Dans son édito du 15/12/2023, Paul Sugy revient sur la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
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00:00 La politique avec vous, Paul Sujit.
00:02 En début de semaine, le Conseil d'État a ordonné au ministre de l'Intérieur
00:05 de faire revenir un étranger radicalisé, Fiché S, pour son adhésion à l'islamisme.
00:11 Ça fait beaucoup réagir, évidemment.
00:12 On en parle sur CNews, bien sûr.
00:14 Une fois de plus, les juges ont plus de pouvoir qu'un ministre, Paul ?
00:18 Oui, c'est ce fameux Ouzbek.
00:19 On en a quand même pas mal parlé, effectivement,
00:21 parce que la décision est assez rare, il faut bien le dire.
00:25 C'est-à-dire que c'est une décision où le juge ordonne au ministre de l'Intérieur,
00:28 il n'y a même pas grand monde qui peut ordonner quelque chose à un ministre,
00:31 ordonne au ministre de l'Intérieur de prendre toute mesure utile
00:34 afin de permettre le retour de cet étranger Ouzbek,
00:37 qui avait été expulsé dans son pays.
00:39 Retour qui est motivé par le fait qu'il encourerait en Ouzbékistan
00:44 des risques de torture ou de traitement inhumain.
00:47 Donc, le juge administratif a rappelé une décision
00:50 qui avait été prise par la Cour européenne des droits de l'homme
00:52 et que le ministre de l'Intérieur avait décidé de ne pas respecter.
00:56 Donc, ici, ce que le juge national fait,
00:58 c'est de rappeler qu'en fait le droit européen émis par la Cour européenne des droits de l'homme
01:01 est contraignant.
01:02 Cette idée est parfois un peu discutée,
01:04 mais quand la CDH dit quelque chose,
01:05 là, le Conseil d'État dit "il faut s'y tenir".
01:08 Donc, ça veut dire qu'il y a bien une supériorité du droit international
01:11 qui découle des traités, notamment en l'occurrence le traité sur la Convention européenne des droits de l'homme,
01:15 qui s'impose aux droits français,
01:17 quelle que soit par ailleurs la volonté et les motivations du ministre.
01:19 Ici, on parle d'une personne qui était radicalisée,
01:21 fiché S, connue pour sa proximité avec la mouvance islamiste.
01:25 Ça justifiait, aux yeux du ministre,
01:26 mais il faut bien le dire, aux yeux de l'opinion aussi, le fait de l'expulser.
01:30 Mais le juge dit "non, non, vous n'avez pas le droit de le faire".
01:32 Alors, il faudrait sortir de la CDH ?
01:34 C'est le débat qui est ravivé, évidemment, par cette décision.
01:37 Mais, si vous voulez, la sortie de la CDH, c'est une idée qui est délicate.
01:41 Au Royaume-Uni, elle commence à faire son chemin.
01:43 Richie Sunak l'avait dit à plusieurs reprises, le Premier ministre britannique.
01:47 Il faut un second Brexit, c'est-à-dire sortir de la CDH.
01:50 En réalité, ça veut dire sortir du Conseil de l'Europe.
01:52 Vous savez qu'il y a deux grandes institutions européennes,
01:54 l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.
01:55 Le Royaume-Uni a quitté déjà l'Union européenne.
01:57 S'il veut ne plus être soumis à la CDH, il quitterait aussi le Conseil de l'Europe.
02:00 En France, en fait, aucun grand parti ne propose l'idée telle qu'elle.
02:04 Personne ne dit "il faut sortir du Conseil de l'Europe".
02:07 Simplement, les politiques préfèrent dire, surtout à droite,
02:10 "il faudrait s'affranchir de la Cour européenne des droits de l'homme".
02:13 Alors, il faut voir exactement ce que cette idée recouvre.
02:15 Là, par exemple, les Républicains ont soumis une proposition de loi constitutionnelle
02:19 dont ils ont rappelé le contenu à Emmanuel Macron dans une lettre ouverte.
02:22 Ce qu'ils disent notamment, c'est de faire en sorte de protéger des mesures législatives,
02:26 c'est-à-dire des éléments de la loi pour lesquels la Constitution dirait
02:30 "cela prévale sur les traités internationaux,
02:33 et donc notamment sur la Convention européenne des droits de l'homme".
02:37 C'est un peu schizophrénique.
02:38 Ça voudrait dire que le droit français dit "ça, c'est plus important que les traités",
02:41 mais par définition, quand on signe un traité,
02:43 c'est forcément supérieur au droit national.
02:45 Mais enfin, ça aurait au moins pour effet de faire en sorte de protéger certaines mesures,
02:48 notamment en matière d'immigration, d'asile et donc d'expulsion.
02:51 Alors, qu'est-ce que la France attend pour le faire ?
02:53 Il faudrait du courage et aussi un peu de volonté.
02:57 Par exemple, quelque chose qu'on pourrait faire directement,
02:59 c'est pour taper un peu du poing sur la table
03:00 par rapport au Conseil de l'Europe et à la Cour européenne des droits de l'homme.
03:03 Vous savez, il y a un juge français qui siège à la CEDH
03:06 et qui doit à chaque fois participer aux décisions qui concernent la France.
03:09 La France propose un nom pour que la Cour ensuite nomme ce juge.
03:12 On pourrait faire la politique de la chaise vide,
03:14 c'est ce que propose un professeur d'Assas, Guillaume Drago,
03:16 qui avait un peu réfléchi à ça, c'est-à-dire en gros dire
03:19 la France ne propose personne pendant un moment, ça bloquerait toutes les affaires en cours
03:22 et ça serait une manière de manifester un vrai désaccord.
03:24 Et donc ensuite, c'est politique de dire
03:26 on voudrait que les choses évoluent un peu plus dans l'autre sens.
03:28 Mais pour que ça soit envisageable, il faudrait déjà qu'il y ait une volonté.
03:31 Et c'est vrai qu'Emmanuel Macron joue un jeu trouble.
03:34 Il laisse Gérald Darmanin, son ministre de l'Intérieur, venir dire sur ce plateau
03:37 un soir de semaine, vous savez, moi, je vais tout faire
03:39 pour ne pas respecter les décisions de la CEDH.
03:42 Ça paraît très courageux et vos téléspectateurs se disent
03:44 il y a une vraie décision politique derrière.
03:46 Et dans le même temps, Emmanuel Macron nomme comme ambassadeur
03:48 auprès du Conseil de l'Europe, Pape Ndiaye.
03:51 Cet été, le nouveau poste qu'il lui a trouvé, c'est être
03:54 représentant permanent de la France auprès du Conseil de l'Europe.
03:57 Ce n'est quand même pas franchement le signe d'une volonté de raffermissement
04:00 de la politique française par rapport notamment à la CEDH.
04:02 Donc c'est chaud et froid d'un côté, il faut faire avec ça.
04:05 Mais ce n'est pas l'indice d'une vraie volonté politique.
04:07 Paul Sujit, merci beaucoup Paul.
04:09 Merci à vous.
04:10 [Musique]
04:12 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]