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00:00 Alors bonjour tout le monde, merci à ceux qui sont restés.
00:02 On était dans une tonalité d'admiration
00:04 avec évidemment l'intervenant précédent.
00:07 Ca va être aussi la tonalité maintenant
00:08 parce que j'ai le grand plaisir de présenter Hervé Fischer,
00:13 à la fois pour des raisons amicales,
00:16 des raisons d'admiration.
00:18 Ca compte, si, si, ça compte dans les échanges d'idées.
00:22 Et puis aussi parce que TimeWord,
00:23 on peut dire qu'on est redevable à Hervé
00:25 pour son investissement dans l'édition 2019.
00:29 Je vous invite... Le thème était le temps.
00:31 Je vous invite à aller regarder les vidéos
00:34 qui témoignent de ce moment qui était très réussi.
00:39 Et donc Hervé Fischer, pour le présenter,
00:42 philosophe, artiste,
00:44 les deux ensemble, ça fait déjà un pont singulier.
00:49 Et puis j'ai envie d'ajouter historien des arts
00:51 depuis ce dernier livre majeur.
00:53 Donc parmi toutes les publications d'Hervé,
00:56 je vais juste signaler ce dernier livre,
00:57 un livre magnifique paru chez Gallimard
01:00 il y a quoi, 2 ans ? 1 an ?
01:03 Enfin, on va dire qu'il vient de paraître,
01:04 parce qu'avec la pandémie,
01:06 il a été une interruption imposée.
01:09 Un livre... Alors si vous vous intéressez
01:11 à l'histoire des couleurs,
01:12 vous connaissez Michel Pastoreau et d'autres travaux,
01:14 on a un éclairage tout à fait novateur,
01:16 et il faut réussir à le faire,
01:18 de la préhistoire au 21e siècle.
01:20 Voilà, l'histoire des couleurs, enfin, les couleurs en Occident.
01:24 Et puis Hervé est aussi le fondateur
01:26 de la Société internationale de mythes-analyse.
01:30 Et pour le dire d'un mot,
01:31 je pense qu'il va nous proposer une mythe-analyse du hasard,
01:36 voire de Dieu, si j'ai bon espoir.
01:38 On va pouvoir écouter ça tout de suite.
01:39 Je vous remercie, et puis la parole est à toi, Hervé.
01:42 -Effectivement, je vais aborder des questions pas faciles,
01:47 mais j'ai remarqué qu'on a tous des petits problèmes,
01:50 les conférenciers les uns après les autres,
01:52 avec ce maudit problème du hasard.
01:55 Je me suis embarqué par une question qui est affichée,
01:59 qui est extrêmement préoccupante.
02:03 C'est une question qui nous concerne chacun de nous.
02:05 Je dirais que c'est une question
02:07 qui est anthropologiquement tout à fait nouvelle.
02:12 J'ai dit la Terre, c'était le monde entier.
02:16 Nous n'en connaissions pas les limites,
02:18 mais nous en célébrions le Créateur
02:21 sous les innombrables figures célestes et telluriques
02:25 de toutes les mythologies humaines.
02:29 La Terre nous paraissait infinie,
02:31 et la voûte céleste n'en était qu'un magnifique décor.
02:36 Mais nous avons changé de tête et donc de monde,
02:39 c'est ce que dit la mythanalyse.
02:42 Nous sommes désormais dans un univers sans limites
02:45 qui devient notre nouvel espace de vie.
02:49 Au fil de nos explorations de plus en plus lointaines,
02:53 de nos découvertes d'exoplanètes,
02:57 comprenant que notre étoile solaire tourne sur elle-même
03:03 dans une galaxie qui tourne aussi comme une toupie,
03:06 et qu'il y a des milliards d'autres galaxies en rotation,
03:10 comme une horloge infinie,
03:12 on en vient à se demander de quoi il retourne
03:16 et autour de quoi tourne tout ce monde en expansion.
03:21 Et ce mouvement d'expansion, implosion et rebigbang,
03:26 peut-il se penser non plus comme un dispositif mathématique,
03:32 voire géométrique, mais biologiquement,
03:36 comme la respiration d'une énergie,
03:40 dans l'antigravitation, naturellement,
03:42 d'un monstrueux poumon ?
03:45 L'astrophysicien David Elbaz nous rappelle que,
03:50 je cite, "les galaxies auraient dû épuiser leurs réserves de matière
03:54 "il y a plus de 10 milliards d'années
03:57 "et devenir stériles depuis.
03:59 "Pourtant, ajoute-t-il, elles continuent d'engendrer des étoiles."
04:04 Et il demande quel est le secret de la fécondité des galaxies.
04:09 La clé de ce mystère repose, selon lui,
04:12 sur l'existence de fleuves cosmiques dans l'univers.
04:18 Comme disait Pythagore, on ne se baigne jamais deux fois dans la mémo.
04:22 Fût-elle cosmique ?
04:24 Nous voilà donc en pleine mythanalyse,
04:26 puisque nous sommes en pleine fabulation.
04:29 Fabulation anthropomorphique, bien entendu,
04:33 et terraforme, naturellement,
04:35 mais chaque jour plus étrange.
04:37 Vous l'avez remarqué en écoutant les conférenciers les uns après les autres.
04:40 Ce sont tous d'immenses fabulateurs.
04:43 On se croirait en débat théologique sur le sexe des anges.
04:48 Le cosmos est-il un mélange de bulles et de trous noirs
04:52 tourbillonnant dans l'abîme d'un siphon
04:55 ou au coeur d'un typhon ?
04:57 Est-ce le hasard qui tourne en spirale sur lui-même ?
05:01 Est-ce que ce sont des fleuves, comme disait David Elbaz,
05:06 ou des vents cosmiques de poussière stellaire ?
05:10 Comment choisir ?
05:12 Dieu, c'était un mystère simpliste.
05:16 Mais le téléphone d'azur et d'or du Dieu joufflu, barbu,
05:21 à qui nous devions cette merveille d'univers,
05:25 a été relégué aux abonnés absents.
05:28 Et Copernic et Galilée ont brisé le miroir du cosmos.
05:33 Nous nous retrouvons au coeur d'une énigme
05:38 qui nous fait trembler jusqu'à la moelle.
05:41 Mais nous ne sommes pas fous.
05:44 Nous avons établi que l'univers n'est pas aléatoire.
05:47 Nous avons établi que nos planètes ne changent pas de vitesse.
05:51 Et nous avons démontré que leurs orbites ne se couperont jamais.
05:55 Pourtant, les experts en ce qu'on appelle la planétologie
06:01 semblent penser aujourd'hui
06:03 que la stabilité mathématique de notre système solaire
06:06 serait une exception dans l'univers,
06:10 où des corps célestes changent de trajectoire
06:13 et s'éjectent à l'occasion.
06:15 Jacques Lascaux,
06:18 dont Lacan aurait dit que son nom était tout un programme,
06:22 membre du groupe Astronomie et Systèmes Dynamiques
06:25 de l'Institut de Mécanique Céleste, rien de moins,
06:29 et de Calcul des Éphémérides,
06:30 l'IMCEE de l'Observatoire de Paris,
06:34 estime quant à lui que le système solaire
06:38 est lui-même chaotique,
06:40 bravant ainsi des millénaires de certitudes.
06:44 Après Copernic, plus effrayant encore était donc possible.
06:49 Que se passerait-il s'il prend à la Terre,
06:54 attiré par des ellipses spectaculaires,
06:57 l'idée d'aller rencontrer quelques voisines sur d'autres ellipses
07:01 ou de faire un petit tour de galaxie pour changer l'atmosphère ?
07:05 Admettons que l'univers se déforme constamment,
07:09 c'est bien possible, mais c'est une vue fort théorique,
07:13 due peut-être seulement aux défauts de courbure de nos télescopes
07:17 ou à nos synapses fabulatoires,
07:21 à ceux des théologues de l'univers.
07:24 L'humanité découvre la volatilité de sa condition planétaire,
07:30 minuscule, qui fait aussi sa grandeur dans le silence éternel.
07:36 Depuis que l'homme est homme,
07:38 il a inventé d'innombrables récits pour expliquer son origine,
07:41 mais dès l'Antiquité grecque,
07:43 Démocrite, un étonnant pionnier, opta pour le hasard,
07:48 évoquant l'entrechoque dans le vide d'atomes de formes diverses.
07:54 Il n'en pouvait pas dire plus,
07:57 car le hasard est tout aussi impensable que le vide.
08:02 On ne peut le conceptualiser
08:05 et il est impensable de penser qu'on ne pense rien,
08:09 comme le souligna Descartes.
08:11 Nous voilà mal pris.
08:13 La question est donc, de quoi le hasard est-il le nom ?
08:17 C'est une question très à la mode, qu'on reporte sur bien des aspects,
08:21 bien des activités humaines,
08:23 ce qui est normal pour un mythanalyste.
08:26 Du point de vue de la mythanalyse,
08:28 le hasard est le nom d'une absence absolue de mythes,
08:32 donc de récits.
08:34 Il n'est pas même une énigme qu'on pourrait un jour déchiffrer.
08:37 Il se situe à la limite de la pensée humaine.
08:42 On peut organiser le hasard
08:45 dans les jeux éponymes de D, de Carte ou d'Éloterie,
08:49 qui sont des dispositifs réguliers.
08:52 On peut expliquer le hasard à posteriori,
08:55 par un enchaînement détaillé minutieusement de cause et d'effet.
08:59 On peut admirer les hasards de la création artistique.
09:02 Cela a été longuement souligné ici.
09:06 Marie-Laure Desjardins, dans la première conférence ici même,
09:08 nous l'a montré.
09:10 On peut admirer le hasard de la création artistique,
09:13 de l'évolution et de la reproduction sexuée humaine,
09:18 qui nous ont fait ce que nous sommes.
09:20 Mais la pensée humaine, lorsqu'elle invoque un impétus,
09:24 un principe actif de hasard,
09:27 ne nomme superstitieusement que la chance ou la malchance,
09:31 ses effets heureux ou malheureux sur notre vie.
09:35 Nous en étions là dans toutes nos investigations humaines,
09:39 astrophysiques, biologiques, astrologiques, mythes analytiques.
09:43 Mais soudain, changeons de scénario.
09:46 Ça, c'était un petit vice du psychanalyste et du mythe-analyste.
09:51 Car les signes semblent se multiplier
09:53 qu'il existe de la vie ailleurs dans l'univers.
09:56 Des intelligences extraterrestres,
09:59 beaucoup plus développées que la nôtre,
10:01 nous visiteraient, nous surveilleraient,
10:04 pourraient prendre éventuellement le contrôle de notre destinée.
10:07 Ce serait donc beaucoup plus qu'une révolution anthropologique,
10:11 ce serait beaucoup plus décisif que la découverte de Copernic.
10:15 Ce serait dans tous les sens du mot une révolution,
10:18 y compris cosmique.
10:20 Si l'existence des intelligences extraterrestres se confirme,
10:24 et c'est statistiquement d'une immense probabilité,
10:29 étant donné le nombre infini de galaxies, de soleils et de planètes
10:32 parmi lesquelles nous vivons,
10:35 nous serons confrontés à un changement radical de notre conscience,
10:40 même si le mot de conscience a été ici discuté.
10:44 Si par hasard cela arrive,
10:46 ce sera un changement d'une telle ampleur
10:49 par rapport à tout ce que nous pensions savoir de notre évolution,
10:52 ce sera un tel saut dans le temps et dans l'espace,
10:56 une divergence, c'est un mot que j'aime beaucoup, si extrême,
11:00 que nous allons devoir nous remettre radicalement en question,
11:04 nous remettre radicalement en question,
11:07 peut-être même passer outre toutes nos petites discordes terrestres
11:12 qui nous paraîtront enfin négligeables
11:14 par rapport à un tel choc cosmique.
11:18 L'humanité prendra alors pleinement conscience
11:21 de sa condition planétaire.
11:24 Et même si ces photographies de phénomènes aériens non identifiés
11:29 se révèlent bientôt n'être que des illusions d'optique,
11:32 observées au hasard d'orages magnétiques et d'énergie noire,
11:37 ou de flux aléatoires d'antimatières
11:41 liées à des tensions antigravitationnelles,
11:44 des plis du cosmos ou des nœuds de la théorie des cordes,
11:48 nous ne pouvons plus ignorer le calcul de probabilités
11:51 qui nous impose de penser que la vie existe certainement ailleurs
11:55 dans l'univers et que nous serons un jour inévitablement
12:00 confrontés à des intelligences extraterrestres plus primitives
12:05 ou peut-être beaucoup plus évoluées que la nôtre.
12:10 Au hasard des découvertes de nos sondes spatiales,
12:13 autant chercher une aiguille de foin dans une meule,
12:16 ou des visites de nos voisins cosmiques,
12:18 nous devrons peut-être abandonner tous les fondements
12:21 de notre rationalité humaine,
12:23 admettre l'existence des multivers
12:26 d'où viendraient peut-être ces visiteurs,
12:29 ou reconnaître la validité universelle
12:32 des lois mathématiques du cosmos et biologiques de la vie,
12:36 ce qui nous imposera une question métaphysique majeure.
12:40 Mais nous ne savons pas, nous ne pouvons en préjuger.
12:44 Peut-être décourirons-nous en effet des lois cosmiques
12:49 qui excluent le hasard,
12:51 ou au contraire un chaos universel
12:54 qui sécrète des illusions semblables à celles
12:56 dans lesquelles nous pensons notre condition planétaire.
13:00 Des multivers formant autant d'écosystèmes
13:03 fondés sur des scénarios les plus contradictoires,
13:07 inconceptualisables par nous.
13:10 Et il est bon de s'exercer à bouleverser
13:12 nos modes de pensée habituels
13:14 pour nous ouvrir l'esprit à la créativité
13:16 d'autres récits théologiques, astrophysiques.
13:21 Notre condition planétaire nous impose dès maintenant
13:24 de relativiser nos jugements
13:27 et d'admettre l'importance de cette nouvelle science humaine
13:31 que j'appelle, et je n'hésite pas à la nommer,
13:34 la mythanalyse, et qui explore et déchiffre
13:37 autant qu'il est possible, nos imaginaires collectifs.
13:41 Et le hasard, impossible a priori,
13:44 mérite toute notre attention
13:46 dès lors qu'on le commente a posteriori,
13:49 ce qui est usuel et tout à fait possible.
13:52 Chacun s'interroge un jour ou l'autre
13:54 sur le hasard de sa naissance.
13:57 Celui qui m'a fait naître à Paris
13:59 un mauvais jour d'occupation nazi,
14:02 mais dans une famille capable d'assurer
14:03 ma protection et mon éducation,
14:05 m'est-il venu d'une bonne étoile ?
14:08 De même que le concours de hasard
14:10 et le hasard d'un concours qui m'ont permis
14:11 de prendre ma place dans la société,
14:13 voilà bien des hasards successifs
14:15 accumulés par un seul homme, et ce n'est pas fini.
14:18 Je ne sais pas encore ce que le hasard
14:20 des rencontres, des voyages et des pandémies me réserve.
14:24 Le hasard qui fait mourir Roland Barthes,
14:27 vous vous en souvenez, plongé dans ses pensées,
14:30 sans prêter attention à la circulation automobile,
14:33 fauché par la camionnette d'une entreprise de blanchissage
14:36 lorsqu'elle traversa la rue
14:38 pour se rendre au Collège de France
14:40 donner sa conférence,
14:42 me frappera-t-il à mon tour, aujourd'hui ou demain ?
14:45 Le hasard lui-même ne le sait pas.
14:47 Il n'existe pas encore.
14:49 Il ne peut exister qu'après coup,
14:52 du moins dans la pensée humaine.
14:54 La grande question demeure donc,
14:57 le hasard existe-t-il ?
14:59 C'est la même question que nous nous posons à propos de Dieu,
15:03 dont nous avons décrété la mort il n'y a pas longtemps.
15:06 Alors, ferons-nous de même, bientôt, à propos du hasard.
15:09 Les astrophysiciens l'ont déjà enterré,
15:11 sans équivoque, depuis longtemps.
15:13 Pourtant, il faut choisir pour expliquer l'origine du monde,
15:17 Dieu ou le hasard.
15:18 Il n'y a pas de troisième choix.
15:21 Et qu'allons-nous faire si nous nous mettons à cart
15:24 que ni le hasard ni Dieu n'existent,
15:27 alors que nous croyons encore à l'existence de l'univers ?
15:30 Il est temps de redescendre sur Terre.
15:34 Cette planète,
15:36 que les lois mathématiques de l'univers auraient placées
15:38 dans la voie lactée en orbite à la bonne distance de la bonne étoile,
15:42 semble avoir permis que la vie apparaisse.
15:45 Les acides aminés venus des étoiles,
15:47 qui auraient, se combinant, créé la vie dont nous sommes encore
15:50 incapables de reproduire synthétiquement le phénomène singulier,
15:54 l'évolution.
15:55 C'est quoi l'évolution ?
15:57 Vous savez.
15:58 Qui, de millénaire en millénaire, a choisi,
16:00 parmi des milliards de scénarios possibles,
16:03 de favoriser la reproduction sexuée
16:06 pour assurer la loi darwinienne de la sélection par adaptation ?
16:10 Autre question.
16:12 La multiplication des configurations d'ADN
16:14 qui m'ont imposé à moi une individualité singulière unique
16:18 parmi des milliards d'êtres de mon espèce qui peuplent la planète ?
16:22 Autre question.
16:23 Le développement scientifique de la médecine
16:25 qui m'assure une longévité nécessaire
16:27 pour la maturation de mes pensées
16:30 et la prononciation de cette conférence aujourd'hui devant vous,
16:33 qui elle-même vise à influencer mes contemporains,
16:38 selon mes préférences intellectuelles,
16:40 voilà une multitude de hasards.
16:42 Cette planète que Dieu a créée en six jours
16:45 pourrait faire vivre une humanité soumise à sa puissance,
16:48 à sa sagesse et à sa bonté,
16:50 afin d'en sélectionner les âmes les plus pieuses.
16:53 Cette sexualité dont il m'a imposé l'instinct
16:58 pour perpétuer sa création,
17:00 tout en exigeant que je cultive à contrario
17:03 la pureté de mon esprit,
17:05 sans laquelle je ne pourrais connaître
17:07 les vertus de la spiritualité exigées pour accéder au ciel.
17:11 Ces épreuves auxquelles il me soumet dans sa puissance,
17:15 sa sagesse et sa bonté infinies
17:17 pour me permettre de lutter contre le mal
17:19 et mériter une place au paradis auprès de lui.
17:22 Cette âme, à son image qu'il m'a donnée
17:25 pour prier et aimer mon prochain
17:27 et répandre sa vérité en approfondissant ma foi.
17:30 Cette inégalité de naissance et de circonstance
17:33 qu'il a su concevoir dans sa sagesse infinie,
17:36 afin...
17:38 Il y a un problème ?
17:40 Afin de tester ma bonté et la vertu cardinale de charité
17:45 qui m'a enseigné sa religion.
17:47 Cette planète, terre,
17:49 dont je tente de comprendre la raison d'être
17:51 pour établir la gouverne de ma vie,
17:53 dépend d'un jour à l'autre
17:56 de mon humeur joyeuse ou abattue,
17:58 audacieuse ou résignée.
18:00 En décide aussi chaque jour
18:02 mon énergie, ma santé,
18:04 les déterminants neurobiologiques de mon équilibre hormonal.
18:07 Mes décisions ne sont pas toutes rationnelles.
18:09 Elles dépendent d'innombrables biais que je ne contrôle pas.
18:13 Mon parcours de vie, depuis le stade fœtat
18:15 jusqu'à celui de ma maturité,
18:17 a inscrit à mon insu dans les réseaux synaptiques de mon cerveau
18:21 des appétences, des admirations, des résistances,
18:24 des aversions qui choisissent pour moi
18:26 mes idées et mes motivations
18:28 à l'insu de mes efforts de lucidité et d'anticipation.
18:33 Il est souvent bien difficile de contrôler les émotions
18:36 qui font naître les événements auxquels l'existence me confronte
18:39 et détermine mes décisions les plus importantes,
18:42 psychologiques, sociales ou financières.
18:44 Le hasard est manifestement avec le diable dans le détail.
18:48 Cette planète, terre, qui finit être Napoléon
18:51 il y a cette année 200 ans,
18:53 pouvait-elle deviner qu'elle accoucherait d'un géant politique
18:56 et militaire qui allait changer irrémédiablement
18:59 sous le soleil d'Austerlitz et dans le brouillard de Waterloo
19:02 la destinée de l'humanité ?
19:04 Quel hasard génétique fit naître Confucius, Démocrite,
19:07 Léonard de Vinci, Spinoza, Nietzsche, Einstein ?
19:10 Et quel hasard de la vie permirent qu'ils puissent exprimer leur génie ?
19:14 Quel hasard de circonstance conduisirent ce peintre raté
19:18 qui s'appelait Hitler à inventer le nazisme
19:20 et à soumettre la planète entière
19:22 à sa fureur fabulatoire ?
19:24 Quel hasard politique firent émerger
19:27 entre les hommes Gandhi et Mandela ?
19:30 La mémoire politique nous est restée de Nefertiti,
19:34 de Cléopâtre en Égypte,
19:36 d'Elisabeth Ière en Angleterre,
19:37 de Catherine II de Médicis, de Catherine II de Russie.
19:40 Mais comment qualifier le hasard
19:43 qui barra la route aux femmes de génie
19:46 pendant des millénaires ?
19:48 Point d'interrogation.
19:50 Le hasard est un concept de pure imagination,
19:52 une fabulation à laquelle nous recourons
19:55 lorsque nous n'avons pas de discours rationnels
19:57 pour expliquer une série d'événements.
19:59 Et par la force des choses,
20:01 nous y recourons donc souvent.
20:03 Mais beaucoup d'esprits scientifiques,
20:05 intégristes de la raison,
20:07 par exigence du récit dont ils font profession,
20:11 en nient radicalement l'existence même
20:13 et en nient tout aussi fréquemment la flèche du temps
20:16 qui semble capable pourtant d'induire des événements divers.
20:19 Un événement divergent, chaotique et pour le moins imprévisible.
20:23 Je m'étonne toujours de mes amis astrophysiciens
20:25 qui nient le temps.
20:27 Accepter le déterminisme du chaos,
20:31 c'est une curieuse expression,
20:32 si cet oxymore est acceptable à leurs yeux,
20:36 surtout aux yeux des astrophysiciens,
20:38 ce serait officialiser le principe d'indétermination
20:43 bien plus pervers que celui d'incertitude
20:48 et ruiner les fondements de tous les récits
20:50 qu'ils échafaudent depuis des siècles,
20:53 non sans avoir établi beaucoup de preuves mathématiques
20:56 communément acceptées.
20:57 Il est inconcevable ou inimaginable,
21:00 c'est significativement la même chose,
21:03 de croire au hasard
21:04 ou de lui faire place dans la théologie astrophysique.
21:07 Au moins Jacques Monod, même si ce n'était qu'un biologiste,
21:10 un scientifique travaillant à une échelle plus proche de la nature,
21:13 a collé le principe de nécessité à celui du hasard
21:16 dans son célèbre livre "Le hasard et la nécessité".
21:20 Seul le philosophe atomiste Démocrite,
21:25 un précurseur improbable,
21:27 le premier grand penseur matérialiste de l'histoire des idées,
21:31 à peu de choses près le premier,
21:33 avait osé faire du hasard le principe même de toute causalité
21:37 en affirmant, je cite,
21:38 "Tout ce qui existe dans l'univers
21:40 est le fruit du hasard et de la nécessité."
21:43 Phrase qu'a reprise Jacques Monod.
21:46 Pour Démocrite, c'est du hasard que naissent toutes choses.
21:49 Et la tradition fait déclarer aussi à Démocrite,
21:52 "En réalité, nous ne savons rien,
21:55 car la vérité est au fond du puits."
21:57 Fort de cette vision cosmologique,
22:01 Démocrite était connu pour rire de toute chose,
22:03 au point que ses compatriotes
22:05 envoyèrent le célèbre médecin Hippocrate
22:08 vérifier s'il avait l'esprit dérangé.
22:10 Et le propos qu'on en rapporte,
22:13 dans un texte ancien, du Moyen-Âge,
22:16 a gardé toute son actualité
22:17 pour celui qui veut aujourd'hui encore
22:19 ausculter l'état d'esprit de l'humanité contemporaine
22:24 dont dépend de facto le destin de notre planète.
22:27 Au lieu d'un malade qui avait besoin de secours prévenant,
22:31 Hippocrate trouva un philosophe judicieux et appliqué.
22:34 Assis tranquillement à l'ombre sur un vert gazon,
22:37 le philosophe avait un livre sur ses genoux.
22:40 Plusieurs autres étaient répandus à sa droite et à sa gauche,
22:43 comme à son habitude, il rit beaucoup,
22:45 et en discuta avec le médecin.
22:46 "Quelle est la cause de cette joie ?
22:48 Mes discours ont-ils quelque chose qui vous choque ?"
22:51 demanda Hippocrate.
22:52 Après quelques moments de silence,
22:54 le philosophe commença un discours merveilleux
22:57 sur les bizarreries et les disparités du genre humain.
23:00 Il fit voir que rien n'est plus comique ni plus risible
23:04 que toute la vie,
23:05 qu'elle s'emploie à chercher des biens imaginaires,
23:08 à former des projets qui demanderaient plusieurs vies
23:11 ajoutées l'une à l'autre,
23:12 qu'elle échappe au moment même
23:14 où l'on ose le plus compter sur ses forces,
23:16 où l'on s'appuie davantage sur la durée,
23:18 qu'elle n'est enfin qu'une illusion perpétuelle
23:22 qui séduit d'autant plus vite,
23:24 qui séduit d'autant plus aisément,
23:26 qu'on porte avec soi-même le principe de la séduction.
23:30 J'abrègerai ce discours.
23:33 "Des fous plus dignes de pitié que de colère,
23:37 des enfants qu'on doit plaindre
23:39 et contre lesquels il n'est jamais permis de ségrir
23:42 ni de se fâcher, disait-il de nous autres.
23:44 Le hasard, si nous lui faisons donc place
23:47 dans notre vision du monde,
23:49 a pour effet pervers de ruiner toute cohérence
23:52 des récits que nous élaborons,
23:55 non sans difficulté,
23:57 pour établir des théories philosophiques,
23:59 scientifiques, des gouvernances politiques
24:02 et même éthiques.
24:03 Et paradoxalement,
24:04 non seulement les rationalistes l'excluent d'emblée,
24:08 excluent d'emblée le hasard autant qu'il leur est possible,
24:10 mais ce sont les plus fous et les plus superstitieux
24:13 qui le rejettent le plus radicalement.
24:15 Il est bien connu que les fous sont ceux qui raisonnent le plus
24:18 pour établir les justes relations de cause à effet de leur fabulation.
24:21 Mais les croyants eux-mêmes, ceux qui ont foi
24:26 dans les esprits de la nature,
24:28 dans les signes des dieux ou la sagesse de Dieu,
24:31 voient dans tout événement un signal
24:33 qui nous vient des esprits, de l'Olympe ou du Dieu.
24:36 Les astrologues contemporains encore, comme les anciens,
24:39 prétendent pouvoir lire dans les signes du Zodiac
24:41 qu'affichent les étoiles,
24:42 les raisons qui permettent de comprendre
24:44 les traits psychiques de notre personnalité
24:46 en fonction du jour et de l'heure de notre naissance
24:49 et de prévoir en conséquence
24:51 ce qui nous arrivera chaque jour individuellement
24:53 et comment nous y réagirons.
24:55 Il n'y a pas de place pour le hasard
24:57 dans ce type de fabulation astrologique divinatoire.
25:01 Ce sont les sorciers, les prêtres, les lecteurs d'Aruspice,
25:05 les astrologues, les diseuses de bonnes aventures,
25:08 les tireuses de cartes,
25:09 qui possèdent le pouvoir de déchiffrer ces signaux
25:11 que l'au-delà nous envoie
25:13 et nous permettre ainsi d'ajuster notre conduite.
25:16 Pour eux, plus encore que pour les scientifiques,
25:19 pour eux, plus encore que pour les scientifiques,
25:21 le hasard n'existe pas.
25:23 La mythanalyse s'attache à repérer et déchiffrer
25:26 les logiques de ces imaginaires collectifs
25:28 sur une base biologique
25:30 de la gestation de nos fabulations humaines
25:33 croisées avec l'analyse sociologique des idéologies
25:37 qui gouvernent ces imaginaires.
25:39 Car je crois que nos mythes sont des idéologies sociales.
25:42 Nos imaginaires collectifs sont des productions idéologiques.
25:47 Mais au Ve siècle avant notre ère,
25:50 si Démocrite pouvait rire et se moquer de tout
25:53 pour exercer et enseigner sa sagesse,
25:55 c'était sans conséquence.
25:57 Il n'en est plus de même aujourd'hui.
25:59 Notre nouvelle condition planétaire
26:01 nous habitue à l'idée que nous pouvons,
26:04 quoi qu'en ait dit Pythagore,
26:05 et même que nous devons nous baigner plus d'une fois
26:08 dans la même eau et respirer la même air,
26:10 nettoyer et recycler quotidiennement,
26:12 non seulement dans la station spatiale internationale
26:14 ou dans les avions des grandes lignes,
26:16 mais aussi dans les complexes administratifs et commerciaux,
26:19 dans les réseaux souterrains,
26:20 les transports urbains de nos grandes villes actuelles, etc.,
26:23 où la population est de plus dense,
26:25 l'eau de plus en plus rare
26:27 et l'air de plus en plus pollué.
26:29 Il n'est plus temps de rire
26:32 face à l'urgence écologique, sanitaire
26:35 et démocratique de la nouvelle condition planétaire
26:38 dans laquelle nous sommes désormais confinés.
26:40 La sagesse n'est plus de se moquer comme démocrite avec sérénité,
26:44 mais de se concerter mondialement
26:46 pour acter des décisions urgentes
26:48 face au péril immédiat que nous avons créé
26:51 avec nos réseaux synaptiques et nos mains.
26:53 Le compte écologique à rebours est enclenché.
26:57 Nous ne sommes plus certains de pouvoir le ralentir,
27:00 encore moins l'arrêter.
27:02 Ce n'est plus le hasard qui peut gouverner notre destinée humaine.
27:06 Il n'est plus temps de s'en remettre à lui.
27:09 Seule notre recherche scientifique,
27:11 notre volonté rationnelle, politique
27:13 et notre éthique planétaire pourront nous secourir.
27:16 La situation paraît tragique,
27:18 perdue d'avance face aux populations complotistes,
27:22 climatosceptiques, antidémocratiques,
27:24 qui pullulent dans les plus grandes nations de notre planète
27:27 et prétendent nous imposer la loi de leur fabulation toxique.
27:32 Nous n'avons plus de marge de manoeuvre.
27:34 Le hasard est à bannir.
27:36 On ne saurait plus s'en remettre à lui,
27:39 comme pour l'équilibre démographique des naissances des deux sexes
27:41 pour assurer notre perpétuation,
27:44 ni davantage à la providence de la nature
27:46 pour nous sauver des désastres écologiques en cours.
27:49 Il est plus que probable que la nature
27:51 tende à éliminer notre espèce,
27:54 devenue dangereusement nuisible selon la même logique
27:56 que nous appliquons aux nuées de moustiques porteurs de la maladie.
28:00 Résumons.
28:02 Les artistes et les écrivains ont pleinement conscience
28:06 du rôle du hasard dans la création.
28:08 Les scientifiques le détestent.
28:10 Et même si les plus innovateurs d'entre eux,
28:14 comme on vient de le voir juste avant avec notre collègue d'Oxford,
28:18 même si les plus innovateurs d'entre eux,
28:20 aujourd'hui, commencent à penser devoir lui faire
28:22 une place en biologie et en astrophysique.
28:25 La thermodynamique s'emploie à réguler le chaos.
28:28 Et dans les sciences humaines,
28:30 dans les gouvernements de la raison pratique
28:32 et de l'éthique planétaire,
28:33 aussi bien que dans les superstitions,
28:35 le hasard n'a plus sa place.
28:38 Quoi qu'en pensent les théologues et les scientifiques.
28:40 Le hasard est le joker de nos fabulations humaines.
28:44 Même lors de la distribution des cartes,
28:47 personne ne sait s'il aura le joker dans son jeu
28:50 ou s'il sera dans la main de la partie adverse
28:53 et comment il pourra en user pour gagner la partie
28:56 ou limiter les pertes.
28:57 Ce soir, la planète est en jeu, la roulette tourne,
29:01 rien ne va plus.
29:02 Le hasard peut régner sur l'univers, cela nous échappe.
29:06 Mais il n'a pas sa place sur notre planète,
29:08 où l'écologie...
29:09 J'oppose l'univers à notre planète, vous l'avez compris.
29:13 Il n'a pas sa place sur notre planète
29:15 où l'écologie et l'éthique nous imposent le nouveau récit
29:19 sur lequel il est urgent de refonder notre aventure humaine
29:22 et qu'il faut donc réinventer.
29:25 Je vous remercie.
29:27 (Applaudissements)
29:29 D'après vous, l'univers, il sait ce qu'il fait ?
29:34 C'est-à-dire, c'est un univers déterministe ?
29:38 Est-ce qu'il sait ce qu'il fait ?
29:40 C'est une question théologique ou métaphysique,
29:43 d'ailleurs comme la science astrophysique actuelle.
29:46 Et je n'ai pas la réponse.
29:48 C'est vraiment...
29:50 Il faudrait imaginer, mais pourquoi pas ?
29:52 Nous interprions l'univers avec des fabulations.
29:55 Religieuses, astrophysiques, superstitieuses, etc.
29:59 Et dans les mythologies anciennes, c'était très varié.
30:03 Alors, si nous voulons concevoir
30:05 que l'univers aurait la conscience de lui-même,
30:07 car c'est bien le sens de votre question,
30:09 comment voulez-vous que je vous réponde ?
30:11 C'est pas possible, mais je pourrais inventer une fabulation
30:14 qui vous dirait que l'univers respire comme un poumon
30:17 ou qu'il a une conscience neuro-cérébrale.
30:20 Un grand philosophe contemporain qui s'appelle Joël de Rennais
30:24 que je considère comme un fabulateur bizarre
30:28 a pensé que nous partageons une intelligence collective
30:32 connectée, comme le disait Teilhard de Chardin,
30:35 sur une atmosphère neuronale qui entourait la planète
30:39 et qui nous permet de partager,
30:41 dans une utopie qui, dans son cas, n'est pas religieuse,
30:44 mais biologico-fictionnelle,
30:47 cette intelligence collective.
30:49 Je dirais que je ne crois pas à l'intelligence collective,
30:52 ni partagée, dans le cas de la bêtise, oui,
30:55 mais dans le cas de l'intelligence, non.
30:57 Et en revanche, nous avons, bien sûr,
30:59 une intelligence connectée,
31:01 comme avait la mise des cartes de Newton
31:04 quand il partageait des lettres entre eux
31:06 sur des questions métaphysiques ou scientifiques.
31:09 Alors, je ne crois pas à l'intelligence collective,
31:12 j'ai bien dit, je crois à la bêtise collective.
31:15 Et nous en avons des exemples actuels.
31:18 Du côté de l'Atlantique où je suis,
31:22 je suis en Atlantique où je vis, puisque je vis au Canada.
31:25 Et juste au sud, il y avait récemment
31:28 quelque chose de bizarre au niveau de la fabulation.
31:31 Bon, voilà ce que je peux en dire.
31:34 Mais la réponse fondamentale, c'est que nous inventons
31:37 des récits, des fabulations de notre rapport au monde,
31:40 anthropomorphiques, généralement.
31:42 - Juste, Hervé, tu dis que tu ne crois pas
31:44 à l'intelligence collective,
31:46 mais il y a quand même une exception, c'est Time Ward.
31:48 - J'ai rien à vous le dire. - Quel bonheur !
31:51 C'est le but du congrès.
31:54 - Georges Lévy.
31:57 - Toi qui es mythanalyste...
32:00 - C'est un myth... Comment tu dis, toi ?
32:03 - Mythologue. - Un mythologue ou mythographe,
32:05 Georges Lévy.
32:07 - Toi qui es mythanalyste, en fait,
32:09 quelle est la représentation du hasard...
32:12 - Il n'y en a pas.
32:14 - ...dans nos esprits qui fait que nous continuons d'y croire ?
32:19 - Ah.
32:21 - Si nous continuons d'y croire,
32:23 c'est que ça représente quelque chose qui est important.
32:26 Et quelle est cette représentation ?
32:28 Parce que quand on remonte même dans la Grèce antique,
32:31 ce n'est pas très clair.
32:33 La Nanké, les Moïras, ce n'est pas très clair.
32:35 - C'est vrai.
32:37 Le postulat fondamental de la mythanalyse,
32:40 c'est en pari...
32:43 Comme disait Hegel...
32:47 C'est que tout ce qui est réel est fabulatoire,
32:50 tout ce qui est fabulatoire est réel.
32:53 Il disait tout ce qui est rationnel.
32:55 Et moi, j'ajoute, mais il faut choisir ses fabulations
32:58 et éviter les hallucinations toxiques.
33:00 Bon. Alors, effectivement, le hasard existe
33:04 dans nos représentations.
33:06 Et il existe comme existe notre croyance
33:09 à la chance ou à la malchance.
33:11 Les superstitions.
33:13 Autant... - La raison.
33:15 Et la raison elle-même est un grand mythe.
33:18 Alors, moi, ce que je dis fondamentalement,
33:21 c'est que le hasard est l'exemple même
33:24 de ce qu'on ne peut pas penser a posteriori,
33:27 de ce qu'on ne peut pas représenter a posteriori.
33:31 Et donc, comme je l'ai dit tout à l'heure,
33:33 c'est l'antimythe absolu.
33:35 On ne peut pas en dire plus qu'après coup.
33:39 Alors, a posteriori, on peut en dire plein de choses
33:43 selon la façon dont il nous a bien ou mal traités.
33:46 C'est certain que nous...
33:49 Si me tombe une pile sur la tête en sortant d'ici,
33:52 ou une plaque, une tôle de zinc,
33:54 et bien sûr, ce sera un malheureux hasard.
33:57 Et je penserais qu'il y a eu une mauvaise intention.
34:00 J'inventerais quelque part un hasard
34:02 bien ou mal intentionné.
34:04 Donc, je l'inventerais.
34:06 Mais métaphysiquement, on peut parler de Dieu,
34:09 mais on ne peut pas parler de Dieu en soi.
34:12 On peut parler de ses effets,
34:14 mais on ne peut pas parler de Dieu impétueux.
34:17 - Est-ce que je peux...
34:19 On va dire un mot.
34:21 Est-ce qu'au lieu d'être un antimythe ou l'antimythe parfait,
34:24 comme tu dis... - Pchit, pchit, antimythe.
34:26 - Est-ce que ce ne serait pas le mythe des mythes ?
34:28 Est-ce que, finalement, le hasard
34:30 ne serait pas l'expression de l'espoir
34:34 qui est le mythe humain par excellence ?
34:37 Finalement, on a espoir qui est un bon hasard,
34:42 et comme tu dis, d'éviter le mauvais hasard
34:44 quand on sort de la salle.
34:46 Pardon pour cette face ici.
34:48 - Parce que Georges Lévy, comme chacun sait, est un optimiste.
34:52 Donc, il interprète le hasard avec optimisme.
34:54 Mais je pense que Michel Foucault l'aurait inventé
34:57 comme un effet biopolitique pervers.
35:00 Donc, ça dépend de la sphère culturelle,
35:03 la sphère d'idée dans laquelle on est.
35:05 En France, il y a plus de pessimistes que d'optimistes.
35:08 Et donc, effectivement,
35:11 je ne suis pas sûr que tu aies raison.
35:12 Je pense que mon temps est terminé.
35:14 - C'est l'heure de la synthèse.
35:16 - La synthèse.
35:18 - Hyper simple.
35:20 - Bonne chance. - Merci.
35:22 Mais je vais la faire.
35:25 Non, vous m'applaudirez après,
35:28 seulement si vous avez...
35:30 - Un grand hasard.
35:32 - Ce n'est pas le hasard, mais je ne m'attendais pas trop à ça.
35:38 Parce qu'en plus,
35:39 tu as posé la question un peu ultime de Time World.
35:43 Est-ce le hasard qui a créé l'univers ?
35:45 Je crois qu'on ne peut pas poser de question plus large que ça.
35:49 Et tu as noté que c'était une question
35:51 finalement assez récente dans l'histoire des idées,
35:53 puisqu'on a souvent eu tendance
35:56 à faire appel à la figure d'un créateur avec un grand C,
35:59 selon les différentes croyances.
36:01 Et donc, la question du hasard s'est posée assez récemment.
36:07 Aujourd'hui, les scientifiques tentent d'expliquer
36:09 notamment l'origine de l'univers
36:12 par des modèles, des modèles physiques,
36:14 des modèles mathématiques.
36:16 Parce que si l'on n'invoque plus Dieu,
36:18 si l'on n'invoque plus le créateur avec un grand C,
36:20 eh bien, en fait, on perd nos repères.
36:22 On a besoin d'autre chose.
36:24 En l'occurrence, la science.
36:26 On tombe en plein désarroi.
36:28 Et en fait, je crois que tu as parlé d'univers effrayant.
36:30 Ça m'a fait penser à Pascal quand même,
36:33 qui évidemment a parlé de l'homme
36:36 entre les deux infinis.
36:37 Donc, si l'on n'invoque plus Dieu,
36:39 on se retrouve plongé dans l'infiniment grand.
36:41 Et on se retrouve, nous, dans notre condition humaine
36:44 entre l'infiniment petit et l'infiniment grand.
36:47 Et donc, Pascal parlait déjà de cette angoisse existentielle.
36:50 Je vous enlève un petit extrait.
36:52 "Qu'est-ce que l'homme dans la nature ?"
36:54 Vous connaissez tous cet extrait.
36:56 "Un néant à l'égard de l'infini,
36:58 "un tout à l'égard du néant,
37:00 "un milieu entre rien et tout,
37:02 "infiniment éloigné de comprendre les extrêmes,
37:05 "un pays invinciblement caché dans un secret impénétrable,
37:07 "également incapable de voir le néant d'où il est tiré
37:10 "et l'infini où il est englouti."
37:12 Je pense que ça résonne particulièrement bien
37:15 avec tout ce que tu nous as dit.
37:17 Et donc, tu as défini le hasard
37:19 de façon totalement novatrice, je dirais, dans Time World,
37:22 comme l'absence de mythe, l'absence de récit,
37:25 quelque chose qui va, je te cite,
37:27 "aux limites de la pensée humaine."
37:29 Alors, pour reprendre Pascal,
37:31 nous sommes plongés dans une grande solitude,
37:34 mais peut-être que cette solitude de la condition humaine
37:36 serait bouleversée si une forme de vie extraterrestre
37:39 était découverte.
37:41 Ce serait, comme tu l'as dit, une révolution,
37:43 un choc cosmique, une divergence.
37:45 Et ça nous permettrait de prendre réellement conscience
37:48 du fait que nous vivons sur une planète
37:50 au sein du cosmos.
37:52 Le problème, donc, c'est qu'on a mis à mort Dieu.
37:55 Dieu est mort, donc, évidemment,
37:57 Nietzsche n'est pas très loin, bien sûr.
38:01 Et ça m'a fait penser à Nietzsche
38:03 parce que, finalement, la recherche de la vérité,
38:06 en particulier scientifique,
38:08 est une façon d'échapper à cette angoisse existentielle
38:11 que tu mentionnais, peut-être, je dirais, de se consoler.
38:14 Alors, je vous lis, parce que je ne veux pas
38:17 qu'il y ait de jaloux, un petit texte de Nietzsche.
38:20 Il en est de même de cette croyance
38:23 dont se contentent maintenant tant de savants matérialistes.
38:26 Je crois que ça, tu vas voir, ça résonne bien avec ta conférence.
38:30 La croyance a un monde qui doit avoir son équivalent
38:33 et sa mesure dans la pensée humaine,
38:35 donc que l'on cherche à comprendre.
38:37 Dans l'évaluation humaine, un monde de vérité,
38:40 dont on pourrait approcher en dernière analyse
38:42 à l'aide de notre raison humaine petite et carrée.
38:46 Quelque chose, évidemment, que Nietzsche conteste.
38:49 Et, finalement, cette recherche de la vérité,
38:51 aujourd'hui, en science,
38:53 elle est indissociable de l'idée de hasard, précisément.
38:56 Et le hasard, comme disait Georges Lewis,
38:59 c'est peut-être une nouvelle forme d'espoir,
39:00 de compendre notre monde
39:02 et de combattre cette angoisse existentielle
39:05 à travers une nouvelle mythologie
39:08 proposée par les scientifiques.
39:11 Tu définissais donc le hasard
39:13 comme l'absence de mythes, l'absence de récits.
39:18 Et maintenant, je pense que les scientifiques
39:20 vont faire un nouveau récit,
39:22 raconter une nouvelle histoire,
39:24 c'est celle de la disparition du hasard.
39:28 Merci.
39:29 (Applaudissements)
39:32 (Musique)

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