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Jacques Chirac s'est décrit lui-même comme « un homme sans états d'âme ».
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Qui est réellement Jacques Chirac ? Qui est cet homme qui n'a cessé de brouiller les pistes pour se protéger ? Ceux qui l'ont suivi, ses proches comme ses adversaires, avouent qu'il est resté pour eux un mystère... L'ambition politique a finalement guidé son parcours, accaparé son temps et son énergie, mais cette soif de pouvoir était-elle son désir profond ? L'ancien président n'est-il pas passé à côté de la vie qu'il rêvait ? Ce document comprend notamment les témoignages de Bernadette Chirac, Claude Chirac, Frédéric Salat-Baroux, François Pinault, François Baroin, Jean-Louis Debré et Bruno Le Maire ainsi que les dernières interviews de Charles Pasqua et de Jérôme Monod

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Personnes
Transcription
00:00:00 [Musique]
00:00:14 Vive la République ! Vive la France !
00:00:16 [Musique]
00:00:21 Comme ça s'arrose, effectivement, Madame Pommier, vous nous mettrez un peu de champagne.
00:00:24 Ah !
00:00:25 [Musique]
00:00:27 Vous avez une activité débordante, surtout en période électorale, maintenant,
00:00:30 vous avez vraiment une énergie extraordinaire.
00:00:32 Comment faites-vous pour résister physiquement ?
00:00:34 Je m'arrange. Je suis gros mangeur.
00:00:37 On me représente comme un jeune loup, mais il est dû également.
00:00:40 Vous avez vraiment du retard, Monsieur Chirac.
00:00:42 Vous raisonnez comme il y a 40 ans.
00:00:44 Entendre ça de la bouche d'un léministe, je trouve que ça ne manque pas de soucis.
00:00:49 Comme il y a 40 ans.
00:00:51 Vous n'avez pas d'état d'âme ?
00:00:54 Je n'ai pas d'état d'âme. Je ne suis pas quelqu'un qui ait des états d'âme.
00:00:57 Vous êtes un bâtant, comme on dit, un homme d'action. Vous n'avez jamais de doute ?
00:01:00 Ah ! Si, si. Les hommes ont des doutes, ou alors ce sont des irresponsables.
00:01:05 [Musique]
00:01:08 Ce soir, je ne suis pas le Premier ministre, et vous n'êtes pas le Président de la République.
00:01:15 Nous sommes deux candidats, à égalité.
00:01:19 [Musique]
00:01:31 Moi, pour le moment, je garde ma voiture.
00:01:33 Tu gardes ta voiture ? Alors, on se retrouve où, là ?
00:01:35 On se retrouve, alors, à bord.
00:01:36 Bon, on se retrouve où, là ?
00:01:38 Bon, Annie, on se retrouve où ?
00:01:40 À bord.
00:01:41 À bord ? Vous venez à bord, Georges ?
00:01:42 Oui, à bord.
00:01:43 Alors, je vous donnerai la lettre.
00:01:44 [Musique]
00:01:57 C'est moi, le Caresse, et il y a des pommiers qui sont de très grande qualité, il faut bien le reconnaître.
00:02:02 Et on fait des pommes pour faire un petit cidre, qu'il n'a pas non plus de grande prétention, mais que j'aime bien.
00:02:09 [Musique]
00:02:11 Jacques Chirac, cette année, a paru très affaibli.
00:02:14 L'ancien Président avait beaucoup de mal à se mouvoir, et même à s'asseoir.
00:02:18 [Musique]
00:02:19 Vous allez encore comme problème. Je commence à en avoir assez.
00:02:22 What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France ?
00:02:26 Is that what you want ? Then let them go. Let them do.
00:02:30 [Musique]
00:02:43 Qui était Jacques Chirac ? Qui peut réellement répondre à cette question ?
00:02:47 Ceux qui l'ont suivi durant 40 ans de vie politique, ses proches, ses adversaires, ont certes été les témoins de beaucoup de choses,
00:02:53 mais tous avouent qu'il est resté, et restera donc, un mystère, une énigme.
00:02:57 L'ambition politique a finalement guidé son parcours, accaparé son temps et son énergie.
00:03:02 On peut toutefois aujourd'hui se demander si cette soif de pouvoir était son désir profond.
00:03:06 Jacques Chirac n'est-il pas passé à côté de la vie qu'il rêvait d'avoir ?
00:03:10 C'est ce roman que vous allez suivre ce soir, fait de coups, de conquêtes, de volte-face, de séduction, de blessures.
00:03:16 Celui d'un homme qui n'a cessé de brouiller les pistes, acceptant la caricature, utilisant ce masque, puis un autre, pour se protéger.
00:03:24 Il ne s'arrêtera jamais de peur de se retrouver face à lui-même, face à ce personnage qu'il se construisait et qu'il n'aimait peut-être pas.
00:03:31 Il était persuadé qu'il allait très vite tomber dans l'oubli, mais les dernières années de sa vie seront étrangement celles d'une incroyable popularité teintée de nostalgie, d'une époque politique révolue.
00:03:43 Revenons maintenant quelques temps en arrière.
00:03:45 Jacques Chirac a longtemps été un fauve que tous croyaient inébranlable,
00:03:48 jusqu'à ce jour de septembre 2005, qui va marquer un tournant dans la vie de cet homme, un événement inattendu qui signe en quelque sorte le début de son crépuscule.
00:03:59 C'est une journée qui, pour nous tous, est une journée, a priori, tout à fait normale.
00:04:16 On voit Jacques Chirac, évidemment, régulièrement dans la journée.
00:04:19 Ce 2 septembre 2005, un seul rendez-vous officiel figure à l'agenda.
00:04:29 La réception des représentants de la Principauté d'Andorre.
00:04:33 À 17h15, dans la salle des fêtes, le président entame la lecture de son discours.
00:04:40 Monsieur le syndic général, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les ambassadeurs, accrédités en Andorre.
00:04:51 Très vite, le chef de l'État paraît perdu.
00:04:55 Cet étonnant petit pays incarne une des plus belles traditions de l'aventure humaine.
00:05:10 On se rend compte, effectivement, qu'il sort de son texte complètement. C'est assez rare chez lui.
00:05:16 Non seulement Andorre a maintenu sa capacité de développement.
00:05:25 Jacques Chirac ne parle que 5 minutes au lieu du quart d'heure prévu.
00:05:30 Pour son auditoire, il parvient pourtant à faire illusion.
00:05:37 Moi, je ne me suis rendue compte de rien.
00:05:39 Vous savez, que ce soit sur le plan physique ou sur le plan psychologique, Jacques Chirac, c'est un sphinx.
00:05:45 Bonjour, messieurs. Je salue les autorités andorraines.
00:05:50 Il s'attarde un petit peu, pas autant que d'habitude, effectivement, mais il s'attarde un petit peu à saluer les uns et les autres.
00:05:58 Et il ne doit pas dans son bureau.
00:06:00 On se dit, voilà, il y a peut-être un rendez-vous téléphonique international qui n'était pas prévu à l'agenda.
00:06:06 En réalité, c'est son épouse en déplacement en province que le président appelle.
00:06:12 Il m'a dit, je ne sais pas ce que j'ai, mais je lis, mais je ne comprends plus ce que je lis.
00:06:20 Alors je lui ai dit, tout de suite à l'hôpital, immédiatement à l'hôpital.
00:06:26 Comme Bernadette Chirac, le médecin de l'Elysée comprend que la situation est très inquiétante.
00:06:33 En toute discrétion, accompagnée d'un seul gendarme, le chef de l'État est aussitôt conduit au Val-de-Grâce.
00:06:39 Il attendait pour avoir son scanner et me voit arriver et il dit,
00:06:50 "Oh, madame le professeur, il doit y avoir quelqu'un d'important ici pour que vous vous dérangeiez."
00:06:55 Les résultats du scanner révèlent que Jacques Chirac a subi un hématome intra-cérébral gauche,
00:07:01 autrement dit un accident vasculaire cérébral.
00:07:04 Il doit rester sous surveillance à l'hôpital.
00:07:08 Il me téléphone pour me dire, "Bon là, je ne me tue plus pas, il faudra sans doute que je reste une nuit à l'hôpital, mais bon..."
00:07:15 "Non, non, non, viens pas ce soir, non, non, genre, là, je veux pas qu'on me foute la paix, je préfère me coucher, et puis tu as qu'à venir demain matin."
00:07:25 Rien de cet échange ne m'alerte, ne m'inquiète, ne me... bon, ne me tracasse.
00:07:32 Le président minimise cet accident, qui aurait pu lui être fatal.
00:07:36 Un scénario sombre qu'il avait étrangement envisagé depuis quelque temps déjà.
00:07:41 Chirac disait toujours, "Je mourrai comme mon père à 70 ans d'une attaque."
00:07:47 J'ai toujours entendu ça, de toute façon, moi, je mourrai à 70 ans.
00:07:53 On peut considérer que le destin... le destin aurait pu être effectivement celui-là, ça aurait été cohérent avec ce qu'il a toujours pensé.
00:08:04 À 11 heures, un communiqué officiel des médecins du Val-de-Grâce est adressé à la presse.
00:08:18 Un texte visé par sa conseillère en communication, Claude Chirac, dont les termes exacts sont repris par le Premier ministre, quelques instants plus tard.
00:08:25 J'ai eu longuement, ce matin, le président de la République au téléphone.
00:08:30 Comme vous le savez, il a eu hier soir un petit accident vasculaire, ayant entraîné un léger trouble de la vue.
00:08:39 On parle de petit pépin de santé, de léger trouble de la vision.
00:08:43 On ne parle jamais d'un accident vasculaire cérébral. Le mot "cérébral" n'est jamais inscrit dans les communiqués.
00:08:49 On ne veut pas dire aux Français qu'il s'est passé quelque chose dans le cerveau de Jacques Chirac.
00:08:54 C'est pourtant le cas, parce que ça inquiète, c'est un mot qui fait peur, le mot "cerveau", "cérébral".
00:08:59 Malgré la version officielle, l'époque n'est plus au secret, au non-dit.
00:09:03 Dans la classe politique, on s'interroge déjà sur l'état de santé réel du chef de l'État.
00:09:08 On apprend qu'il y a un pépin de santé, mais qu'est-ce que c'est exactement ? Quelles sont les conséquences ?
00:09:13 Comment est-ce que le président de la République va s'en remettre ?
00:09:16 Tout au long de la semaine qui suit, les bulletins se veulent tous sans surprise, rassurants.
00:09:21 Mais il est impossible de voir ou d'entendre Jacques Chirac. Il est contraint au silence, tenu à distance.
00:09:28 Il est enfermé dans cette petite chambre comme un lion en cage, il n'en peut plus.
00:09:33 Un lion en cage, l'image est bien choisie pour cet animal politique.
00:09:38 Combattant tout le temps, tueur souvent, doté d'un appétit féroce de conquête.
00:09:44 Mais alors, d'où lui vient tout cela ? Cette confiance, ce sentiment de surpuissance, remonte à l'enfance.
00:09:53 J'ai été un enfant plutôt gâté.
00:10:01 Ma mère disait toujours, je ne peux pas m'acheter de chapeau parce que j'avais de l'argent que je pourrais consacrer à acheter des chapeaux.
00:10:09 Je donne à Jacques, il n'arrête pas de dépenser.
00:10:11 Un enfant gâté, mais ce que n'a jamais réellement évoqué Jacques, fils unique d'Abel François et de Marie-Louis Chirac,
00:10:18 c'est que cette adoration maternelle est liée à une disparition.
00:10:22 Il avait eu une sœur à peu près une dizaine d'années avant, lui, qui est morte dramatiquement.
00:10:31 Cette petite fille qui s'appelait Jacqueline.
00:10:33 Mes beaux-parents avaient décidé qu'ils n'auraient plus jamais d'enfant.
00:10:37 Et c'est pour ça que lorsque Jacques est arrivé, ça a été l'enfant du miracle.
00:10:46 Et ça explique en partie qu'il a été abominablement gâté petit.
00:10:52 Les intentions de cette mère au foyer, excessivement protectrice, ne cessent pas quand il grandit.
00:10:58 Quand il rentrait du lycée, il trouvait dans son bureau, là où il allait se mettre au travail, une assiette avec une sucette, le papier ôté,
00:11:10 pour qu'il n'ait pas la peine de l'ouvrir avant de s'en servir.
00:11:15 Il a été un enfant adoré et ça, c'est une force extraordinaire.
00:11:20 Quand vous l'avez été, vous ne doutez plus de rien.
00:11:23 Protégé, choyé, mais très vite va naître une soif de liberté.
00:11:28 Une volonté de s'affranchir des conventions bourgeoises de sa famille.
00:11:32 Quand il part à l'école, sa mère l'oblige évidemment à mettre des chaussures.
00:11:42 Quand il est à quelques dizaines de mètres de la maison, il enlève ses chaussures et dans Paris, il est pieds nus.
00:11:49 C'est vraiment l'enfant rebelle à ce moment-là.
00:11:52 À l'adolescence, ce goût de la liberté s'affirme un peu plus encore.
00:11:57 Jacques Chirac fait l'école buissonnière pour se réfugier dans un lieu qui le fascine, le musée Guimet, un musée dédié aux arts asiatiques.
00:12:07 Il découvre véritablement l'ailleurs.
00:12:17 Il est complètement attiré par les statuettes, par tous les objets d'Asie.
00:12:24 Son chemin est devenu la route de la soie et le chemin de Bouddha.
00:12:31 Cette passion de l'Asie en général, et de l'Inde en particulier, lui donne l'envie d'apprendre le sanscrit.
00:12:44 Un conservateur du musée Guimet lui communique alors l'adresse d'un vieux professeur.
00:12:49 Alors je suis allé dans le 5 fond du 13e arrondissement.
00:12:53 Et j'ai trouvé dans une soupanque misérable un homme très digne, qui avait fait un peu tous les métiers.
00:13:07 Et il a commencé à apprendre le sanscrit.
00:13:10 Cet homme cultivé, lettré, installé dans cette chambre modeste, répond au nom de Vladimir Belanovitch.
00:13:17 Issu d'une grande famille, il est arrivé de Russie après la révolution d'octobre 1917.
00:13:23 Alors au bout d'un mois il m'a dit écoute, premièrement tu n'es pas doué, et deuxièmement ça ne sert à rien, tu perds intégralement ton temps.
00:13:38 Alors si tu veux absolument apprendre une langue étrangère, tu ferais bien d'apprendre le russe, parce que ça sera plus utile.
00:13:46 Une amitié extraordinaire s'est nouée entre ces deux hommes.
00:13:50 Et Belanovitch va même s'installer chez les Chirac.
00:13:53 Il transmet à son jeune élève le goût de la littérature russe, au point de lui lancer le défi à 20 ans de traduire Pouchkine.
00:14:03 Il restera à jamais une figure marquante de la vie de Jacques Chirac.
00:14:08 Nous sommes le 9 septembre 2005, cela fait une semaine que le président de la république est invisible.
00:14:27 Sa sortie de l'hôpital est donc un moment très attendu.
00:14:30 Le service de presse de l'Elysée a précisé qu'on verra le chef de l'Etat, sa sortie s'exprimera devant la presse.
00:14:36 Alors là la mise en scène était extraordinaire, il y avait un clap, un clap de début, c'était une scène de cinéma.
00:14:56 Le président, accompagné de son épouse, s'avance, alerte et souriant, jusqu'aux dizaines de journalistes bloqués derrière les barrières de l'entrée de l'hôpital.
00:15:06 Voilà pour l'image maîtrisée, à laquelle il faut ajouter maintenant quelques mots, un message en apparence improvisé.
00:15:20 Alors je voudrais tout d'abord vous remercier d'être ici, vous savez très exactement les raisons qui m'ont conduit à passer une semaine à l'hôpital, je n'y reviendrai pas.
00:15:33 Après avoir fait l'éloge de l'hôpital pendant 3 minutes, Jacques Chirac la voit quelque peu enrouée, termine sa déclaration par une pirouette dont il a l'habitude.
00:15:42 Pour ne rien vous cacher, c'est mon dernier mot, pour ne rien vous cacher, je commençais à avoir hâte de sortir.
00:15:50 Ça c'est un fait, je commençais à trouver le temps long, surtout à l'heure du déjeuner, que je suis très content maintenant d'aller pour.
00:16:08 On n'a pas eu le sentiment qu'il avait été très malade et qu'il avait peut-être échappé au pire, ça on ne l'a pas su.
00:16:15 Dès le lendemain de la sortie de l'hôpital, l'Elysée veut faire passer un message, le chef de l'Etat est de retour aux affaires.
00:16:29 La première image le montre au travail avec son Premier ministre en plein week-end.
00:16:33 Un retour à la normale en apparence, car après cet accident, quelque chose en Jacques Chirac a réellement changé.
00:16:41 En fait, le président a gardé des séquelles de son AVC.
00:16:50 D'abord un champ de vision rétréci, mais aussi une forme d'épuisement.
00:16:56 Après un petit accident comme il a eu, en général il y a une grande fatigue, parce que d'abord il y a eu des examens, l'hospitalisation, l'anxiété, même si on ne l'a pas exprimé.
00:17:05 Donc il faut un temps de récupération, oui, c'est extrêmement important.
00:17:08 Il a fallu quand même freiner un peu son agenda, parce qu'il avait beaucoup de déplacements de prévu, des choses comme ça, et des choses qui ont été reportées un peu à plus tard.
00:17:16 Il avait désormais du temps qui était plus espacé, plus aéré, il se reposait davantage.
00:17:23 Sur l'agenda officiel de l'automne 2005, il apparaît que Jacques Chirac s'astreint une pause régulière après le déjeuner.
00:17:30 Il faisait la sieste à partir de ce moment-là, après son retour, il faisait la sieste à peu près tous les jours.
00:17:37 Et puis il y a toute une série de choses, de tâches qu'il déléguait et qu'il n'assumait plus.
00:17:42 Autre élément, sur recommandation de ses médecins, le chef de l'État a interdiction de prendre l'avion pendant un mois et demi.
00:17:51 Alors, au lieu de se rendre à Rome, c'est Silvio Berlusconi qui vient à lui.
00:17:56 Et c'est d'un pas manifestement hésitant, vérifiant chaque marche, qu'il vient l'accueillir.
00:18:16 Je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement le président du Conseil, mon ami Silvio Berlusconi,
00:18:25 qui a bien voulu changer le protocole qui aurait normalement exigé que j'aille à Rome,
00:18:35 et qui a accepté de venir ici, à Paris, pour m'éviter de prendre l'avion.
00:18:43 Je le remercie chaleureusement.
00:18:46 Ce n'est qu'après six semaines de convalescence que le chef de l'État peut théoriquement reprendre un rythme normal.
00:18:52 Mais en a-t-il réellement la force, et peut-être même l'envie ?
00:18:58 J'ai senti chez le président de la République une certaine lassitude, une certaine distance.
00:19:05 Il exerçait son job avec quelque chose de plus mécanique.
00:19:11 Le vieillissement, c'est peut-être le fait que ça touchait à sa faim. Il n'y avait plus d'entrain.
00:19:17 Beaucoup de tristesse. Que fais-je ? Où vais-je ? A quoi ça a servi tout ça ?
00:19:27 Je ne retrouvais plus grand-chose dans le comportement d'homme public du Chirac que j'ai connu il y a 40 ans.
00:19:36 C'était lui et plus lui.
00:19:40 19 mois avant la prochaine présidentielle, le président peut-il laisser apparaître une perte d'autorité ?
00:19:46 Sa fille Claude va tenter de masquer ses faiblesses.
00:19:50 Il y avait une volonté de maîtriser la communication et de la verrouiller d'une certaine manière.
00:19:58 On ne pouvait jamais avoir accès à lui sans passer par Claude. Claude, c'était un peu le passage obligé.
00:20:07 À la part de Claude Chirac, il y a eu une volonté de le protéger et peut-être d'ailleurs de l'isoler.
00:20:13 Mais à trop vouloir le protéger, la conseillère en communication creuse le détachement du président.
00:20:19 L'opinion ne va pas tarder à s'en rendre compte, à la lumière d'une affaire tragique.
00:20:25 C'est l'information de la nuit. Deux jeunes sont morts électrocutés hier soir à Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis.
00:20:30 Des bandes de jeunes en colère ont ensuite pris les pompiers pour cible.
00:20:35 Le truc de ces deux adolescents, poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois, déclenche une vague d'émeutes dans les banlieues françaises.
00:20:40 Nouvelle nuit de violence en région parisienne, la sixième consécutive.
00:20:43 Dans les jours qui suivent, l'état d'urgence est décrété.
00:20:46 Le Premier ministre Dominique de Villepin et le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy font face à une crise qui s'installe.
00:20:53 Hier soir, 29 personnes ont été interpellées. 177 véhicules brûlés, 4 policiers et 2 pompiers blessés.
00:21:01 Il y a eu 4 tirs à balles réelles. C'est le sentiment que la situation empile.
00:21:05 Malgré la situation, le président reste étrangement en retrait.
00:21:09 On est aussi étonnés du silence de Jacques Chirac. Il est intervenu en Conseil des ministres, mais où est le président de la République ?
00:21:15 Près de trois semaines après le déclenchement de la crise, Jacques Chirac finit par réapparaître. Le 14 novembre 2005.
00:21:23 Il y a 18 jours tout juste que la France est secouée par les violences urbaines, et certaines voix se sont étonnées de la relative discrétion du chef de l'État.
00:21:32 Voici donc cette allocution. Nous rejoignons l'Élysée Jacques Chirac dans quelques secondes.
00:21:38 Mes chers compatriotes, les événements que nous venons de vivre sont graves.
00:21:46 La première chose qui frappe les téléspectateurs, c'est un détail visuel.
00:21:51 Pour la première fois depuis plusieurs années, le chef de l'État porte des lunettes.
00:21:55 On observe qu'il a plus de difficultés à lire, alors ses discours seront écrits avec des lettres beaucoup plus épaisses.
00:22:02 Et je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, qu'ils sont tous les filles et les fils de la République.
00:22:18 On l'a trop attendu. Lorsque Chirac parle, même si ce discours est très bon, je me rappelle l'éditorialiste du New York Times l'a surnommé l'homme invisible.
00:22:29 Et vous pouvez compter sur ma détermination. Vive la République et vive la France.
00:22:36 Voilà, pour cette intervention...
00:22:38 Un homme invisible qui est aussi devenu un populaire.
00:22:44 En avril 2006, Jacques Chirac ne recueille que 25% d'opinions favorables.
00:22:49 La vérité c'est que tout se préparait dans l'ombre pour l'organisation de 2007, pour ou contre Sarkozy.
00:22:58 Mais Chirac n'était plus tout à fait dans le jeu.
00:23:01 Pourtant, sa fille et son entourage ne semblent pas vouloir abdiquer.
00:23:05 Claude, comme nous tous d'ailleurs, souhaitions vraiment que Jacques Chirac puisse se représenter.
00:23:13 Il y a un lien indéfectible, irrationnel, passionnel.
00:23:18 Et donc c'est son père, son héros, l'homme qu'elle admire le plus au monde.
00:23:24 Et elle veut savoir où il en est.
00:23:26 C'est dans ce contexte qu'elle commande une série de sondages qualitatifs.
00:23:30 Un panel de Français est invité à parler librement du président.
00:23:34 Et ils ignorent que derrière une glace sans teint, la propre fille du chef de l'État les écoute.
00:23:40 Le résultat est catastrophique. Il y a des images qui viennent, qui sont souvent très dures.
00:23:45 C'est le vautour, il se cache pour mourir, enfin des choses qui sont assez horribles à entendre.
00:23:50 Claude, elle est totalement livide d'entendre ça.
00:23:55 Évidemment, ça met par terre tout ce qu'elle a si soigneusement construit.
00:24:01 Quelque part, la page était en train de se tourner. Et donc les regards étaient posés ailleurs.
00:24:07 Forcément, l'avenir n'était plus Jacques Chirac.
00:24:10 Claude va épargner à son père les résultats de cette enquête d'opinion, qui restera totalement secrète.
00:24:16 Un secret qui peut paraître dérisoire, car au fond de lui, Chirac semble déjà ailleurs, loin des enjeux politiques.
00:24:30 On sent qu'au fond, plus le temps passe, plus il se réserve pour l'essentiel, enfin pour ce qui est essentiel pour lui, pour ses fondamentaux.
00:24:40 Et une date justement, dans son agenda, lui paraît fondamentale.
00:24:45 Ce n'est pas un sommet intérieur, une réforme clé, une rencontre internationale, rien de tout cela.
00:24:51 Le 20 juin 2006, il se rend à l'inauguration du musée du Quai Branly, son musée.
00:24:58 L'aboutissement d'une passion née 60 ans plus tôt au musée Guimet.
00:25:02 Le Quai Branly, c'est son truc, on a l'impression qu'il est venu comme président pour faire les impremiers, c'est sa passion.
00:25:10 Pour cette journée si symbolique, Jacques Chirac a tenu à choisir lui-même ses invités.
00:25:24 Il a décidé que l'inauguration serait faite par lui et Kofi Annan, qui était à l'époque le secrétaire général de l'ONU,
00:25:30 plus 4 ou 5 personnalités que, dit Jacques Chirac, je vais choisir, parce que ce sont des gens que j'aime et dont on ne parle pas très souvent.
00:25:39 Parmi ces personnalités, son ami Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix, qui se bat pour les droits des peuples autochtones.
00:25:53 Jacques Chirac, c'est quelqu'un qui est très relativiste, c'est-à-dire qui n'est pas du tout dans l'idée de dire "Nous, Occident, on a raison,
00:26:00 notre système de valeurs c'est le seul possible et nos cultures sont inouïes et très supérieures à tout le reste".
00:26:06 Je dirais que c'est presque le contraire.
00:26:15 Il a des termes très durs pour expliquer le mal qu'a fait l'Occident à toutes les autres cultures.
00:26:22 Dès qu'il parle de ces questions-là, c'est un véritable militant.
00:26:28 - Il n'y a plus d'énergie, dit Rigoberta. L'énergie est partie.
00:26:33 - Vous pouvez sentir s'il y a encore de l'énergie ou non ?
00:26:39 - Bien sûr.
00:26:41 - Il n'y en a pas ?
00:26:43 - Non, je n'en sens pas du tout. En tous les cas, il y en a peut-être encore un peu.
00:26:48 - Il y a encore un peu de l'énergie.
00:26:51 - Il y a encore de l'énergie ?
00:26:53 - Oui.
00:26:56 - Il y a peut-être des œufs où il y a de l'énergie ?
00:26:59 - Pour l'instant, il n'y en a pas du tout.
00:27:01 Il a envie de comprendre comment ça peut fonctionner dans un autre esprit
00:27:09 et donc à quoi pensaient les gens qui ont produit ces œuvres.
00:27:12 Je crois que c'est ça qui l'intéresse.
00:27:14 Chacune des petites statuettes était capable de nous dire pratiquement pourquoi, comment elle avait été taillée,
00:27:24 quelle était sa vocation, l'espérance qu'elle portait en elle.
00:27:26 C'est un homme qui est profondément spirituel parce qu'il a trouvé du sens à un objet qui, pour vous, va paraître anodin.
00:27:38 Pour lui, tout ce qui nous permet de nous élever, d'étudier, de comprendre les autres, c'est spirituel.
00:27:43 Avec ce musée, Jacques Chirac révèle au grand public une partie de sa vérité qu'il s'était pourtant obstiné à cacher.
00:27:52 Un jardin secret qu'il cultive et qui est en partie contenu depuis des années dans ce cartable noir.
00:27:58 - Personne ne savait ce qu'il y avait dedans.
00:28:01 Il le transportait à chaque conférence internationale.
00:28:10 Où dit-il, il s'emmerdait beaucoup.
00:28:13 C'était des fiches du CNRS, c'était des fiches d'archéologues, c'était des fiches d'anthropologues.
00:28:21 Tout ce qu'il passionnait.
00:28:23 Des fiches, des chronologies de l'histoire de l'humanité, qui concentrent les questions essentielles pour Jacques Chirac.
00:28:31 D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
00:28:36 Je l'ai vu à un sommet de l'OTAN, dans cette salle où vous avez tous les chefs de l'État qui sont assis en rond autour d'une table.
00:28:45 Et qui débattent par définition de la guerre et de la paix.
00:28:50 Et qui sont les chefs de l'État.
00:28:52 Et qui sont les chefs de l'État.
00:28:55 Et qui sont les chefs de l'État.
00:28:58 Et qui sont les chefs de l'État.
00:29:01 Et qui sont les chefs de l'État.
00:29:04 Et qui sont les chefs de l'État.
00:29:07 Et qui sont les chefs de l'État.
00:29:10 Et qui sont les chefs de l'État.
00:29:13 Et qui sont les chefs de l'État.
00:29:17 Pour préserver cette bulle, Jacques Chirac, depuis 40 ans, a entretenu une image.
00:29:21 Il a accepté de garder un masque. Celui de la caricature.
00:29:25 Je suis fasciné quand on dit "Chirac n'aime que les sandwiches, la bière, les westerns, le Coca-Cola".
00:29:34 Oui, c'est une image qu'il a un peu contribuée à construire.
00:29:39 Il va vous faire croire qu'il est un peu le roi des cons. Il adore passer pour un con.
00:29:45 Ça l'amusait beaucoup. On l'a fait passer pour un ignare, un primate qui ne connaissait pas grand-chose, en dehors de l'accordéon, de la musique militaire.
00:29:52 Il y a une très belle phrase de Malraux, qui je trouve s'applique très bien à Chirac.
00:29:56 "L'homme est ce qu'il cache, or Chirac cache."
00:30:01 Je n'ai jamais beaucoup aimé qu'on vienne piétiner la bande de mes jardins personnels.
00:30:08 Chirac n'a jamais voulu que l'on n'en sache plus sur lui.
00:30:15 D'ailleurs, était-il programmé pour la conquête du pouvoir et ses contraintes ?
00:30:19 Peut-être pas, finalement.
00:30:22 Sa quête de liberté de l'enfance se confirme à l'adolescence.
00:30:33 Après l'obtention du bac, il commet à 18 ans un nouvel acte de rébellion.
00:30:39 En juin 1950, il se fait embaucher comme pilotin sur un cargo, le capitaine Saint-Martin.
00:30:46 Il y a quelque chose de fantasque, déjà presque d'épique.
00:30:52 Il veut jouer le marin, il s'achète une pipe.
00:30:57 Il s'achète, comme on disait à l'époque, du gros cul, c'est-à-dire du tabac noir très très fort.
00:31:04 Évidemment, il est malade.
00:31:08 Il est en train de se faire dépuceler.
00:31:10 C'est un moment grisant pour lui.
00:31:15 Il adore cette aventure-là, qui est aussi une forme d'initiation.
00:31:20 Poussée jusqu'au fait qu'on va l'initier, même d'un point de vue...
00:31:25 Il y aura un espèce de dépucelage, finalement, qui se passera en Afrique du Nord.
00:31:32 Le Bosco va l'emmener dans la casse-batte, dans un bordel, se faire dépuceler.
00:31:37 Il a découvert la vie à ce moment-là. Il a tout découvert à ce moment-là.
00:31:42 Il a découvert la fraternité, il a découvert l'aventure, l'espace grand large.
00:31:49 Mais l'aventure a une fin, et la liberté des limites.
00:31:53 En septembre 1950, Jacques Chirac rentre au port.
00:31:58 Et il est attendu par un homme.
00:32:01 Il y a quelques mois arrivant à Brest, j'ai vu sur le port, sur le quai, une haute stature.
00:32:08 Mon père était plus grand, plus fort que moi, et une haute stature.
00:32:11 J'étais là, et je me suis dit que les ennuis allaient commencer.
00:32:14 Son père l'attend sur le quai. Il dit "en bref, ça suffit les bêtises", pour ne pas dire d'autres mots, sans doute.
00:32:21 "Maintenant, il est temps de reprendre les études."
00:32:23 C'était un homme immense, plus grand que mon mari, très autoritaire.
00:32:30 Et il a essayé d'élever son fils beaucoup plus sévèrement que ma belle-mère.
00:32:35 Ça, c'est pas douteux.
00:32:37 Et Chirac obtient père, le jeune Chirac obtient père.
00:32:39 D'une certaine manière, il obtient père toujours.
00:32:41 Il va toujours être amené sur le chemin d'un fils de fémine bourgeois, il va toujours être amené par son père.
00:32:51 Tout le temps.
00:32:53 Jacques Chirac obéit.
00:32:56 Un père autoritaire, conservateur, qui a de grandes ambitions pour lui.
00:33:00 En 1951, il intègre Sciences Po, mais politiquement, il s'oppose aux idées familiales.
00:33:06 Il se rapproche des étudiants d'extrême gauche.
00:33:08 Un peu plus tôt, il a même vendu l'Humanité Dimanche dans le 6e arrondissement de Paris.
00:33:14 Il ne sera jamais membre du Parti Communiste.
00:33:17 Enfin, il était tout près du parti, il considère que la SFIO, c'est-à-dire le parti socialiste de l'époque, n'était quand même pas tout à fait assez à gauche.
00:33:24 Au sein de sa promotion, Jacques Chirac acquiert très vite un statut de leader.
00:33:29 Notamment auprès des jeunes filles de bonne famille.
00:33:32 C'était un très beau garçon, grand, mince, avec beaucoup de charme.
00:33:37 Il en usait d'ailleurs.
00:33:39 Il aimait beaucoup fréquenter les jeunes filles, les plus charmantes et les plus agréables à regarder.
00:33:47 Jacques, vous comprenez, c'était un séducteur quand même.
00:33:52 Dans notre groupe, nous étions tout autour de lui et nous étions très heureuses d'avoir un chevalier servant aussi charmeur, mais aussi différent.
00:34:08 Et ce côté entreprenant, ce côté batailleur nous fascinait.
00:34:16 Toutes les filles couraient après lui.
00:34:19 Il était très, très demandé. Je suppose qu'il faisait son choix parce qu'il en avait les moyens.
00:34:26 Parmi ses étudiantes, il en est une plus discrète et plus réservée que les autres.
00:34:31 Elle s'appelle Bernadette Chaudron de Courcel.
00:34:34 C'était une jeune fille timide, pas du tout affirmée, en retrait.
00:34:43 Elle ne parle pas beaucoup, elle a une timidité que l'on ne peut pas imaginer de nos jours.
00:34:49 Elle est l'inverse de Jacques Chirac qui a une faconde d'humilité.
00:34:56 Jacques Chirac était assis en face de moi et je ne comprenais pas pourquoi ce jeune homme agitait ses jambes sans arrêt sur la table.
00:35:08 Et je me disais, ça c'est un jeune homme qui doit boire énormément de café.
00:35:13 Jacques Chirac va à son tour repérer cette jeune femme, alors qu'elle va vaincre pour une fois sa timidité en choisissant de prendre le premier exposé de l'année.
00:35:23 Comme j'étais la seule à lever le doigt pour le premier, il a dû se dire, cette fille a un sacré culot.
00:35:32 Il est en bibliothèque, quelques jours après, il s'approche de moi, moi je regarde cette espèce de grand escrogrife qui était debout à côté de moi,
00:35:40 et qui me dit, mademoiselle, j'ai observé que vous aviez pris les deux premiers exposés, je suis en train de constituer un groupe de travail, est-ce que vous accepteriez ?
00:35:51 Et là, j'ai répondu, monsieur, ce sujet mérite réflexion, je vous donnerai une réponse ultérieurement.
00:36:02 Bernadette Chaudron de Courcel fait mine de réfléchir, mais elle est déjà sous le charme de cet étudiant entreprenant et convoité.
00:36:09 Elle me disait toujours, mais tout en Jacques est grand, grand est sa taille, grandes sont ses mains, grandes sont ses pieds, 48.
00:36:19 Mais dans la famille Chaudron de Courcel, la fréquentation de ce jeune homme sans particules n'est pas bien vue.
00:36:27 Je me rappelle de mon grand-père de Courcel qui m'avait convoqué dans son bureau, un peu Courcel, et qui m'avait dit, dis-moi, ce garçon, est-ce que ça n'est pas un espion soviétique ? Tu es sûre ?
00:36:42 Malgré ses doutes, la jeune femme va réussir à l'imposer dans sa famille. Elle est amoureuse de Jacques Chirac, au point parfois de se mettre à son service.
00:36:52 Elle lui fait ses fiches, elle rapporte ses cours, elle est son intermédiaire. Quand il n'est pas là pour les cours, elle va les déposer, elle est sa petite main.
00:37:04 Parfois, il trouvait aussi bien commode de lui demander, par exemple, de lire un énorme livre en 18 volumes qu'il fallait résumer, ou faire une fiche de lecture.
00:37:17 Et le pire dans cette affaire, c'est que non seulement elle faisait sa fiche à lui, plus la sienne, mais que lui avait une meilleure note qu'elle.
00:37:22 Car l'ancien lycéen nonchalant s'est transformé en excellent élève. Deux ans après son entrée à Sciences Po, ses professeurs voient en lui un étudiant d'une grande valeur, très intelligent.
00:37:35 L'un d'entre eux souligne même, en forme de prédiction, un étudiant d'avenir.
00:37:44 C'était quand même quelqu'un qui, à 18 ans, était déjà follement doué. Et d'une rapidité foudroyante.
00:37:52 Ses bons résultats lui offrent la possibilité de faire un séjour d'études aux Etats-Unis.
00:37:58 Trois ans après son escapade en cargo, cette fois Jacques Chirac reprend la mer pour traverser l'Atlantique. Il repart du Havre, accompagné de deux camarades.
00:38:09 Arrivé à Boston, pour financer ses cours, il se fait rapidement embaucher à la plonge, dans un fast-food de la chaîne Howard Johnson.
00:38:18 Le patron du Howard Johnson a rapidement compris qu'il avait intérêt à le faire monter à l'étage où il fabriquait les glaces.
00:38:27 Et alors là, il y avait une queue immense d'étudiants et surtout de jeunes filles qui venaient chercher des glaces.
00:38:36 J'avais fait ainsi la connaissance d'une charmante américaine qui m'appelait Honeychild. Ça veut dire enfant de miel. C'était charmant. J'ai pas pu résister, naturellement. Et je me suis fiancé.
00:38:50 Il va tomber raide amoureux d'Ingres d'une superbe fille qui se balade en cadiac décapotable.
00:39:03 Je ne sais pas exactement quels sont ses sentiments pour cette jeune fille, mais je suppose qu'ils étaient beaucoup plus qu'amis.
00:39:10 La nouvelle des fiançailles avec cette jeune américaine arrive bientôt à Paris.
00:39:15 Et là, c'est un drame total. Mes beaux-parents, ma belle-mère surtout, absolument furieuse et désespérée, est venue dire à ma mère qu'elle recevait des lettres de son fils, chéri, qui avait été enceinte.
00:39:31 Chéri, qui était aux États-Unis et qui, semble-t-il, était en train de s'engager avec une américaine. Et au monde, elle ne voulait pas d'une belle-fille américaine.
00:39:41 C'était un fils unique. Et mes beaux-parents voulaient une française. C'est comme ça.
00:39:51 Comme sur le quai, quand le bateau est revenu. Son père tient dû lui signifier que maintenant, il était temps de rentrer et que tout ça n'avait aucun sens. Et que voilà, Bernadette était là et qu'elle l'attendait et que c'était là sa place.
00:40:02 Il y a toujours eu un moment, finalement, où l'ordre l'attend dans sa vie et comme s'il en avait besoin.
00:40:07 Je me suis dit que tout ça n'était pas raisonnable et j'ai donc rompu mes fiançailles. Et je me suis refiancé après en France, ce qui était plus raisonnable.
00:40:18 Plus raisonnable. Chirac, tiraillé une nouvelle fois entre la liberté et la contrainte, ne résiste pas à la pression familiale.
00:40:26 Le 17 mars 1956, trois ans après ses fiançailles, c'est en tenue militaire qu'il épouse Bernadette Chaudron de Courcel, à Paris.
00:40:40 Jacques Chirac, elle l'a eu, mais elle l'a eu envers et contre tous, envers et contre son mari même, parce que Jacques avait peut-être moins envie de fonder une famille que Bernadette elle-même.
00:40:57 À ce moment-là, ce mariage participe aussi de cette part d'ordre qu'il y a chez Chirac, c'est-à-dire une façon non pas de lutter contre ce qu'il y a en lui de rebelle, mais de faire contrepoids.
00:41:12 Avec Jacques Chirac, l'histoire se répète. Il est rentré dans le rang. Mais pas pour longtemps. Dès le lendemain de la cérémonie, il part pour rejoindre l'Algérie en guerre.
00:41:25 C'était déjà un signal, une manière de dire "la vie m'appelle ailleurs aussi".
00:41:29 La phrase qui est revenue le plus souvent dans le vocabulaire de son mari, dans le vocabulaire conjugal, c'est "je file, je file, je file".
00:41:37 Quatre ans après son retour d'Algérie, Jacques Chirac, tout jeune et narque, amorce une nouvelle trajectoire. Il devient conseiller du Premier ministre Georges Pompidou.
00:41:49 Mon père était très mécontent. Il avait dit "cette affaire n'était pas dans le contrat de mariage". Qu'est-ce que c'est que ça ?
00:41:56 Très vite, Bernadette Chirac va comprendre que le virus de la politique a été inoculé, qu'il est là et qu'il restera là.
00:42:05 - Où est-ce qu'elle est ma femme ? Comment ? Bernadette, je crois que vraiment, on attend depuis un petit moment.
00:42:15 Elle va dès lors accompagner son mari dans la conquête du pouvoir, supportant les défaites et acceptant les victoires.
00:42:21 - Je pensais que dans une vie plus classique, que Jacques Chirac restera à la cour des comptes, qu'elle verrait ses cousins, qu'elle le ramènerait sans doute vers son milieu à elle. Je ne pensais pas du tout avoir cette vie.
00:42:38 J'ai accepté un destin dont je savais qu'il serait quelquefois difficile à assumer, mais je l'avais accepté. Et je ne l'ai jamais regretté.
00:42:49 Et c'est finalement une famille entière qui a porté l'ambition politique du chef.
00:43:01 Comme leur mère, Laurence et Claude, les filles du couple ont été embarquées dans cette aventure.
00:43:07 Bernadette Chirac elle-même n'a finalement jamais regretté, car au fil des années, elle a su trouver sa place, épouse effacée à Matignon, devenue plus autoritaire à l'hôtel de ville.
00:43:17 Elle s'est finalement épanouie dans son rôle de première dame, avec une nouvelle arme, la popularité.
00:43:24 C'est cette page, cette page de sa vie la plus heureuse, selon ses mots, qu'elle doit maintenant tourner, car un nouveau président s'apprête à rentrer à l'Élysée.
00:43:35 Ce jour-là, Jacques Chirac va donc quitter l'Élysée. Et il n'est pas le plus ému par l'événement.
00:43:49 J'ai eu beaucoup de mal à déménager. Toujours la personne nante. Je m'y suis prise trop tard. Et j'ai dû travailler une nuit entière, c'est-à-dire la dernière nuit, pour achever les paquets que le dernier camion de déménagement attendait dans le jardin.
00:44:13 Elle a beaucoup de peine à quitter ce palais. Elle l'a beaucoup aimé, elle l'a arrangé à sa façon, elle l'a fait décorer. Elle dira d'ailleurs un partant "c'est nous qui avons fait tout ça".
00:44:24 Bernadette Chirac, c'est quelqu'un qui aimait le pouvoir, qui aimait les honneurs. Elle a aimé le pouvoir de son mari, elle a aimé ce que ça représentait. Bernadette Chirac est quelqu'un qui dit aimer les palais nationaux.
00:44:40 Et voici que le président en place, il l'est toujours, à la minute même, Jacques Chirac vient l'accueillir, descend les quelques marches et l'accueille.
00:45:07 Je l'ai vu marquer son scepticisme jusqu'au bout sur l'élection de Nicolas Sarkozy. Jusqu'au bout je lui ai dit "non mais c'est pas forcément certain qu'il sera élu".
00:45:15 Il a espéré jusqu'au bout que ça serait quelqu'un d'autre, que ça puisse être encore peut-être Juppé. Ça, ça a été l'espoir, l'espoir ultime.
00:45:24 Les deux présidents s'isolent. L'entretien est bref, anodin diront certains. Aucune chaleur particulière entre ces deux hommes qui ont pourtant partagé des moments intimes et des moments politiques intenses.
00:45:36 Les relations entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac de 2005 à 2007 ont toujours été des relations tendues.
00:45:46 Il ne critiquait pas l'ambition de Sarkozy, ambitieux il a été lui-même, il critiquait un homme un peu trop pressé, prêt à tout pour arriver trop vite au pouvoir.
00:45:55 Il y a difficilement plus inconciliable en politique que celui qui est au pouvoir et celui qui veut le conquérir.
00:46:03 Remettre les clés à Nicolas Sarkozy, je pense que ça lui a fait mal au ventre.
00:46:10 Une trentaine de minutes plus tard, l'ancien et le nouveau président réapparaissent sur le perron.
00:46:17 C'est vertigineux oui quand il quitte l'Elysée. C'est un moment qui est éprouvant oui.
00:46:29 C'est un moment très dur, très très dur.
00:46:35 L'événement marque également une rupture pour une jeune femme dont le regard s'évade au moment où son père quitte l'Elysée.
00:46:42 Jacques Chirac fait ses adieux à ce qui a rempli sa vie, la conquête et l'exercice du pouvoir pendant près de 40 ans.
00:46:55 Tout cela sans réellement savoir ce qui va venir maintenant.
00:47:03 Je ne pense pas que Chirac ait anticipé le moins du monde le jour où il devrait dégager de l'Elysée, s'en aller.
00:47:16 Je ne pense pas qu'il y a pensé. Il le savait, je pense qu'il l'a refoulé au maximum parce que c'est son caractère.
00:47:28 Pour un être aussi politique que Jacques Chirac qui a été aussi longtemps dans les combats, il n'y a pas de vie d'après.
00:47:34 Il n'en parlait pas. Il n'en parlait pas, il n'avait pas préparé d'après, ni l'endroit où il allait aller, ni ce qu'il allait faire.
00:47:46 Ce qui va susciter une certaine polémique, c'est que le couple Chirac n'ait pas lui-même fait l'acquisition d'un appartement.
00:47:54 Après avoir vécu 40 ans dans les palais de la République, l'ancien président et son épouse s'installent au Trois-Quai Voltaire,
00:48:01 dans un logement emprêté par la famille de Rafi Karheri, l'ancien premier ministre libanais.
00:48:06 Chirac, un jour quand je l'ai interviewé, il m'a dit une chose qui m'avait beaucoup frappé.
00:48:11 Il m'a dit "je me suis rendu compte que je n'avais jamais eu l'accès de mon appartement".
00:48:14 C'est-à-dire qu'il n'a jamais ouvert la porte de son appartement.
00:48:17 À partir de ce jour-là, c'est également une nouvelle vie qui s'impose.
00:48:22 Jacques Chirac et son épouse se retrouvent face à face.
00:48:25 Autant ils pouvaient vivre chacun de leur côté à l'Elysée, ils avaient chacun leurs activités,
00:48:31 autant là ils vont être amenés à cohabiter dans un grand appartement,
00:48:36 mais c'est une cohabitation qui ne va pas être facile tous les jours.
00:48:40 C'est un couple qui a un ciment très solide, mais qui au quotidien ont du mal à se supporter,
00:48:46 n'ont pas le même rythme, n'ont pas les mêmes intérêts.
00:48:50 Et dès le lendemain de la passation de pouvoir, le changement de rythme est radical,
00:48:54 voire brutal pour l'ancien président.
00:48:56 Jacques Chirac a vécu presque toute sa vie d'adulte, en tout cas avec des journées remplies du matin à tard dans la nuit,
00:49:05 pas de samedi, pas de dimanche, pas de vacances, et du jour au lendemain, le rythme décélère considérablement.
00:49:13 À cela s'ajoute un nouveau regard porté sur lui.
00:49:18 Jacques Chirac va très vite s'en rendre compte.
00:49:20 Quand il avait pris ses bureaux à deux pas de l'Assemblée nationale,
00:49:24 c'était dans l'espoir que les députés viendraient lui raconter la vie politique,
00:49:29 viendraient le voir, viendraient passer des moments conviviaux avec lui.
00:49:34 Très peu de personnes vont le voir, ce qui me surprend énormément.
00:49:39 Et en même temps on est tous habitués à la tertuferie de la société,
00:49:42 au fait qu'une fois que vous n'avez plus le pouvoir, tout le monde s'en va, ça fait partie du jeu.
00:49:47 Ce sont ses amis, ses anciens amis, certains de ses anciens amis,
00:49:50 qui ne viennent plus le voir, en tout cas qui viennent le voir le moins possible,
00:49:53 pour ne pas déplaire au monarque.
00:49:56 Il s'est trouvé brusquement devant un vide, et le vide est en fait un gouffre.
00:50:10 Au début de l'été 2007, Jacques Chirac s'enfonce dans une forme de dépression.
00:50:17 Des photos du couple en vacances à Biarritz expriment cette tristesse qui a gagné l'ancien chef de l'État.
00:50:22 Je le trouve fatigué, je le trouve sans bon moral,
00:50:29 je sens qu'il rentre dans cette période estivale avec mélancolie.
00:50:34 J'ai appris qu'il était parti en vacances à Biarritz,
00:50:41 et j'ai pris mon téléphone, il paraît qu'il pleut,
00:50:44 il vient à Saint-Tropez, il fait un beau soleil.
00:50:47 On est allé prendre des verres sur le port de Saint-Tropez,
00:50:57 il était au marché, saluait les gens, ça lui redonnait un peu goût à la vie.
00:51:00 Il avait besoin de ça, je crois.
00:51:02 Il avait besoin de ça.
00:51:04 Chirac renoue avec ce qu'il a toujours aimé,
00:51:07 et ce qui très vite l'a caractérisé.
00:51:11 Les poignées de main cordiale, le besoin permanent de séduire, de conquérir.
00:51:16 Ce Chirac là, il est né 40 ans plus tôt.
00:51:20 En 1967, alors qu'il n'est qu'un jeune conseiller de Matignon,
00:51:25 Georges Pompidou lui lance un défi, reprendre la Corrèze à l'opposition.
00:51:30 Bonjour, comment allez-vous ? C'est gentil d'être venu ce lundi matin pour nous accueillir.
00:51:39 C'est Georges Pompidou qui l'a incité.
00:51:41 Quand je dis incité, le mot est faible,
00:51:43 parce que si Georges Pompidou vous demandait quelque chose, en principe vous le faisiez.
00:51:48 Surtout si de surcroît vous étiez jeune, et que ça ouvrait pour vous des perspectives nouvelles.
00:51:55 C'est l'opération qu'on avait appelée, de façon un peu ridicule, l'opération des jeunes loups.
00:52:02 On avait prêté serment à Solignac de liquider la gauche dans cette région du Limousin.
00:52:08 Bonjour Marcel, comment ça va ? Comment allez-vous ?
00:52:12 Comment ça va monsieur Coudère ? Ça va ?
00:52:14 Ça se maintient ?
00:52:16 Celui qui a été élu conseiller municipal de Sainte-Féréole deux ans plus tôt,
00:52:20 met en avant ses racines familiales corréziennes.
00:52:23 Et Chirac sait faire, il trouve les mots avec chacun.
00:52:28 Ah, tu vas les faire ! Ah, ben, t'es bon, bon.
00:52:31 Bon, alors quand est-ce que tu le fais ce prochain mesclé ?
00:52:35 Eh ben, la prochaine fois, oui. Mais encore.
00:52:37 Il va falloir 15 jours, peut-être trois semaines, un mois.
00:52:39 Ils sont un peu plus gras. Ils sont en point, là. Ils sont en point.
00:52:41 Non, pas trop. Ils sont pas trop petits. Ils m'en faudraient une douzaine.
00:52:44 Tu en pousses un peu. Il en faudra bien trois ou quatre.
00:52:46 Ah oui, là, il en faudrait trois ou quatre, oui.
00:52:48 Tu te fais pas de ville, toi ? Non, je suis comme toi.
00:52:50 Toi, tu n'as pas l'air de faire gare mieux.
00:52:52 Tu as un bon place-sous ? Oui.
00:52:55 Ah, vous êtes des gars, vous autres, vous faites pas de mauvais ça.
00:52:57 Tu vois le dimanche, quand j'en passe.
00:52:59 Il était adoré parce qu'il s'occupait de tout.
00:53:01 Il connaissait les gens par leur nom et leur prénom.
00:53:04 Ce type était irrésistible.
00:53:09 Chaque fois qu'on arrivait à l'enfermé, dix minutes, avec quelqu'un,
00:53:12 un homme, une femme, un vieux, un jeune, de gauche, de droite, enfant, vieillard,
00:53:16 ben, il était embobiné. Il était séduit.
00:53:22 Il emboîtait tout le monde, les communistes, les socialistes, les pires ennemis.
00:53:26 Il le voyait arriver, voilà, il les embrassait, c'était fini,
00:53:29 puis on savait qu'il voterait pour lui.
00:53:31 Sur les dix jeunes loups partis à la conquête du centre de la France,
00:53:35 seul Jacques Chirac est élu.
00:53:37 Son siège permet aux gaullistes de garder la majorité à l'Assemblée à une voix près.
00:53:42 Georges Pompidou va aussitôt le récompenser
00:53:46 en le nommant secrétaire d'État à l'emploi à l'âge de 34 ans.
00:53:51 Un Premier ministre en qui Jacques Chirac a trouvé un mentor,
00:53:54 et même parfois un peu plus.
00:53:57 Il appréciait beaucoup Jacques, il l'aimait beaucoup,
00:54:01 il le considérait un petit peu comme son poulain,
00:54:04 un garçon qui mettait beaucoup d'espoir.
00:54:06 Pompidou disait, Chirac, si je lui demande de creuser un tunnel sous Paris dans la nuit,
00:54:11 le lendemain matin, le tunnel sera réalisé.
00:54:13 C'était une relation presque de père à fils,
00:54:18 une relation extrêmement proche, très respectueuse et très personnelle.
00:54:24 C'était quelque chose de très fort.
00:54:26 Mon mari avait une admiration pour Georges Pompidou sans borne.
00:54:36 C'est Georges Pompidou qui a décidé de tout,
00:54:39 et qui a eu sur mon mari une influence considérable.
00:54:43 Le Premier ministre va d'ailleurs confier une mission secrète
00:54:47 à celui qui quelques années plus tôt vendait l'humanité dimanche.
00:54:51 En plein mai 68, le pays est paralysé.
00:54:59 Les ouvriers ont voté la grève générale et rejoint les étudiants en lutte.
00:55:04 Pompidou lui avait demandé d'essayer d'aller négocier avec Krasucki,
00:55:08 qui était le leader de la CGT,
00:55:10 pour essayer de trouver en souterrain un accord peut-être non officiel et arranger les choses.
00:55:16 Il avait évidemment des relations directes avec les syndicalistes,
00:55:20 et c'est lui qui a été l'émissaire de Georges Pompidou pour essayer de recoller les morceaux.
00:55:29 La rencontre de Jacques Chirac avec le leader de la CGT doit toutefois rester secrète.
00:55:35 Ils l'ont dit y aller, sous le conseil de Pompidou, il prend un revolver.
00:55:44 Il avait fait la guerre d'Algérie, il avait été officier en Algérie.
00:55:46 Il se met un pétard à la ceinture.
00:55:49 Jacques Chirac ne craint pas Henri Krasucki,
00:55:52 il craint une prise d'otage montée par d'autres syndicalistes.
00:55:55 C'est donc armé, et sous le nom de code de M. Walter,
00:55:59 qu'il se rende au rendez-vous dans une rue de Pigalle.
00:56:02 Il avait monté quatre ou cinq étages, dans l'escalier, à peine éclairé,
00:56:06 avec son pétard, en train de voir Krasucki.
00:56:12 On était tout excités par l'idée qu'il fallait absolument
00:56:15 arriver à un accord pour mettre fin aux événements de 68.
00:56:19 Il a découvert un Krasucki très cultivé,
00:56:24 ce n'était pas l'image de l'homme public que l'on connaissait.
00:56:29 Les deux hommes vont dialoguer, et finalement trouver un terrain d'entente.
00:56:34 À la fin du mois de mai, l'État, les syndicats et le patronat signent les accords de Grenelle.
00:56:41 Jacques Chirac a réussi sa mission.
00:56:43 Il s'est imposé, y compris vis-à-vis des syndicats, vis-à-vis de la CGT,
00:56:47 qui était tout à fait leader, il s'est vraiment imposé
00:56:50 comme l'interlocuteur et l'homme fiable, l'homme de confiance.
00:56:55 Chirac était un homme qui savait convaincre dans les moments difficiles,
00:56:59 et je pense qu'il a joué un rôle réel dans la fin des événements de mai 68.
00:57:10 Georges Pompidou, devenu président de la République en 1969,
00:57:13 garde son protégé sous son aile.
00:57:16 Il le nomme secrétaire d'État au budget.
00:57:19 Cette année-là, Jacques Chirac commet sa première erreur,
00:57:22 avec des travaux réalisés au frais du contribuable, dans son château de Corrèze.
00:57:27 Pompidou est furieux, il aura cette phrase,
00:57:31 "Quand on fait de la politique, on n'a pas de château."
00:57:34 Malgré cela, le jeune loup poursuit son ascension.
00:57:39 Il devient même ministre des Relations avec le Parlement,
00:57:41 puis de l'Agriculture, et enfin de l'Intérieur en février 1974.
00:57:47 Un poste clé pour préserver un secret d'État, le président est malade.
00:57:53 Parmi les organisateurs de cette opération, silence total, complet, il y a Chirac.
00:58:05 Chirac est au cœur de tout ce qui a été mis en place pour protéger Pompidou.
00:58:09 Au-delà des questions de stratégie,
00:58:12 Jacques Chirac est profondément déstabilisé par l'affaiblissement du président.
00:58:16 Lui, qui pétait de santé, n'acceptait pas que Pompidou puisse être malade.
00:58:20 Il essayait de se persuader lui-même et de persuader les autres
00:58:23 que Georges Pompidou, c'était un petit malaise, un mauvais moment, mais qu'il se rétablirait.
00:58:32 Quand Pompidou, pour ne pas hurler de douleur dans les derniers mois,
00:58:35 serrait la table du Conseil des ministres,
00:58:38 on voyait qu'il le faisait parce que ça l'empêchait de se plaindre.
00:58:43 Et ça a beaucoup marqué Jacques Chirac.
00:58:49 Le déni n'y peut rien.
00:58:51 Georges Pompidou meurt d'une forme de cancer du sang le 2 avril 1974.
00:58:57 Le jour de ses obsèques, Jacques Chirac, prostré au milieu de l'assistance, ne peut retenir ses larmes.
00:59:05 Pour lui, perdre son fils, c'est perdre son âme.
00:59:23 Pour lui, perdre celui qui était devenu son mentor, son exemple, d'une certaine façon son père,
00:59:33 c'était insupportable pour Jacques Chirac.
00:59:36 Le lendemain de l'enterrement, Jacques Chirac entend à la radio des révélations
00:59:46 sur le dernier Conseil des ministres de Georges Pompidou.
00:59:49 Est-ce que le président Pompidou avait eu toute sa lucidité au cours de ce dernier Conseil ?
00:59:56 Un homme qui n'aurait plus eu toute sa lucidité pour gouverner, ces mots font bondir Jacques Chirac.
01:00:02 Le téléphone sonne et c'est Jacques Chirac, ministre de l'Intérieur,
01:00:08 qui était dans sa voiture et qui prend son téléphone et dit "mais c'est n'importe quoi,
01:00:13 ça ne s'est absolument pas passé comme ça ce Conseil des ministres,
01:00:17 Pompidou n'était pas du tout dans cet état-là" et on lui dit "ben écoutez, dans ce cas, venez le dire"
01:00:21 et il dit "ben très bien, j'arrive".
01:00:23 Des informations importantes à dire, M. Jacques Chirac est ici, il est dans le studio,
01:00:30 alors ce qui vous a froissé d'abord, et peut-être indigné d'ailleurs, M. le ministre, dans ce récit de Jean Mariam.
01:00:37 Bien M. Ernaud, je n'ai pas été froissé, j'ai été choqué et peiné.
01:00:46 Les ministres ont remarqué à l'occasion de ce Conseil, et vous pouvez interroger n'importe lequel d'entre eux,
01:00:51 ont remarqué que M. Pompidou était précisément dans une excellente forme ce jour-là, physique.
01:00:56 Avec un aplomb formidable, il a vraiment menti, parce que l'histoire montrait qu'il mentait en réalité.
01:01:04 Il ne pouvait pas accepter qu'on donne de Pompidou une dernière image d'un dernier Conseil des ministres, d'un mourant.
01:01:12 Passé l'émotion de cette disparition, Jacques Chirac pense désormais à son propre avenir.
01:01:17 Le temps de l'apprentissage politique est terminé, il doit maintenant construire son propre destin politique.
01:01:23 L'appartement où Pompidou est décédé, il ne doit plus rien à personne, il ne doit plus rien, il fonce.
01:01:30 Et là il a pris sa pleine et complète autonomie.
01:01:34 Et là est né le chiracisme, qui est fait quand même de ruptures, de retournements, d'à-coups, un peu brutaux parfois.
01:01:44 Le jeune loup va devenir un fauve, un tueur politique sous influence, celle d'un couple de conseillers, Pierre Julliet et Marie-France Garot.
01:01:53 Sa première victime va être Jacques Chaban Delmas, le candidat de son propre camp à la succession de Georges Pompidou.
01:02:00 Il torpille sa candidature en poussant 43 parlementaires gaullistes à soutenir le centriste Valéry Giscard d'Estaing.
01:02:06 Et sa stratégie paye, son candidat est élu.
01:02:10 En remerciement, à 42 ans, Jacques Chirac accepte Matignon.
01:02:16 Mais il prévient le président qu'il pourrait un jour le regretter.
01:02:27 Si à Paris, Jacques Chirac se montre impatient, parfois cassant et brutal, sur le terrain c'est une autre facette de sa personnalité qui s'exprime.
01:02:36 C'est pour lui, et non plus pour les autres, qu'il fait désormais campagne.
01:02:41 - Vous êtes gentil, c'est vrai. - Comment ça va autrement ?
01:02:45 - Ça va tout doux, comme tout vieux maintenant. - Ah, ne dites pas ça.
01:02:49 - Monsieur Lareuse, elle n'est toujours pas enlevée cette pierre là.
01:02:53 - On a fait le rentré ? - Oui.
01:02:56 - Mais on n'ouvre pas la bouteille. - Pourquoi ?
01:03:00 - Ah non, non. - Pourquoi ?
01:03:02 - Mais non, il y en a assez, il y en a assez je vous dis, il y en a assez.
01:03:05 - Mais je vous dis qu'on va pas le faire. - Mais je vous dis qu'on va pas le faire.
01:03:10 - Mais je vous dis qu'on va assez. - Non mais on ne les ouvrira pas toutes.
01:03:13 - Non, je suis sûr. Allez, remontez, ça vous cognez.
01:03:17 - Vous voyez ? - Oui.
01:03:19 - Allez, Monsieur Lareuse, prenez un verre. - Est-ce que j'en aurais pour toi ?
01:03:25 - Oui.
01:03:27 - Il n'y a pas de barrière sociale chez Chirac, on est plus aimable avec les gens importants que pas importants.
01:03:37 Chirac est un anti-snob, il s'en fout complètement.
01:03:40 Ce style populaire du Premier ministre tranche avec celui d'un président en distance.
01:03:46 Et cela n'est pas pour rien dans la dégradation de leurs relations.
01:03:49 Le locataire de Matignon se sent étouffé, humilié par l'hyper-président Giscard d'Estaing,
01:03:55 à qui il reconnaît toutefois une supériorité intellectuelle.
01:03:59 Il n'y a jamais eu la moindre intimité entre ces deux hommes.
01:04:05 Il n'a même pas eu probablement une grande estime.
01:04:08 Giscard d'Estaing était plus conceptuel, plus brillant à l'oral que Chirac devait le prendre pour un rustre.
01:04:16 Ils n'ont pas du tout les mêmes intérêts dans la vie.
01:04:20 Personnel, humain, je crois que la seule chose qu'ils ont en commun, c'est d'aimer les chiens.
01:04:24 Et le mépris de Valéry Giscard d'Estaing se ressent aussi dans l'exercice du pouvoir.
01:04:32 Dès lors que Chirac lui a donné son accord pour être Premier ministre,
01:04:36 Giscard ne lui a laissé aucune marge de bonheur pour constituer le gouvernement.
01:04:42 Il a compté pour des prunes.
01:04:46 Chirac a senti que Giscard se servait de lui, et à ce moment-là, il s'est braqué.
01:04:56 Il est devenu un peu son obligé, et Jacques Chirac n'aime pas être l'obligé de quelqu'un.
01:05:02 Jacques Chirac ne fera plus l'effort de sauver les apparences.
01:05:05 A l'occasion d'une revue navale à Nice, le président critique l'état dans lequel Georges Pompidou a laissé la défense.
01:05:14 Son Premier ministre tend l'oreille.
01:05:17 Les commentateurs qui dissertent sur le sujet de la défense ont oublié que la défense que j'ai trouvée était une défense qui était en état de malaise.
01:05:25 Une critique en règle de son mentor, Jacques Chirac a du mal à cacher son exaspération.
01:05:30 Dès lors, il souhaite inverser le rapport de force politique, et après des mois de vives tensions, il présente sa démission à Valéry Giscard d'Estaing.
01:05:40 Giscard n'a pas fait d'efforts exceptionnels pour le retenir.
01:05:44 Il a simplement demandé à Chirac de retarder d'un mois l'annonce de son départ, parce qu'il allait lui-même se rendre en Afrique à la chasse.
01:05:56 Jacques Chirac accepte d'attendre quelques semaines, et le 25 août 1976, après deux ans à Matignon, il convoque la presse.
01:06:06 Je ne dispose pas des moyens que j'estime, aujourd'hui, nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de premier ministre.
01:06:21 Et dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin. Je vous remercie.
01:06:35 C'est lui qui donne ses missions. Il impose ce qui est contraire à la Ve République, contraire à la tradition.
01:06:41 Ce qui a créé le choc dans l'opinion, beaucoup plus que les paroles, c'était l'attitude de Chirac. Son visage a donné le sentiment d'une rupture terrible.
01:07:02 Cette brutalité, cet affrontement, ça prépare les autres affrontements.
01:07:07 Désormais, plus rien n'arrêtera le fauve. Jacques Chirac est un homme pressé qui va créer un parti à sa botte, le RPR.
01:07:16 C'est sous cette étiquette qu'il bat le candidat giscardien l'année suivante au municipal, et devient maire de Paris.
01:07:23 En 1981, naturellement, il se lance dans la présidentielle. Arrivé troisième au premier tour, il va trahir une nouvelle fois son camp.
01:07:32 Chacun sait qu'il y a eu des directives qui étaient données dans les fédérations du RPR pour que les gens qui appellent, qui disent pour qui faut-il voter, qu'on leur réponde qu'il n'y a pas d'inconvénient à voter Mitterrand.
01:07:46 Le RPR corrésien, très explicitement, appelait les maires de la circonscription à voter Mitterrand.
01:07:53 Oui, manifestement, Chirac a favorisé grandement l'élection de Mitterrand.
01:07:58 Giscard, c'est pour ça qu'il a dit que c'était un assassinat.
01:08:01 Cet assassinat a pour conséquence la victoire de François Mitterrand, mais aussi un nouveau statut pour Jacques Chirac, celui de principal opposant.
01:08:14 Au revoir.
01:08:16 Cette défaite, Valéry Giscard d'Estaing ne la pardonnera jamais à Jacques Chirac.
01:08:22 Les deux hommes s'éviteront pendant près de 30 ans, jusqu'à ce jour de novembre 2007.
01:08:30 Jacques Chirac vient de quitter à son tour le palais de l'Elysée.
01:08:34 Il devient membre de droit du Conseil constitutionnel et se prépare à retrouver son meilleur ennemi.
01:08:43 Bonjour, messieurs.
01:08:45 Sois maire et en personne.
01:08:55 Salut. Tu vas bien ?
01:08:58 Merci de t'en accueillir. Comment allez-vous, Charlie ?
01:09:01 On va travailler un peu ?
01:09:04 Quand tu veux, comme tu veux.
01:09:06 C'est à votre disposition.
01:09:08 Jacques Chirac s'est détaché de la politique depuis déjà quelques temps.
01:09:13 Mais ce moment a malgré tout une saveur particulière.
01:09:15 L'espace d'un instant, les deux anciens rivaux fatigués se souviennent de ce qu'ils ont été.
01:09:21 Leur rencontre ici n'est pas la rencontre la plus chaleureuse que j'ai connue de mon existence.
01:09:30 En dehors de... Bonjour, monsieur le président.
01:09:36 Je n'ai pas eu le sentiment qu'il y ait eu des discussions très profondes.
01:09:42 Aucun des deux n'a plus de raison de faire d'efforts. Ils ne sont plus en politique.
01:09:46 Ils sont retirés de la vie publique, en quelque sorte.
01:09:49 Il y a un âge où on se dit, voilà, je m'offre le luxe d'être ce que je suis.
01:09:55 De manière insidieuse, Jacques Chirac rappellera ce jour-là qu'il a été élu et réélu.
01:10:02 Dernier coup de griffe, dernière passe d'armes.
01:10:05 Dans la nouvelle vie de Jacques Chirac, il y a certes ses séances de travail au Conseil constitutionnel,
01:10:10 le lancement de sa fondation pour la paix et quelques voyages.
01:10:13 Mais malgré toutes ces activités, l'ancien chef de l'État peine à donner un sens à son action.
01:10:18 Le temps est peut-être venu de faire le bilan d'une vie au service de la politique.
01:10:22 Ses proches le poussent alors à rédiger ses mémoires.
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