit Marine Le Pen,
00:42:00 c'est la droite radicale, comme le suggère Jean-Yves Camus.
00:42:04 – L'expression de nos collègues, effectivement anglo-saxons,
00:42:07 que reprenait Jean-Yves Camus me paraît parfaitement convenir.
00:42:11 La droite radicale me convient, si j'ose dire,
00:42:13 parce que notre souci à nous, politistes, historiens, c'est quoi ?
00:42:18 Ce n'est pas tellement de nommer, c'est d'identifier,
00:42:21 c'est de voir plus la nature, si vous voulez, que l'appellation.
00:42:25 Or, on le disait en commençant, on parlait du monde d'avant.
00:42:29 Dans le monde d'avant, cette extrême droite, elle était résiduelle.
00:42:33 Maintenant, nous sommes en face d'une force politique,
00:42:36 non seulement considérable, mais pour le moment, encore en ascension.
00:42:41 Donc la question qui se pose pour nous,
00:42:43 c'est moins de la nommer que de voir ce qu'il en est.
00:42:46 Et là commence la difficulté.
00:42:48 Par exemple, il y a tout un débat actuel sur,
00:42:51 est-ce que le Front National, le Rassemblement National,
00:42:55 fait partie de l'arc républicain ?
00:42:58 Alors, il faut rappeler, Jean-Yves Camus le disait entre les lignes,
00:43:03 il y a un instant que, par le passé, un certain nombre de groupes
00:43:08 d'extrême droite voulaient abattre la République
00:43:11 ou en tout cas n'en reconnaissaient pas les rouages.
00:43:14 Regardez même le Poujadisme, ce mouvement des années 50,
00:43:19 qui n'était pas révolutionnaire, mais était anti-parlementaire,
00:43:23 c'est-à-dire remettait en cause les rouages de nos institutions.
00:43:27 Là, force est de constater qu'on ne peut pas attaquer
00:43:31 le Rassemblement National sur ce registre-là.
00:43:34 - Et pourtant, longtemps, et peut-être encore aujourd'hui,
00:43:37 la droite se qualifiait elle-même de droite républicaine
00:43:40 pour faire la différence avec ce qu'elle considérait
00:43:42 comme une droite non républicaine, qui était le Front National à l'époque.
00:43:47 - Tout à fait, parce que vous savez, les sensibilités politiques
00:43:51 se déterminent par rapport aux enjeux, au sens propre du terme,
00:43:54 c'est-à-dire ce qui est en jeu à un moment donné.
00:43:57 Et ces enjeux constituent des logiciels
00:44:01 et longtemps, Jean-Yves Camus le disait,
00:44:03 on a jugé cette force montante avec le logiciel d'avant.
00:44:08 Moi-même, vous avez la gentillesse de faire allusion à l'histoire des droites,
00:44:11 elle date de 1990. On avait tenu, l'éditeur et moi-même,
00:44:15 à faire un gros chapitre sur ce qu'il s'appelait à l'époque le Front National.
00:44:20 Mais un certain nombre de collègues avaient dit
00:44:21 "mais pourquoi ? C'est leur donner beaucoup trop d'importance.
00:44:24 Nous sommes en 1990 et pourtant déjà,
00:44:27 Le Pen a fait 15% aux élections de 1988".
00:44:30 Donc vous voyez que très souvent, le logiciel,
00:44:32 y compris le logiciel des universitaires,
00:44:35 met du temps, prend du temps pour se remettre à jour.
00:44:40 Là, nous sommes en face de cette force,
00:44:41 il faut vraiment se donner les moyens intellectuels de l'analyser.
00:44:46 - Barbara Stigler, à votre avis,
00:44:50 il est logique que la France insoumise ne soit pas classée d'extrême gauche
00:44:54 et il est logique que le Rassemblement national soit classé d'extrême droite ?
00:44:59 - Double question.
00:45:01 - Je vous pose la question de l'NFI parce que je le disais tout à l'heure,
00:45:04 vous avez soutenu Jean-Luc Mélenchon à la dernière élection présidentielle.
00:45:07 - Oui, oui. Alors pour ce qui est de la question du Rassemblement national,
00:45:12 est-il d'extrême droite ?
00:45:14 Moi, j'ai les idées extrêmement claires sur cette question.
00:45:18 Je pense qu'il faut absolument, pour y répondre,
00:45:22 éviter de se laisser hésiter par deux choses qui sont,
00:45:25 un, les électeurs qui votent pour ce parti,
00:45:30 accidentellement ou régulièrement.
00:45:32 Il faut distinguer les électeurs et le parti lui-même, son programme, son idéologie.
00:45:37 Et d'autre part, il faut aussi distinguer,
00:45:41 enfin réfléchir à ce programme, à ce cœur idéologique,
00:45:45 sans se laisser parasiter par ce qui se passe dans tout le reste de la droite.
00:45:48 Donc ça suppose quand même de faire très attention
00:45:51 parce qu'on a une droite qui a changé, à côté de l'extrême droite,
00:45:57 et on a des nouveaux électeurs de ce qu'on appelait avant le Front national
00:46:00 qui n'ont plus rien à voir.
00:46:01 Maintenant, la meilleure manière de juger ce parti,
00:46:03 c'est de regarder ce qu'il affiche comme programme
00:46:06 et ce qu'il fait à l'Assemblée nationale.
00:46:08 Si on regarde ce qu'il affiche comme programme,
00:46:11 c'est l'essentiel de la matrice des partis d'extrême droite historiques
00:46:15 qui viennent de l'histoire.
00:46:15 Et je suis très contente qu'on ait rappelé ici que,
00:46:17 pour réfléchir, il faut quand même se pencher sur notre propre histoire,
00:46:21 en l'occurrence européenne.
00:46:23 C'est un parti qui dit très clairement que nos problèmes
00:46:26 viennent prioritairement, essentiellement, des étrangers.
00:46:30 Soit des étrangers installés ici depuis longtemps,
00:46:33 les immigrés, les enfants d'immigrés, etc.
00:46:35 Soit des migrants, des étrangers qui affluraient dans notre pays.
00:46:39 - Ils ne disent pas que tous les problèmes viennent de là.
00:46:41 - C'est quand même très globalement le cœur du programme.
00:46:45 C'est-à-dire qu'en réglant le problème de l'immigration,
00:46:47 qui devient le problème des migrants aujourd'hui, etc.
00:46:50 Et puis des banlieues, des racailles de banlieues, etc.
00:46:53 Notre société sera purifiée d'une sorte d'ennemi de l'intérieur.
00:46:57 Parce que c'est quand même le thème de l'ennemi de l'intérieur.
00:46:59 C'est-à-dire de quelque chose qui, à l'intérieur, pourrit notre pays.
00:47:03 Donc cette rhétorique-là, à laquelle évidemment je ne souscris pas,
00:47:06 c'est la rhétorique tout à fait classique de l'extrême droite.
00:47:09 Ce que Marine Le Pen a apporté de nouveau, avec aussi Philippot,
00:47:13 à l'époque où il était avec elle, c'est une dimension sociale.
00:47:16 C'est quasiment une critique du capitalisme.
00:47:18 Ce qui n'est pas très original dans l'histoire de l'extrême droite,
00:47:22 comme chacun sait.
00:47:24 Alors cette dimension sociale, on pourrait se dire
00:47:26 qu'il y a un vrai programme social, c'est un parti ouvrier, etc.
00:47:30 Quand on regarde comment vote le groupe Rassemblement national,
00:47:34 c'est systématiquement contre les mesures sociales qui sont proposées.
00:47:39 Et c'est toujours avec la droite classique,
00:47:40 donc pour des mesures qui sont plutôt en faveur des plus privilégiés.
00:47:44 Donc une fois qu'on a dit ça, il n'y a pas grand-chose de nouveau sous le soleil.
00:47:48 Ce qui s'est modifié, c'est que la droite classique s'est mise à courir derrière
00:47:54 le Front national qui est devenu un rassemblement national,
00:47:57 s'est mise à reprendre la droite classique, et je l'en veux énormément,
00:48:00 s'est mise à reprendre la rhétorique de la famille Le Pen, père puis fille,
00:48:05 et effectivement c'est la droite classique qui a banalisé l'extrême droite.
00:48:09 Ce n'est pas Marine Le Pen qui a réussi cette opération extraordinaire toute seule.
00:48:12 Donc pour moi c'est ça le problème, c'est la droite classique.
00:48:16 Et même, j'irai même plus loin, ce qu'on appelle dans certains milieux l'extrême centre,
00:48:20 c'est-à-dire la Macronie qui s'est posée comme centre et qui en fait est à droite,
00:48:25 contribue à absolument banaliser l'extrême droite en reprenant toute sa rhétorique.
00:48:30 Rappelez-vous, tout le monde se souvient, quand le même ministre
00:48:34 qui classe le Rassemblement national à l'extrême droite, si j'ai bien compris...
00:48:38 Vous parlez de Gérald Darmanin ?
00:48:40 Oui !
00:48:40 Non, Gérald Darmanin, lui, il n'est pour rien.
00:48:41 Lui, Gérald Darmanin, quand il parle de LFI, il dit l'extrême gauche.
00:48:44 Alors que le ministère, lui, ne le classe pas à l'extrême gauche.
00:48:48 En fait, c'est les préfectures, c'est une routine.
00:48:52 Mais lui, bon, ça lui va très bien, sauf que, je ne pense pas qu'il se soit effrayé
00:48:57 qu'on ait classé Marine Le Pen à l'extrême droite en tant que ministre de l'Intérieur,
00:49:00 sauf que le même ministre, il a quand même considéré qu'elle était trop molle.
00:49:04 Donc avec une rhétorique...
00:49:07 Et LFI, c'est d'extrême gauche pour vous ou pas ?
00:49:10 Non, pas du tout.
00:49:11 Moi, personnellement, je soutiens la France insoumise.
00:49:14 J'étais au Parlement.
00:49:15 Je ne me considère absolument pas comme quelqu'un d'extrême gauche.
00:49:18 Je respecte certaines composantes de l'extrême gauche,
00:49:21 je peux tout à fait fonctionner avec eux, discuter avec eux,
00:49:23 mais ce n'est absolument pas ma culture politique.
00:49:25 Et ce n'est pas plus celle de la France insoumise.
00:49:28 L'extrême gauche, si vous voulez, un parti d'extrême gauche, c'est le NPA, par exemple.
00:49:32 Pourquoi ? Quelle différence ?
00:49:34 Ah ben, ça ne vient pas du tout de la même histoire.
00:49:36 La France insoumise vient du parti socialiste.
00:49:38 On va bien les choses.
00:49:40 Elle vient du parti socialiste français, de manière...
00:49:43 Jean-Luc Mélenchon était ministre.
00:49:44 Jean-Luc Mélenchon était un ministre socialiste.
00:49:47 Et si vous voulez savoir sa matrice idéologique, c'est Jean Jaurès.
00:49:51 Donc une critique du capitalisme, bien sûr,
00:49:54 mais qui est vraiment dans le...
00:49:56 Enfin, des avenues Jean Jaurès et des rues Jean Jaurès, il y en a partout en France.
00:49:59 C'est vraiment le socialisme républicain, ce qu'il y a de plus classique.
00:50:03 Sauf qu'aujourd'hui, vu que tout le monde part vers l'extrême droite,
00:50:07 eh bien, je fais souvent le schéma à mes amis qui ne connaissent pas bien l'histoire politique.
00:50:11 Comme tout le monde...
00:50:12 Alors du coup, ceux qui étaient à gauche socialiste, critiques anticapitalistes, etc.
00:50:17 et qui voulaient qu'il y ait une révolution démocratique, etc.
00:50:19 la grande révolution française, se retrouvent à l'extrême gauche.
00:50:22 Mais enfin, c'est ahurissant.
00:50:23 C'est-à-dire que...
00:50:25 Je veux dire, Jean-Luc Mélenchon ne prône pas l'expropriation des moyens de production.
00:50:30 Ce n'est pas un communiste.
00:50:32 Il a une critique marxiste du capitalisme, comme tous les socialistes sérieux.
00:50:36 Mais il n'est pas communiste.
00:50:37 Pas plus qu'il n'est d'extrême gauche ou gauchiste.
00:50:40 Au fond, la limite, ce serait d'extrême quand on serait révolutionnaire.
00:50:46 En réalité...
00:50:46 C'est plus compliqué que ça.
00:50:48 En tout cas, à gauche.
00:50:50 À gauche, ce seraient les révolutionnaires qui seraient d'extrême gauche.
00:50:55 Mais à droite, vous l'avez dit, la droite révolutionnaire, ce n'est pas le Rassemblement National.
00:51:01 Je ne suis pas d'accord.
00:51:01 Eliott Plamann.
00:51:02 Je pense que plus largement, il faut distinguer tout de même ce qui est extrêmement dérangeant
00:51:06 de ce qui est d'extrême gauche ou d'extrême droite.
00:51:08 Je suis d'accord avec vous sur un point.
00:51:09 Jean-Luc Mélenchon n'est pas d'extrême gauche.
00:51:10 Il ne remet pas en question la notion de propriété de ce fait.
00:51:14 Et par ailleurs, il a un rapport à la religion, notamment musulmane,
00:51:16 qui l'empêche d'être catégorisé à l'extrême gauche au sens historique et idéologique.
00:51:20 De ce fait, il n'est pas d'extrême gauche.
00:51:21 Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur la question du Rassemblement National.
00:51:24 Je disais tout à l'heure qu'à mon avis, le RN avait eu tort de poser la question au Conseil d'État
00:51:28 parce que cela a fait transposer la question sur un terrain judiciaire.
00:51:32 Néanmoins, je pense qu'il faut faire attention à ce qu'Alain Finkielkraut qualifie l'orgie analogique.
00:51:38 Je crois que le discours du Rassemblement National a parfaitement changé,
00:51:41 que le parti avait accompli son argumento et que sur un certain nombre de problématiques,
00:51:45 il n'a absolument plus, il ne correspond absolument plus à un logiciel d'extrême droite.
00:51:49 C'est vrai qu'il remet en cause fortement l'immigration
00:51:52 et qu'il a un discours offensif sur le sujet.
00:51:55 Néanmoins, il n'a pas une approche ethno-différentialiste de l'immigration.
00:51:59 D'ailleurs, il y a eu des membres du parti au cours de l'histoire du Front puis du RN
00:52:04 qui ont appartenu à l'extrême droite au sens historique et idéologique
00:52:08 et qui ont été soigneusement remerciés.
00:52:10 Je pense notamment à tous ceux qui ont rejoint Jean-Yves Le Gallou lorsqu'il a formé le Club de l'Horloge,
00:52:14 qui étaient assurément des gens d'extrême droite ethno-différentialistes et qui confondaient,
00:52:20 c'est un marqueur classique de l'extrême droite,
00:52:22 qui confondait l'adversaire politique avec l'ennemi biologique.
00:52:25 Ces gens-là ne sont plus au Rassemblement national.
00:52:27 Marine Le Pen, même les méprises, parce qu'elles sont logicielles,
00:52:30 diffèrent en tout de celui de l'extrême droite au sens classique.
00:52:33 Alors maintenant, on peut dire que d'un point de vue purement horizontal,
00:52:36 en effet, le RN fait partie des partis qui sont le plus à droite sur l'échiquier politique national français.
00:52:42 Je considère que d'un point de vue historique, il y a eu une rupture totale.
00:52:46 Jean-Yves Le Gallou ?
00:52:47 Non.
00:52:48 Non, vraiment pas.
00:52:50 Nous ne sommes pas tout à fait de la même génération.
00:52:55 Sur la question de la mutation du RN, on peut, je pense, trouver un moyen de terme
00:53:01 entre le fait de dire « rien n'a changé » et le fait de dire « il y a un agiornamento, ça n'est plus la même formation ».
00:53:08 Il y a un agiornamento pour une raison très simple.
00:53:11 Marine Le Pen souhaite accéder au pouvoir.
00:53:14 Les cadres qui composent le parti aussi, ils se sont aperçus de manière assez intelligente,
00:53:20 mais il était quand même assez évident que c'était comme ça,
00:53:24 que les outrances de Jean-Marie Le Pen entre la fondation du parti en 1972 et la présidentielle de 2002
00:53:33 avaient tout simplement interdit à ce parti de devenir un partenaire de coalition
00:53:38 pour ce qui s'appelle la droite de gouvernement, la droite parlementaire.
00:53:43 – Celle qui s'appelait la droite républicaine, justement, en laissant entendre que les autres ne l'étaient pas.
00:53:48 – Il y a beaucoup de prévenances contre ce terme, parce que vous savez, dans l'histoire de France,
00:53:50 la République est une notion éminemment plastique.
00:53:53 Vous avez la République du maréchal de MacMahon, vous avez la République de Jean Jaurès,
00:53:57 vous avez la République d'André Tardieu, vous avez même la République qui fait voter avec un pouvoir au maréchal Pétain.
00:54:02 Bon, ça, c'est quand même des nuances de République.
00:54:05 Pour en revenir au sujet, Marine Le Pen s'est donc aperçue qu'il y avait nécessité
00:54:11 de bouger du curseur idéologique et qu'en plus, non seulement il fallait sortir de cette cornerisation du parti,
00:54:19 malgré le nombre de voix qu'il recueillait à l'élection reine, à l'élection présidentielle,
00:54:23 mais encore que les électeurs changeaient.
00:54:26 C'est-à-dire qu'on ne pouvait pas parler de la même manière en 2011 et en 2023 aux électeurs,
00:54:33 par exemple aux jeunes électeurs de la classe des 18-24 ans qui, aujourd'hui,
00:54:37 votent de manière assez consistante pour le Rassemblement national
00:54:42 et à des gens de la génération de Jean-Marie Le Pen qui avaient connu la Seconde Guerre mondiale et la guerre d'Algérie.
00:54:47 Vous ne pouvez pas leur donner le même message, même sur des sujets sociétaux extrêmement importants comme le mariage pour tous.
00:54:54 Il y avait au sein du Front national de l'époque des gens qui étaient absolument, principiellement opposés.
00:55:03 Mais il y en avait d'autres qui, eux, constataient tout simplement que si le parti descendait dans la rue,
00:55:09 comme l'a fait Marion Maréchal, par exemple, et s'affichait aux côtés des manifestants,
00:55:15 il allait se couper d'une bonne partie de ses électeurs potentiels pour qui ce n'était pas un sujet.
00:55:21 – Mais au fond, vous ne dites que le Rassemblement national a évolué avec le temps, avec l'époque,
00:55:27 exactement comme tous les partis politiques ont évolué.
00:55:30 Parce que le parti socialiste ne nous dit plus du tout ce qu'il nous disait il y a 30 ou 40 ans.
00:55:34 – Évidemment, et ça a été souligné, la droite, on va dire parlementaire, ne dit plus non plus la même chose que dans les années...
00:55:40 – Et les partis communistes n'en parlent pas ?
00:55:42 – À moins d'être évidemment une secte politique d'un bord ou d'un autre, votre discours ne peut pas être invariant.
00:55:49 Je sais bien qu'il y a eu une petite revue bordillisse, les années 70-80, qui s'appelait "Invariance".
00:55:54 En règle générale, on essaye quand même de s'adapter, si vous voulez, aux attentes des électeurs.
00:56:00 Et le Rassemblement national, de ce point de vue-là, a d'assez bons capteurs, je trouve, des évolutions de l'opinion.
00:56:07 Et évite de se corneriser de nouveau.
00:56:10 Et ça, c'est quelque chose d'absolument fondamental, l'envie d'arriver au pouvoir.
00:56:15 Envie dans laquelle il existe une part de revanche sur l'histoire,
00:56:20 sur toutes les faillites de la droite nationale dans la période d'après 1945.
00:56:25 Elle est là. Elle est là.
00:56:27 Et on est aujourd'hui dans cette situation où, honnêtement, il y a cinq ans,
00:56:30 vous m'auriez posé la question "est-il possible que Marine Le Pen soit élue présidente de la République ?"
00:56:33 Je vous aurais certainement répondu non.
00:56:35 Aujourd'hui, je ne dis pas comme certains que c'est à peu près inévitable.
00:56:38 Je dis que l'hypothèse est envisageable qu'elle soit élue.
00:56:43 Et ça, c'est une révolution quand même assez importante.
00:56:47 Maintenant, il ne faut pas non plus se fixer sur les étiquettes, si vous voulez.
00:56:50 Il faut regarder aussi ce que les gens proposent,
00:56:52 ce que les partis proposent dans leur programme,
00:56:54 et effectivement la manière dont ils votent.
00:56:57 Après, une fois qu'on a dit tout ça, il reste quand même une grande inconnue
00:57:01 dont Mme Méleny est, j'allais dire, la preuve vivante.
00:57:06 C'est le gap qui existe entre ce que vous déclarez vouloir faire, en toute bonne foi,
00:57:11 et puis la confrontation avec le réel qui vous amène,
00:57:15 Mme Méleny l'a dit il y a quelques jours,
00:57:17 à ne pas pouvoir faire tout ce que vous avez dit aux électeurs que vous feriez.
00:57:22 Jean-François Tchernély ?
00:57:23 Il y a un mot qui est apparu dans la bouche de Jean-Yves Camus qui est essentiel,
00:57:26 c'est le mot « génération ».
00:57:28 Ne jamais oublier aussi qu'une sensibilité politique,
00:57:31 et a fortiori un rassemblement politique, est un empilement de génération.
00:57:35 Et donc les attentes, mais aussi tout simplement la culture politique
00:57:40 de ces gens qui pourtant votent la même chose, n'est pas la même.
00:57:43 Du coup, pour revenir sur la question de la France insoumise,
00:57:48 c'est la même chose, il y a une diversité, il y a une nébuleuse.
00:57:51 Et je souscris à l'analyse selon laquelle effectivement beaucoup viennent du PS,
00:57:55 et comme il n'y a pas d'aspiration à la révolution,
00:57:59 le placement à l'extrême gauche est peut-être en partie induit.
00:58:03 Reste qu'en même temps, le rapport par exemple à un certain nombre de valeurs républicaines
00:58:07 comme la laïcité, ou en tout cas, je soumets ça au débat,
00:58:11 qui ne semble plus être au cœur d'un certain nombre des membres de la France insoumise,
00:58:16 fait que je m'interroge effectivement sur ce rapport,
00:58:19 non pas à un problème de topologie en quelque sorte dans l'hémicycle,
00:58:24 mais sur le rapport au bagage républicain, en tout cas sur la laïcité.
00:58:29 C'est une question que je me pose en tout cas.
00:58:31 – Eliott Mamann ?
00:58:32 – Oui, vous disiez tout à l'heure, Jean-Yves Camus,
00:58:33 qu'il ne fallait pas se focaliser sur les questions d'étiquettes,
00:58:35 et néanmoins je constate tout de même que certaines étiquettes
00:58:37 ont plus de poids que d'autres.
00:58:39 Et typiquement, l'étiquette d'extrême droite a un poids moral et historique
00:58:42 qui n'est absolument pas le même que l'intégralité des autres étiquettes
00:58:46 que l'on peut entendre dans le débat public,
00:58:47 et en l'occurrence, je crois que dans la volonté de perpétuellement
00:58:50 renvoyer le Rassemblement National à l'extrême droite,
00:58:51 il y a tout de même une forme de biais dans le débat médiatique
00:58:54 que l'on instaure de fait.
00:58:56 Et par ailleurs, je crois tout de même que le Rassemblement National
00:59:00 n'a pas opéré sa muque par pure stratégie électorale,
00:59:03 il n'a pas simplement suivi son électorat.
00:59:04 – Il n'y a pas de stratégie ?
00:59:06 – Non, mais vous avez insisté sur le fait qu'il avait constaté
00:59:08 que son électorat avait changé, et que notamment sur la question
00:59:10 du mariage pour tous, une partie de son électorat n'aurait pas compris
00:59:15 qu'il descend dans la rue.
00:59:16 En effet, mais par ailleurs, simplement, les personnes qui constituent
00:59:20 le Rassemblement National et notamment le Bureau National du RN
00:59:22 ne sont absolument pas partisans de la manif pour tous.
00:59:27 Et je remarque que l'on ne parvient pas à accepter
00:59:30 qu'il y ait eu un changement idéologique au sein du Rassemblement National.
00:59:34 Mais la recomposition du RN, et vous parliez tout à l'heure,
00:59:37 Barbara Stiegler, de l'importance des décisions qui sont prises
00:59:40 à l'Assemblée Nationale, au cours de ces niches parlementaires,
00:59:43 le RN a mis en avant deux sujets, l'endométriose
00:59:45 et la constitutionnalisation de l'IVG.
00:59:47 Alors on peut éventuellement y voir une volonté stratégique, etc.
00:59:50 En même temps, on est en démocratie représentative,
00:59:52 mais dès que vous contestez, certes, mais en démocratie représentative,
00:59:55 de fait, on ne sait pas exactement ce que pensent les personnes
00:59:58 qui prétendent à une élection, ils sont là pour se faire élire.
01:00:01 Donc je crois qu'il est inutile de disserter sur l'honnêteté
01:00:04 des propositions et simplement de remarquer qu'à l'heure actuelle,
01:00:06 tant au vu de la reconfiguration totale de l'organigramme du RN
01:00:11 que du propos qui est tenu par ce parti-là,
01:00:14 le RN n'appartient plus à l'extrême droite.
01:00:17 - Alors réponse de l'un comme de l'autre,
01:00:19 Barbara Stiegler d'abord et Jean-Yves Camus.
01:00:21 - Je vous réponds très rapidement sur les questions de genre, de sexe, etc.
01:00:25 Marine Le Pen a développé une certaine idiosyncrasie, je vous l'accorde,
01:00:28 mais ce n'est pas le cœur de sa problématique
01:00:31 et de la problématique de son parti.
01:00:33 Et si j'ai parlé de ce que votait le groupe parlementaire
01:00:36 Rassemblement National à l'Assemblée Nationale,
01:00:38 c'est pour parler de la politique sociale du RN,
01:00:40 qui est une politique sociale purement fictive puisqu'elle est affichée comme telle,
01:00:44 mais en réalité elle ne se constate jamais dans les votes.
01:00:46 Au contraire, on vote systématiquement de ce côté-là.
01:00:49 Et si vous voulez pour la question de la révolution et de la laïcité,
01:00:53 je répondrai après peut-être.
01:00:54 - Jean-Yves Camus.
01:00:55 - Je vous répondrai simplement, vous êtes beaucoup plus durs
01:00:57 vis-à-vis de ce que je viens de dire que la plupart des cadres
01:00:59 du Rassemblement National que je peux rencontrer
01:01:01 et qui me disent régulièrement "vous êtes quand même à des rares,
01:01:03 pas systématiquement nous amener à la case extrême droite".
01:01:06 Voilà.
01:01:07 - Oui, je vous le réponds.
01:01:08 - Non mais ce qu'il a eu l'air de vous reprocher,
01:01:09 c'est que vous aviez l'air de dire que c'était de l'opportunisme,
01:01:11 alors que lui a l'air de penser que c'est sincère.
01:01:13 - Moi je ne sors pas les reins et les cœurs,
01:01:15 je dis simplement que dans toutes les formations politiques,
01:01:18 il y a de toute manière, ne soyons pas angéliques,
01:01:20 il y a une part d'opportunisme et de captation des attentes de l'électorat.
01:01:25 Ensuite, que Marine Le Pen ne pense pas comme Jean-Marie Le Pen,
01:01:28 je vous l'accorde très volontiers.
01:01:29 Il y a tout simplement, là aussi, un fossé générationnel.
01:01:33 La Seconde Guerre mondiale n'intéresse pas Marine Le Pen,
01:01:36 la guerre d'Algérie non plus.
01:01:38 La raison est simple, c'est sa date de naissance.
01:01:42 Tout simplement.
01:01:43 Donc on ne peut pas la réduire à son hérédité,
01:01:45 on ne peut même pas la réduire au fait qu'elle ait vu défiler chez elle,
01:01:48 sans doute, dans les dîners du soir,
01:01:50 des personnalités qui avaient connu ces périodes-là.
01:01:54 Ce n'est pas son univers mental.
01:01:56 Son univers mental est celui de quelqu'un qui est né en 1968
01:02:01 et qui a fréquenté, c'est important, l'école publique
01:02:04 et qui par ailleurs a une curiosité intellectuelle,
01:02:09 là où son père était attaché à un certain nombre de pans du passé
01:02:15 qui ont véritablement forgé sa personnalité.
01:02:16 Il ne venait pas non plus du même milieu.
01:02:18 Il n'était pas marqué par les mêmes expériences personnelles.
01:02:21 Donc non, ce n'est pas uniquement de l'opportunisme, bien évidemment.
01:02:25 Mais ensuite, il faut quand même bien rappeler qu'il y a un marqueur
01:02:31 et que ce marqueur principal, il s'intitule préférence nationale,
01:02:36 priorité nationale.
01:02:38 - Jean-François Sianelli ?
01:02:39 - Oui, absolument, tout à l'heure, Jean-Yves.
01:02:42 - Mais pardonnez-moi, juste pour la préférence nationale,
01:02:44 c'est inscrit dans la Constitution, la préférence nationale,
01:02:47 ça s'appelle la citoyenneté.
01:02:49 Être un citoyen français, on a des avantages que n'ont pas les étrangers.
01:02:54 - Si vous voulez postuler pour un emploi,
01:02:56 que vous soyez un citoyen français ou que vous soyez un citoyen étranger
01:03:01 en situation légale, c'est sur la base de votre compétence que vous avez l'emploi.
01:03:06 - Sauf dans la fonction publique.
01:03:08 - Sauf dans la fonction publique, avec un certain nombre d'amniations,
01:03:12 notamment dans le monde universitaire.
01:03:15 Mais il y a quand même ce marqueur et il existe.
01:03:18 On ne peut pas dire que la citoyenneté,
01:03:20 c'est la différence entre le français et l'étranger.
01:03:22 Il y a des droits qui sont spécifiquement attachés,
01:03:25 effectivement, au fait d'être français,
01:03:27 notamment pour la question du vote.
01:03:31 Mais je veux dire, la priorité nationale, c'est de dire,
01:03:35 si vous voulez postuler pour un logement social, par exemple,
01:03:39 vous allez, en raison de votre nationalité
01:03:43 et abstraction faite de votre niveau de revenu, passer après.
01:03:48 - D'accord.
01:03:49 - Juste en deux secondes, le fameux IRA de Joe Biden
01:03:51 relève précisément de la préférence nationale
01:03:53 et pourtant, on ne fait pas de débat.
01:03:55 Intitulé Joe Biden, est-il d'extrême droite ?
01:03:57 Et c'est bien pour cela, je ne reprocherai absolument rien
01:03:59 au fond de votre propos, je ne me serais jamais permis cela,
01:04:01 je ne voudrais rien dire, mais je rebondissais sur votre formule.
01:04:04 Ne nous attardons pas sur les étiquettes.
01:04:05 Oui, en l'occurrence, il y a des étiquettes
01:04:07 qui sont extrêmement significatives et qui ont beaucoup de poids.
01:04:09 - Alors, une phrase, parce qu'il nous reste 30 secondes.
01:04:11 Tout à l'heure, on disait que les historiens et les politistes,
01:04:14 au début, ont dit qu'il s'agit de national-populisme.
01:04:17 - Oui, il me semble que c'était une définition assez exacte.
01:04:20 Sauf que cette définition, après encore plus d'acuité en 2023,
01:04:25 parce que la question des frontières,
01:04:27 parce que la question, en somme toute, de l'immigration
01:04:29 et plus largement, le sort de l'État-nation
01:04:32 dans un monde globalisé, est devenu essentiel.
01:04:35 Et ça, c'est un booster, incontestablement,
01:04:38 pour ce courant national-populiste.
01:04:40 - Je vous remercie, Jean-Yves Camus,
01:04:42 Eliott Mamann, qui vous êtes libre.
01:04:46 nous on va s'intéresser...