Le vivre ensemble a-t-il déjà existé en France ? - Le livre de midi

  • l’année dernière
Avec Jean Garrigues, Président du Comité d'histoire parlementaire et politique, Auteur de “les Jours Heureux, Quand les Français rêvaient ensemble” (Payot, 2023)

---

Retrouvez nos podcasts et articles : https://www.sudradio.fr/
Nous suivre sur les réseaux sociaux
▪️ Facebook : https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel
▪️ Instagram : https://www.instagram.com/sudradioofficiel/
▪️ Twitter : https://twitter.com/SudRadio
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr
☀️ Et pour plus de vidéo du Grand Matin Sud Radio : https://youtube.com/playlist?list=PLaXVMKmPLMDRJgbMndsvDtzg5_BXFM7X_

##LE_LIVRE_DE_MIDI-2023-12-27##
Transcript
00:00 [Musique]
00:02 Sud Radio, mettez-vous d'accord, Philippe David.
00:06 Et pour conclure ce "Mettez-vous d'accord", le livre du jour,
00:10 Jean Garrigue, "Jours heureux quand les français rêvaient ensemble",
00:14 publié chez Payot Histoire. Jean Garrigue, bonjour.
00:18 On vous connaît bien sur Sud Radio, notamment dans "Les vraies voix", une excellente émission aussi.
00:22 - Ah, j'adore, j'adore. Je ne peux pas dire autre chose, j'adore.
00:25 - Et un excellent livre, alors "Jours heureux", ça fait du bien,
00:29 on va parler de ce concept de "Jours heureux".
00:31 En quatrième de couverture, vous posez la question,
00:34 sommes-nous un peuple éternellement réfractaire au bonheur ?
00:37 Comme disait Cocteau, les français sont des italiens de mauvaise humeur.
00:41 - Ah, écoutez, il y a de ça, parce que, surtout depuis quelques années,
00:45 on a l'impression que tout va mal, qu'on n'a aucun moyen d'être heureux ensemble,
00:50 que la société est totalement fracturée, la fameuse fracture française,
00:55 que plus rien ne fonctionne. Bon, alors, effectivement, nous traversons une crise.
01:01 Je pense d'ailleurs que c'est une crise fondamentale, parce que c'est un changement de société,
01:06 de paradigme de la société française. On entre dans une société du numérique, du robotique, etc.
01:13 Mais bref, on a l'impression que tout va mal, qu'on ne peut jamais espérer,
01:18 au moins espérer ensemble et faire la fête ensemble.
01:21 Moi, j'ai voulu montrer qu'à travers notre histoire, mais ce n'est pas du tout comme ça que ça s'est passé,
01:24 qu'à beaucoup de moments, et même les moments les plus tragiques,
01:27 on avait su trouver en nous ces ressources-là, et qu'on avait besoin de ça, surtout.
01:32 On avait besoin de se retrouver ensemble.
01:34 - Dans l'introduction, vous parliez des jours heureux.
01:36 N'est pas surprenant qu'Emmanuel Macron ait pensé à reprendre cette formule des jours heureux
01:40 au moment de la crise du Covid-19, sans doute la crise la plus grave que la France et le monde
01:44 aient traversée depuis la Libération.
01:46 Les jours heureux, c'est aussi repris par Fabien Roussel,
01:49 c'est le titre d'une chanson de Gérard Lenormand dans les années 70.
01:52 - Absolument. Et est-ce que ça veut dire encore quelque chose, les jours heureux ?
01:56 - Difficile. Moi, je pense que ça veut dire encore quelque chose pour beaucoup de gens,
02:00 parce que ce que nous disent souvent les sondages, c'est que les gens sont très pessimistes
02:05 sur leur avenir collectif, mais plutôt optimistes sur leur avenir individuel.
02:10 Ce qui manque, ce qu'ils ont du mal à ressentir, c'est justement comment faire des choses ensemble,
02:18 comment essayer finalement d'avancer dans nos sociétés, qui ont la chance au moins d'être démocratiques,
02:25 comment essayer de les transformer ensemble.
02:28 Et on a de plus en plus l'impression que tout est polarisé, radicalisé,
02:32 qu'on ne s'écoute plus les uns les autres.
02:35 Et c'est vrai que cette idée des jours heureux, qui je le rappelle,
02:38 était le titre originel du programme du Conseil National de la Résistance en 1944,
02:45 qui était donc un message à la fois d'unité, on se regroupe pour libérer la France,
02:50 mais aussi pour construire quelque chose de nouveau.
02:53 Et ça, c'est quelque chose qu'aujourd'hui, qu'on a quand même beaucoup perdu.
02:57 - Alors, on va voyager dans le temps, vous commencez avec le temps des révolutions.
03:01 Est-ce que les Français faisaient la fête avant 1789 ?
03:04 - Oh, ils ont fait la fête, bien sûr, mais ce qui m'a semblé vraiment presque étonnant
03:12 quand je décris cette fameuse fête de la Fédération du 14 juillet 1790,
03:17 bon, c'est pour commémorer la prise de la Bastille,
03:20 mais ça va beaucoup plus loin que ça, en fait.
03:22 C'est une sorte de réflexe collectif venu du plus profond des campagnes françaises
03:28 pour construire ce qu'on appelait la garde nationale,
03:31 c'est-à-dire au fond des citoyens qui avaient envie d'être ensemble, là encore,
03:35 d'être heureux ensemble.
03:37 Ces petites fêtes de fédération qui ont lieu dans toute la France à ce moment-là,
03:42 spontanément, vont finalement s'agréger et construire cette fête nationale
03:47 qui va avoir lieu au Champ de Mars, à Paris,
03:49 où des gens de toutes sortes, des petits, grands, pauvres, riches, ouvriers, aristocrates,
03:57 et même le roi qui est venu essayer, donner un petit coup de pelle pour creuser le Champ de Mars,
04:02 et se sont réunis tout simplement pour dire "on est ensemble, on prête serment à la nation,
04:07 à la loi aussi, ça c'est important, et au roi, parce qu'à l'époque c'était le roi,
04:11 bon, c'était encore le roi, mais cette idée-là de se mettre ensemble,
04:16 tous ensemble, pour construire quelque chose en commun, j'ai trouvé ça fantastique.
04:20 - La seconde, c'est deux ans plus tard, et vous l'appelez la première victoire de la République,
04:24 après la monarchie.
04:25 - Oui, parce qu'il se trouve que la bataille de Valmy...
04:28 - Absolument, au Moulin de Valmy.
04:29 - Au Moulin de Valmy, qui est une sorte de victoire en réalité,
04:32 il n'y a pas eu vraiment de bataille, c'est une canonade,
04:35 mais qui permet de faire reculer, qui permet que les Prussiens et les Autrichiens
04:40 rebrouchent chemin, y marcher sur Paris.
04:42 Cette semi-victoire, elle a lieu le jour même où on proclame la République.
04:47 Et donc forcément, dans l'esprit des gens, c'est associé à cette proclamation de la République,
04:53 c'est une sorte de baptême de la République, par la victoire.
04:57 Donc quelque chose d'extrêmement positif, et là encore, après cette demi-victoire,
05:02 qui aurait pu finalement passer relativement de manière anonyme,
05:06 il y a des fêtes partout, on est heureux, on chante la Carmagnole,
05:12 on chante la Marseillaise, c'était quelque chose de fantastique en septembre 1792.
05:18 - Mais on faisait souvent quand même la fête de manière sanguinaire sous la Révolution,
05:21 notamment les tricoteuses au pied de la guillotine.
05:24 - Ça c'est encore autre chose, parce qu'effectivement, le problème,
05:27 c'est qu'après chacune de ces grandes fêtes, de ces grandes célébrations,
05:31 de ces grands moments en commun, il y a toujours ensuite une retombée.
05:35 Et on retrouve nos fameuses fractures françaises, la division des Français.
05:40 D'ailleurs, après le 14 juillet 1790, dont je parlais tout à l'heure,
05:45 un an plus tard, sur le Champ de Mars, on se bat, entre Français.
05:48 Entre d'un côté les ultras, ceux qui défendent le roi, etc.
05:53 Et donc très très vite, on se divise.
05:55 Et c'est pareil après Valmy, il va y avoir la terreur,
05:59 il va y avoir des Français qui en envoient d'autres à l'échafaud,
06:03 et à la guillotine surtout.
06:05 Donc c'est aussi une maladie française, ça, de se diviser, de se fracturer,
06:10 et de se faire la guerre, la guerre civile.
06:12 - Il y a quelque chose de fou, la Saint-Napoléon, en 1806,
06:16 par le décret du 19 février, qui décrète le 15 août,
06:19 il était né le 15 août 1769,
06:21 - Exactement. - Qui décrète ça.
06:23 Est-ce que c'est pas quelque part, quand on lit,
06:25 j'avais complètement oublié ce passage de l'histoire,
06:27 le culte de la personnalité 120 ans avant Staline ?
06:31 - Ah bah si, c'est une certitude, mais,
06:33 vous savez, le culte de la personnalité, d'abord c'était le principe même
06:38 de la monarchie d'ancien régime.
06:40 Le roi était d'essence divine.
06:42 Et puis, pendant la Révolution française,
06:44 comme, là encore, quelque chose de spontané,
06:47 se reconstitue une forme de culte,
06:50 alors très appuyé, très favorisé,
06:52 par Robespierre.
06:54 Le culte de ce qu'on appelle l'être suprême.
06:57 - Certains lui vouent encore un culte aujourd'hui, d'ailleurs.
06:59 - Certains lui vouent un culte, assez malsain d'ailleurs,
07:01 aujourd'hui, surtout par les temps qui courent.
07:03 Mais cette idée-là, elle était là, en germe, chez les Français.
07:08 Ils ont besoin, malgré tout, d'avoir une figure,
07:12 j'allais dire, presque de transcendance,
07:14 et là, en l'occurrence, c'était Napoléon Bonaparte,
07:16 parce qu'il avait gagné toutes ses batailles,
07:18 au Sterlitz, etc.
07:20 Et donc, voilà, il était l'homme qui incarnait
07:23 ce qu'il y avait finalement, à l'époque,
07:25 ce qu'on imaginait de mieux en France.
07:27 - Mais fêtaient-on les victoires de Napoléon ?
07:29 Il y a eu des victoires énormes au Sterlitz,
07:31 Iéna, Hélo, on ne va pas toutes les faire.
07:34 - A chaque fois, il y a des grandes fêtes,
07:37 des parades militaires,
07:39 mais des fêtes aussi où on banquette ensemble,
07:42 on danse ensemble, on chante ensemble.
07:44 A chaque fois, c'était des grandes fêtes.
07:46 Et la particularité de cette Saint-Napoléon,
07:49 c'est que Napoléon voulait se réconcilier avec l'Église,
07:52 à qui il avait quand même beaucoup forcé la main,
07:55 et donc, il a fait de cette fête une fête à la fois religieuse
07:58 et très politique, à sa gloire, tout simplement.
08:01 - Jean Garrigue, jours heureux,
08:03 quand les Français rêvaient ensemble,
08:04 publié chez Paillot Histoire, un livre passionnant.
08:07 Là, on a passé le Premier Empire,
08:09 c'est le temps des révolutions,
08:10 il y en a une autre qui vient, 1830,
08:12 on va en parler dans quelques instants.
08:13 Vous voulez poser vos questions à Jean Garrigue ?
08:15 Le 0826 300 300.
08:17 - Et un plaisir de recevoir Jean Garrigue,
08:31 pour "Jours heureux, quand les Français rêvaient ensemble",
08:33 chez Paillot Histoire.
08:34 On a parlé de la Révolution,
08:36 on a parlé de l'Empire.
08:37 En 1830, le précepteur du Duc d'Aumale disait,
08:40 c'est le moment de la Révolution de 1830,
08:42 les Trois Glorieuses,
08:43 le peuple paraissait enchanté d'avoir un roi,
08:46 et surtout de l'avoir fait lui-même.
08:48 Les Français fêtaient un roi, Louis-Philippe,
08:50 qui devenait roi des Français,
08:52 et par roi de France,
08:53 après avoir renversé Charles X.
08:55 Comment ça se fait ?
08:56 Est-ce que ce n'est pas quelque part
08:57 un point important de la psyché française ?
08:59 - Oui, parce que, en fait,
09:01 d'abord, ceux qui font la Révolution,
09:04 ces fameuses "Trois Journées Glorieuses",
09:06 27, 28, 29 juillet 1830,
09:08 ne savent pas ce qui va arriver.
09:10 Ce qu'ils veulent, c'est se débarrasser de Charles X,
09:12 parce que Charles X, en fait,
09:13 voulait remettre en France la monarchie d'Ancien Régime.
09:16 - C'était le frère de Louis XVI, vous le rappelez.
09:18 - Exactement.
09:19 - Comme Louis XVIII, qui était l'autre frère de Louis XVI.
09:21 - Exactement.
09:22 Et pour Charles X, finalement,
09:24 la France, ce qui s'était passé depuis 40 ans,
09:27 ça n'avait plus d'importance.
09:29 Donc les gens voulaient quand même avancer,
09:31 mais finalement, ils se sont retrouvés
09:33 avec le cousin du roi, Louis-Philippe,
09:35 duc d'Orléans,
09:36 bon, d'abord lieutenant général du royaume,
09:38 et puis qu'ils remettent sur le trône
09:40 sous le nom de Louis-Philippe Ier,
09:42 parce qu'il représentait ce principe
09:45 d'identité, d'incarnation,
09:47 dont on a toujours besoin, en réalité.
09:49 On a besoin de figures qui incarnent,
09:52 y compris la République aujourd'hui.
09:54 Et à l'époque, donc, ils ont trouvé
09:56 cette forme de compromis d'une monarchie
09:58 qui n'était plus une monarchie de droit divin,
10:01 qui était le roi des Français,
10:03 avec le drapeau tricolore,
10:05 et puis qui correspondait justement
10:07 à cette idée de progresser, d'aller en avant.
10:09 - Est-ce que le peuple a beaucoup fêté
10:11 les Trois Glorieuses ?
10:12 - Oui, oui, quand même, ça a été
10:14 beaucoup fêté à l'époque.
10:16 Il y avait un peu de deuil aussi,
10:18 parce qu'il y avait eu des morts,
10:20 mais il y a eu des fêtes,
10:22 il y a eu des grands rassemblements,
10:24 là encore, on a mangé, on a rigolé,
10:26 on a festoyé, on a dansé,
10:28 on a chanté la Marseillaise, oui,
10:30 ça a été fêté. Sauf que, très très vite,
10:32 un an plus tard, Louis-Philippe
10:35 a montré un peu des signes
10:37 d'autoritarisme, et ça s'est gâté.
10:40 - Et en 1848, on fait la fête de la Fraternité,
10:43 qui est le remake, c'est pas très français,
10:45 de la fête de la Fédération.
10:47 - Tout à fait, ah oui, 1848,
10:49 alors là, on passe en République,
10:51 on renverse Louis-Philippe parce qu'il n'a pas
10:53 été suffisamment réformateur,
10:55 il s'est un peu figé dans le conservatisme,
10:57 et puis on fait une nouvelle révolution,
10:59 et alors là, il y a quelque chose
11:01 de très intéressant, c'est de voir
11:03 à quel point, en 1848,
11:05 dans toutes ces fêtes qui explosent
11:07 vraiment à partir de février 1848,
11:10 partout en France, il y a...
11:12 - C'est le printemps des peuples, 1848, dans toute l'Europe.
11:14 - Toute l'Europe, qui veut se libérer
11:17 de la monarchie absolue, en fait,
11:19 et les prêtres qui sont là.
11:21 L'Église, une grande partie
11:23 des prêtres français qui viennent bénir
11:25 ce qu'on appelait les Arbres de la Liberté,
11:27 parés de tricolore,
11:29 avec des bonnets frigés en haut,
11:31 qui rappelaient la Révolution française,
11:33 la présence des prêtres qui faisaient que
11:35 l'Église, qui jouait un très grand rôle
11:38 dans la société du XIXe siècle,
11:40 était associée à cette fraternité.
11:43 - Vous qualifiez la Seconde République,
11:45 1848-1852,
11:47 de République de la Fraternité,
11:49 donc elle a été très courte, et elle se termine
11:51 par un coup d'État quatre ans plus tard,
11:52 ça a été un moment festif, la Seconde République ?
11:54 - Ah, ça a été au début
11:56 un moment festif, mais la fête a duré
11:58 très peu de temps. Alors, la fête,
12:00 ça a quand même permis, parce qu'à chaque fois,
12:02 il y a des avancées aussi. Cette fête-là,
12:04 elle permet qu'à partir du mois d'avril 1848,
12:07 les élections se fassent au suffrage universel.
12:10 Certes, uniquement masculin,
12:12 mais quand même, c'est l'invention du suffrage universel.
12:14 C'est quand même quelque chose de très important.
12:16 - Mais je crois qu'il est censitaire en plus, il fallait payer...
12:18 - Non, non, non, il n'est pas censitaire.
12:20 Ça, c'était sous Louis-Philippe que c'était censitaire.
12:22 Donc ça devient vraiment universel,
12:24 on passe de 250 000 électeurs
12:26 à plusieurs millions,
12:28 donc c'est quelque chose de très important.
12:30 - C'est vrai que le 2 décembre 1851,
12:33 nouveau coup d'État,
12:35 cette fois, c'est le neveu de Napoléon,
12:37 qui s'appelle Louis-Napoléon Bonaparte.
12:39 Mais, alors, lui,
12:41 il avait été élu président
12:43 en décembre 1848, président
12:45 de la Seconde République,
12:47 c'est notre premier président de la République,
12:49 mais ce président
12:51 va lui-même restaurer
12:53 ce qu'on appelle le Second Empire.
12:55 - Et justement, ce coup d'État du 2 décembre 1851,
12:57 il a été fini par les Français ?
12:59 - Alors, il a été fêté,
13:01 il faut le reconnaître, par une partie
13:03 des Français, mais
13:05 il a fait quand même là aussi beaucoup de victimes,
13:07 parce que notamment dans le sud-est de la France,
13:09 on s'est révolté contre
13:11 ce coup d'État, et il y a eu
13:13 donc une répression assez
13:15 sauvage,
13:17 mais il y a toute une partie des Français
13:19 qui très vite se sont reconnus
13:21 dans cette résurrection de l'Empire.
13:23 - Quand les Français rêvaient ensemble, est-ce que le Second Empire,
13:25 c'est pas le moment où Paris devient une fête,
13:27 notamment le French Cancon, les opérettes
13:29 d'Offenbach, etc. - Alors, exactement,
13:31 c'est que, on l'a un peu
13:33 oublié aujourd'hui, mais ça a été un moment
13:35 là aussi où
13:37 le projet, finalement, politique
13:39 de Napoléon III a séduit la majorité
13:41 des Français,
13:43 ils voyaient d'abord qu'ils avaient quelqu'un de fort
13:45 au sommet du pouvoir, qui était surtout
13:47 le neveu du grand, du grand
13:49 Napoléon Ier, c'était surtout ça,
13:51 sa gloire, et puis, une fête,
13:53 une France qui entre dans le,
13:55 j'allais dire, la modernité
13:57 du capitalisme,
13:59 qui s'enrichit, - La révolution industrielle, etc.
14:01 - La révolution industrielle, les chemins de fer,
14:03 les ports,
14:05 et Haussmann,
14:07 et l'haussmannisation de Paris, c'est-à-dire
14:09 un Paris totalement moderne,
14:11 qui sort du Moyen-Âge, donc il y a tout ça,
14:13 et une fête, alors, c'est vrai que la fête
14:15 c'était surtout dans les hautes sphères,
14:17 mais il y a un enthousiasme
14:19 collectif, très très fort,
14:21 quand Napoléon III inaugure en
14:23 1852 ce qu'on pourrait appeler les
14:25 tournées en province, il fait le tour
14:27 de la France, comme ça, et il est
14:29 acclamé partout où il passe.
14:31 - C'est une période festive, avec le French Cancan,
14:33 etc., mais qui va se terminer dans la tragédie,
14:35 le sang, Sedan, la commune de Paris,
14:37 le traité de Francfort avec la perte de l'Alsace-Moselle.
14:39 - Grosse,
14:41 grosse faute politique, et c'est plus que ça,
14:43 tragédie politique,
14:45 qu'on doit là, à une sorte
14:47 d'hubris de Napoléon III,
14:49 qui n'a pas vu à quel point
14:51 l'armée prussienne était beaucoup plus
14:53 forte que l'armée française,
14:55 s'amène au désastre de Sedan, où il est
14:57 fait prisonnier, et puis à la proclamation
14:59 de la Troisième République,
15:01 le 4 septembre 1870,
15:03 dans un contexte très difficile,
15:05 à ce moment-là, on ne fait pas encore la fête,
15:07 parce que la France est occupée
15:09 par les Allemands,
15:11 qui proclament l'Empire Allemand dans
15:13 la Galerie des Glaces du château de Versailles.
15:15 - 18 janvier 1871. - Exactement,
15:17 la France est humiliée, la France est
15:19 battue, etc., mais on va
15:21 arriver à reconstruire quelque chose
15:23 de nouveau. - Vous l'avez dit, ça
15:25 débouche sur la Troisième République, et Mac Mahon,
15:27 qui succède à Adolphe Pierre, qui a réprimé
15:29 très durement la Commune,
15:31 un Mac Mahon qui, selon vous,
15:33 sauve la République, qui serait revenu au pouvoir
15:35 sans Mac Mahon ?
15:37 - Alors, non, je ne dirais pas que c'est
15:39 Mac Mahon qui a sauvé la République.
15:41 La République,
15:43 elle s'est sauvée d'elle-même, parce qu'au contraire,
15:45 Mac Mahon, lui, voulait
15:47 au contraire, revenir à la
15:49 monarchie. C'était un monarchiste
15:51 qui avait été placé à la tête
15:53 de la République, qui était président de la République
15:55 à partir de 1873.
15:57 C'est une histoire compliquée, mais
15:59 non, mais disons que
16:01 Mac Mahon, au moins, il a prolongé
16:03 la République jusqu'au
16:05 moment où les vrais républicains
16:07 sont arrivés au pouvoir,
16:09 et là, c'est l'élection de Jules Grévy
16:11 et surtout d'un homme qui va
16:13 prendre véritablement le pouvoir, qui s'appelle
16:15 Léon Gambetta. - Absolument.
16:17 Natif de Cahors, on salue nos auditeurs du Sud-Ouest.
16:19 C'est en 1880
16:21 que le 14 juillet est décrété fête nationale.
16:23 Comment est-ce que ça s'est passé ?
16:25 - Alors, ça s'est passé pas si
16:27 facilement que ça, parce qu'il fallait
16:29 retrouver une fête nationale pour
16:31 la République, la troisième République.
16:33 Évidemment,
16:35 on a pensé au 14 juillet,
16:37 parce qu'il y avait eu justement ce précédent,
16:39 le 14 juillet 1790.
16:41 Et alors, toute la question, c'est
16:43 de savoir ce qu'on célébrait. Est-ce qu'on célèbre
16:45 la prise de la Bastille, qui a fait
16:47 des morts, qui est un événement violent,
16:49 ou est-ce qu'on célèbre plutôt la fête de
16:51 la Fédération, qui est un événement positif
16:53 où tout le monde se rassemble ? Et c'est ça qui a été
16:55 choisi, et c'est drôle de voir, par exemple,
16:57 que c'est un sénateur, mais qui était
16:59 aussi historien, qui s'appelait Henri Martin,
17:01 qui a imposé cette idée.
17:03 On va fêter quelque chose de positif
17:05 le 14 juillet, c'est le rassemblement
17:07 de tous les Français, et ça c'est très
17:09 important, parce que c'est resté
17:11 jusqu'à aujourd'hui. - 1889,
17:13 centenaire de la Révolution,
17:15 l'exposition universelle, c'est le
17:17 triomphe de la République, avec beaucoup de symboles,
17:19 notamment la tour Eiffel, construite
17:21 en acier lorrain,
17:23 pour montrer que toute la Lorraine n'a pas
17:25 été cédée à l'Allemagne. - Exactement,
17:27 et en deux ans, personne
17:29 ne croyait que Gustave Eiffel
17:31 et ses équipes allaient réaliser ce prodige.
17:33 - Je crois que c'est le centenaire de sa mort dans les jours qui
17:35 viennent. - Exactement,
17:37 et je ferai d'ailleurs une émission
17:39 je ne sais plus où pour en parler,
17:41 mais c'est véritablement
17:43 ce qui se passe en 1889,
17:45 pour célébrer le
17:47 centenaire de la Révolution française,
17:49 ce sont des fêtes à répétition. Chaque
17:51 étape, le 5 mai pour
17:53 célébrer l'ouverture des Etats généraux,
17:55 le 14 juillet évidemment,
17:57 fête nationale,
17:59 au mois de septembre, pour fêter la
18:01 République, où il y a un immense
18:03 spectacle qui est donné,
18:05 qui s'appelle "Le triomphe de la République", écrit
18:07 par une femme d'ailleurs, qui s'appelait
18:09 Augusta Holmès, et on a
18:11 tout au long de l'année, alors là
18:13 on chante, on danse, et on visite
18:15 l'exposition universelle, avec
18:17 le clou de l'exposition, cette tour Eiffel,
18:19 qui à l'époque était quelque chose de
18:21 - Prodigieux ! - Complètement prodigieux !
18:23 - Et qui devait être démontée d'ailleurs, et qui devait être le succès
18:25 - Et qu'on a laissé comme ça !
18:27 - Qui est encore bien en place !
18:29 1918, la fin du conflit le plus
18:31 meurtrier de l'histoire de France,
18:33 1 390 000 et quelques
18:35 morts militaires, 300 000
18:37 morts civiles, et la France est
18:39 en liesse, on fait même des chansons humoristiques
18:41 à l'époque, je pense à une chanson
18:43 qui s'appelait "Qui a gagné la guerre ?
18:45 Le poilu, le soldat français", où c'était
18:47 une chanson très drôle, mais sur
18:49 près de 2 millions de tombes. - Bah oui, c'est
18:51 là il y a un traumatisme
18:53 mais incroyable !
18:55 Le grand traumatisme
18:57 de notre histoire contemporaine en tout cas ! - On est bien d'accord
18:59 que c'est le notre grand traumatisme ! - Ah oui !
19:01 Oui, c'est une horrible boucherie,
19:03 il n'y avait pas une famille qui n'avait pas
19:05 un frère, un fils, un cousin,
19:07 soit mort, soit estropié,
19:09 soit gueule cassée, comme on disait à l'époque,
19:11 des choses terribles,
19:13 orphelins, et
19:15 malgré ça, il y a un tel
19:17 soulagement
19:19 après le
19:21 11 novembre 1918,
19:23 et que les fêtes vont se succéder
19:25 surtout lorsqu'on va aller libérer
19:27 Strasbourg, Metz, l'Alsace et la Lorraine,
19:29 c'est fantastique ! - Et ça, si vous en parlez
19:31 justement, on apprend des choses incroyables
19:33 dans cet excellent livre, à Strasbourg,
19:35 Poincaré et Clémenceau,
19:37 qui n'auraient pas passé leurs vacances ensemble,
19:39 pour citer un ancien commentateur
19:41 de football, je sais que vous êtes fan de foot,
19:43 Poincaré, qui était Lorrain,
19:45 faut-il le rappeler, visite la
19:47 cathédrale, le temple et la synagogue de
19:49 Strasbourg le jour où l'armée française rentre
19:51 dans Strasbourg, comment expliquez-vous
19:53 ça, 13 ans après la loi de séparation
19:55 des églises et de l'Etat ? - Parce que
19:57 c'était le signe de la réconciliation,
19:59 de la liberté retrouvée
20:01 pour tous, parce que
20:03 les églises, pendant la guerre de 1914,
20:05 ont joué le jeu du
20:07 Rassemblement National, ce qu'on appelait l'union sacrée
20:09 des partis politiques, les églises
20:11 ont joué un très grand rôle là-dedans,
20:13 et on ne voulait laisser de côté aucune
20:15 communauté, notamment
20:17 il y avait des très fortes communautés juives,
20:19 en Alsace par exemple, et donc
20:21 tout le monde s'est retrouvé dans cette
20:23 ferveur, et puis alors ensuite il y a eu
20:25 le 14 juillet 1919, le
20:27 défilé de la victoire,
20:29 où là, on a fait défiler toutes les
20:31 armées alliées, tous les peuples qui avaient
20:33 aidé la France à
20:35 gagner la guerre, ça a été là aussi
20:37 quelque chose de fantastique, et j'adore
20:39 raconter ces moments de joie.
20:41 - Et c'est extraordinairement bien raconté, à Colmar
20:43 on chante "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine",
20:45 un chant emblématique de 1871
20:47 qui a été le premier disque à se vendre
20:49 à plus de 100 000 exemplaires de l'histoire,
20:51 est-ce que toute la France est en liesse,
20:53 malgré la tragédie, vous l'avez dit, des familles qui ont perdu
20:55 4-5 fils ? - C'est un mélange,
20:57 parce qu'effectivement, il y a aussi la
20:59 douleur, le deuil,
21:01 je répète, chaque famille a été
21:03 touchée, mais
21:05 il y a un tel soulagement, et on se
21:07 dit que, voilà, les choses vont
21:09 changer, on va entrer
21:11 dans quelque chose de nouveau,
21:13 un nouveau monde, et donc
21:15 il y a ce mélange entre
21:17 le deuil et un soulagement
21:19 magnifique. - Jean-Garide
21:21 "Jours heureux quand les Français rêvaient
21:23 ensemble", publié chez Payot Histoire,
21:25 un livre absolument passionnant,
21:27 on a passé la guerre de 14,
21:29 on va recommencer avec le Front Pop et évidemment
21:31 la Libération, un livre qui se termine
21:33 le 12 juillet 98.
21:35 Vous voulez poser vos questions, appelez-nous au 0826
21:37 300 300, on se retrouve dans quelques instants.
21:39 Sud Radio
21:41 Mettez-vous d'accord ?
21:43 Philippe David

Recommandée