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Cours et échanges inter-lycéens franco-européens diffusés le 07/12/ 2023 sur la plateforme du Projet Europe, Éducation, École :
https://projet-eee.eu/diffusion-en-direct-564/

Dossier pédagogique :
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Agora européenne des lycées : programme 2023-2024 :
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Cours en vidéo classés par thèmes :
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Transcription
00:00 Bonjour à tous, soyez les bienvenus sur la plateforme du projet Europe éducation à l'école
00:19 pour travailler ce matin avec Guillaume Pijard de Gürberg, professeur de philosophie au Lucegher
00:25 Guillusac à Limoges sur la question du temps, sur la diversité qui constitue sa définition.
00:34 Nous sommes évidemment tous là avec les élèves de madame Christophe Tracy à Marignane, les élèves
00:45 de madame D'Ambrosio du Lucegher Guillusac, les élèves de Varna également. Curieux de savoir
00:52 quelle est la deuxième dimension de cette analyse que tu nous proposes ce matin cher Guillaume.
00:58 Merci d'avoir accepté notre invitation, je remercie au passage aussi Antoine Chetelet et Jean-Luc
01:04 Gaffard qui tiennent donc les cordes de notre régie, c'est grâce à eux que le programme peut
01:10 être diffusé, il sera disponible en vidéo, en podcast d'ici quelques jours. Cher Guillaume,
01:15 on s'abandonne au plaisir de t'écouter, merci. Merci à vous tous, je reprends avec la question
01:24 qui m'a été posée tout à l'heure à la fin de la première partie sur la question de l'objectivité
01:28 du temps, est-ce qu'il n'y a pas un temps objectif et ou est-ce que le temps est subjectif,
01:33 comme on dit tout d'un coup une heure de cours ça a l'air de durer un siècle, pendant deux mois de
01:38 vacances ça a duré une minute. Cette question classique finalement, est-ce que c'est un pur
01:43 phénomène psychologique et comment le soutenir quand quand même on se dit je vais quand même
01:46 mourir, les feuilles des arbres tombent, enfin ça a l'air quand même un peu fort de prétendre qu'il
01:52 n'y ait pas de réalité du temps, c'est ça c'est la question de cette deuxième partie qui m'a été
01:57 posée donc en anticipation de ce que je voulais dire. Alors je pars d'un petit poème qui m'a été
02:07 donné par un élève, alors oui c'est pour ça qu'on fait du travail ensemble et c'est ça qui est
02:12 magnifique mais c'est vieux comme Socrate donc c'est pas exceptionnel en même temps c'est peut-être
02:17 exceptionnel quand même. Là il y a une question d'élève qui me met exactement dans le cheminement
02:23 qui est le mien très intimement et là j'ai autre chose c'est que j'ai mon cours cette année et j'ai
02:29 dit aux élèves de lire Pessoa, le gardeur de troupeau de Fernando Pessoa,
02:34 grand poète portugais incroyable, je trouvais que pour le cours sur la métaphysique c'était bien
02:38 donc il le lise. Il y a un élève en colle qui me sort ce bout de poème, je me dis mais il a lu mon
02:42 livre ou quoi ? Impossible puisqu'il n'est pas encore sorti. Enfin voilà mais c'était pareil
02:45 boum et donc je vous lis le... mais c'est pour citer mais sauf moi j'aime bien rendre à César
02:49 ce qui est à César. Voilà et là c'est un élève que je le dois de cette année, je vous lis le
02:53 parce que moi je lui ai donné à lire mais je connais pas tous les poèmes du gardeur de troupeau
02:56 de Pessoa par coeur, celui-là je l'avais pour le coup oublié, je vous lis. "Lorsque viendra le
03:02 printemps, si je suis déjà mort, les fleurs fleuriront de la même manière et les arbres
03:10 ne seront pas moins verts qu'au printemps passé. La réalité n'a pas besoin de moi." Voilà donc
03:18 moi ce que je veux essayer de penser c'est est-ce que c'est bien sûr ? Est-ce que la réalité n'a
03:25 pas besoin de moi premièrement et deuxièmement est-ce que c'est bien sûr que sans moi ou sans
03:31 nous tous les fleurs continueraient de fleurir comme si de rien n'était ? Rien n'est moins sûr.
03:39 Alors d'abord vous remarquez dans le poème qu'il y a quand même une sorte de raccourci qu'on n'est
03:44 pas obligé d'entériner puisqu'il dit "les fleurs fleuriront de la même manière" et il appelle ça
03:51 la réalité. Bon moi tout mon travail c'est de dire justement que c'est pas ça la réalité et qu'on ne
03:58 peut pas dire "et la réalité n'a pas besoin de moi puisque c'est ça la réalité donc la réalité du
04:02 temps en fait". Justement non, moi ce que je veux penser c'est de dissocier la réalité et tout ce
04:08 qui relève du temps. Sitôt qu'il y a une goutte de temps c'est plus de la réalité. C'est ça que je
04:13 voudrais essayer de dire. Alors pour le dire je commence par autre chose, je vous ai dit qu'il
04:19 y avait trois sens du temps. En réalité c'est pas tout à fait complet, c'est pas tout à fait exact,
04:24 il y a un quatrième sens du temps et qui est fondamental au sens fondamental puisque il
04:30 n'y aurait aucun des trois autres sens du temps sans ce temps là. C'est quoi ce temps là ? Je
04:36 prends un exemple pour le faire comprendre. Je vois une voiture passer dans la rue, ça c'est
04:47 de la succession, c'est temporo-spatiale, elle était en bas de la rue et puis elle est en train de
04:52 monter maintenant elle est en haut de la rue. Voilà le séjour, la succession. Très bien. Mais c'est
04:59 bien la même voiture qui monte, d'accord ? Ou c'est bien la même rue, elle monte une rue, elle était
05:06 en bas de la rue, elle est en haut de la rue, mais la rue c'est une demeure, une résidence au sens
05:13 d'un espace déterminé par la durée. Donc voilà le temps qui passe sur fond de cette rue qui elle
05:21 dure. Seulement ce que j'ai oublié de vous dire, alors continuons, et puis il y a les deux côtés de
05:28 la rue qui sont là en même temps. À droite le lycée, à gauche la boutique, voisinage, en même
05:36 temps voilà. Et donc on a les trois, mais il manque un temps en fait, il manque un temps fondamental.
05:41 C'est à dire que pour nous tout ça n'est possible que parce que c'est pas qu'il y a la rue, la durée
05:48 et le voisinage. Non, en fait la voiture qui monte de haut en bas successivement et la rue qui dure
05:57 sont là en même temps. Donc le changement, contrairement à ce que je vous ai dit tout à
06:03 l'heure, c'est pas juste qu'il faut quelque chose qui passe et quelque chose qui dure. Je vous ai
06:08 dit que la moitié et je vous ai pas dit le fond. Parce que c'est quoi le rapport entre quelque
06:13 chose qui passe mais cheveux courts et quelque chose qui dure c'est toujours moi. C'est de la
06:17 simultanéité. C'est en même temps qu'il y a ce qui passe et ce qui dure. Donc le changement ça n'est
06:25 ni la succession, ni même la succession rapportée à la durée, mais c'est la succession rapportée
06:33 simultanément à la durée. C'est en même temps. Et ça c'est une autre simultanéité, c'est pas juste
06:41 la main droite et la main gauche, parce que c'est la simultanéité des trois temps. En nous, il y a
06:48 en même temps succession, simultanéité et durée. C'est un tout. Et ce tout il est simultané. Et
06:59 c'est ce qu'on appelle la conscience, l'identité du sujet, le sujet pensant. Qu'est-ce que c'est ?
07:04 C'est la simultanéité de la succession, de la permanence et de la simultanéité. Donc il y a
07:11 deux simultanéités, il y a deux degrés de simultanéité. Il y a la première simultanéité
07:16 de la droite et la gauche, le voisinage dont j'ai parlé dans la première partie, mais il y a plus
07:21 fondamentalement une simultanéité originaire fondamentale qui elle englobe les trois temps
07:27 et qui est que c'est simultanément qu'il y a la durée, la succession et la simultanéité. Je prends
07:36 un exemple, prenez les châteaux de Loire. La Loire coule, ça c'est la succession. Chenonceau et
07:43 Chambord sont voisins, ils sont en même temps, ou les rives de la Loire sont l'une et l'autre à côté
07:48 en même temps. Et puis chaque château est, comme dit Péguy, un reposoir. Château de Loire, des
07:55 reposoirs. Ça dit bien la demeure, ça repose. D'ailleurs en parlant de vocabulaire, il y a un
07:59 très joli mot chez Georges Sand dans François Le Champi. François Le Champi, c'est le livre culte
08:04 de Proust, c'est ce qu'on a au début et à la fin, c'est pour ça que je l'ai lu. Et elle parle de
08:09 demeurance, la demeurance au lieu de la demeure de la maison, de la résidence, la demeurance. J'adore
08:14 le mot parce que ça dit bien la durée, ça dit bien que c'est du temps, du temps qui dure au lieu
08:18 de passer. Donc la Loire coule, les Chenonceaux et Chambord forment un voisinage, ils sont là en
08:25 même temps et chacun, pour sa part, est une demeure dure. Mais tout ça, ça a lieu en même
08:30 temps. C'est en même temps que la Loire coule que Chenonceaux demeure et que Chenonceaux et
08:36 Chambord voisinent. Donc il y a une autre simultanéité. Et c'est ça qu'on appelle le
08:45 réel, c'est ça qu'on appelle l'espace. On croit être dans le réel, on croit être dans l'espace,
08:50 on croit être dans l'être, mais on est dans le temps. Et on l'y est doublement. D'abord parce
08:54 qu'on y est par au moins l'un des trois temps et qu'on y est de toute façon parce que ces trois
08:59 temps forment un tout qui est un tout simultané. Et je propose d'appeler cette simultanéité,
09:07 alors vous voyez, je m'assotise ordinaire comme tout le monde, mais pas plus non plus. Je me
09:15 méfie énormément des concepts qu'on introduit, on introuve un nouveau concept et c'est une idée
09:18 vieille comme le monde. Quand Tadhoudi là-dessus est dans la critique de la raison pure, il s'excuse
09:22 d'introduire Noumène et tout parce qu'il dit "bon c'est toujours un peu ridicule, il faut bien
09:26 s'assurer qu'on a besoin d'un mot nouveau pour une idée nouvelle parce que sinon tu sors ton
09:30 abricadabra de jargon, en fait c'est une idée vieille comme le monde". Prudence. Mais enfin,
09:34 je n'ai pas trouvé, j'espère que je ne suis pas dans ce cas-là. La simultanéité, ça vient de
09:39 simule. Et ce qui est très intéressant, c'est que c'est la même racine que simuler, simulation.
09:47 D'accord ? Vous l'avez pareil avec ama en grec, alpha, mu, alpha, ama, ça veut dire en même temps
09:55 et il y a ensemble. Et pourquoi simultanéité et simulation vont ensemble dans les langues et dans
10:02 les idées ? Parce que pour faire un ensemble, c'est une opération de l'imaginaire, il faut
10:07 comparer. Quand je vous mets ensemble, je dis "bon voilà, ensemble vous formez une classe d'hippocampe".
10:12 Mais alors du coup, je mets de côté vos singularités, vos différences, etc. Donc il y a une opération
10:16 d'abstraction de l'imagination. C'est une simulation à l'ensemble. Et on comprend bien pourquoi
10:21 simulation, simultanéité. Donc moi ça me plaît beaucoup, cette idée que dans simultanéité,
10:27 il y a l'idée de la fiction en fait, de la simulation. Et du coup, on pourrait peut-être parler de
10:34 simultemporalité. Ce n'est pas très joli, mais vous voyez ce que je veux dire. C'est-à-dire pour
10:39 distinguer, pourquoi j'ai besoin de ça ? Parce que d'abord, pour ne pas confondre la simple
10:44 simultanéité du voisinage, la main droite et la main gauche, et cette seconde simultanéité
10:49 fondamentale, originelle, qui embrasse la succession, la simultanéité et la permanence. Tout ce qui se
10:55 suit, tout ce qui se passe en même temps et tout ce qui dure, tout cela pour nous a lieu en même
11:00 temps. Et c'est un autre en même temps, vous comprenez ? Or, pour moi, c'est le siège originaire
11:07 de la subjectivité. À l'instant même où tu es dans cette simultanéité originaire, c'est subjectif,
11:14 c'est pour nous. Cet en même temps, il n'est pas de l'être. Si tu n'as pas prélevé dans l'être,
11:20 ce en même temps, de ce qui passe, de ce qui dure et de ce qui est simultané, c'est forcément
11:26 localisé dans un sujet, dans une subjectivité. Donc, même si l'apparence semble nous dire qu'il
11:32 y a quand même une réalité, etc., mais c'est subjectif. D'accord ? Alors, ça, c'est la première
11:40 chose. Deuxième chose, on imagine que le temps est objectif. Alors déjà, première chose,
11:49 en philosophie, je pense que c'est le truc vraiment fondamental, ça, on n'a pas le droit,
11:55 on ne peut pas se permettre de traiter comme des synonymes objectivité et réalité. Parce qu'à
12:01 partir de là, il n'y a plus de philosophie. Pourquoi ? Parce que l'objectivité, ça suppose
12:05 un sujet. Il n'y a pas d'objectivité en soi. L'objectivité, c'est un objet pour un sujet.
12:12 C'est le sujet qui s'objecte quelque chose, qui fait de ceci son objet. Donc, l'objet et
12:21 l'objectivité est le corréla nécessaire d'une subjectivité. Il n'y a pas d'objet en soi. Dans
12:27 le vocabulaire courant, on mélange tout. Pas grave, mais nous, on n'est pas dans le vocabulaire
12:30 courant là, pour le coup. Donc, l'objectivité est subjective. C'est subjectif, l'objectivité.
12:36 C'est ce que je disais tout à l'heure, une heure de cours, oui, c'est du temps objectif,
12:40 c'est-à-dire subjectif. C'est produit par nous, par notre unité de mesure et par le fait que nous
12:44 construisons cette quantité de temps, une minute et puis une minute, etc. C'est une opération du
12:50 sujet qui additionne, dans le temps de la succession, les unités à l'unité, les minutes à
12:55 l'une minute, jusqu'à arriver à une heure. Mais ça n'a pas de réalité. Mais c'est objectif, oui,
13:01 c'est objectif. Et pourquoi objectif ? Parce que c'est une subjectivité qu'on partage. C'est une
13:06 subjectivité commune. L'objectivité, c'est l'inter-subjectivité. Donc, il y a la subjectivité
13:13 au sens faible pour moi. Moi, je m'ennuie en cours maintenant, cette prof, elle est géniale,
13:17 je n'ai pas vu le temps passer. Bon, ça, c'est la subjectivité au sens courant, au sens faible,
13:21 on peut dire. Et la subjectivité au sens fort, c'est une subjectivité universelle. Ce n'est pas
13:25 pour moi, c'est pour nous tous. Parce que quand tu appelles le transcendental, par parenthèse,
13:29 c'est ça le transcendental, c'est une subjectivité universelle. Les lois de Newton, elles sont
13:35 universelles, vous pouvez aller dans tous les labos de France du monde, vous les refaites,
13:38 vous retrouvez les mêmes résultats. Oui, mais ce n'est pas des lois de lettres. Ça ne dit rien
13:42 de la réalité en soi. C'est une construction subjective, collective, universelle. D'accord ?
13:49 Alors, autre chose là-dessus. On imagine donc, spontanément, se représente une sorte de réalité
13:54 du temps. Alors qu'il n'y a qu'une objectivité du temps, c'est-à-dire une subjectivité.
13:59 Imaginons, prenons cette fiction, un bébé qui vient de naître. Donc, il n'a pas le sens du
14:07 temps. Il n'aurait pas le sens du temps. Et donc, il est né, il est 8 heures du matin, il fait jour.
14:11 Et après, le soir, vient son premier soir, sa première nuit. D'accord ? Et puis, le lendemain,
14:18 il fait un nouveau jour, son premier deuxième matin. Et puis, voilà le premier deuxième soir.
14:25 Et on imagine comme ça que, petit à petit, à force de jours et de nuits qui se suivent,
14:30 il en viendrait, nous en viendrions à nous former quelque chose comme un sens du temps,
14:34 un sens de la succession, un sens de ce qui passe l'un après l'autre. Mais c'est contradictoire.
14:39 C'est impossible. Comment votre nouveau-né, il fait jour et après il fait nuit ? Après,
14:46 il fait nuit. Donc, il a déjà le sens de l'après. S'il n'a pas déjà le sens de l'après,
14:51 il n'y a pas après le premier soir. C'est impossible. Moi, je ne sais pas, mais logiquement,
14:55 je ne comprends pas comment c'est possible. C'est strictement impossible. Donc, il faut déjà que
14:59 nous ayons subjectivement le sens interne du temps. Si on n'avait pas, nous, le sens du temps,
15:05 il n'y aurait pas de temps. D'où ça nous viendrait ? Essayez d'expliquer l'origine et la production
15:12 du sens du temps sans le temps dans votre explication. Vous voyez bien ? Petit à petit,
15:18 il va se former le temps. Mais petit à petit, c'est de la succession, ça c'est du temps. S'il a le
15:21 sens du petit à petit, c'est qu'il a déjà le sens de la temporalité. Et c'est pour ça,
15:25 ça pour le coup, c'est Kant. C'est pour ça que le temps dit-il est a priori. C'est ça que ça veut
15:31 dire a priori. Ça veut dire que c'est subjectif, ça en nous. Ce n'est pas puisé sur l'expérience.
15:35 Ce n'est pas qu'on a observé le réel et que le réel nous aurait livré la succession, la
15:41 temporalité. C'est impossible. C'est une explication qui n'explique rien parce qu'elle est circulaire,
15:45 puisqu'elle met dans l'explication ce qu'on est censé expliquer, c'est-à-dire la succession.
15:49 Et il a une phrase magnifique dans un texte qui s'appelle la dissertation de 1770, où il dit
15:56 "ce que signifie le temps, si je n'ai pas d'abord le sens du mot après, je ne sais pas ce que ça
16:00 veut dire". Donc le sens de l'après est a priori, est subjectif, est en nous. C'est nous qui arrivons
16:08 et qui mettons. Et donc, tout le temps qu'on retrouve soi-disant dans le dehors, c'est nous
16:12 qui y mettons. Oui, c'est assez vertigineux. Alors vous allez me dire "oui mais vous allez bien
16:19 mourir". Oui, mais ça ce sera un changement entre moi maintenant et moi demain ou dans 50 ans mort.
16:26 Mais ça, ça n'existe que dans une conscience, un spectateur qui comparera l'avant et l'après.
16:34 Avant il était vivant, maintenant il est mort. Mais s'il n'y a pas un sujet pour établir,
16:38 s'il n'y a pas un spectateur pour établir cette relation, elle est où cette relation ? Et donc
16:43 c'est pour ça que Pessoa a l'air de dire "si nous n'étions plus là, les arbres continueraient de
16:48 fleurir". Mais non, pas du tout. Et pourquoi ? Et alors vous allez me dire "quand même, ça a l'air
16:53 énorme". Non, ce n'est pas énorme. En fait, c'est tout simplement que je me représente un peu en me
16:57 prenant pour Dieu le monde, la terre sans homme, et je vois les arbres qui continuent de fleurir.
17:03 Oui, mais il y a un sujet. Ce n'est plus moi, mais il y a un sujet. J'ai forcément réintroduit,
17:08 comme une sorte de deus ex machina, une subjectivité qui met du temps dans la
17:13 représentation. C'est ma représentation de la terre sans les hommes. Mais vous comprenez,
17:22 c'est ma représentation d'homme de la terre sans les hommes. Donc ça ne dit rien de la réalité.
17:27 Ça reste ma représentation subjective de ce que j'imagine être la terre sans les hommes. Et ça,
17:34 il faut qu'il y ait un homme, voire un homme sublimé en Dieu qui verrait tout ce que vous voulez,
17:38 mais peu importe. Si vous en avez une subjectivité, comment vous allez mesurer la différence entre
17:43 l'arbre qui a ses feuilles et qui a perdu ses feuilles à l'hiver ? Elle est où cette relation ?
17:46 Elle suppose nécessairement un observateur, même si c'est sidérant et contre-intuitif.
17:55 Ben oui, regardez le nouveau. Tu ne vas pas me dire quand même que ces brins d'herbe sont nouveaux.
18:01 J'ai tondu hier, là c'est un souvenir personnel parce que j'ai vécu assez longtemps en Martinique
18:06 et en pays tropical. Je ne vous dis pas, vous vous tondez à 16 heures, le lendemain à 7 heures du
18:10 matin, vous avez un centimètre de nouvelle pousse. C'est complètement désespérant. Donc vous allez
18:14 me dire ça, mais tu ne vas pas me dire quand même que la pousse nouvelle, tu dormais pendant la nuit,
18:18 elle a bien poussé pendant que tu dormais. Mais si vous enlevez le fait que moi je compare l'herbe
18:23 hier qui était rasée et l'herbe aujourd'hui, où est la nouvelle pousse ? Il n'y a pas d'ansoi du
18:29 nouveau. Le nouveau c'est pour nous, c'est pour nous et par nous. D'où vous voulez qu'il y ait
18:34 de l'ansoi du nouveau ? Et c'est ça l'illusion de Bergson. Bergson il fait comme si le nouveau
18:38 c'était de l'ansoi. Mais le problème, ce qu'on peut lui reprocher, c'est qu'il ne l'explique pas.
18:43 C'est un peu ça le problème. Alors, puisqu'on parle de Bergson, qu'est-ce qu'il dit Bergson ?
18:49 Il parle de Bergson. Bergson il a écrit son premier livre sur le temps, "L'essai sur les données
18:54 immédiates de la conscience". Et dans ce livre là, qu'est-ce qu'il dit ? Je vous le résume en une
18:57 phrase. Il dit, je cite Bergson, "la succession existe seulement pour un spectateur conscient".
19:05 La succession existe seulement pour un spectateur conscient. C'est Bergson qui dit ça et pour lui
19:12 le temps appartient à la psychologie, la psychologie du sujet. D'accord ? Et il oppose le temps et
19:19 l'espace. Le temps c'est la succession, ce qu'il appelle la pure durée, le vrai temps, pas le temps
19:24 des mathématiciens, le temps pur, c'est la succession. Et la succession existe seulement pour un spectateur.
19:32 Alors à moins que vous réintroduisiez Dieu dans la machine, qui serait le spectateur universel,
19:38 il n'y a pas de réalité du temps. C'est pour nous, c'est pour moi, c'est pour nous, mais en tout cas
19:45 ça reste subjectif, que ce soit une subjectivité particulière ou universelle. Or Bergson, tout le
19:52 reste de son oeuvre, moi je le date en gros à partir de 1903, si vous regardez dans
19:59 la pensée et le mouvant, c'est que des articles et il y a un texte qui est de 1903, je crois que c'est
20:03 l'introduction à la métaphysique, j'en suis même sûr, il s'appelle comme ça. Et qu'est-ce qu'il dit
20:07 là-dedans ? Il dit qu'on va retrouver la succession dans le réel, dans l'objectivité du monde. Mais
20:15 il y a une contradiction énorme dans la philosophie de Bergson, il n'a jamais expliqué comment on
20:20 pouvait remettre le temps, la succession qui dépend d'un spectateur, dans le réel. Donc il y a
20:29 quand même une lacune philosophique majeure et il n'est pas le seul à le faire. Hegel, Heidegger,
20:36 Deleuze, toute la philosophie contemporaine depuis Hegel a remis le temps dans l'être,
20:43 être et temps, etc., comme si le temps c'était la vérité de l'être, ce qui est évident mais
20:49 naïf et contradictoire. Personne n'a produit le moindre commencement d'argument pour dire
20:56 qu'on pouvait se débarrasser, et même Bergson lui-même, comment il fait pour dire que la
20:59 succession existe seulement pour un spectateur. Et là, il n'y a plus de spectateur. Tout d'un coup,
21:05 il y a de la succession mais sans spectateur. Je ne comprends pas ce que ça veut dire. Je suis
21:12 comme vous, quand je me vois le matin, je me dis que cette ride n'y était pas, je suis comme vous,
21:17 mais je ne peux pas m'empêcher en même temps de me dire que c'est subjectif, que si je ne suis pas
21:22 là pour comparer ou que vous vous compariez, vous dites "ouah, il a pris un coup de vieux",
21:26 si on se revoit dans deux ans par exemple, "ouah, il a pris un coup de vieux", oui,
21:29 mais il faut bien un spectateur qui fasse, qui établisse cette relation. Et alors,
21:33 si on remet ce problème-là dans ce que je vous ai dit au début, c'est-à-dire dans la
21:39 simultanéité en nous et pour nous de ce qui est successif, de ce qui est durable et de ce qui est
21:45 simultané, on reste pris dans le temps et donc dans notre subjectivité. Voilà, donc ça, c'est ça.
21:54 Alors, je finis, pour finir, où je veux en venir ? Je finis par le commencement en fait,
22:00 ce que j'aurais dû vous dire au premier. Pourquoi je vous dis tout ça ? Pourquoi je me dis tout ça ?
22:05 Parce qu'en fait, moi, ce qui m'intéresse fondamentalement, c'est au fond, pour moi,
22:10 c'est ça la philosophie, la philosophie, elle pose la question, au fond, peut dire,
22:13 qu'est-ce que l'être ? L'être en soi. C'est-à-dire que s'il n'y a pas la différence entre la réalité
22:18 et l'objectivité, entre la réalité en soi, l'être en soi et l'objectivité, pour le dire d'un gros
22:24 mot, c'est les seuls mots techniques que j'utilise. Après, moi, je n'ai pas besoin de mots techniques,
22:27 mais là, c'est la séparation entre l'anthropologie, l'étude des phénomènes humains, de tout ce qui
22:34 est subjectif, et l'ontologie, la pensée de l'être indépendamment de nous. Est-ce que ça veut dire
22:39 quelque chose ou pas ? On ne sait pas si on peut y aller ou quoi, mais on ne peut pas faire comme
22:44 si ça ne se posait pas comme question. Moi, ce qui m'intéresse, c'est, est-ce que ça veut dire
22:49 quelque chose qu'une fois qu'on a identifié toute cette subjectivité de la temporalité,
22:53 et des espaces, de tous les espaces qui sont sous la loi subjective du temps, est-ce qu'il reste
22:58 quelque chose pour quelque chose comme un vrai dehors ? Comme un vrai espace, en fait, un espace
23:03 pur, c'est-à-dire vierge de toute subjectivité, de toute temporalité. C'est ça, moi, qui m'intéresse
23:09 au fond du compte. Et je pense que oui, je pense qu'on a quand même le sens de cette extériorité,
23:14 et que c'est même cette sensibilité, ce sens que la pensée a de cette extériorité, qui est la
23:20 marque de fabrique des philosophes, et que vous retrouvez chez tous les philosophes. Du coup,
23:24 pour finir, deux choses. En fait, qu'est-ce qui s'est passé si on refait l'histoire de l'humanité ?
23:29 On part des peintures préhistoriques, on part de Lascaux. Qu'est-ce qu'ils font, les hommes
23:34 préhistoriques ? En mettant de l'ocre sur la paroi, ils mettent du temps dans l'espace. L'espace
23:39 disparaît et laisse le temps triompher. Voilà que ça galope sur la paroi. Vous voyez, la spatialité
23:48 de la paroi disparaît comme l'écran de cinéma disparaît sous les actions qu'on y projette.
23:54 Eh bien là, sous la féerie des chevaux galop de Lascaux, c'est la spatialité de la paroi qui
24:01 disparaît, qui se retrouve tout d'un coup dissoute dans le temps. Et je pense qu'il y a une phobie
24:07 de l'espace, de l'espace en tant qu'espace, où nous n'avons pas notre place, que nous n'habitons pas.
24:14 Les philosophes, ils n'arrêtent pas de dire depuis Hegel, les gens croient que c'est depuis Heidegger,
24:17 c'est depuis Hegel, "habiter le monde, habiter nanani, habiter en poète". Déjà, habiter, est-ce que
24:22 c'est séjourner, résider ou voisiner ? Pour commencer, déjà, il y a trois temps, donc trois
24:27 façons d'habiter. Pour commencer, clarifions les idées, mais c'est surtout que l'espace que nous
24:31 habitons est subjectif, relève de l'anthropologie. Je prends un exemple de Deleuze. Deleuze, il parle
24:37 de l'espace nomade et il croit que c'est le dehors, le désert, la mer. Mais l'espace nomade, c'est de
24:43 l'anthropocentrisme. Le nomadisme est une pratique anthropologique humaine et qui projette sur l'espace,
24:50 que ce soit le désert, la steppe, ce que vous voulez, un espace sous la loi de la succession.
24:56 Mais il n'y a pas de dehors, il n'y a pas de dehors, il appelle ça le dehors. Non, c'est une illusion,
25:03 mais ça lui vient de Bergson, il est resté bergsonien. Donc, il répète les illusions,
25:08 qui viennent pour moi à l'origine de Hegel, par parenthèse. Donc, on met de l'ocre, on anime.
25:16 Il y a une Vénus, dans la préhistoire, on appelle des Vénus, c'est des petites statuettes en ivoire,
25:21 en pierre, etc. et qui sont souvent des maternités. C'est des femmes avec une poitrine extrêmement
25:26 généreuse, des hanches très marquées, etc. En fait, ce sont des maternités. Donc, c'est des sortes
25:31 de champs du vivant. On peut imaginer la fascination, la terreur de la mort et la fascination du vivant,
25:36 d'où les animaux, etc. Et il y a une Vénus, la Vénus de Loselle, elle a eu deux SEL, qui est en
25:42 Bordeogne, la ville de Loselle, c'est ça qu'elle doit son nom, et qui est recouverte d'ocre.
25:47 D'accord ? Et pourquoi c'est intéressant ? Parce qu'on a trouvé des sépultures, des corps préhistoriques
25:54 qui étaient morts dans des sépultures, et que l'on avait couché sur un lit d'ocre, comme un linceul
25:59 d'ocre. Et l'ocre change le linceul en pouponnière. C'est plus l'espace mort, c'est plus le là muet en
26:10 soi. C'est tout d'un coup un espace de la Renaissance, un espace sous la loi du temps. Et
26:15 l'ocre a cette fonction-là. Moi, je considère que finalement, la philosophie depuis Platon, avec
26:20 l'autre lieu différent, durable, etc. Et il y aurait encore mille autres exemples, jusqu'à Bergson,
26:26 jusqu'aux lignes de fuite de Deleuze. Les lignes de fuite, c'est temporo-spatial. Ça ne dit rien
26:32 de l'être, ça, les lignes de fuite. Il n'y a pas d'être des lignes de fuite. C'est des constructions
26:36 anthropologiques, passionnantes, mais qui ne disent rien de l'être. Ce n'est pas de l'ontologie, ça.
26:40 Ça ne peut pas être pris pour de l'ontologie. Et bien, tout ça, pour moi, finalement, la philosophie
26:46 a quitté la féerie de l'ocre pour la magie du concept. Mais elle n'a fait que changer de couleur.
26:56 Pour moi, les concepts d'espace nomade, de réel chez Bergson, de séjour, de séjour des choses
27:04 fiailles de gueule, de chemin chez Hegel, etc. Tout ça, en fait, c'est de la féerie qui perpétue la
27:12 féerie de Lascaux, parfois avec autant de grâce, parfois avec un peu moins. Et on trouve justement,
27:20 on trouve chez les philosophes, des lapsus. Moi, j'appelle ça des lapsus topophobiques,
27:24 qui disent la phobie d'un espace inhabitable, d'un espace que nous ne sommes pas approprié,
27:29 que nous n'avons pas temporalisé, que nous n'avons pas accommodé à notre temps interne. Vous comprenez ?
27:36 Un espace proprement extérieur, pour le coup. Et on retrouve comme ça des petits lapsus,
27:42 où le philosophe, qui soit disant nous dit que la réalité, c'est le temps, tout d'un coup,
27:48 s'effraie d'un espace qui est étranger au temps. Et ça, on le trouve, j'en ai fait tout un inventaire,
27:57 chez Hegel, chez Platon, chez Berkeley, chez Kant, enfin bon, ça fait beaucoup à la longue,
28:02 je trouve que les statistiques plaident quand même pour qu'on se pose la question un peu
28:05 sérieusement. Et donc, pour finir, je finis avec deux poèmes. Poème de Baudelaire, Baudelaire dans
28:16 le Vin des amants. Qu'est-ce qu'il dit ? "Aujourd'hui l'espace est splendide, sans mort,
28:22 mort du cheval, sans épronc, sans bride." Un espace au galop. C'est l'espace de Lascaux,
28:31 un espace au galop. Pour moi, ça résume toute la féerie philosophique de Lascaux, jusqu'à Bergson,
28:40 jusqu'à Deleuze, etc. Donc moi j'essaie de me dire, on peut peut-être penser autrement,
28:44 autre chose. Voilà. Et l'autre poème, celui-là, je le prends à Aimé Césaire, et j'en prends deux
28:52 d'Aimé Césaire. Pourquoi ça vous amuse ? Parce que vous disiez Aimé Césaire ? Vous avez raison.
28:58 Donc deux poèmes. D'abord un poème où manifestement il reprend Baudelaire, et il a
29:04 beaucoup lu et repris Baudelaire, d'ailleurs dans le cahier d'un retour au pays natal,
29:07 il cite l'albatros. Qu'il est comique, qu'elle est, etc. Je vous lis ce petit poème de Césaire.
29:12 Écoutez bien. "L'espace vaincu, le temps vainqueur, moi j'aime le temps, le temps est nocturne,
29:20 et quand l'espace galope qui me livre, le temps revient qui me délivre, le temps, le temps,
29:26 ô clé sans venaison qui m'appelle, intègre, natale, solennel." D'accord. Et maintenant,
29:33 pour moi, le chantier qui reste à ouvrir, c'est toujours Césaire qui le dit, mais dans un autre
29:37 poème, "le non-temps, le non-temps, N-O-N, le non-temps impose au temps la tyrannie de sa spatialité."
29:47 Voilà, j'ai fini. Merci. Il nous reste une petite dizaine de minutes. Il y aurait donc le temps de
29:57 prendre peut-être deux ou trois questions. Est-ce que je me tourne vers... Voilà, allez-y les élèves
30:03 de Marianne. On vous écoute. Alors moi j'ai deux questions. Donc, est-ce qu'on ne fait que des
30:13 voyages dans le temps ? Et l'expérience de la Madeleine de Proust illustre-t-elle aussi la simultanéité ?
30:20 Oui, on pourrait le retrouver, mais je trouve que la Madeleine, c'est plutôt là pour le coup
30:34 l'événement qui enclenche toute la recherche et qui fait revenir le passé plutôt. Donc, c'est
30:38 plutôt un événement de succession. Par contre, de la simultanéité, il y en a plein chez Proust.
30:43 Je disais, quand il est dans toute la partie du côté de Guermande, c'est vraiment, on passe de
30:49 la succession à la simultanéité. C'est exactement ça. Et ça désacralise le passé.
30:53 C'est exactement ça. D'ailleurs, il y a un passage sur le paillasson. Le narrateur se rend chez
30:58 Guermande, il est sur le paillasson et lui, il croit qu'il va rentrer dans le château de Guermande.
31:02 Et en fait, il dit que tout ce mythe du passé avait péri sur le paillasson.
31:07 Et puis, il y a un texte sur le paillasson qui est assez amusant. Tout d'un coup, c'est complètement
31:11 prosaïque. Donc, on trouverait... Oui, oui, il y a beaucoup de... Oui, oui, ça, pour le coup, Proust,
31:20 il y a pensé. D'ailleurs, juste un mot, puisqu'on parle de Proust, vous savez que "La recherche du
31:25 temps perdu", le dernier volume a été publié après la mort de Proust en 1927. Et je trouve que
31:30 dans l'histoire de la philosophie, j'aime bien me raconter l'histoire de la philosophie comme ça,
31:33 c'est-à-dire notre histoire à nous, où on en est, nous, aujourd'hui. 1927, c'est la traitante de Heidegger.
31:37 Et finalement, toute la philosophie, et pas qu'elle d'ailleurs, s'est enfournée là-dedans.
31:42 Et je n'arrête pas de répéter et de répéter ad nauseum une philosophie qui a quand même maintenant
31:49 un siècle, 1927. Et je me demande, est-ce qu'il n'y a pas eu une erreur d'aiguillage ? Est-ce que
31:54 la vraie année pour la philosophie, 1927, ce n'était pas plutôt le temps retrouvé de Proust ?
31:59 C'est un peu ça ma lecture rétrospective de l'histoire de la philosophie contemporaine.
32:02 Merci. Peut-être y a-t-il une question du côté de Limoges, maintenant c'est Galussac. S'il vous plaît.
32:17 Oui, oui, on a une question.
32:22 Allez-y. Bonjour. Moi c'est peut-être une question hors propos, mais j'avais une question. J'ai remarqué que
32:39 ma perception du temps quand j'étais petite est différente de la perception du temps que j'ai
32:43 maintenant. Du coup, je voulais savoir si finalement on avait une perception du temps aussi qui était
32:49 en rapport avec la société, la manière dont on était intégré dans la société, et si la société
32:55 elle avait, comme vous l'avez dit, elle a créé le temps en lui donnant des chiffres, mais si aussi
33:03 la manière dont on évolue dans la société, ça définit aussi la manière dont on va recevoir le temps.
33:09 Magnifique. Bon, c'est magnifique question. Je vais répondre, mais juste un mot. C'est-à-dire que le côté
33:22 question-réponse, c'est un peu faussé parce que là, le problème est vraiment très puissant et je me
33:27 le pose. Donc, je m'arrête avant même de répondre parce que sinon, vous auriez les interrogations
33:31 et moi j'aurai les réponses. C'est-à-dire que c'est vous qui faites de la philo et plus moi.
33:35 Donc non, je ne viens pas répondre et dispenser mon savoir. Là, vous me mettez un problème que je me
33:42 pose vraiment. Ça suffit d'une certaine manière. Mais juste un mot. Et là, il y a un champ de travail
33:48 énorme. Moi, je l'ai un tout petit peu exploré, mais il y a vraiment des recherches.
33:52 Là, il y a du boulot à mener là-dessus. Très intéressant. Je vous prends juste un ou deux
33:56 exemples sur lesquels j'ai travaillé un peu dans ce sens-là. Par exemple, la banlieue. Une
34:02 détermination sociale de l'espace. Temporo-social de l'espace. La banlieue. On dit la banlieue,
34:09 les banlieues. Et on appelle ça la périphérie. Mais en fait, sans mauvais concept encore une fois,
34:16 il faut peut-être rebaptiser les banlieues non pas périphérie, mais post-férie. Parce que la
34:20 banlieue, c'est ce qui passe après. C'est une position dans l'ordre social qui est un ordre
34:24 chronologique. Le centre passe avant et la périphérie passe après. Et ça revient de très
34:30 loin. Par exemple, il y a un texte de Hobbes dans le Léviathan. C'est le chapitre 22 ou 24. Peut-être
34:39 24. Vous irez voir dans le Léviathan. Si je me trompe, je ne suis pas loin. C'est 22 ou 24. Et
34:44 il explique en fait la colonisation. L'Empire britannique est en pleine colonisation. Et en
34:49 fait, il prend la métaphore du cœur. Parce qu'il y a les veines et les artères. Et donc, c'est un
34:55 sens de circulation unique. Dans le cœur, le sang ne circule pas dans les deux sens. Donc, quand on
35:01 dit que l'argent circule, la circulation de la monnaie, de la richesse, en fait, ça vient du sang.
35:05 Mais ce qu'on oublie là-dedans, c'est que ce qui est fondamental, c'est l'irréversibilité. Donc,
35:11 il y a des espaces qui sont déterminés par le temps et par un attribut du temps particulier qui
35:16 est l'irréversibilité qui crée des espaces irréversibles. C'est ce que je disais tout à
35:20 l'heure sur le nord et le sud. Moi, je suis un habitant des pays du nord. Je prends un visa,
35:24 je vais dans les pays du sud. Mais les migrants qui traversent la Méditerranée, en fait,
35:30 ils font un voyage à contresens. Ils se heurtent à un espace irréversible. La Méditerranée a un
35:36 sens interdit. Et ça, ça ne vient pas de l'espace. Ce n'est pas une propriété ontologique de l'espace.
35:44 Ça dépend d'une politique. Et donc, là, c'est au niveau mondial. Je le disais aussi sur le
35:49 Nouveau Monde et au niveau social, les zones qui passent après, les zones qui passent avant. Je
35:54 prends un autre exemple, mais c'est très intéressant la détermination sociale de l'espace. Je prends
35:59 juste un dernier exemple pour finir là-dessus. L'écologie actuelle, on parle beaucoup d'écologie,
36:03 etc. Moi, je m'inquiète, c'est beaucoup dire, je m'inquiète de l'écologie. Je me navre plutôt
36:11 de beaucoup de discours théoriques sur l'écologie qui nous font perdre du temps, je pense. Il faut
36:16 rendre l'écologie à l'anthropologie et pas commencer à parler d'ontologie, de je ne sais pas
36:22 quoi, etc. C'est nous, c'est par nous et pour nous. Vous pouvez le tourner dans tous les sens.
36:25 Et d'ailleurs, c'est notre responsabilité. Comment on pourrait incriminer l'homme si l'homme,
36:31 il est là au milieu des loups et des montagnes, il y est pour rien. Très bien que le meilleur gagne.
36:36 Et la loi de la nature, c'est la prédation. Donc, on a gagné, on est les plus grands prédateurs pour
36:40 finalement. Non, mais il faut être cohérent. C'est complètement incohérent. Donc non. Or,
36:44 l'écologie, est-ce que le problème de l'écologie, on ne pourrait pas le penser comme ça ? Au fond,
36:50 on a ce qu'on pourrait appeler la flèche capitaliste. Ce n'est pas un gros mot. Moi,
36:54 j'ai lu Marx, donc le capitalisme, j'en parle comme le concept économique défini par Marx,
36:58 qui est au programme de Terminal, etc. C'est un philosophe. On dit Marx, on a l'impression de
37:02 lever un chiffon rouge. Non, je parle d'un philosophe et d'une œuvre importante. Moi,
37:08 ce que j'appelle la flèche capitaliste, c'est quoi ? C'est que la naissance du capitalisme,
37:11 c'est d'avoir mis dans l'espace mondial la flèche du temps. C'est ce que j'appelle l'irréversibilité
37:18 des espaces entre le nord et le sud. Non seulement le nord et le sud, c'est des positions dans
37:22 l'espace, l'un vient avant, l'autre après, mais des positions irréversibles. Donc,
37:28 est-ce que le problème de l'écologie actuelle, ce n'est pas comment faire pour que le monde va
37:34 en avant ? On a un monde de la succession. Mais comment cette succession cesse d'être sous cette
37:42 loi d'espace irréversible pour faire un monde qui s'appellerait un monde contemporain, c'est-à-dire
37:48 simultané ? Le monde contemporain n'est pas un monde contemporain. On est dans un monde contemporain
37:53 où il n'y a pas de contemporains. On ne vit pas en même temps. D'ailleurs, regardez, quand Christophe
37:59 Colomb découvre l'Amérique, nous on a l'impression que les Amérindiens surgissent. Ils sont là depuis
38:06 mille ans. En même temps que Platon, il y a des Amérindiens. Ce n'est pas Christophe Colomb qui
38:12 les a sortis de son chapeau. Pourtant, dans nos imaginaires, vous voyez. Donc, est-ce qu'il ne
38:15 faudrait pas penser, d'ailleurs, l'écosystème, la biodiversité ? C'est tous des pathologies de
38:21 la simultanéité. C'est parce qu'on a une mauvaise simultanéité. Et pourquoi elle est mauvaise ?
38:26 Pourqu'on est aveugle à cette simultanéité du divers. D'où l'importance de différencier le nouveau
38:30 et le divers. La biodiversité, c'est un produit de la simultanéité. C'est parce qu'on a un déficit
38:36 du sens de la simultanéité. Et en réalité, c'est ce temps irréversible de la flèche capitaliste
38:43 qu'on a chez Hobbes. La circulation des marchandises en un seul sens, du centre vers les colonies,
38:49 et pas dans l'autre sens. C'est cet espace mondial sous la loi d'une succession irréversible
38:55 qui nous a rendus insensibles et inattentifs au sens du simultané. Et donc, ça dépend de nous.
39:03 C'est pour ça que c'est important de poser le problème comme ça. Parce que cette simultanéité
39:07 comme cette successivité irréversible, ça dépend de nous. Et de toute façon, comment faire le
39:14 procès de l'exploitation de la planète si l'homme n'est pas responsable ? Si l'homme est un vivant
39:21 parmi les vivants ? C'est contradictoire. Et les mêmes, je finis là-dessus, parce que ça,
39:24 c'est un truc, c'est des incohérences énormes. Le GIEC, c'est bien des études scientifiques qui
39:30 objectivent la planète et le climat. Ce sont des objets de science. Et c'est ces objets de science
39:36 qui nous permettent de peut-être repenser une politique autrement. Vous comprenez ? Mais on
39:41 confond objet et marchandise. Les scientifiques du GIEC, ils font des objets. Le climat devient
39:46 un objet. La biodiversité devient un objet pour le biologiste. Et c'est très bien, on en a besoin.
39:50 Mais ce n'est pas une marchandise. Là, comme on mélange les deux, on part avec des concepts
39:55 grossiers et on fait le combat de la science de je ne sais pas quoi. Et au nom de ça, on se réclame
40:02 des calculs du GIEC. Complètement absurde et contradictoire. Vous voyez ? Donc oui, il faut
40:09 penser à une politique, une sociologie des espaces, des temps, etc. Et c'est vrai qu'on n'a pas le
40:15 même temps selon que je suis pauvre ou riche. Le confinement, pour finir, répondre vraiment à
40:22 votre question concrètement. Le confinement, c'est quoi ? Pourquoi j'étais confiné dans un petit
40:25 espace ? Parce que le confinement, c'est une question de temps. Pourquoi l'espace est un
40:30 luxe ? Parce que l'espace dépend du temps. Je peux être dans une grande maison, mais si mon
40:35 temps, si je suis dans un temps exploité où je n'ai pas une minute et tout, je suis confiné dans
40:41 un espace microscopique. Et à l'inverse, regardez le petit prince sur sa toute petite planète qui
40:47 a le temps lui, il n'est pas confiné. Donc la question de l'espace extérieur dépend directement
40:54 du temps interne et ça peut être lié au temps social. Cher Guillaume, merci infiniment. Le temps nous manque pour
41:04 prolonger cette discussion. Je pense que nous sommes arrivés au terme de la deuxième partie. Désolé,
41:11 désolé, sauf si Antoine insiste, mais je pense que... Merci infiniment. Isabelle est avec nous
41:23 également. Je pense que c'est pour dire un mot. Moi ? Oui. Vous m'entendez ? Oui. J'étais convaincue que je n'étais pas
41:35 au début. Moi je dis bravo, je suis très contente parce que je peux me réconcilier avec la société
41:43 quand elle n'oublie ni l'histoire ni la géographie. Merci infiniment chère Isabelle. Je remercie nos
41:51 collègues du lycée Julio Curie à Varna. Madame Christophe Trinci également au lycée Maurice
42:00 Gennevoix à Marignane. Merci Madame D'Ambrasio au lycée Guillus Sac. Votre présence est une
42:07 gratification pour nous tous. Merci cher Jean-Luc pour ta présence avec nous en régie.
42:15 Chère Antoine, nous comptons sur toi pour un compte rendu. Tout le monde applaudit donc Guillaume
42:21 pour vous dire notre fidélité, notre gratitude. Merci à vous. Bonne continuation et à très bientôt
42:32 pour une publication indifférée de cette magnifique matinée consacrée à l'émotion de temps.
42:37 Au revoir.
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